[Série d'été] L'hydroélectricité, patient zéro de la crise climatique

Par quoi commencer une série consacrée à la vulnérabilité climatique du secteur électrique ? Peut-être par les énergies renouvelables qui, comme le solaire ou l'éolien, entretiennent un lien évident avec la météo ? Mais elles ne représentent pas grand chose dans la production d'électricité mondiale... Par les poids lourds du mix électrique, alors ? Le charbon, ou le nucléaire si on se place dans une perspective française ? Leur dépendance vis-à-vis du climat semble beaucoup plus ténue...Alors que choisir ?
En fait la solution s'impose. Il n'y a qu'une seule énergie qui représente une part importante de la production mondiale d'électricité et exploite une ressource directement liée au climat : c'est l'hydroélectricité.

Le deversoir du barrage d'Oroville endommagé après des précipitations importantes et l'érosion de l'évacuateur de crues
Le deversoir du barrage d'Oroville (Etats-Unis) sévèrement endommagé par une crue début 2017

 

Cet article fait partie d'une série estivale consacrée aux risques climatiques et à l'adaptation dans le secteur électrique.
Retrouvez tous les articles de cette série ici :

 

Comment le changement climatique peut modifier la ressource en eau


L'énergie hydraulique est à l'origine d'un sixième de la production électrique mondiale, c'est la troisième source d'électricité de la planète, derrière le charbon et le gaz, et la première qui soit décarbonée devant le nucléaire. Et elle exploite une ressource qui joue un rôle central dans le système climatique : l'eau. Plus particulièrement l'eau de ruissellement, c'est-à-dire l'eau issue des précipitations qui s'écoule à la surface avant de rejoindre les océans.

On pourrait penser que l'évolution du régime des précipitations suffit à donner une indication de celle du potentiel hydroélectrique mais ce serait un peu trop simple : le "productible", c'est-à-dire l'électricité qui serait produite si toute l'eau disponible pouvait être exploitée dans des conditions optimales, dépend aussi de la température et dans une moindre mesure du vent et de l'ensoleillement.

En effet toute l'eau n'arrive pas jusqu'aux usines hydroélectriques, il faut soustraire l'évapotranspiration, c'est-à-dire la partie qui s'évapore, directement ou après prélèvement par les plantes. Si une partie de l'eau utilisée vient de glaciers permanents, la hausse de la température va au contraire entraîner une augmentation de la ressource... jusqu'au moment où les glaciers auront disparu entraînant peut-être l'effondrement du productible.
Si par contre l'eau vient pour une part significative de la fonte des neiges de l'année, la hausse de la température va modifier la façon dont la production se répartie dans l'année : l'eau sera disponible plus tôt et en plus grande quantité à la fin de la saison froide mais elle se fera rare pendant la saison chaude, le productible annuel restant a priori inchangé. Une évolution de ce type peut avoir des conséquences importantes en particulier pour les installations au fil de l'eau ou avec de petites retenues d'eau. Une répartition différente de la ressource en eau dans l'année peut aussi dégrader la production lorsque les lac artifiels servent aussi au soutien d'étiage, c'est-à-dire qu'ils sont utilisées pour réguler le niveau du cours d'eau en aval.

Prévoir le productible ? Pas si simple...


Le rapport spécial du GIEC sur les énergies renouvelables et l'adaptation au changement climatique donne un aperçu global de l'évolution de la ressource en eau dans le courant du XXIe siècle :

Evolution de la ressource hydroélectrique avec le dérègelement du climat selon le GIEC
Évolution de la ressource en eau de ruissellement en % entre 1980-1989 et 2090-2099 dans un scénario d'émissions pessimiste (A1B).
Les zones hachurées indiquent les régions où 90% des modèles convergent sur le sens de l'évolution, les zones où moins de 66% des modèles convergent ont été laissées sans couleur.
En Europe, l'évolution de la ressource hydrique devrait être nettement négative sauf en Scandinavie, cette perspective a été confirmée depuis par le 5e rapport du GIEC. Mais il met aussi en évidence des évolutions divergentes d'une région à l'autre, voire entre cours d'eaux d'un même bassin versant. Une étude au cas par cas s'impose.
D'autant plus que les projections du climat même à l'échelle d'une installation hydroélectrique ne suffisent pas à dire comment sa production va évoluer : cela dépend aussi de l'environnement dans lequel elle se trouve, de l'origine de l'eau, de la présence ou non d'une retenue, de la saisonalité de la demande en électricité, de la réglementation applicable...

Et c'est là que l'on rencontre un premier problème : les installations ne sont en général pas conçues pour le climat du milieu du XXIe siècle. Ni même pour celui du début du XXIe siècle...
De nombreuses installation hydroélectriques sont anciennes : en France par exemple leur âge moyen est autour de 75 ans, les hypothèses utilisées lors de leurs constructions sont  dépassées depuis longtemps.
Même des projets flambant neufs s'appuient souvent sur des données obsolètes : ils sont typiquement dimensionnés sur les observations météorologiques des 30 dernières années disponibles, et comme dans certaines parties du monde le réseau d'observation s'est dégradé à la fin du XXe siècle, la période retenue est souvent 1961-1990. Les choix économiques et techniques sont donc effectués avec une stationnarité du climat sur au moins un demi-siècle dont on sait qu'elle est erronée.


Les autres impacts du climat sur l'hydroélectricité


L'impact de la ressource en eau sur la production n'est pas le seul facteur de risque pour l'hydroélectricité. Le changement climatique peut aussi donner un coup de pouce à deux de ses éternels ennemis : les crues et les sédiments.

La fréquence et l'intensité des crues peuvent évidemment évoluer avec le régime des précipitations. Mais pas seulement : la hausse de la température, par exemple, fait aussi augmenter le risque de rupture de lacs glaciaires.
Des crues plus intenses ou plus fréquentes peuvent avoir une multitude d'effets négatifs, depuis la nécessité d'effectuer des lâchers d'eau préventifs, et donc de perdre de la production, jusqu'à la destruction des ouvrages avec potentiellement des graves conséquences pour les populations et les biens situés en aval.
Le cas du barrage d'Oroville, en Californie, illustre ce risque : au début de l'année 2017, des précipitations intenses ont nécessité des lâchers d'eau importants qui ont endommagé le déversoir principal. L'évacuation de l'eau a du être ralentie ce qui a fait monter le niveau du lac, déjà très élevé, et entrainé un risque de rupture qui a nécessité l'évacuation de plus de 180.000 personnes. Les réparations de fortunes effectuées sur le déversoir ont causé l'accumulation de débris au pied du barrage, obligeant à interrompre la production hydroélectrique. Le fonctionnement normal n'a repris qu'au printemps 2019 après des travaux qui ont couté 1.1 milliards de dollars.

Le changement climatique peut également entraîner une dégradation de la qualité de l'eau : avec la fonte des glaciers et des débits plus importants, les cours d'eau ont tendance à se charger en débris et en sédiments.
Les débris peuvent bloquer les conduites et les canaux ou bien endommager directement les installations hydroélectriques. Les sédiments eux vont s'accumuler au fond des retenues d'eau et en diminuer progressivement la capacité, là où elles sont possibles des curages plus fréquents seront nécessaires. Il entraînent aussi une usure plus rapide, notamment de la turbine, cet effet est notamment étudié en Suisse.

Et naturellement, les installation hydroélectriques subissent indirectement les impacts du changement climatique sur leur environnement : dégradation des réseaux électriques ou routiers, effets de la température sur les salariés, etc. Même la modification de la répartition de la faune et de la flore peut créer de nouvelles contraintes pour les exploitants de barrages hydroélectriques, par exemple s'il s'agit d'espèces protégées ou d'algues flottantes...


La vulnérabilité de l'hydroélectricité comme risque systémique pour une société bas-carbone



Ces risques ne concerne pas que les exploitants et les riverains des installations : l'hydroélectricité est la clé de voûte d'un mix électrique bas carbone. Evidemment parce qu'elle est la première source d'électricité décarbonée à l'échelle mondiale mais aussi parce que sa flexibilité et la capacité de stockage offerte par les retenues d'eau en font le complément idéal de renouvelables variables comme le solaire ou l'éolien. Enfin n'oublions pas qu'en régulant le cours des fleuves, les barrages hydroélectriques permettent de sécuriser la production des centrales thermiques situées en aval.
Par conséquent, si l'hydraulique vacille c'est la résilience de l'ensemble de la production électrique qui est menacée et l'espoir d'un mix bas-carbone qui s'éloigne.

Il ne s'agit pas là d'une conjecture alarmiste mais d'un scénario s'est déjà réalisé : lors de la sécheresse des années 2000, les pays d'Afrique de l'Est, très dépendants de la production hydroélectrique, ont connu une grave crise énergétique. Certains, comme le Kenya, ont réussi à diversifier leur mix vers d'autres sources renouvelables mais beaucoup ont fait appel dans l'urgence à des productions fossiles dont ils peinent presque deux décennies plus tard à se débarrasser.
De même, le Portugal et l'Espagne ont vu leurs émissions de gaz à effet de serre s'envoler en 2017 lorsqu'ils ont été obligés de compenser une mauvaise hydraulicité par le recours au gaz et au charbon. Dans ce cas, l'effet semble heureusement avoir été transitoire.

Au-delà du secteur électrique, les barrages jouent aussi un rôle important dans l'alimentation en eau des régions agricoles et des grands centres urbains. S'ils ne parviennent plus à jouer ce rôle, certains chercheurs vont jusqu'à envisager l'apparition de "villes faillies" : les difficultés du Hoover Dam par exemple pourrait priver Los Angeles d'une de ses sources majeure d'électricité et menacer l'approvisionnement en eau potable de Las Vegas.


Si vous souhaitez creuser ce sujet, je vous renvoie au guide publié récemment par l'International Hydropower Association et à cette étude de cas pour plus de détails sur la méthodologie.

Publié le 23 mai 2019 par Thibault Laconde



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