Hors série : l'inondation de la centrale nucléaire de Blayais pendant la tempête de décembre 1999

A l'occasion de la tempête Miguel qui frappé les côtes bretonnes et normandes la semaine dernières, j'ai consacré un long fil sur Twitter à l'inondation de la centrale nucléaire de Blayais lors de la tempête Martin il y a 20 ans.

Le cas de Blayais est un des exemples qui peut illustrer la série d'articles que je consacre en ce moment à la vulnérabilité climatique du secteur de l'énergie. Comme je n'aurais pas la possibilité de revenir aussi en détail dans l'article que je vais consacrer au nucléaire et que tous le monde ne lit pas Twitter, je trouve qu'il est intéressant de reproduire ce fil ici :

L'inondation de la centrale de Blayais et ses causes


L'inondation de la centrale nucléaire de Blayais pendant la tempete de 99 illustre l'impact d'un phénomène météorologique extrème sur une installation atomiqueVoici le décor : la centrale de Blayais est située sur l'estuaire de la Gironde une cinquantaine de kilomètres au nord de Bordeaux. Elle compte 4 réacteurs de 900MW mis en service au début des années 80.
Le 27 décembre 1999, le site de la centrale est inondé. Les tranches 1 et 2 subissent des entrées d'eau importantes qui détruisent des systèmes de sécurités. L'évènement, sans conséquence radiologique, a été classé au niveau 2 sur l'échelle INES. Que s'est-il passé ?

Même si elle est située sur un estuaire, d'un point de vue hydrologique, Blayais ressemble plus à une centrale nucléaire côtière qu'à une centrale fluviale.
Son dispositif de protection contre les inondations est conçu en conséquence : la centrale est protégée par une digue dont la hauteur est calculée sur la base de la marée maximale (coefficient 120). A cette hauteur, il faut ajouter une surcôte pour faire face aux aléas météos : basses pressions (qui "aspirent" l'eau), vent… C'est là que le bât blesse.

A l'époque, comme aujourd'hui, cette surcôte est extrapolée à partir de valeurs historiques. Le niveau le plus élevé connu de la station marégraphique la plus proche date de 1979, c'est 4.12 m. La digue de la centrale fait entre 5.2 et 4.75 m.
Ce ne sera pas suffisant : le 27 décembre 1999, la marée est limitée (coefficient 77) mais un vent exceptionnellement fort pousse des vagues dans l'estuaire. La même station mesure une hauteur d'eau de 4.46 m, juste avant de rendre l'âme. A posteriori, la crue a été estimée entre 5 et 5.3 mètres.

La digue va donc être submergée dans la soirée du 27 décembre, d'autant que les paquets d'eau ont déplacé les enrochements, l'ouvrage en terre se retrouve exposé et érodé par les eaux de la Gironde. Mais à ce moment-là la centrale subit déjà les effets de la tempête...


Déroulement de la nuit du 27 au 28 décembre 1999


A 18h, la chute d'un arbre prive la centrale de son alimentation auxiliaire en électricité. Vers 21h, une surtension oblige les réacteurs 2 et 4 à se déconnecter du réseau, ils ne peuvent donc plus être alimentées en électricité de l'extérieur.
Or paradoxalement un réacteur nucléaire a besoin d'électricité pour fonctionner (et pas qu'un peu). Les deux réacteurs tentent un îlotage (c'est-à-dire qu'ils essaient de s'alimenter eux-même) mais échouent. Arrêt automatique.

Ce premier incident est indépendant de l'inondation.

A 19h30, la présence d'eau sur le site est signalée. Les déplacements deviennent dangereux (il y a un blessé dans la soirée : jambe cassée). A 20h, c'est la route menant à la centrale qui est submergée. La relève des équipes et l'arrivée éventuelle de secours sont comprises.
A 22h, la marée est haute. Un poste d'observation alerte le réacteur 4 - qui n'en tient pas compte, les 3 autres réacteurs ne sont pas alertés. Au même moment l'eau commence à envahir le sous-sol des réacteurs 1 et 2.

A 23h, la marée commence à redescendre le gros est passé mais de l'ordre de 100.000m3 d'eau sont rentrés sur le site.
Par endroit la hauteur d'eau atteint 30cm. Plusieurs systèmes de secours sont noyés sur les réacteurs 1 et 2. Heureusement, ils ne seront pas nécessaires.

Peu après minuit, des débris obstruent le circuit de refroidissement de la partie électrique du réacteur 1. Arrêt automatique. L'ensemble de la centrale est maintenant arrêtée.

A ce moment là, la route d'accès à la centrale commence à être dégagée. EDF décide de faire appel aux renforts d'astreinte. Mais problème : une bonne partie du sud-ouest est dans le noir et beaucoup de téléphones ont besoin d'électricité pour fonctionner...
Le système d'audioconférence qui doit relier les équipes de crise de l'IRSN à Fontenay, d'EDF à Saint-Denis et de la centrale, ne fonctionne pas non plus. Il est pourtant supposé être sécurisé.

Vers 3h du matin le plan d’urgence interne est activé au niveau 1 (c'est-à-dire à l'échelle locale). Il passe au niveau 2 (national) à 9h. Ce délai a été critiqué, son origine semble dans un cafouillage de procédure : l'équipe de la centrale ne savait pas qu'elle devait demander l'activation du PUI niveau 2.

Finalement, l'inondation de la centrale de Blayais n'a pas eu de conséquences graves. Mais cela ne signifie pas qu'elle n'est pas intéressante au moment où le dérèglement du climat rend ce type d'incident plus probable (dans le nucléaire comme ailleurs). Qu'en retenir ?


Quelques leçon de l'inondation de Blayais pour la gestion des risques climatiques


Il y a d'abord le dimensionnent insuffisant de la digue. Lors de l'inondation des travaux de rehaussement jusqu'à 5.7 m étaient prévus pour 2002. Il n'est pas évident que cela aurait suffit à éviter l'inondation. Cette digue a depuis été rehaussée à 6.2 m et renforcée.

Derrière le cas particulier de la digue de Blayais, il y a 2 problèmes majeurs qui se posent dans les démarches de réduction des risques climatiques :
  1. La localisation d'infrastructures critiques 
  2. La caractérisation des extrêmes
Sur le premier point, beaucoup d'infrastructures sont situées dans des zones qui sont, ou vont devenir, fondamentalement vulnérables. C'est vrai pour Blayais mais aussi pour de nombreux sites industriels et réseaux (routiers, ferroviaire, électriques, télécoms...). Or il est très coûteux voire impossible de les déplacer.
Pour les nouveaux projets, il est indispensable de bien évaluer les risques, y compris futurs, y compris incertains. Dans ce domaine, l'optimisme se paye de longs regrets.

Pour les installations existantes, il faut les protéger. Mais les protéger contre quoi exactement ?
C'est là qu'on arrive au deuxième point. Le cas de Blayais avec sa digue plus haute que la plus haute crue connue mais encore insuffisante illustre bien la difficulté.
Même avec l'hypothèse d'un climat stable, déterminer le "pire événement possible" sur lequel se dimensionner est compliqué d'un point de vue statistique comme pratique (disponibilité des observations, utilisation d'archives historiques...). Alors avec un climat qui change...
La solution est sans doute dans l'utilisation combinée d'observations passées et de projections futures, avec des méthodologies adaptées type "stress test". Elle reste cependant largement à trouver.

Un autre enseignement de Blayais, c'est l'indisponibilité de la route et du téléphone. Pas vraiment surprenant vous me direz. Mais ce n'est pas forcément pris en compte dans l'évaluation d'un risque où on raisonne souvent "toutes choses égales par ailleurs".
C'est d'ailleurs une caractéristique des phénomènes climatiques : ils touchent simultanément une large zone géographique et peuvent affecter plusieurs installations qui, consciemment ou non, comptent les unes sur les autres pour assurer leur résilience. D'où la nécessité de penser la vulnérabilité climatique d'une installation dans le système territorial dont elle dépend. Pas facile...

Cet article fait partie d'une série estivale consacrée aux risques climatiques et à l'adaptation dans le secteur électrique.
Retrouvez tous les articles de cette série ici :



Publié le 11 juin 2019 par Thibault Laconde

Illustration : Jack ma [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons  



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