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Météo du nucléaire : suivez en direct l'effet de la chaleur et de la sécheresse sur la production d'électricité

Aussi sûr que noël arrive en décembre, les indisponibilités climatiques du parc nucléaire reviennent en juillet. Cette année ne fait pas exception : le week-end dernier, la centrale du Bugey a été contrainte d'arrêter un réacteur pour respecter ses limites de rejets thermiques malgré la chaleur et la baisse du débit.

Depuis 5 ou 6 ans, je passe pas mal de temps chaque été à suivre et à expliquer les effets de la température et du manque d'eau sur la production nucléaire française. Alors cette année, j'ai décidé de simplifier le travail et de créer une application qui le fait à ma place :

Vous pouvez aussi accéder à l'appli en plein écran ici, et même l'intégrer sur votre propre site (la marche à suivre est expliquée dans ce tuto).

Comment ça fonctionne ?

Cette application s'appuie sur la méthode que j'ai développé en 2019 pour évaluer précisément les pertes de production nucléaire à partir des informations publiées par EDF dans le cadre de ses obligations reglementaires de transparence (alias : REMIT).

Ces publications prennent la forme de messages et de déclarations d'indisponibilité. Celles qui concernent la production des centrales nucléaires sont récupérées toutes les 30 minutes. Leur contenu est analysé automatiquement pour déterminer si la cause du problème est d'origine climatique ou s'il s'agit, par exemple, d'un arrêt programmé ou d'une défaillance technique.

A l'heure actuelle, l'ensemble des données viennent donc d'EDF. Elles sont simplement collectées et synthétisées avec d'une part un aperçu du nombre de réacteurs en service, à l'arrêt et perturbés par les conditions météo et d'autre part un court aperçu des prévisions pour les prochains jours :

Capture d'écran de la météo du nucléaire

Prévisions détaillées et historiques

Au-delà de cette exploitation simple, l'appli propose deux fonctions accessibles dans les onglets déroulants :

  • Le détail de la situation actuelle et des prévisions pour chaque centrale :
    Comme pour la synthèse, on a le nombre de réacteurs en service, arrêtés et perturbés par la météo à l'instant t. Il y a aussi pour chaque centrale un aperçu des prévisions publiés par EDF : est-ce qu'une indisponibilité climatique est possible ? Sait-on à quel moment ? Quelle est la puissance maximale qui devrait être concernée ?
Météo du nucléaire : détail des indisponibilités et des prévisions par centrale

  • Un graphique interactif des pertes pour l'année en cours
    La production perdue à cause des indisponibilité climatique est calculée jour par jour. Pour permettre une comparaison les courbes des années précédentes (jusqu'à 2015) sont également affichées.

Indisponibilités climatiques : pertes annuelles cumulées du parc nucléaire entre 2015 et aujourd'hui

Et à quoi ça sert ?

Chaque année, les indisponibilités climatiques du parc nucléaire suscitent des débats enflammés, souvent sur la base d'informations incomplètes ou fausses... Il faut dire que les données ne sont pas facilement exploitables (comme REMIT) ou arrivent beaucoup trop tard (EDF communique par exemple le cumul des pertes en fin d'année)

A plus long-terme, il est possible que je l'enrichisse avec d'autres fonctions, d'autres données (par exemple météorologiques) voire des prévisions indépendantes de celles réalisées par EDF. Mais ce ne sera probablement pas avant l'année prochaine.

Pour l'instant, je souhaite voir comment cette appli sera reçue et si elle peut aider à éclairer les discussions.

N'hésitez pas à partager votre avis, vos questions, vos proposition d'améliorations en commentaires ou sur les réseaux sociaux (en me mentionnant).

Publié le 19 juillet 2023 par Thibault Laconde

Futurs énergétiques 2050 : comment RTE a évalué l'impact du climat sur le système électrique ?

Futurs énergétiques 2050, chapitre 8 "climat et système électrique"

Si vous vous intéressez à l'énergie et que vous ne vivez pas dans une grotte, vous savez que RTE a présenté lundi 25 octobre des scénarios pour l'évolution du mix électrique français à l'horizon 2050. Ces scénarios sont appuyés sur un impressionnant travail de concertation et de modélisation et une attention particulière a été apportée à un sujet qui m'est cher : l'impact du changement climatique sur la production et la consommation d'électricité.
Ce volet de prospective climatique est une des innovations majeures du rapport : je crois que c'est la première fois en France que ce sujet est porté à un tel niveau institutionnel avec une telle profondeur. On peut espérer qu'il établisse un précédent, et peut-être serve de modèle pour la conception de futures politiques industrielles adaptées au changement climatique. 

Cette nouveauté a suscité pas mal de commentaires et d'interrogations... et à juste titre : si on vous dit ce qu'il va se passer dans 30 ans, il est légitime de demander comment fonctionne la boule de cristal ! Dans cet article, je vous propose d'expliquer les grandes lignes de la méthodologie utilisée par RTE, je reviendrais ensuite plus précisément sur quelques unes des questions que j'ai vu passées.

 

Objectif et principe général

L'objectif des "Futurs énergétiques 2050" en général, et de l'étude des effets du changement climatique en particulier, est de tester des scénarios d'évolution du système électrique français et de vérifier qu'ils permettent d'assurer l'équilibre du réseau dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui.

Dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, cela signifie notamment que la durée moyenne annuelle de délestage pour des raisons d'équilibre offre-demande est inférieure à deux heures

Comment évaluer la durée moyenne annuelle de défaillance ? Pour le passé, ça semble simple : on observe la durée des défaillances sur un nombre d'années assez grand, puis on fait la moyenne. Mais pour 2050 ? Hé bien, le principe est le même sauf que la simulation remplace l'observation : on simule le fonctionnement du système électrique sur un nombre d'années assez grand, on évalue pour chacune d'elles la durée des défaillainces, puis on fait la moyenne.

En bref, cette simulation fonctionne de la façon suivante : 

  1. On part d'une simulation de la météo tenant compte des effets du changement climatique,
  2. A partir de celles-ci, on détermine l'état de la production (production solaire et éolienne, productible hydroélectrique, disponibilité des production thermiques et nucléaires) et de la consommation (besoin de chauffage et de refroidissement, notamment),
  3. Avec ces données, un modèle du système électrique évalue l'équibre offre-demande.
Simulation du système électrique en fonction du climat
Source : rapport RTE, p. 332

Aux côtés des hypothèses sur la composition du parc de production et sur l'évolution des usages, les simulations météo sont donc l'une des 3 grandes données d'entrée de la modélisation. Mais d'où viennent-elles ? 


Sur quelles données climatiques s'est appuyé RTE ?

Pour que la moyenne des résultats soit représentative, il faut que la simulation porte sur un nombre d'années suffisamment grand. RTE a choisi d'en prendre 200, c'est-à-dire qu'il faut 200 versions possibles de la météo de l'année 2050.
 
Ces simulations météo ont été réalisées par le modèle ARPEGE-Climat de Météo France pour 3 climats différents :
  • un climat de référence correspondant aux conditions des années 2000
  • un climat 2050 dans un scénario d'émissions modérées (scénario RCP4.5 du GIEC)
  • un climat 2050 dans un scenario d'émissions très élevées (RCP8.5)
Le résultat est, pour chacun de ces climats, un jeu de données de 200 années de température, vent, nébulosité, débit, etc. avec un pas de temps horaire et une résolution spatiale de l'ordre de 20km, à l'échelle européenne. Prenez un moment pour contempler le volume de données que cela représente...
 
Le grand nombre de simulations est une originalité de l'étude : la plupart des travaux de prospective climatique s'appuient sur 30 années dans un climat évolutif centré sur l'horizon de temps souhaité. En français, cela signifie que pour étudier le climat de 2050, on va prendre une projection du climat pour le XXIe siècle et ne garder que les 30 années comprises entre 2036 et 2065. L'idée est que, même si les concentrations en gaz à effet de serre évoluent sur 30 ans, ces années restent représentatives de ce que pourrait être 2050.

Pour obtenir 200 années représentatives de 2050, il n'est évidemment pas possible de prendre toute la période entre 1951 et 2150... Il faut bloquer un modèle climatique sur le climat de l'année étudiée puis le faire tourner jusqu'à obtenir autant de versions possibles que souhaité. C'est ce qu'on appelle une simulation "à climat constant"
 

De la météo à la production

A ce stade, on a une simulation de la météo. C'est déjà bien pour dégrossir le problème, par exemple évaluer l'évolution de la ressource solaire ou éolienne à l'échelle régionale. Mais si on veut vraiment quantifier l'impact sur le système électrique, il faut calculer précisément la production et la consommation en fonction des paramètres météo. Dans son rapport RTE a appelé ces modèles "fonctions de transfert".

Ces fonctions de transfert sont évidemment propres à chaque filière : il a fallu les mettre au point pour l'éolien et le solaire, l'hydroélectricité (avec ou sans barrage) et la disponibilité du parc nucléaire et thermique.

Cette définition des relations entre la météo et la production a probablement représenté la majorité du travail effectué sur le climat au cours de l'étude. Il serait trop long de revenir en détail sur chaque filière mais, pour y avoir participé avec Callendar, je peux vous donner une idée du cheminement suivi pour le nucléaire.

 

L'élaboration de la fonction de transfert du nucléaire

Pour le nucléaire, il y a d'abord eu un important travail pour comprendre les indisponibilités actuelles du parc. Il a pris la forme d'une étude bibliographiques et surtout d'une collecte de données sur les indisponibilités causées par la météo au cours des dernières années d'une part, et sur les conditions de températures et de débit auxquelles les centrales ont été soumises dans le passé, d'autre part. Les connaissances acquises ont ensuite été croisées pour identifier les causes exactes de chacune des indisponibilités climatiques rapportées par EDF depuis 2015.

Si vous suivez régulièrement ce blog, vous êtes déjà familier avec le résultat : ce travail a montré que la grande majorité des indisponibilités climatiques sur le parc nucléaire surviennent lorsqu'une centrale fluviale ne peut plus respecter les limites de rejets thermiques qui lui sont fixées en raison d'un débit trop bas, d'une température de l'eau trop élevée ou de la conjonction des deux. 

La prévision des indisponibilités futures s'appuie donc sur un modèle capable de prévoir le dépassement de ces seuils reglementaires en fonction du débit et de la température de l'eau. Comme toutes ont des caractéristiques techniques propres et une réglementation unique, la modélisation est adaptée à chaque centrale. 

Ces modèles ont été validés sur les données historiques collectées au début du projet. Mais leur utilisation avec les simulations climatiques de Météo France a posé un problème : celles-ci ne contiennent que la température de l'air, pas la température de l'eau... Il a donc fallu d'abord créer une nouvelle couche de modélisation, liant la température de l'air à la température des fleuves au niveau des centrales.

Une fois cet obstacle levé, les deux modèles ont été assemblés et testés à nouveau sur la simulation du climat des années 2000 fournie par Météo France. Il s'agit bien d'une simulation du climat historique pas d'observations, on ne s'attend donc pas à retrouver exactement les indisponibilités du passé, mais si les modèles fonctionnent les indisponibilités simulées doivent être comparables, notamment en termes de fréquence, aux indisponibilités observées. Suite à ce test un dernier ajustement a été effectué : une correction de biais pour tenir compte des influences humaines sur le débit.

Ce rapide aperçu n'est qu'un simplification mais je pense qu'il illustre déjà la méticulosité et la rigueur du travail effectué. Il faut encore ajouter que, comme l'ensemble du processus, il a été soumis à la concertation et à une revue par les experts venues d'autres entreprises et d'ONG.


Questions-réponses

Après la publication du chapitre consacré au climat, plusieurs spécialistes de l'énergie se sont interrogés à haute voix sur les réseaux sociaux. Pour conclure cet article, je vous propose d'essayer de répondre à quelques unes de ces questions. Si vous en avez d'autres, n'hésitez pas à les poser en commentaire.
 
(Je précise que, comme le reste de l'article, ces réponses n'engagent que ma propre compréhension du rapport, elles n'ont absolument pas la prétention d'être représentatives de positions de RTE.)
 

Est-ce que la puissance maximale indisponible à un moment donné est évaluée ?

Lorsqu'on cherche à quantifier les indisponibilités climatiques, on parle souvent des pertes de productions annuelles. C'est, à mon avis, une mauvaise métrique surtout du point de vue de l'équilibre offre-demande : celui-ci est beaucoup plus sensible à la puissance maximale qui peut être indisponible à un instant donné.
 
Et, oui, heureusement, ça a été étudié. Le résultat suggère une augmentation assez marquée, et bien sur d'autant plus forte que le scénario de réchauffement est pessimiste et la part du nucléaire importante :
RTE en tire la conclusion que qu'il faut "trouver des leviers pour minimiser la sensibilité du  parc de réacteurs nucléaires au changement climatique, notamment  en  étudiant le positionnement des futurs réacteurs sur les fleuves peu contraints en matière de débits". Je n'aurais pas dit mieux...

Qu'en est-il des autres causes d'indisponibilités ?

Au-delà des dépassements de limites réglementaires, de nombreux phénomènes plus ou moins directement liés à la météo peuvent entrainer l'indisponibilité d'un réacteur nucléaire. Le colmatage des entrées d'eau en période de crue, par exemple, est un autre phénomène qui, selon certaines études, pourrait devenir plus fréquent avec le changement climatique. 
Cependant, l'étude bibliographique et les données disponibles ont montré qu'il s'agit de problèmes beaucoup moins courants : typiquement, ils se produisent une fois toutes les quelques années, contre plusieurs dizaines de fois par an pour les indisponibilités liées à la sécheresse ou à la chaleur. Ces sujets sont sans aucun doute importants pour l'exploitation et la sureté des installations mais probablement pas critiques pour l'équilibre offre/demande. Ils n'ont donc pas été pris en compte dans les simulations.
 

Quid de l'élévation du niveau de la mer ? des événements météorologiques extrêmes ? du refroidissement du reacteur et de l'enceinte ?

Il faut bien comprendre que l'étude de RTE porte sur l'équilibre du réseau. La méthodologie, les phénomènes à modéliser, les modèles et les métriques ont été choisis pour cet objectif et ils ne sont pas adaptés pour évaluer l'impact du changement climatique sur les installations nucléaires en général.
 
Par exemple, une simulation de Monte Carlo sur 200 années signifie que l'on a une probabilité assez élevée de ne pas détecter un évènement dont le temps de retour est supérieur à 100 ans. C'est très insuffisant pour une étude de sureté nucléaire, qui se base en général sur des temps de retour de 10.000 ans.
Il ne faut donc pas chercher à tirer des conclusions sur la sureté nucléaire de l'étude de RTE, ni dans un sens ni dans l'autre.
 

Est-ce que l'évolution des usages de l'eau ont été pris en compte ?

On en a encore eu des exemples récemment, l'accès à la ressource en eau est d'ores-et-déjà source de tensions. A l'horizon 2050, l'augmentation de la population et l'aridification de certaines parties du territoire pourraient rendre la consommation d'eau du parc nucléaire moins acceptable et, par exemple, entrainer des limites réglementaires de prélèvements et de rejets plus strictes pour les centrales fluviales.
Cette éventualité n'a pas été prise en compte. Les modèles sont construits sur l'hypothèse que la réglementation reste stable.

En sens inverse, il n'est pas impossible que la réglementation soit assouplie pour suivre l'évolution de la réalité climatique, par exemple en relevant la température maximale autorisée en aval des centrales. Ce cas n'a pas non plus été étudié.

Certains résultats semblent incohérents

Par exemple, l'étude conclut que les pertes de productions seront plus importantes à Golfech qu'à Civaux alors que le débit de la Vienne est très inférieur à celui de la Garonne. Ou elle n'identifie pas d'impact pour Chinon alors que les autres centrales de la Loire subissent des pertes.

Comme je l'ai expliqué plus haut, la simulation des indisponibilités est réalisée à l'échelle de chaque centrale en tenant compte de ses spécificités techniques, réglementaires et géographiques ce qui peut rendre les résultats difficilement comparables : Golfech bénéficie effectivement d'un débit beaucoup plus élevé que Civaux mais c'est la température de la Garonne qui cause ses arrêts. Chinon a une réglementation comparable aux autres centrales situées en amont de la Loire mais sa position en aval de la confluence du Cher lui offre des conditions hydrologiques plus favorables. Etc...
 
Publié le 12 novembre 2021 par Thibault Laconde

Comment une sécheresse en Amérique du Sud fait augmenter les factures de gaz européennes

Qui est responsable de l'explosion du prix du gaz ? Selon le bord de votre interlocuteur, ce sera la reprise économique, la libéralisation du marché de l'électricité, le recul du nucléaire, la Russie, la Chine... C'est le grand jeu du moment : trouver un coupable qui, surtout, vous confirme dans vos opinions préalables.

Comme ça ne risque pas de s'arrêter avec la menace d'une crise énergétique pendant l'hiver, prêtons-nous à l'exercice : Voyez-vous, le vrai responsable, c'est le climat.

Sécheresse et conséquences

L'Amérique du Sud traverse actuellement une longue sécheresse. Débutée au milieu de l'année 2018, elle a pris cette année des proportions historiques. Les conséquences du manque d'eau se font durement sentir, affectant la population, l'agriculture et l'industrie de la Terre de Feu jusqu'en Amérique Centrale.
Or la région très dépendante de l'hydroélectricité : selon l'Agence Internationale de l'Energie, 55% l’électricité sud-américaine est hydraulique. Au Brésil, première économie du continent, on monte à 63%, et 70% en Équateur, 75% en Colombie, presque 100% au Paraguay...


Humidité des sols en Amérique du Sud fin octobre 2020 (Source : NASA)


Avec la sécheresse qui déprime la production hydroélectrique et l'hiver austral qui booste la demande, la situation électrique en Amérique du Sud est très tendue depuis quelques mois. Certains pays rationnent l'électricité, d'autres remettent en service des centrales fossiles.

Résultat : pendant l'été (qui est l'hiver là-bas), l'Amérique du Sud est devenue un véritable aspirateur à gaz. En juillet, le Brésil et l'Argentine ont importé plus de gaz liquéfié que la Chine. Les méthaniers au départ du Golfe du Mexique, qui en temps normal seraient venus compléter les stocks européens, sont allés vendre leurs chargement à meilleurs prix chez des sud-américains au bord du black-out.

Déjà-vu

La crise que traverse l'Amérique du Sud rappelle la sécheresse des années 2000 en Afrique de l'Est. Là aussi des pays très dépendants de l'hydroélectricité avait été contraints de se tourner vers des productions fossiles, certains en payent encore le prix avec des contrats à long-terme négociés en urgence.

Les deux cas soulignent la vulnérabilité de l'hydroélectricité face à la variabilité pluriannuelle des précipitations. La différence, c'est le poids économique de la région et la mondialisation récente du marché du gaz qui donne à cette sécheresse régionale un impact mondial.

export de gaz naturel liquéfié depuis les Etats-Unis
Le développement des exportations de GNL, notamment depuis les Etats-Unis, a entrainé la mondialisation rapide du marché du gaz (source : EIA).

C'est peut-être la principale nouveauté dans cette histoire. Il y a peu, les flux de gaz étaient encore très majoritairement prisonniers d'infrastructures physiques : les gazoducs vont du point A au point B et c'est tout.

Avec le développement de la production de gaz non-conventionnels, les Etats-Unis se sont retrouvés avec un exédent à exporter. Comme il n'était pas vraiment possible de construire un gazoduc vers les acheteurs potentiels en Asie ou en Europe, ils ont encouragé le commerce du gaz liquéfié. En l'espace d'une dizaine d'années, le marché du gaz est devenu flexible et mondial : du moment qu'il existe un terminal pour l'acceuillir, un méthanier peut être redirigé vers un acheteur mieux-disant.

Qu'en retenir ?

Je ne prétends pas que la sécheresse sud-américaine est la seule explication à l'envolée du prix du gaz en Europe. Il faut évidemment attendre d'avoir des données plus précises pour faire la part des différents facteurs. Il n'empêche qu'il est déjà possible d'en tirer deux conclusions :

D'abord, évaluer l'évolution des précipitations en moyenne mensuelle ou annuelle, n'est pas suffisant pour saisir toutes les conséquences du changement climatique. L'évaluation des risques climatiques passe aussi par l'étude de la variabilité basse fréquence (sur plusieurs années voire décennies).

Ensuite, c'est une nouvelle fois la preuve qu'il n'est pas nécessaire d'être directement touché par un aléa climatique pour en ressentir les conséquences.
Le climat, c'est comme comme les pandémies : on n'est vraiment à l'abri que quand tout le monde est à l'abri.

Publié le 1er octobre 2021 par Thibault Laconde

Canicule, sécheresse... pourquoi le parc nucléaire espagnol est-il peu sensible aux aléas climatiques ?

A l'occasion de la canicule qui touche l'Espagne, j'aimerais aborder une question qui revient de temps en temps : Pourquoi les indisponibilités causées par la chaleur sont-elles moins fréquentes sur le parc nucléaire espagnol sur que son homologue français ?

Les réacteurs nucléaires espagnols sont-ils immunisés contre la chaleur ?

Bien que beaucoup plus réduit que le notre, l'Espagne a un parc nucléaire conséquent : 7 réacteurs qui assurent environ un cinquième de la production d'électricité.
Parmi ces 7 réacteurs, un seul (Vandellos 2) est situé en bord de mer :

Dépendant de fleuves (ou d'un lac dans le cas d'Almaraz) sous un climat plus chaud et plus aride que le notre, on pourrait s'attendre à ce que la production nucléaire espagnole soit régulièrement perturbée par la chaleur ou la sécheresse.
Ce n'est pas le cas : d'après les données de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, seuls 3 réacteurs espagnols actuellement en service ont connu des arrêts "pour causes externes liées à l'environnement" : Asco 1 et 2 (2 heures/an en moyenne) et Cofrentes (1h/an).
 
En comparaison, la centrale française de Golfech, 350km au nord, est environ 10 fois plus touchée : 22 et 13h/an en moyenne pour les réacteurs 1 et 2 respectivement.
 
Pourquoi une telle différence ? 
 

Réglementation thermique des fleuves espagnols

La différence de performance entre le parc nucléaire espagnol et son homologue français peut s'expliquer par deux facteurs : le premier réglementaire, le deuxième technique.
 
Coté réglementation, les centrales nucléaires espagnoles, comme les françaises, sont soumises à des limites de rejets thermiques. En cas de forte chaleur ou de débit insuffisant, ces limites peuvent obliger les centrales à réduire leurs production.
 
Les réglementations des rejets thermiques applicables des deux coté des Pyrénées sont cousines, elles dérivent toutes les deux d'un même texte : la directive européenne 78/659/CEE (version codifiée de 2006).
En principe, cette directive fixe la température maximum des grands fleuves de plaine à 28°C et limite l'échauffement causé par les utilisations industrielles de l'eau à 3°C. Cependant l'Espagne utilise une dérogation prévue par la directive : en cas de "conditions géographiques ou climatologiques particulières" la température des fleuves peut aller jusqu'à 30°C.
 
La température en aval des centrales nucléaires espagnoles est donc limitée à 30°C, contre 28°C par exemple pour Golfech.
Cette plus grande tolérance réduit mécaniquement la vulnérabilité des centrales nucléaires espagnoles face aux canicules. Mais la dérogation n'a pas d'effet sur le risque d'indisponibilité lié aux sécheresses, qui dépend lui de l'échauffement autorisé.
 
Or sur le parc nucléaire français, ce sont les périodes de faible débit qui expliquent la grande majorité des indisponibilités climatiques :
Indisponibilités climatique sur le parc nucléaire français
Etude des causes d'indisponibilités climatiques sur le parc nucléaire français, réalisée par Callendar pour RTE

Un parc nucléaire techniquement mieux adapté à l'aridité

 
L'explication réglementaire est donc au mieux partielle. Des facteurs techniques expliquent aussi que les centrales nucléaires espagnoles tiennent mieux les aléas climatiques que leurs homologues françaises : une taille plus petite et des systèmes de refroidissement adaptés.
 
Toute choses égales par ailleurs le besoin de refroidissement d'une centrale est proportionnel à sa puissance. Dans ce domaine il y a une grande différence entre les parc nucléaire français et espagnol : la plus grande centrale espagnole (Asco, 2000MW) est à peine plus puissante que la plus petite centrale française (St Laurent, 1800MW) !
La puissance des centrales nucléaires espagnoles est comprise entre 1100 et 2100MW, celle des centrales françaises entre 1800 et 5400MW. Rien de miraculeux, donc, à ce que les besoins de refroidissements soient plus faciles à gérer en Espagne...
 
Du côté des systèmes de refroidissement, sans revenir une nouvelle fois sur tous les détails, il existe deux grandes options :
  1. Refroidissement en circuit ouvert : je prends l'eau, je refroidis le réacteur, je rejette l'eau.
    Il faut beaucoup d'eau, l'eau rejetée est chaude mais tout ce qui est prélevé est remis dans le fleuve.
  2. Refroidissement en circuit fermé : je prends l'eau, je refroidis le réacteur, je refroidis l'eau dans une tour aéroréfrigérante, et je recommence jusqu'à ce que la concentration en minéraux et en impuretés m'oblige à purger le système.
    Il faut beaucoup moins d'eau, les rejets sont moins importants mais une partie de l'eau prélevée est évaporée, la centrale contribue donc à réduire le débit de la rivière utilisée.

Les centrales refroidies en circuit ouvert sont sensibles aux sécheresses en raison de leurs besoins élevés en eau et de leurs rejets thermiques (il faut un débit important pour les diluer efficacement). C'est la raison pour laquelle chez nous St Alban et Bugey sont souvent HS en fin d'été.
 
En Espagne, les deux seules centrales refroidies purement en circuits ouverts sont Vandellos et Almaraz. Elles ne sont pas vraiment menacées par la sécheresse : la première est située sur la Méditerranée, la seconde sur un lac artificiel de 35 millions de mètres cubes créé pour elle.
 
"Purement" en circuit ouvert ? Oui, parce qu'il y a aussi Asco...
 

Le cas unique de la centrale d'Asco

Asco est, pour autant que je sache, la seule centrale nucléaire au monde dont le système de refroidissement a été modifié après la mise en service pour réduire ses rejets thermiques. Cette modification lui donne un système hybride, entre le circuit ouvert et le circuit fermé.

La centrale d'Asco est conçue à l'origine avec un refroidissement en circuit ouvert. Lors de son inauguration en 1986, elle n'a pas de tour aéroréfrigérante :

Mais en dépit de trois retenues d'eau en amont (Mequinensa, Riba-roja et Flix) dont les lâchers d'eau permettent de réguler le cours de l'Ebre, l'échauffement du fleuve par la centrale se révèle vite trop élevé en période de faible débit. La Confederación Hidrográfica del Ebro, qui gère le bassin versant, demande donc la modification de l'installation.
Une tour aéroréfrigérante de 160 mètres est construite et entre en service en 1995. Mais cet ajout se fait sans modification de la centrale elle-même : la tour ne sert qu'à refroidir l'eau avant son rejet dans le fleuve, en sortie d'un système de refroidissement qui reste circuit ouvert.
 
construction de la tour aéroréfrigérante de la centrale nucléaire d'Asco
Construction de la tour aéroréfrigérante d'Asco entre 1993 et 1995
Cette solution permet de limiter les rejets thermiques - et montre le sérieux des espagnols à ce sujet. Cependant on garde les besoins en eau élevés du circuit ouvert en ajoutant les pertes normalement associées au circuit fermé.
La même modification a néanmoins été envisagée pour la centrale d'Almaraz après la canicule de 2003.
 

Une source d'inspiration pour l'industrie nucléaire française ?

Lorsqu'on discute de l'adaptation du système électrique français au changement climatique, deux noms reviennent presque toujours : Palo Verde, dans le désert Arizonien, et Barakah, sur les bords du Golfe Persique. Sans discuter des mérites de ces deux centrales, elles se situent dans des zones climatique sans rapport avec ce que l'on peut rencontrer en France. En réalité, ces exemples éludent la discussion plus qu'ils ne l'alimentent.
 
Les centrales espagnoles me paraissent bien plus intéressantes. Le climat de notre voisin du sud est probablement une bonne approximation de celui que connaitra notre pays d'ici quelques décennies. Il est possible que notre parc nucléaire doive un jour fonctionner dans des conditions de températures et d'aridité proches de celles de l'Espagne, alors autant essayer de profiter de cette expérience.
Voici quelques unes des idées que l'on pourrait éventuellement importer d'Espagne afin d'améliorer la résilience climatique de notre parc nucléaire actuel et futur :
  • Une certaine souplesse sur la réglementation des rejets thermiques : le régime français a déjà été largement flexibilisé par la révision des arrêtés de rejets depuis 2003, mais peut-être pourrait-on déjà se poser la question de l'utilisation du seuil dérogatoire de 30°C, par exemple pour Golfech. Est-ce que ce serait techniquement et écologiquement faisable ?
  • Une préférence pour de petites centrales : je pense qu'il y a une question inconfortable ici tant le gigantisme semble imprégner l'industrie nucléaire française. Mais, par exemple, est-ce qu'un petit réacteur, parce qu'il a des besoins de refroidissement modérés, ne serait pas plus adapté à un monde qui se réchauffe qu'un monstre comme l'EPR ?
  • La capacité et la volonté de faire évoluer les installations si les conditions hydrologiques ou climatiques l'exigent : il s'agit d'un point crucial pour assurer la pérénité d'une installation à longue durée de vie face à des évolutions climatiques que l'on ne peut pas entièrement prévoir. Cela ne s'improvie pas : a minima faire évoluer un projet nécessite des réserves financières et foncières.

Publié le 14 août 2021 par Thibault Laconde

Où construire de nouveaux réacteurs nucléaires en France ?


Dans une intervention au Creusot, le 8 décembre, Emmanuel Macron a relancé le débat sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France et promis une décision au lendemain des prochaines élections générales, en 2023.

Dans cet article, je vous propose de contribuer à cette discussion autour d'une question : compte-tenu des contraintes climatiques, où pourrait-on implanter de nouveaux réacteurs nucléaires en France ?

Problème et hypothèses

On peut reformuler la question de cette façon : on sait que le fonctionnement des centrales nucléaires françaises est d'ores-et-déjà perturbé par les fortes chaleurs et, surtout, les périodes de sécheresse. Avec le changement climatique, on peut s'attendre à ce que ces phénomènes deviennent progressivement plus fréquents et plus sévères. Or un réacteur nucléaire qui serait construit vers 2030 sera certainement en service jusqu'à 2080 voire 2100.

Comment s'assurer que les réacteurs que nous allons éventuellement construire puissent encore fonctionner à la fin du siècle dans un climat qui aura largement dérivé ?

Pour réfléchir à cette question, nous allons prendre les hypothèses suivantes :

  1. On suppose que les limites de température et de débit, fixées par décision de l'ASN et homologuées par arrêté ministériel pour chaque centrale, sont inchangées
  2. Les réacteurs à construire sont de type EPR, avec une puissance électrique de l'ordre de 1600MW
  3. Ils sont construits par paire : chaque site choisi doit pouvoir accueillir 2 réacteurs
  4. Les seules implantations possibles sont sur les où se trouve déjà une centrale nucléaire, c'est-à-dire un des 18 sites suivants : 

Les centrales nucléaires, comme les centrales à charbon, sont équipées de turbines à vapeur qui ont besoin d'une source de refroidissement fiable. Un point clé pour le bon fonctionnement de nos futurs réacteur est l'accès à l'eau. Cette question se présente bien sur différemment selon qu'on se trouve en bord de mer ou sur un fleuve. Aujourd'hui, les deux tiers des réacteurs français sont des réacteurs fluviaux, commençons donc par là.

EPR fluvial = refroidissement en circuit fermé

D'abord l'implantation de nos futurs réacteurs en bord de fleuve imposerait presque automatiquement un choix technologique : l'utilisation d'un refroidissement en circuit fermé.

Pour faire simple, il existe deux façons de refroidir une centrale nucléaire (ou plus généralement une centrale électrique équipée d'une turbine à vapeur) :

  • En circuit ouvert : de l'eau est prélevée dans le fleuve ou la mer, elle est mise en contact avec le circuit d'eau de la turbine dans un condenseur (à peu près l'équivalent d'un radiateur de voiture) puis rejetée. Ce système nécessite de grandes quantité d'eau mais il n'y a pas de consommation : toute l'eau prélevée est rapidement rejetée.
  • En circuit fermé : l'eau utilisée pour le refroidissement est elle-même refroidie au contact de l'air dans un aéroréfrigérant (ces grandes tours hyperboloïdes) puis réutilisée. Ce recyclage de l'eau permet, en gros, de diviser par 20 les prélèvements d'eau mais une partie de l'eau utilisée s'évapore lors du refroidissement, par conséquent la centrale contribue à faire baisser le niveau du fleuve.

La centrale nucléaire de St Alban, en haut, refroidie en circuit ouvert : pas de tour
La centrale de Golfech, en bas, refroidie en circuit fermé : tours

Le problème d'un circuit ouvert, c'est que l'ensemble de la chaleur excédentaire de la centrale est envoyée vers le fleuve. A la louche, la puissance thermique à évacuer est égale à 2 fois la puissance électrique. Pour 2 gros réacteurs, type EPR, cela représente de l'ordre de 6GW qui vont aller réchauffer le fleuve.

L'ampleur exact de ce réchauffement dépend du débit : plus le débit est élevé, plus le fleuve peut "diluer" la chaleur reçue. Pour un fleuve de débit moyen comme la Loire (~300m3/s en moyenne) , le refroidissement de 2 EPR en circuit ouvert entrainerait en moyenne en réchauffement de 5°C. C'est énorme, beaucoup plus que ce qui est actuellement autorisé (1.5°C max pour la Loire).

Parmi les fleuves français, il n'y a guère que le Rhône qui aurait un débit suffisant. Et encore, même à climat constant, des EPR refroidis en circuit ouvert implantés sur le Rhône seraient exposés à des arrêts à répétition comme en rencontrent désormais tous les ans les centrales St Alban ou Bugey, pourtant équipées de réacteurs moins puissants. St Alban, par exemple, a connu 22 épisodes d'indisponibilité cette année précisément parce que le débit du Rhône ne permettait pas de la refroidir dans le respect de ses limites d'échauffement.

Donc de façon réaliste : EPR fluvial = EPR avec un refroidissement en circuit fermé.

Ce n'est pas complètement anodin : pour l'instant, tous les EPR construits ou en construction sont équipés de refroidissement en circuit ouvert. Un circuit fermé représente un surcoût par rapport à ce système.

La problématique du débit 

On cherche donc sur quel(s) fleuve(s) installer une paire de réacteurs de 1600MW refroidis en circuit fermé.

Comme je l'ai dit plus haut, ce système de refroidissement a l'avantage de limiter les rejets thermiques (en général le réchauffement produit par un réacteur est compris entre 0 et 1°C) et les prélèvements d'eau (de l'ordre de 3m3/s). Par contre une partie de l'eau prélevée est évaporée, concrètement le débit du fleuve est plus faible après la centrale.

L'évaluation du débit futur d'un fleuve en fonction du changement climatique est un art compliqué. Mais quelques tendances se dégagent : une aridification liées à l'augmentation de la température donc de l'évaporation et des étiages plus précoces et plus sévères parce que les stocks d'eau solide (neige, glaciers...) se réduisent et fondent plus tôt dans l'année. Ajouté à une demande en eau probablement croissante, tout cela peut contribuer à rendre problématique la consommation d'eau de nos réacteurs.

Pour une paire d'EPR, la consommation d'eau serait probablement de l'ordre de 2m3/s. Ce n'est pas énorme : c'est le débit d'un gros ruisseau. A cela, il faut au moins au début la consommation des réacteurs existants, soit entre 1.3m3/s (Bugey, St Laurent) et 3m3/s (pour Cattenom).

On a donc une consommation de l'ordre de 2 à 5 m3/s. Même sans tenir compte de l'évolution du climat, il ne semble guère réaliste de demander ça à un fleuve dont le débit est régulièrement inférieur à 20-30m3/s. Le critère de débit permet déjà de rayer quelques noms de notre liste :

  • Cattenom : l'étiage (VCN3) de la Moselle pour la station de référence de la centrale est en moyenne de 22m3/s
  • Chooz : 26m3/s pour l'étiage de la Meuse
  • Civaux : 14m3/s pour l'étiage de la Vienne
  • Nogent : 27m3/s pour l'étiage de la Seine

Rhône et sous condition Loire, Garonne et Gironde

La Loire, dont les étiages sont compris entre 54 et 69m3/s, reste une destination envisageable pour nos nouveaux réacteurs. Cependant le débit descend régulièrement en dessous de cet étiage moyen annuel : à Gien, station de référence pour les centrales de Belleville et Dampierre, le débit passe sous les 40m3/s en moyenne tous les 4 ans et sous les 30m3/s en moyenne tous les 10 ans. Avec peu de marges, donc, et une aridification qui devrait être particulièrement marquée dans la région, la Loire semble peu propice à l'installation de nouveaux réacteurs... Mais à voir : une étude plus détaillée serait intéressante.

La Garonne au niveau de Golfech offre une marge un peu supérieure (étiage moyen de 71m3/s). Mais la Garonne a un autre problème : c'est le plus chaud des fleuves français et sa température dépasse déjà régulièrement les 28°C (théoriquement la température maximale autorisée pour les cours d'eau européens), entrainant l'arrêt de la centrale de Golfech. Un problème similaire se pose à Blayais malgré un débit largement suffisant.

Je sais bien que Golfech et Blayais sont aujourd'hui arrêtées pour respecter une limite réglementaire, limite qu'abhorrent les défenseurs de ces centrales, mais la température a aussi un coût technique : prolifération de pathogènes, perte de rendement, surdimensionnement des condenseurs... Ces deux sites ne sont donc probablement pas un excellent choix.

Reste le Rhône. Avec son étiage à 175m3/s à la hauteur de Bugey et 536 au niveau de Cruas, le Rhône est le seul fleuve français à offrir une marge de débit confortable pour l'installation d'une paire d'EPR (à condition qu'ils soient refroidis en circuit fermé). 

Évidemment, avant de commencer à couler le béton il faudra étudier en détail l'impact du changement climatique sur le régime du Rhône et l'évolution des autres besoins en eau, et probablement aussi mieux sécuriser l'approvisionnement auprès de nos voisins suisses.

L'option du bord de mer

Vous me direz peut-être : pourquoi on s'embête ? Si il faut de l'eau, on n'a qu'à construire nos futurs réacteurs là où il y en a toujours : en bord de mer.

Et vous aurez probablement raison. Les réacteurs de bord de mer sont par définition à l'abri de la sécheresse. Ils sont aussi moins exposés à l'aléa que représente la température de l'eau (quoique pas totalement immunisés).

Les réacteurs de bord de mer sont soumis à d'autres risques, en premier lieu l'aggravation du risque d'inondation avec l'élévation du niveau de la mer. Mais si ce phénomène est correctement étudié et anticipé, il existe des moyens relativement simples de protéger une installation peu étendue comme une centrale nucléaire.

En réalité, si on envisage l'installation de nouveaux réacteurs en bord de mer, l'incertitude me parait plus porter sur le réseau : peut-on vraiment alimenter l'ensemble du territoire à partir de 400 kilomètres de côte entre la Normandie et le Pas de Calais ? Je ne sais pas mais je n'ai pas l'impression que la réponse soit un "oui" évident. Pourrait-on s'en sortir en créant d'autres implantations ? Là aussi, beaucoup de points d'interrogation... 

En guise de conclusion 

Même si l'article est un peu long, il ne fait évidemment qu'effleurer la question de la prise en compte du changement climatique dans la conception et l'implantation de futurs réacteurs nucléaires.

Mon objectif était plutôt de montrer que le climat est une contrainte forte sur un futur programme nucléaire. Cette question devra être sérieusement étudiée et les résultats réellement pris en compte dans les décisions.

J'aimerais penser que c'est une évidence mais la discussion sur la politique énergétique est descendu à un tel niveau en France que je peux déjà presque entendre M. le député lambda chuchoter dans les couloirs des ministères qu'il faut absolument lui construire un EPR sur sa rivière à sec tous les deux ans.


Publié le 15 décembre 2020 par Thibault Laconde

Effet de la météo sur la disponibilité du parc nucléaire français : quelle réalité ?

La centrale nucléaire de Golfech pourrait être indisponible fin juillet
Souvenez-vous l'été dernier. Nous sommes dans la deuxième moitié de juillet et la température devient caniculaire. EDF annonce que la chaleur va avoir un impact sur sa production nucléaire : trois réacteurs sont mis à l'arrêt, une poignée d'autres voient leurs productions réduites.
Ces indisponibilités attirent l'attention des médias qui n'ont pas grand chose à raconter au milieu de l'été. On en parle abondamment, on s'interroge à raison sur le rôle du changement climatique et ses impacts sur l'économie. On rappelle qu'après tout la consommation électrique en été est faible et que l'on peut encaisser une poignée de réacteurs indisponibles. Et puis, quelques jours plus tard, la chaleur se dissipe, et rendez-vous l'année prochaine...


Nucléaire et climat, un marronnier estival ? Pas que...


Les indisponibilités climatiques de centrales nucléaires ne sont-elles qu'un inoffensif marronnier estival ?
J'ai suivi le sujet d'assez près l'an dernier et je me suis aperçu que c'est un petit peu plus compliqué que ça.

En effet, pendant que l'attention générale se tournait vers les vendanges en champagne (en avance comme chaque année) et le vrai coût de la rentrée, les réacteurs nucléaires françaises continuaient à toussoter dans l'indifférence générale. A la fin de septembre, Chooz 2 et Cattenom 4 étaient à l'arrêt, Chooz 1, Cattenom 2, Bugey 2 et Bugey 3 ont aussi subi des diminutions de production en septembre.

Cet épisode m'avait donné envie de me pencher plus en détail sur la question : au-delà des canicules estivales très médiatisées, quel est l'impact réel des conditions météorologiques sur la production nucléaire française ? Se pourrait-il que, comme l'année dernière, une partie des indisponibilités passent inaperçues, biaisant peut-être notre perception du problème ?

Puisqu'on est à nouveau à ce moment de l'année (EDF a mis en garde hier contre un arrêt possible des deux réacteurs de Golfech), je vous propose un aperçu de ce travail.


Comment créer un historique détaillé des indisponibilités climatiques


Les données que vous allez voir sont issues de l'analyse des messages REMIT publiés par EDF entre février 2015 et aujourd'hui.
REMIT, "Regulation on Wholesale Energy Market Integrity and Transparency" dans le texte,
est un règlement européen sur la transparence des marchés de l'énergie qui oblige les producteurs a communiquer des informations sur l'état de leurs actifs. Cela prend notamment la forme d'une liste d'indisponibilités totales ou partielles, plus de 25000 dans le cas d'EDF dont près de 6000 pour la filière nucléaire.

L'objectif est donc de chercher là-dedans les indisponibilités climatiques.

Par indisponibilité climatique, on entend une indisponibilité causée par un phénomène météorologique entrainant une incapacité à refroidir l'installation. Cette incapacité peut être technique mais aussi réglementaire lorsqu'on ne parvient plus à refroidir dans la limite des rejets thermiques autorisés.
Elle est généralement causée par une température trop élevée du fleuve utilisé pour le refroidissement, un débit insuffisant ou une combinaison des deux.

Cette catégorie n'existe pas dans la communication REMIT d'EDF. Les seules causes d'indisponibilité qu'elle connait sont "Arrêt/Fermeture", "Défaillance", "Informations complémentaires" et "Maintenance"... autant dire que ça n'aide pas beaucoup.
Heureusement, les messages ont une catégorie "Informations complémentaires" qui, tout en restant très laconique, donne quelques détails. Parfois, les conditions météorologiques sont mentionnées explicitement, on peut donc dire avec certitude que l'indisponibilité est d'origine climatique. Et souvent, on doit lire entre les lignes : une indisponibilité pour "contraintes environnementales" non précisée, si elle a lieu dans une centrale en bord de fleuve, a de grandes chances d'être d'origine climatique.



Les indisponibilités climatiques du parc nucléaire français depuis 2015


Bref, je vous passe les détails. Depuis 2015, EDF a déclaré 278 indisponibilités climatiques sur son parc nucléaire (82 certaines et 196 correspondant au profil mais ne mentionnant explicitement un phénomène météorologique).
Au total, la perte de production est de 5.4TWh. Ce résultat est très proche de l'ordre de grandeur communiqué par l'entreprise : 0.3% de la production en moyenne.

Voici la répartition de ces indisponibilité par réacteur et par date de début :

Indisponibilités climatiques du parc nucléaire français 2015-2019

Deux remarques immédiates :
  1. Depuis 2015, le parc nucléaire français a subi des indisponibilités climatiques tous les ans. Il y a clairement de mauvaises années comme 2018 et des meilleures comme 2016, mais le phénomène semble bien annuel.
  2. Ce n'est pas le problème d'une ou deux centrales particulièrement mal situées ou mal conçues : en 5 ans, les deux tiers des centrales en bord de fleuve ont été touchées au moins une fois.

Tous les réacteurs ne sont pas égaux face au risque climatique


Ceci dit, il est évident que certaines centrales sont plus exposées. La grande majorité des pertes de production sont le fait de 3 centrales : Saint Alban,  Bugey et Chooz. Chacune a perdu entre 1 et 2TWh de production, sur une production annuelle de l'ordre 15 à 25TWh.
St Alban et Bugey ont d'ailleurs été arrêtées tous les ans depuis 2015.

Les centrales de la Loire, Nogent sur la Seine ou Blayais à l'embouchure de la Gironde sont beaucoup moins affectées

Répartition des indisponibilités climatiques par réacteur nucléaire : Bugey, Saint Alban et Chooz en tête

Peut-être que l'exposition des centrales à des indisponibilités climatiques devrait être pris en compte dans la réflexion sur les réacteurs à fermer d'ici à 2035. A l'heure actuelle, Bugey 2 et 3 sont pressentis mais ni la fermeture de Saint Alban ni celle de Chooz ne semblent envisagées.

Un arbitrage entre Saint Alban et Cruas (dont la fermeture est à l'étude), par exemple, pourrait faire sens. Les deux centrales sont proches géographiquement, elles ont à peu près du même âge. Mais Cruas, située après la confluence de l'Isère et disposant d'aéroréfrigérants, est mieux équipée pour un climat plus chaud.
Les 2 réacteurs de Saint Alban ont une puissance de 1300MW alors que les 4 de Cruas ne sont que de 915MW, mais 5 à 10% de cet avantage est déjà perdu du fait des indisponibilités climatiques. Sans même parler des risques pour la sécurité d'approvisionnement que représente une centrale chroniquement indisponible ou de l'impact sur l'environnement du rejet d'eau de plus en plus chaude, est-on vraiment sûrs que St Alban pourra produire plus que Cruas en 2040, dans un climat encore plus chaud et plus sec ?


Plus de production électrique perdue en automne qu'en été


Regardons maintenant comment les pertes de production se répartissent dans l'année. Et... plot twist
(certes un peu spoilé en introduction) :

Les pertes de production électronucléaire causée par la sécheresse ou la chaleur sont plus élévée en automne qu'en été

Les pertes de production liées aux conditions météorologiques ont lieu majoritairement en septembre. Et d'assez loin !
En octobre, les pertes sont encore presque au niveau d'un mois d'été et certaines se prolongent jusqu'en novembre.

Cela signifie que, contrairement à ce qu'on va certainement entendre cette semaine, le parc nucléaire français souffre plus des sécheresses d'automne que des canicules estivales.

Dans un climat qui devient plus chaud et plus aride, il me semble que les séchéresses sont bien un risque plus important pour la sécurité de nos approvisionnement électriques que les canicules.
Les canicules durent quelques jours. Elles ont toujours lieu en été donc en période de consommation réduite. Et, si besoin, on peut toujours déroger à la réglementation des rejets thermiques.
Les sécheresses, elles, peuvent se prolonger pendant des semaines voires des mois, y compris en période de consommation normale. Et un arrêté du ministre ne permettra jamais de faire fonctionner une turbine sans eau...


Publié le 28 juillet 2020 par Thibault Laconde

Illustrations : Jack ma / CC BY-SA