Comment une sécheresse en Amérique du Sud fait augmenter les factures de gaz européennes

Qui est responsable de l'explosion du prix du gaz ? Selon le bord de votre interlocuteur, ce sera la reprise économique, la libéralisation du marché de l'électricité, le recul du nucléaire, la Russie, la Chine... C'est le grand jeu du moment : trouver un coupable qui, surtout, vous confirme dans vos opinions préalables.

Comme ça ne risque pas de s'arrêter avec la menace d'une crise énergétique pendant l'hiver, prêtons-nous à l'exercice : Voyez-vous, le vrai responsable, c'est le climat.

Sécheresse et conséquences

L'Amérique du Sud traverse actuellement une longue sécheresse. Débutée au milieu de l'année 2018, elle a pris cette année des proportions historiques. Les conséquences du manque d'eau se font durement sentir, affectant la population, l'agriculture et l'industrie de la Terre de Feu jusqu'en Amérique Centrale.
Or la région très dépendante de l'hydroélectricité : selon l'Agence Internationale de l'Energie, 55% l’électricité sud-américaine est hydraulique. Au Brésil, première économie du continent, on monte à 63%, et 70% en Équateur, 75% en Colombie, presque 100% au Paraguay...


Humidité des sols en Amérique du Sud fin octobre 2020 (Source : NASA)


Avec la sécheresse qui déprime la production hydroélectrique et l'hiver austral qui booste la demande, la situation électrique en Amérique du Sud est très tendue depuis quelques mois. Certains pays rationnent l'électricité, d'autres remettent en service des centrales fossiles.

Résultat : pendant l'été (qui est l'hiver là-bas), l'Amérique du Sud est devenue un véritable aspirateur à gaz. En juillet, le Brésil et l'Argentine ont importé plus de gaz liquéfié que la Chine. Les méthaniers au départ du Golfe du Mexique, qui en temps normal seraient venus compléter les stocks européens, sont allés vendre leurs chargement à meilleurs prix chez des sud-américains au bord du black-out.

Déjà-vu

La crise que traverse l'Amérique du Sud rappelle la sécheresse des années 2000 en Afrique de l'Est. Là aussi des pays très dépendants de l'hydroélectricité avait été contraints de se tourner vers des productions fossiles, certains en payent encore le prix avec des contrats à long-terme négociés en urgence.

Les deux cas soulignent la vulnérabilité de l'hydroélectricité face à la variabilité pluriannuelle des précipitations. La différence, c'est le poids économique de la région et la mondialisation récente du marché du gaz qui donne à cette sécheresse régionale un impact mondial.

export de gaz naturel liquéfié depuis les Etats-Unis
Le développement des exportations de GNL, notamment depuis les Etats-Unis, a entrainé la mondialisation rapide du marché du gaz (source : EIA).

C'est peut-être la principale nouveauté dans cette histoire. Il y a peu, les flux de gaz étaient encore très majoritairement prisonniers d'infrastructures physiques : les gazoducs vont du point A au point B et c'est tout.

Avec le développement de la production de gaz non-conventionnels, les Etats-Unis se sont retrouvés avec un exédent à exporter. Comme il n'était pas vraiment possible de construire un gazoduc vers les acheteurs potentiels en Asie ou en Europe, ils ont encouragé le commerce du gaz liquéfié. En l'espace d'une dizaine d'années, le marché du gaz est devenu flexible et mondial : du moment qu'il existe un terminal pour l'acceuillir, un méthanier peut être redirigé vers un acheteur mieux-disant.

Qu'en retenir ?

Je ne prétends pas que la sécheresse sud-américaine est la seule explication à l'envolée du prix du gaz en Europe. Il faut évidemment attendre d'avoir des données plus précises pour faire la part des différents facteurs. Il n'empêche qu'il est déjà possible d'en tirer deux conclusions :

D'abord, évaluer l'évolution des précipitations en moyenne mensuelle ou annuelle, n'est pas suffisant pour saisir toutes les conséquences du changement climatique. L'évaluation des risques climatiques passe aussi par l'étude de la variabilité basse fréquence (sur plusieurs années voire décennies).

Ensuite, c'est une nouvelle fois la preuve qu'il n'est pas nécessaire d'être directement touché par un aléa climatique pour en ressentir les conséquences.
Le climat, c'est comme comme les pandémies : on n'est vraiment à l'abri que quand tout le monde est à l'abri.

Publié le 1er octobre 2021 par Thibault Laconde

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