Si cette vague de froid est exceptionnelle par sa sévérité, l'épisode n'est pas isolé : en janvier 2019 aussi le centre des Etats-Unis avait connu une période glaciale, en janvier 2017 la température sur 5 jours en Europe centrale et dans les Balkans est descendue jusqu'à 15°C sous les normales et en 2013-2014 un hiver particulièrement rude avait fait presque intégralement geler les grands lacs.
A chacun de ces épisodes, une question revient : comment un climat qui, globalement, se réchauffe peut-il donner naissance à des vagues de froids aussi extrêmes ?
Un effet du réchauffement accéléré des pôles
Le dérèglement du climat peut rendre les hivers plus extrêmes dans les région tempérées via plusieurs mécanismes, mais tous partagent une même origine : le réchauffement accéléré de l'Arctique.
Aussi contre-intuitif que puisse paraitre ce phénomène, il est en fait relativement simple de comprendre pourquoi le réchauffement des régions polaires peut entrainer des périodes de froid extrêmes dans les régions tempérées d'Amérique du Nord, d'Europe et d'Asie.
La densité de l'air est fonction de sa température : si vous chauffez l'air contenu dans un ballon, le volume du ballon augmente, c'est le principe de la montgolfière. C'est aussi vrai sur notre planète : la même masse d'air occupera moins de place au pôle, où il fait plus froid, qu'à l'équateur. Le résultat c'est que, à une altitude donnée, la pression atmosphérique est plus faible dans les régions polaires que dans une zone plus chaude. Ou pour le dire autrement "l'atmosphère est en pente" : Si vous vous déplaciez de l'équateur vers le pôle nord sur une surface de pression constante, vous seriez presque toujours en train de descendre. Par exemple la limite des 0.3 bars est en moyenne autour de 10 kilomètres d'altitude à l'équateur et 8.5 au pôle.
Concrètement, cette dépression a tendance à attirer et retenir l'air. La différence de température fait que les mouvements de l'atmosphère vont globalement de l'équateur vers les pôles (en tourbillonnant de l'ouest vers l'est en raison de la rotation de la terre).
Comme les pôles se réchauffent environ deux fois plus vite que le reste de la planète, le différentiel de température qui est à l'origine de ce mouvement se réduit. L'attraction exercée par les pôles devient plus faible et il est plus facile pour des masses d'air froid de s'en échapper pour venir congeler des régions tempérées.
Perturbation du vortex polaire
Voilà pour l'intuition générale. Si on veut entrer un peu plus dans les détails, il existe principalement deux phénomènes à connaitre.
Le premier est le fameux vortex polaire.
C'est un phénomène qui se produit uniquement en hiver. Pendant la nuit polaire, l'atmosphère située au-dessus du pôle se refroidit rapidement en particulier dans la stratosphère qui est normalement réchauffée par l'énergie des UV absorbés par le couche d'ozone. Ce refroidissement entraine l'apparition d'une zone de basse pression autour de laquelle se forme un immense tourbillon : le vortex polaire.
En temps normal, le vortex polaire empêche l'air froid de s'échapper vers les moyennes latitudes. Mais son fonctionnement peut être perturbé par des courants d'air venus des régions plus chaudes.
Ces perturbations peuvent avoir des effets spectaculaires : inversion du sens de rotation du vortex, augmentation de la température au-dessus du pôle de plusieurs dizaines de degrés en quelques jours, déplacement du vortex vers le sud voire dislocation en systèmes plus petits... Tout cela entrainant souvent des vagues de froid durables aux moyennes latitudes.
A gauche : vortex polaire normal en novembre 2013 (une zone de basse pression centrée sur le pôle), à droite : vortex perturbé en janvier 2014 à l'origine de vagues de froid en Asie et en Amérique |
Les perturbations du vortex polaire ne sont pas en soi anormales mais elles semblent être devenues plus fréquentes au cours des dernières décennies, expliquant en partie les vagues de froids européennes et asiatiques. Ce phénomène pourrait être lié au recul de la banquise arctique. Cependant l'évolution future de ces perturbations du vortex polaire sous l'effet du dérèglement climatique n'est pas encore claire.
Affaiblissement du jet stream
Les jets streams ("courants de jet" en bon québécois) sont des couloirs de vent situés à une dizaine de kilomètres d'altitude, l'air y circule vers l'est à très grande vitesse. Chaque hémisphère a deux courants principaux : un situé autour de 30° de latitude (jet stream tropical), l'autre autour de 60° (jet stream polaire).
Même si la réalité est beaucoup plus compliquée que ça, ces courants matérialisent la limite entre des régions chaudes, tempérées et froides relativement isolées les unes des autres.
Mais ces limites ne sont ni fixes ni en ligne droite. Sous l'effet du relief et des différences de température au niveau de la surface, le jet stream forme des méandres se déplaçant lentement. C'est particulièrement le cas dans l'hémisphère nord où la disposition des terres émergées favorise ces variations. Il est donc possible pour une même région d'être parfois au sud et parfois au nord du jet stream ce qui va déterminer des conditions météorologiques très différentes.
Animation représentant l'évolution du jet stream polaire au-dessus du continent américain (NASA) |
Comme les pôles se
réchauffent plus vite que le reste de la planète, le différentiel de
température qui met en mouvement les jets streams diminue. Cet affaiblissement a pour effet de rendre les courants plus sensibles aux phénomènes locaux. Pour le dire simplement : la frontière entre les zones froides et tempérée devient plus souple mais aussi moins mobile.
Résultat : il devient plus probable qu'une grande oscillation du jet stream polaire permette à de l'air froid de descendre loin en zone tempérée, ou à l'inverse entraine un épisode de chaleur anormal aux hautes latitudes. Ces périodes extrêmes ont aussi tendance à durer plus longtemps.
Quelle est la morale de l'histoire ?
Est-il possible d'imputer ou non une vague de froid au changement climatique ? Et peut-être s'attendre à des périodes de froids plus extrêmes en dépit d'une tendance au réchauffement ? Ces deux questions sont encore largement en débat : comme c'est souvent le cas au début, l'intensification de la recherche sur ces sujets a eu tendance à faire augmenter les incertitudes plutôt qu'à les réduire...
Mais comme toujours lorsqu'on parle de gestion des risques, savoir ce qu'on ne sait pas est presque aussi important que savoir. La climatologue canadienne Katharine Hayhoe emploie à ce sujet une expression que je trouve intéressante : "global weirding" (bizarification ? climatique) plutôt que de "global warming" (réchauffement climatique).
En effet, lorsqu'on s'intéresse aux effets du changement climatique au-delà de
raisonnements qualitatifs ou de grandes moyennes, on découvre des évolutions complexes et souvent équivoques. Pour ne citer qu'un exemple (sur lequel on reviendra) : saviez-vous que même si le changement climatique fait, globalement, augmenter le niveau de la mer, il existe des endroits où il devrait baisser au cours du XXIe siècle ?
De la même façon, il ne fait guère de doute que la température moyenne en hiver augmente et va continuer à augmenter au cours des prochaines décennies. Cependant la vague de froid qui frappe actuellement le centre des Etats-Unis doit être prise comme un avertissement par ceux qui voudraient en tirer des conclusions trop rapides.
Publié le 16 février 2020 par Thibault Laconde
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