Revoir la réglementation des rejets thermiques pour les centrales nucléaires : pourquoi et comment ?

Il y a quelques jours, comme avant chaque été, EDF a tenu une conférence de presse pour évoquer les effets du changement climatique sur le parc électrique. A cette occasion, l'électricien a annoncé qu'il souhaite un assouplissement de la réglementation des rejets thermiques pour ses centrales nucléaires.

Cela fait déjà quelques temps que je voulais vous parler de cette révision. De mon point de vue elle est devenue inévitable après l’été 2022, et si le sujet est condamné à susciter toutes sortes de polémiques et de positions outrancières, je crois qu'il est aussi possible de parvenir à un solution raisonnable... Et peut-être, au passage, de s'entrainer à répartir efficacement des ressources que le changement climatique rend de plus en plus rares.

Alors, sans plus attendre sautons à deux pieds sur l'occasion...

Les rejets thermiques pour les nuls

Je vais commencer par resituer le cadre technique et juridique de la discussion. Si vous êtes un habitué, vous pouvez probablement passer directement au prochain paragraphe : ce sont des choses dont j'ai déjà parlé dans plusieurs articles.

Le refroidissement des centrales nucléaires entraine un transfert de chaleur vers l'extérieur, en particulier vers les milieux aquatiques - fleuve ou mer selon les cas. La réglementation des rejets thermiques encadre ces opérations. Le cas le plus contraignant, et celui qui va nous intéresser principalement, est celui des centrales situées à l'intérieur des terres et dépendantes de fleuves. Dans ce cas, la réglementation prend généralement la forme d'une température maximale en aval et d'un échauffement maximal entre l'amont et l'aval.

La centrale nucléaire de Belleville utilise la Loire comme source d'eau de refroidissement
La centrale nucléaire de Belleville utilise la Loire
comme source d'eau de refroidissement (source

En pratique, la limite d'échauffement impose un débit minimal du fleuve. A puissance égale, les rejets de chaleur d'une centrale sont à peu près constant. La seule façon de limiter l'échauffement sans baisser la production est donc d'avoir un débit suffisant pour diluer l'eau réchauffée déversée dans le fleuve.

La limite de température en aval peut, elle, se traduire par une limite de température en amont : elle doit être inférieure à la température maximale autorisée en aval augmentée de l'échauffement produit dans les conditions de débits du moment.

Bref, contrairement à ce qu'on pourrait croire, la réglementation des rejets thermiques n'encadre pas la façon dont la centrale fonctionne. En réalité, elle encadre les conditions météorologiques et hydrologiques dans lesquelles une centrale nucléaire peut fonctionner.

Côté juridique comment ça se présente ? Les limites de température sont fixées pour chaque centrale nucléaire via un arrêté, c'est-à-dire le niveau le plus bas dans la hiérarchie des normes. D'un point de vue administratif, ces textes sont très faciles à modifier.

Les valeurs peuvent varier largement, sans que la raison soit toujours très claire :

 

Il y a cependant une inspiration commune : la fameuse directive européenne de 1978 sur "la qualité des eaux douces aptes à la vie des poissons". Celle-ci fixe une température maximale de 28°C et un échauffement maximale de 3°C pour les grands fleuves de plaine. Mais comme toutes les directives européennes, il s'agit d'objectif de résultat destinés aux Etats-membres, ceux-ci restent libres des moyens mis en œuvre pour les atteindre et la directive ne créé pas directement d'obligation pour EDF ou n'importe quel autre utilisateur des fleuves.

La fin peu glorieuse de la réglementation mise en place après la canicule de 2003

La France a donc un objectif de résultat sur la température des fleuves mais les règles applicables aux centrales nucléaires ne sont pas gravées dans le marbre. Elles ont changé dans le passé. En particulier, elles ont déjà été largement adaptées depuis les canicules de 2003 et 2006. C'est justement ce régime qui est arrivé en fin de vie il y a un an, au début de l'été 2022.

Rappelons que, lors de la canicule de 2003, la France était passée près du black-out. Cette "catastrophe évitée de peu" (pour reprendre le terme de la Commission d'enquête du Sénat) a inspiré une révision de la réglementation applicable à la plupart des centrales nucléaires. Pour préparer des étés de plus en plus défavorables, la réglementation post-2003 innove en permettant un assouplissement des limites de rejets thermiques lorsque des tensions sur l'approvisionnement en électricité le justifient.
Par exemple, la température maximale en aval de Golfech est normalement limitée à 28°C mais, depuis la révision de son arrêté de rejets en 2006, elle peut fonctionner jusqu'à 30 si RTE le demande ou si c'est nécessaire pour assurer l'équilibre du système électrique.
 
Pendant une vingtaine d'années, ce mécanisme n'a été utilisé qu'une seule fois (en 2018). Mais en 2022, patratra : pour la première fois une vraie situation de tension se présente, avec la guerre en Ukraine et les soucis de corrosion du parc nucléaire, et l'été s'annonce chaud et surtout sec... Va-t-on enfin utiliser la flexibilité prévue par la réglementation ? Non, EDF préfère demander de façon préventive la suspension de la réglementation. Demande acceptée par l'ASN et entérinée par le gouvernement.
 
Le mécanisme imaginé suite à la canicule de 2003 est un échec : inutilisé pendant des années et vite écarté précisément quand il aurait du servir. Une révision de la réglementation des rejets thermiques des centrales nucléaires était donc inévitable. Et même souhaitable pour éviter de se retrouver dans la même situation à l'avenir.
 
La question dès lors est : comment fixer efficacement les nouvelles règles ? A mon avis, cela nécessite de répondre à 3 questions.

Question 1 : techniquement, jusqu'à quelle température et quel débit la centrale peut-elle fonctionner ?

Imaginons que les arrêtés de rejets soient abolis, les centrales nucléaires ne seraient pas pour autant capables de fonctionner dans n'importe quelles conditions de chaleur et de sécheresse. Contrairement à ce qu'on entend souvent, il existe bien des limites techniques de fonctionnement en température et en débit.

En particulier, le circuit de refroidissement doit avoir une température suffisamment basse pour condenser la vapeur après son passage dans la turbine. Aux pressions ordinaires, la condensation se fait autour de 100°C, ce qui laisse de la marge... Mais dans une centrale électrique, le condenseur doit être maintenu a très basse pression. Quand la température de l'eau de refroidissement augmente, la température du condenseur augmente aussi et avec elle la pression de vapeur saturante (la pression minimale pour que l'eau se condense). Si celle-ci dépasse la pression maximale admissible au condenseur, ça ne marche plus. Dans ce cas, il n'y a pas d'autres solutions que de baisser ou d'arrêter la production d'électricité.

A ma connaissance, en France, il n'y a jamais eu de perte de vide au condenseur causée par une température excessive. Mais il existe des exemples de ce type d'incident à l'étranger, par exemple dans les centrales d'Asco (Espagne), Pickering et Darlington (Canada) pendant les vagues de chaleur de 2003.

De façon encore plus évidente, il existe un débit en-dessous duquel une centrale ne peut plus fonctionner. Au mieux, c'est le débit prélevé, mais il peut être significativement plus élevé, par exemple si un débit minimum est nécessaire aux prises d'eau.

Il parait assez évident que la réglementation ne devrait pas autoriser le fonctionnement d'une centrale dans des conditions de chaleur et d'étiage où elle ne peut techniquement pas fonctionner. Pour ne citer qu'une seule raison, à laquelle vous n'auriez peut-être pas pensé : cela rendrait les indisponibilités des centrales nucléaires beaucoup plus difficiles à prévoir. Le chapitre climat des Futurs Energétiques 2050 de RTE, à date la seule étude publique de l'impact du changement climatique sur le parc nucléaire français, ne serait par exemple plus possible. 

Le fonctionnement de Saint-Alban est régulièrement perturbé parce que le débit du Rhône ne lui permet pas de respecter l'échauffement maximal autorisé par son arrêté de rejets
Le fonctionnement de Saint-Alban est régulièrement perturbé parce que le débit du Rhône ne lui permet pas de respecter l'échauffement maximal autorisé par son arrêté de rejets (source)

Question 2 : quels extrêmes de débits et température s'attend-on à rencontrer ?

Un argument central d'EDF pour réviser les limites en vigueur est qu'elles ne correspondent plus aux conditions environnementales actuelles. Soit, mais alors quelles sont les conditions actuelles ?

EDF fait en permanence et depuis des décennies des relevés de température et de débit au niveau de ses centrales et dispose d'un service de climatologie depuis les années 90 mais ne publie que le strict minimum de ses résultats. A un moment pourtant, il va falloir montrer son jeu : quels sont les chaleurs et étiages extrêmes que l'exploitant anticipe pour chaque centrale nucléaire à climat actuel ? Ces prévisions sont-elles réellement incompatibles avec la réglementation existante ?

Si ce n'est pas le cas, la demande de révision n'a pas lieu d'être.

Si les études réalisées par EDF montrent que l'évolution des températures et des débits au niveau des centrales est incompatible avec les limites actuelles, ou va le devenir à court-terme, alors c'est effectivement un argument fort en faveur de leur révision. Dans ce cas, ces projections fournissent, après les extrêmes techniques, une deuxième borne possible pour les seuils réglementaires : en effet, il est a priori inutile d’autoriser le fonctionnement dans des conditions de température et de débit que l'exploitant estime ne pas devoir être atteintes.

Pour énoncer une évidence, il n'est pas possible de minimiser systématiquement les effets de la chaleur et du manque d'eau sur le parc électrique et en même temps d'invoquer le changement climatique pour demander un assouplissement de la réglementation des rejets thermiques. Et face à la dissonance du discours, on ne peut pas s'empêcher de se demander de quel côté se placent les hypothèses climatiques utilisées dans la conception et les études de sureté. Je pense que sur ce sujet EDF a déjà trop retardé son examen de conscience.

Question 3 : quels seront les effets sur le système fleuve ?

Souvent, c'est ici que la discussion commence mais pour moi cette question vient bien dernier. Après- tout peut-être qu'une fois les extrêmes techniques et les projections étudiés, on s'apercevra que la marge de manœuvre et/ou le besoin d'assouplissement sont inexistants ou minimes...

Dans le cas où une révision significative serait à la fois possible techniquement et nécessaire au regard du climat actuel et futur, il faudra bien poser la question de l'impact sur les autres utilisateurs du fleuve. C'est une question trop vaste pour la traiter entièrement ici, mais je voudrais au moins rappeler qu'elle ne se limite pas à des préoccupations écologiques.

Prenons les autres industries qui utilisent le fleuve pour leur refroidissement. Elles sont elles aussi soumises à des limites de rejets thermiques. Si une centrale nucléaire peut réchauffer l'eau au-delà de la limite de droit commun, potentiellement cela signifie que l'on autorise EDF à mettre à l'arrêt les industries qui se trouvent en aval, même si leur besoin de refroidissement est beaucoup plus réduit. C'est un cas d'école d'externalité négative, évidemment difficilement acceptable pour les entreprises qui le subirait. Et, au bilan, si on facilitait le fonctionnement d'une centrale nucléaire au détriment d'autres industries en aval - rafinerie, aciérie, chimie, ou autres, est-ce qu'on ne perdrait pas plus qu'on ne gagne ?

Il est normal qu'EDF ne voit que ses installations mais le pouvoir politique, qui prend les arrêtés de rejets, est garant de l'intérêt général. Avant de réviser ces seuils température, il faut lever les yeux de la centrale nucléaire et regarder l'ensemble des enjeux hydrologiques, écologiques et économiques.

Les limites de rejets thermiques ne sont pas réservées aux installations nucléaires : pendant l'été 2022, le fonctionnement de la centrale thermique à gaz de Martigues a aussi été perturbé par la chaleur
Les limites de rejets thermiques ne sont pas réservées aux installations nucléaires : pendant l'été 2022, le fonctionnement de la centrale thermique à gaz de Martigues a aussi été perturbé par la chaleur (source)

 

Préparer le monde qui vient

Vous aurez compris que la réglementation des rejets du nucléaire n’est pas simple, elle aggrege des questions climatiques, industrielles et écologiques. Mais je crois que la grille d'analyse proposée - marge d'ajustement, besoin d'ajustements, impacts des ajustements - peut aider à arriver à une solution raisonnable. Elle permet aussi de présenter cette question lourde d'arrière pensée politiques pour ce qu'elle est : une discussion avant tout technique. 

Au fond la question est celle du partage de l'eau et de la capacité de refroidissement. Ces ressources autrefois suffisantes s'amenuisent sous l'effet du changement climatique. Ce n'est pas la dernière fois que cela va arriver... L'histoire des prochaines décennies sera en grande partie déterminée par notre capacité à  répartir ces ressources de façon efficace, en termes de résultats mais aussi de processus de décision : il faut viser un optimum technique et en même temps susciter l'adhésion, ou au moins limiter les frustrations.

Ces questions vont se présenter d'abord sous la forme de petit dilemmes, et la réglementation des rejets thermiques en est un, puis d'arbitrages de plus en plus douloureux. Autant apprendre dès à présent à les gérer, cette expérience sera précieuse...

Publié le 31 mai 2023 par Thibault Laconde

Un EPR fluvial consommerait autant d'eau qu'une grande agglomération comme Lyon ou Marseille

Début mars, le Monde m'a démandé une tribune sur les conséquences de la sécheresse pour la production d'électricité nucléaire. Dans ce texte, publié dans le numéro daté du 17 mars, j'ai essayé de faire une synthèse des enjeux liés à l'eau pour le parc nucléaire actuel et surtout futur. Avec cette comparaison : si on le construit sur un fleuve, un seul réacteur nucléaire de type EPR consommerait à lui seul autant d'eau qu'une grande ville, comme Lyon ou Marseille, et sa banlieue. Il est donc indispensable, avant d'envisager un tel projet de s'assurer que la ressource en eau est suffisante et qu'elle le restera tout au long de l'exploitation malgré le changement climatique et l'évolution des autres usages.

Je ne pense pas qu'il soit possible de dire quelque chose de plus fade et banal, c'est le porridge tiède sans sucre du débat sur l'énergie... Mais la comparaison a marqué et suscité beaucoup de réactions. Il me parait donc utile d'y revenir plus longuement, notamment pour expliquer le calcul et la façon dont j'interprète ce résultat.

La consommation d'eau des centrales nucléaires situées sur des rivières moyennes (Meuse, Moselle, Vienne...) peut avoir un effet non négligeable sur les débits
L'eau évaporée dans les tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Belleville
est retranchée du débit de la Loire (source).

Reprenons depuis le début : ça "consomme" de l'eau un réacteur nucléaire ?

Certaines personnes sont encore étonnées d'entendre qu'une centrale nucléaire peut consommer de l'eau. Il faut dire que les termes utilisés ne sont pas toujours clairs et que partisans comme opposants n'hésitent pas à entretenir les confusions. Reprenons donc au début, en définissant de quoi on parle :

  • L'eau prélevée est l'eau qui est captée dans l'environnement (dans une rivière, un lac, un acquifère souterrain...) et utilisée, qu'elle soit ou non remise dans le milieu ensuite.
  • L'eau consommée est l'eau qui est prélevée dans l'environnement et n'est pas rendue. Evidemment elle n'est pas détruite, elle peut être évaporée, perdue, transformée... mais en tous cas elle devient indisponible pour les autres utilisateurs de la ressource en eau.
  • On peut ajouter l'eau rejetée ou restituée qui est la différence entre le prélèvement et la consommation

Les besoins en eau d'une tranche nucléaire viennent très majoritairement du refroidissement de la turbine à vapeur. Par conséquent, ce qui est vrai pour le nucléaire est aussi vrai pour d'autres centrales équipées de turbines à vapeur - c'est-à-dire la plupart des centrales charbon ou fioul, certaines centrales à gaz et même quelques centrales solaires.

Il existe principalement deux méthodes pour refroidir une turbine à vapeur :

  1. On prend de l'eau, on refroidit la turbine avec, on rejette l'eau
    Cette méthode nécessite une grande quantité d'eau accessible en permanence. Les prélèvements sont très importants mais tout est restitué. L'eau ne fait que passer, sans consommation, on parle donc de refroidissement en circuit ouvert.

  2. On prend l'eau, on refroidit la turbine, on refroidit l'eau, on recommence
    Point positif : les prélèvements sont beaucoup plus faibles. Point négatif : une partie de l'eau est évaporée pendant son refroidissement au contact de l'air, il y a donc une consommation. Comme l'eau est réutilisée en boucle jusqu'à ce qu'elle s'évapore ou devienne trop concentrée en impuretés, on parle de refroidissement en circuit fermé.

En France, toutes les centrales de bord de mer sont refroidies en circuit ouvert. Elles prélèvent des quantités massives d'eau mais ce n'est pas très grave, la ressource ne manque pas... 

Au contraire, la plupart des centrales implantées à l'intérieur des terres sont refroidies en circuit fermé. Leurs prélèvements sont plus réduits mais elles font s'évaporer une partie de l'eau des fleuves : bon an mal an, le parc nucléaire français consomme à peu près un demi-milliard de mètres cubes d'eau de cette façon.

C'est un peu simpliste - il y a d'autres consommation d'eau dans une centrale nucléaire, certains réacteurs situés sur le Rhône sont refroidis en circuit ouvert, etc. - mais si vous vous retenez ça, vous savez l'essentiel et vous êtes déjà dans la frange la plus éclairée du débat. 

La centrale nucléaire de Saint-Alban est refroidie en circuit ouvert même si elle est construite sur un fleuve (le Rhône)
Saint-Alban est une des 3 centrales nucléaires françaises possédant des réacteurs refroidis en cycle ouvert
bien que située à l'intérieur des terres (source)

Et donc, combien d'eau consommera une EPR ?

Si on se tourne vers l'avenir, combien d'eau faut-il à nos futurs réacteurs ?

Vous l'aurez compris, cela va dépendre en premier lieu du système de refroidissement qui sera choisi. Peut-on le savoir à ce stade du projet ? la réponse est : oui, assez probablement.

D'abord la question de la consommation d'eau ne se pose vraiment que lorsque la ressource utilisée est de l'eau douce, disponible en quantité limitée et utilisable pour d'autres usages (eau potable, agriculture...). On ne parle donc que de réacteurs implantés à l'intérieur des terres. Aujourd'hui deux sites fluviaux sont envisagé pour la constructions d'EPR (Bugey et Tricastin) et d'autres devront sans doute être trouvés si le projet de construire 14 EPR se confirme.

Pour des sites fluviaux, le refroidissement devrait a priori être en circuit fermé. Cette solution est en principe imposée par la réglementation afin de limiter la pollution thermique et pour la plupart des emplacements disponibles c'est la seule option viable compte-tenu du débit et de la puissance des EPR.

La consommation d'eau d'un EPR refroidi en circuit fermé n'est pas connue précisément, et pour cause : aucun n'a été construit pour le moment... Mais il n'est pas très difficile de l'estimer. Dans le dossier publié pour le débat public sur Penly, EDF parle de "10 mètres cubes par seconde de prélèvements en rivière (dont 8 mètres cubes par seconde sont restitués)" pour deux EPR, soit 5m³/s prelévés et 1m³/s consommé pour chaque réacteur.

Il est possible que ce soit un peu moins : les réacteurs actuels des centrales de Chooz et Civaux ont une consommation de 0.75m³/s environ pour une puissance de 1500MW, il me semble donc raisonnable de supposer qu'un EPR de 1600MW se situerait autour de 0.8m³/s. Mais ça ne change pas fondamentalement l'ordre de grandeur, donc gardons les 1m³/s annoncés par EDF.

Une consommation équivalente à celle de 1.6 millions de français

Il y a environ 31.600.000 secondes dans une année mais un réacteur ne fonctionne pas en permanence : il faut retrancher les périodes d'arrêt ou celle où il produit moins que sa puissance nominale. Pour cela, on va prendre un facteur de charge de 70%, ce qui correspond grosso-modo à la moyenne sur le parc actuel en France.

Pour obtenir une évaluation de la consommation annuelle d'eau d'un EPR, il ne reste plus qu'à multiplier. Avec une consommation à pleine puissance évaluée à 1m³/s, on obtient : 1 x 31.600.000 x 0.7 = 22.000.000 m³/an par réacteur.

Bon, ce chiffre n'est pas vraiment parlant. Pour en prendre la mesure, le plus simple est de le comparer à ce que nous connaissons le mieux : notre propre usage de l'eau.

Un français moyen utilise 54.3m³ d'eau par an. Mais comme lorsqu'elle est utilisée pour le refroidissement d'une centrale nucléaire, la majorité de cette eau est renvoyée dans l'environnement. La partie non restituée, qui correspond principalement à des pertes sur le réseau, est estimée à 20%. Cela fait donc une consommation nette d'eau d'environ 14m³ par habitant et par an. Les chiffres du ministère de l'environnement, récemment mis à jour, confirment cet ordre de grandeur.

La division n'est pas très compliquée : la quantité d'eau évaporée par un réacteur type EPR refroidi en circuit fermé serait équivalente à la consommation nette de 1.6 millions de français. Ce résultat est cohérent avec les consommations publiées par EDF pour les centrales actuellement en service.

La Seine est utilisée à la fois pour refroidir la centrale de Nogent et pour alimenter en eau potable Paris via le captage d'Orly
En 2021, la centrale nucléaire de Nogent sur Seine en amont de Paris a consommé 38.5 millions de mètres cubes d'eau,
c'est autant que 2.75 millions de français moyens (source).

1.6 millions de personnes, cela correspond à la population d'une grande agglomération française, à la louche quelque chose comme Marseille (1.6 millions) ou Lyon (1.7 millions d'habitants). Cette dernière comparaison me parait plus appropriée parce que le grand Lyon, comme 14 réacteurs nucléaires actuellement en service, est alimenté principalement par des eaux de surface venant du Rhône.

Une comparaison valable aussi bien pour la consommation que les prélèvements

Dans ma tribune pour le Monde, je fais cette comparaison uniquement pour l'eau consommée : évaporée dans le cas du réacteur nucléaire, perdue dans le cas de la ville. Mais qu'en est-il pour les prélèvements ?

On l'a vu plus haut, EDF envisage un prélevement de 5m³/s par EPR - là encore je pense que ce sera probablement un peu moins mais passons. Sans redérouler tout le calcul, cela nous donnerait un peu plus de 110 millions de mètres cubes prélevés chaque année pour un réacteur. 

Les prélèvements destinés à la consommation humaine sont eux de l'ordre de 68m³ par an et par habitant (54m³ utilisés, 14m³ perdus), 110.000.000/68 ≈ 1.600.000 . Donc, en termes de prélèvements d'eau, un réacteur fluvial de type EPR a aussi des besoins équivalents à environ 1.6 millions de français.

La comparaison pour la consommation reste donc valable pour les prélèvements : là encore, l'EPR a à peu près les mêmes besoins qu'une agglomération comme Lyon et Marseille. C'est normal puisque dans les deux cas la part d'eau consommée est approximativement la même : de l'ordre de 20% de l'eau prélevée.

Et donc ?

Il s'agit évidemment d'un calcul de coin de table mais voici notre ordre de grandeur : aussi bien en termes de prélévements que de consommation, construire un EPR sur un fleuve aurait à peu près le même effet que si on l'utilisait tout d'un coup pour alimenter en eau Lyon et sa banlieue.

Il n'y a pas vraiment de débat sur ces besoins en eau. EDF publie annuellement les prélèvements et la consommation de chaque centrale nucléaire. Et même pour un réacteur qui n'existe encore que sur le papier, il est relativement facile de se faire une idée des besoins, il faut dire que la physique du refroidissement est simple et implaquable : il est peu probable qu'une innovation vienne tout bousculer. Je pense donc que si ma comparaison a soulevé tant d'incrédulité, c'est surtout parce qu'elle permet de prendre conscience de ce que réprésentent ces volumes tellement énormes qu'ils sont très abstraits.

En réalité, les prélevements et la consommation d'eau des futurs EPR sont massifs mais à la mesure de l'énergie produite : avec 1600MW par unité et un facteur de charge de 70%, un EPR produirait 9.8TWh d'électricité par an, ce qui -encore une fois- correspond à peu près à la consommation de 1.5 millions de français...

La question posée par les projets d'EPR à l'intérieur des terres est finalement celle-ci : est-ce qu'il est rentable d'échanger la consommation d'eau d'une agglomération comme Lyon contre une production d'électricité elle aussi équivalente aux besoins de Lyon ?

A mon avis, il n'y a pas de réponse absolue : cela dépend de la ressource en eau. Si elle est abondante, pas de souci. Si l'eau disponible est insuffisante, c'est évidemment une mauvaise idée. Et entre les deux, s'étend le monde vaste et incertain des réponses nuancées : quelle est la probabilité de manquer d'eau ? est-on prêt à courir un risque d'indisponibilité en période de sécheresse ? ou bien à imposer des restrictions aux autres utilisateurs - industries, agriculteurs... ? y a-t-il d'autres solutions ? etc. 

 

Pour aller plus loin sur les besoins en eau des centrales nucléaires, vous pouvez aussi lire :

 

Publié le 6 avril 2023 par Thibault Laconde

Palo Verde : anatomie d'une centrale nucléaire mythique

Posez la question de la gestion des risques climatiques dans l'industrie nucléaire et immanquablement ce nom vous reviendra en écho : Palo Verde ! C'est peu dire qu'on a là une centrale nucléaire extraordinaire : située au coeur du plus grand désert d'Amérique du Nord, le Sonora, dans une région sans cours d'eau permanent, où la température dépasse régulièrement les 40°C pendant la moitié de l'année, elle trouve pourtant le moyen de fonctionner... Et pas qu'un peu : Palo Verde est le plus gros producteur d'électricité des Etats-Unis !
 
Par quel miracle est-ce possible ? Et pouvons nous en apprendre quelque chose pour l'adaptation de nos propres centrales nucléaires face à des sécheresses et des canicules de plus en plus sévères ? C'est ce que je vous propose de voir en détails dans cet article.
 
Vue aérienne de la centrale nucléaire de Palo Verde et de son panache de vapeur
Vue aérienne de la centrale de palo Verde en fonctionnement (source)

La centrale nucléaire de Palo Verde à la loupe

Palo Verde (Palo Verde Nuclear Generating Station ou PVNGS) a beau posséder les seuls réacteurs nucléaires commerciaux au  monde sans accès à une masse d'eau naturelle, il est inutile d'y chercher une technologie révolutionnaire, un procédé unique ou un secret quelconque : la centrale en elle-même n'a rien de très original.
Comme les 2/3 des centrales nucléaires de la planète, elle est équipée de réacteurs à eau pressurisée, au nombre de 3 d'une puissance 1300MW chacun. Deux autres étaient prévus mais la demande d'autorisation a été retirée en 1979, apparemment pour des raisons économiques.

Vue détaillée de la centrale nucléaire de palo Verde
Détail de la centrale de Palo Verde (source)

En l'absence de cours d'eau, le refroidissement est évidemment effectué en cycle fermé, c'est-à-dire que l'eau utilisée pour refroidir la turbine et le réacteur est elle-même refroidie au contact de l'air puis réutilisée. 
 
Ici la centrale possède une petite originalité : elle utilise des cheminées ventilées mécaniquement plutôt que les classiques tours hyperboliques où l'air circule naturellement. Chaque réacteur en possède trois groupes comme on le voit sur la photo ci-dessus.
Cette particularité n'est pas unique : en France, la centrale de Chinon utilise le même système pour éviter que des tours trop hautes perturbent la vue des chateaux de la Loire. A Palo Verde, la préoccupation n'est pas esthétique : les aéroréfrigérants à tirage mécanique permettent simplement un meilleurs contrôle du refroidissement.
 
On peut aussi noter sur le côté de chacun des réacteurs deux bassins d'aspersion. Ce système est destiné à fournir un refroidissement de secour en cas de défaillance des aéroréfrigérants.
 
Les aéroréfrigérants à tirage mécanique d'un réacteur de la centrale de Palo Verde
Les aéroréfrigérants à tirage mécanique d'un réacteur de la centrale de Palo Verde (source)
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'environnement aride de la centrale rend ce système particulièrement efficace : en effet le refroidissement de l'eau est assuré principalement par évaporation. L'air très sec, qui peut absorber beaucoup de vapeur, permet d'obtenir facilement une température bien plus basse que celle de l'air ambiant.

D'où vient et où va l'eau ?

La centrale de Palo Verde ne se distingue pas réellement de ce que l'on peut voir en France, par exemple à Chooz et ou Cattenom : réacteurs de conception et de puissance comparables, principe de refroidissement identique. Par conséquent, l'eau reste indispensable à son fonctionnement. Comme ses homologues françaises, Palo Verde a besoin d'évaporer de l'ordre d'une tonne d'eau par seconde et par réacteur pour se refroidir.

En plein désert, d'où vient cette eau ? Elle est tout simplement achetée, auprès de l'agglomération de Phoenix quelques 70 kilomètres à l'est de la centrale.
 
Bassin d'aspersion d'un des réacteurs de la centrale de Palo Verde
Bassin d'aspersion d'un des réacteurs de Palo Verde en fonctionnement (source)
 
Les quelques 5 millions d'habitants de l'agglomération de Phoenix sont alimentés en eau par canaux et pipelines depuis les rivières Salt et Verde, et dans une moindre mesure depuis le Colorado. Après utilisation, cette eau est envoyée vers les stations d'épuration de l'agglomération : dans le contexte très aride de la région, les eaux usées sont à 100% traitées et réutilisées. C'est l'une d'entres-elles, la station de 91st street, qui se charge d'alimenter la centrale en eau recyclée.
 
Une vue d'ensemble de la centrale permet de suivre le cheminement de cette eau :
 
Vue d'ensemble et fonctionnement de la centrale de palo Verde, de la station de traitement de l'eau et des bassins
Vue d'ensemble et fonctionnement du site de Palo Verde

L'eau, amenée par un pipeline souterrain de 3 mètres de diamètre, commence par passer dans une nouvelle usine de traitement destinée à assurer une qualité constante.
Une fois traitée, elle est envoyée vers les deux bassins situés à proximité. La centrale vient puiser dans cette réserve de 4 millions de mètres cubes comme elle le ferait dans un lac ou un océan.
 
Dans la centrale elle-même rien de particulier, on l'a déjà vu. Mais ensuite un nouveau problème se pose : comme toutes les centrales refroidies en circuit fermé, Palo Verde doit régulièrement changer l'eau de son circuit de refroidissement. Sinon chaque cycle d'évaporation aboutirait à concentrer de plus en plus les minéraux et les impuretés, jusqu'à boucher les canalisations. Dans une autre centrale, l'eau issues de ces purges de déconcentration serait diluée dans un fleuve ou dans l'océan. Cette possibilité n'existe pas à Palo Verde.
L'eau des purges est donc envoyée vers les grands bassins d'évaporation installés au sud. D'une superficie de 2.6km², un peu plus que la principauté de Monaco, ces bassins stockent l'eau jusqu'à ce qu'elle soit entièrement évaporée.
 
Lorsque c'est terminé, il reste une boue qui n'est pas radioactive mais concentre des résidus de produits chimiques utilisés à différentes étapes du processus. Cette boue est ensevelie dans des décharges situées à proximité.
 
Comme toute l'eau qui arrive à la centrale est évaporée, la consommation par kilowattheure produit est à peu près le double de celle d'une centrale ordinaire.
 

Une vraie-fausse solution pour face au manque d'eau

A ce stade, vous l'aurez compris, la centrale de Palo Verde a resolu le problème de sa dépendance à l'eau de la même façon que le scaphandrier a résolu sa dependance à l'air : en l'amenant pas un tuyaux dans un milieu où il n'y en a pas.
 
Il n'empêche que ce système ingénieux a fait des émules. Aux Etats-Unis, une cinquantaine de centrales électriques fonctionnent sur le même principe. C'est le cas notamment de plusieurs centrales à gaz voisines, par exemple Redhawk (1060MW, inaugurée en 2002), qui puise d'ailleurs dans les mêmes bassins que Palo Verde, ou Mesquite (1250MW, inaugurée en 2003).

Vue aérienne de la centrale à cycle combiné gaz de Mesquite et de la centrale nucléaire de Palo Verde
Vue aérienne de la centrale à cycle combiné gaz de Mesquite
voisine de la centrale nucléaire de Palo Verde (source)

Et là vous voyez certainement venir le gros problème de Palo Verde : la concurrence pour l'accès à l'eau.
 
En effet la ressource en eau recyclée de la région de Phoenix n'est pas extensible à l'infini, d'autant que l'approvisionnement en eau brute pour la production d'eau potable est lui-même problématique. Les eaux usées recyclées sont donc très demandées pour la production d'électricité, pour l'irrigation voire pour la consommation humaine - directement via la réinjection dans le réseau d'eau potable (autorisée depuis 2019), indirectement pour recharger des acquifères et des zones humides ou même via la production de bière...
 
Concrètement, cette concurrence se traduit par une forte augmentation des coûts pour la centrale. Celle-ci bénéficiait historiquement de tarifs très raisonnables : de l'ordre de 40$ pour mille mètres cubes, ce qui est comparable par exemple à la redevance pour prélèvement de la ressource en eau payée par les centrales équivalentes en France. 
Mais face a l'explosion des besoins, le tarif a été renégocié au tournant des années 2010 et augmente progressivement pour atteindre environ 250$ pour 1000m³ en 2025. Ensuite, il sera indexé sur le prix de l'énergie et de l'eau avec une tarification progressive : plus la centrale consommera, plus son eau sera chère. 
 
Dans ce contexte, Palo Verde cherche paradoxalement à s'affranchir du système pour lequel elle est si régulièrement citée en exemple.
 

Mais un exemple intéressant tout de même

Le site exploite déjà un aquifère souterrain pour l'eau destinée au circuit primaire, à la lutte contre les incendies et à la consommation humaine. Pour le plus gros morceau, l'alimentation des circuits de refroidissement, plusieurs voies sont explorées : l'utilisation d'eaux souterraines impropres à la consommation (projet abandonné après que le permis ait été refusé en 2019), un étage de refroidissement sec avant les aéroréfrigérants, une nouvelle usine de traitement qui permettrait de réutiliser l'eau des purges...
Face au risque de pénurie d'eau, cette recherche de solutions est louable. Et c'est une conséquence du modèle d'approvisionnement propre à cette centrale.

Car c'est là, à mon avis, que se trouve le vrai mérite de Palo Verde : elle a internalisé le coût du refroidissement.
Alors que la plupart des centrales nucléaire (et des industries) comptent sur la bonne volontée de mère nature et des autres utilisateurs des fleuves pour se refroidir, Palo Verde achète ce service. Elle est donc exposée financièrement à la raréfaction de la ressource et incitée à l'économiser.

Palo Verde est généralement citée comme la preuve qu'une centrale nucléaire peut être adaptée à toutes les conditions climatiques. Même si dans ce cas l'adaptation a plus porté sur l'intégration dans l'environnement que sur la centrale elle-même, c'est une réputation méritée.
Les données de l'AIEA permettent de le vérifier : depuis leurs mise en service, les réacteurs 1, 2 et 3 ont connu en moyenne 8, 2 et 25 heures par an d'arrêt total pour "cause extérieure liée à l'environnement", c'est-à-dire le plus souvent en raison de la météo. Pour comparer, en France, Bugey 3 aligne 97 heures d'arrêt par an en moyenne et Chooz 2 monte jusqu'à 315 !
 
Et parfois, malheureusement, c'est aussi dans ce contexte que Palo Verde est citée : pour relativiser les contraintes écologiques qui perturbent le fonctionnement des centrales françaises, par exemple lors de fortes chaleurs ou de sécheresses. Dans ce cas, il ne s'agit pas seulement d'un mauvais exemple, c'est un contre-sens : l'originalité de Palo Verde est précisément d'être construite autour de contraintes environnementales très fortes et d'en accepter les coûts.
 
Évidemment une telle démarche est plus difficile à mettre en place lorsque les conditions climatiques sont moins hostiles ou sur des installations existantes. Mais il y a peut-être là matière à réflexion.
 
 
Pour aller plus loin sur ces sujets, voici quelques suggestions de lectures :
 

Publié le 15 mars 2023 par Thibault Laconde

Canicules : comment adapter les réseaux d'infrastructures ?

J'étais auditionné hier par la mission d'information "Paris à 50°C" sur l'adaptation des réseaux critiques face aux températures extrêmes. A l'occasion, j'ai essayé de faire une synthèse sur le risque chaleur pour les infrastructures d'eau, de transport, de télécoms ou encore d'eléctricité, et les méthodes pour les maitriser, évidemment sans être exhaustif (je disposais de 30 minutes dont la moitié pour les questions).

Voici à peu près ce que j'ai dit :

Les conséquences de la chaleur sur les réseaux : exemples récents

Incident sur le réseau de distribution électrique causé par la chaleur
Le système électrique est probablement le réseau dont les déboires sont les plus médiatisés en période de canicule. L'attention porte plutôt sur la production mais les réseaux de transport et de distribution sont aussi concernés.
Il est facile de trouver des exemples récents : 5 défauts simultanés sur le réseau de distribution marseillais le 21 juin 2022, défaut d'un poste RTE près du Creusot... En remontant plus loin, la canicule de 2003 avait causé de nombreux problèmes sur les lignes électriques enterrées en Ile de France, entrainant des coupures pour 240.000 foyers. RTE avait aussi relevé un doublement du nombre de court-circuits sur son réseau.

L'impact de la chaleur sur les réseaux de transports en commun, notamment ferré, est aussi connu. Beaucoup de ralentissements et d’incidents sont causés par la dilatation des caténaires ou la déformation des rails. Sans parler des malaises...
Mais la route n'est pas épargnée : soulèvement de chaussées, bitume qui se décolle... Les pannes automobiles augmentent aussi avec la température : selon les assureurs, les déclarations de sinistres ont augmenté de 20% environ pendant la canicule de juin 2022.

On peut également penser à la production et à la distribution d'eau : la chaleur entraine une dégradation de la ressource à la fois en quantité et en qualité. En théorie, par exemple, on ne peut pas produire d'eau destinée à la consommation humaine avec une eau dont la température dépasse 25°C.
Moins fréquent, la chaleur peut aussi endommager directement les infrastructures. On en a eu au moins un exemple l'été dernier.

Enfin, les réseaux de télécommunication et de données sont aussi vulnérables aux épisodes caniculaires. On en a eu exemple spectaculaire et potentiellement dramatique en 2022 à Londres : les datacenters de deux hopitaux ont été mis hors-service, perturbant fortement les soins en pleine vague de chaleur.

Plein de problèmes différents mais des causes communes

Certains de ces phénomènes ont une certaine inévitabilité physique. Les matériaux se dilatent quand il fait chaud, le rendement des machines thermiques baisse, le chlore libre est moins stable… Il n’y a pas grand-chose que l’on puisse y faire.
Cependant, souvent, les incidents sont causés par le dépassement d'hypothèses de température utilisées à la conception. Ces hypothèses peuvent être explicites (figurer dans les cahiers des charges ou les modèles de dimensionnement…) ou implicites ("on a toujours fait comme ça et ça a toujours marché").

Les systèmes de refroidissement sont un bon exemple : ils sont dimensionnés historiquement pour une température maximale de 32°C, et encore en 2019 de 35. Lorsque ces seuils sont dépassés, les systèmes font défaut, avec un possible effet domino sur les équipements qu'ils protégeaient.

Adapter un système technique aux vagues de chaleurs, c'est donc avant tout se demander :
  1. Jusqu'à quelle température il a à l'origine été conçu pour fonctionner ?
  2. A quelle température maximale il peut maintenant être exposé ? 

 

Quels sont les outils (et les obstacles) pour anticiper ?


La réponse à la première question dépend du système et de son histoire. Pour la deuxième, il existe des outils statistiques permettant d'extrapoler les températures maximales, notamment avec la théorie des valeurs extrêmes.

Ces méthodes posent une question importante à l'exploitant ou son régulateur : quelle probabilité de dépassement, est-on prêt à assumer ?
Si par exemple, on se dimensionne sur une vague de chaleur centennale, on accepte encore un risque de défaut d’environ 26% sur 30 ans, ce qui est loin d’être négligeable pour un système critique.

De plus, avec le changement climatique, l'étude d'observations passées ne suffit plus : elle nécessite un échantillon de températures trop important qui est déjà obsolète lors de l'étude. Si par exemple on s'aligne sur les standards de l'OMM pour le calcul de normales et on utilise un échantillon de 30 ans commençant une année en 1, on peut au mieux étudier le climat moyen de 2005 (1991-2020).

Il est possible d'utiliser des projections climatiques pour anticiper les futures extrêmes de températures. Au-delà des problématiques scientifiques et techniques, ces méthodes posent plusieurs questions à l'utilisateur :

  1. Quelle est la durée de vie de l’équipement ? Et donc l'horizon à prendre en compte. Pas toujours évident au départ comme le montre en ce moment le cas des centrales nucléaires de 2e génération.
  2. Comment gérer les incertitudes de modélisation ? Il s'agit de simulation, différents modèles (et même différents run avec le même modèle) peuvent donner des résultats significativement différents sans qu'il soit possible de dire lesquels sont plus probables.
  3. Quel est le scénario d’émissions, ou l’ampleur du changement climatique, auquel on s’attend ? Sur des horizons lointains, ce facteur tend à devenir la principale source d’incertitude, or il dépend de trajectoires politique et économiques futures fondamentalement incertaines.
    Ici on est en plein dans l'actualité avec l'annonce par Christophe Béchu que le prochain PNACC prendra en compte un scénario à +4°C. Sans juger sur le fond, les infrastructures évoluent lentement et ont besoin d'une stratégie d'adaptation stable.


Ces questions ne concernent pas seulement les chercheurs et les ingénieurs. Les réponses dépendent largement d'un compromis entre la réduction des risques et l'augmentation des coûts, en fin de compte : un arbitrage politique. 

 Publié le 2 février 2023 par Thibault Laconde

 

ChatGPT peut-il aider à informer sur les risques causés par le changement climatique ?

Si vous me suivez depuis longtemps, vous vous souvenez peut-être que la toute première appli d'évaluation des risques climatiques que j'ai réalisée était un chatbot capable de répondre à des questions simples sur l'évolution locale du climat.

La génération automatique de texte a toujours eu un rôle à jouer pour démocratiser l'étude des effets du changement climatique. Même si cela peut sembler marginal par rapport aux étapes de traitement des projections ou de modélisation d'impact, qui sont le coeur technique et scientifique du projet, c'est bien le rapport produit à la fin -sa précision, sa fluidité et son intelligibilité- qui va déterminer si les résultats seront compris par l'utilisateur, et pourront être réellement mis au service d'une démarche d'adaptation.

J'ai donc naturellement été attentif au buzz provoqué depuis quelques semaines par ChatGPT. Cette technologie pourrait-elle venir compléter notre boite à outil ? Peut-elle être mise au service de la lutte contre le changement climatique ?

Vous avez des questions ? ChatGPT a des réponses !

Si vous habitez dans une grotte, ChatGPT est un robot conversationnel développé par l'entreprise américaine OpenAI. Il s'appuie en réalité sur le modèle de language GPT-3, existant depuis 2020, mais avec la différence majeure qu'il est accessible via une interface simple. N'importe quel internaute peut créer un compte et venir dialoguer de tout et de rien avec le système.

Vous avez une question sur les effets du changement climatique ? Pas de problème, il sera ravi de vous répondre :

Cette réponse est à la fois impressionnante et decevante.

Impressionnante parce qu'elle hierarchise correctement les informations et avance une recommandation tout-à-fait raisonnable. 

Même si ce n'est pas explicitement demandé dans la question, le deuxième paragraphe aborde logiquement le changement climatique. Les valeurs numériques et la référence sont irreprochables : dans le 5e rapport du GIEC, la borne inférieure de l'intervalle de confiance à 95% de l'élévation moyenne du niveau de la mer à la fin du siècle dans le scénario d'émissions le plus bas (RCP2.6) est effectivement de 26 cm et la borne supérieure de l'intervalle de confiance à 95% dans le scénario d'émissions le plus haut (RCP8.5) est bien de 82 cm.

Des informations publiques, anciennes et... aléatoires

Le premier problème de cette réponse, c'est qu'elle ne répond pas à la question.

Ce n'est pas vraiment une surprise : le modèle est entrainé sur des textes disponibles sur le web en 2021. ChatGPT ne peut donc vous donner que des informations suffisamment anciennes et publiques pour qu'il ait effectivement pu les rencontrer dans son jeu de données d'entrainement.

Les projections du niveau de la mer au Havre (ou dans la plupart des villes côtières du monde) n'en font pas partie. Elles existent mais confinées dans des bases de données scientifiques, elles n'ont pas été assez discutées sur internet pour que le modèle puisse en avoir connaisance. Le choix de la source (le 5e rapport du GIEC sorti en 2013) est peut-être aussi lié au jeu de données d'entrainement : le modèle a sans doute été peu exposé aux projections plus récentes, publiées avec le 6e rapport du GIEC mi-2021.

Inutile cependant d'analyser trop précisément cette réponse parce qu'elle est générée aléatoirement : si on lui repose la même question, le système produira un autre texte. Celui-ci peut-être une simple reformulation ou bien être entièrement différent.

C'est un problème plus fondamental de ChatGPT, ses réponses ne sont pas stables. Une fois il nous dira que, selon l'Organisation météorologique mondiale, le niveau de la mer pourrait augmenter de 0,3 à 0,7 mètre, une autre fois que l'Institut français de la biodiversité anticipe une élévation de 10 centimètres. A moins que ce ne soit l'ANDRA ? Les projections du GIEC, souvent citées, seront parfois de 20 à 60 centimètres, parfois de 0.26 à 0.55, parfois de 30 centimètres à un mètre... Et occasionnellement, il peut dire que la prévision est impossible et conclure, philosophe, que "en fin de compte, seul le temps nous dira comment le niveau de la mer au Havre évoluera".

Une utilisation en data-to-text est-elle envisageable ?

ChatGPT n'est donc pas en mesure de fournir des informations actualisées et fiables. Mais s'il échoue sur le fond, peut-il aider sur la forme ? Si on lui donne des chiffres, peut-il en rédiger l'explication ou l'interprétation ?

Pour essayer de répondre à cette question, j'ai réalisé des tests avec l'API de GPT3. J'ai donné explicitement des valeurs d'élévation du niveau de la mer sur 2 horizons de temps et deux scénarios et j'ai demandé au modèle de me proposer 5 textes à partir de ces données. 

Résultat, sur les 5 textes :

  • Trois reprennent correctement les données fournies,
  • Un se trompe (proposition 1)
  • Un est complétement aux fraises (proposition 4)

On attend au minimum que les données soit reprises complétement et sans erreur - le critère pourrait être par exemple qu'un lecteur ordinaire puisse reconstituer les données fournies au modèle. Dans le contexte de l'étude des effets du changement climatique, avec des risques humains et matériels importants, je ne vois pas comment on pourrait utiliser un système qui n'est pas irréprochable sur ce point. Et clairement GPT est loin du compte...

Probablement que la requête pourrait être améliorée. Et les textes étant générés aléatoirement, on n'a peut-être pas eu de chance au tirage... Mais justement la dimension aléatoire du résultat implique que même si une requête semble marcher, on ne pourra jamais garantir que le texte généré sera toujours exempt d'erreur.

Prendriez-vous des conseils de gestion des risques climatiques auprès d'une IA ?

Si on lui demande des chiffres, ChatGPT (ou GPT-3) régurgite de façon plus ou moins exacte des bouts d'information auxquelles il a été exposé pendant son entrainement. Si on lui donne les chiffres, il peut les reprendre fidélement comme il peut se tromper du tout au tout. 

Qu'est-ce qui décide du succès ? C'est en partie aléatoire, en partie le résultat de mathématiques complexes dans la grande boite noire qu'est un réseau de neurones profond.

Rien n'est fiable, rien n'est reproductible, rien n'est explicable.

Quelque soit votre domaine, c'est évidemment un problème si vous imaginez que GPT va pouvoir se substituer à un expert. En matière de risques climatiques, c'est tout simplement inenvisageable : si vous prétendez dire à quelqu'un ce qui va lui arriver en 2050 ou 2100, sans vérification possible avant des décennies, la confiance est clé. Tout doit être explicable, sourcé et transparent.

Au-delà de ce cas, c'est la raison pour laquelle je suis très prudent vis-à-vis des utilisations de l'intelligence artificielle pour l'adaptation au changement climatique en général, et chez Callendar en particulier. A mon avis, l'IA ne doit être envisagée que comme dernier recours et en privilégiant des modèles simples, peut-être moins précis mais dont on maitrise parfaitement le fonctionnement.

 

Si vous êtes intéressé par l'élévation du niveau de la mer, vous pouvez consulter cet article qui explique l'origine des incertitudes et comment les gérer ou tester l'application développée par Callendar pour estimer la date de submersion à votre adresse :


 Publié le 19 décembre 2022 par Thibault Laconde

Canicule : faut-il inscrire une température maximale dans le Code du Travail ?

En l'espace d'à peine un mois, nous venons de vivre deux vagues de chaleur historiques, et le mot n'est pas aussi galvaudé qu'on pourrait le croire. Les épisodes de températures caniculaires de juin et juillet 2022 ont en commun d'avoir enfoncé les records de tout l'ouest et le nord de la France mais le premier avait une autre caractéristique plus discrète et peut-être plus inquiétante : sa précocité. Dès le jeudi 16 juin, bien avant la pause estivale et en semaine, 12 départements se sont réveillés en vigilance rouge "canicule"... et brusquement la question de l'organisation de travail en période de forte chaleur a pris une tournure beaucoup plus concrète.

Chaleur et travail : que dit le droit ?

chaleur et travail : faut-il modifier la loi
Ce n'était que la 4e fois depuis sa création en 2004 que l'alerte "canicule" était placée au plus haut niveau. La vigilance rouge signifie que Météo France prévoit "des phénomènes dangereux d'intensité exceptionnelle" et impose une "vigilance absolue". Mais concrètement, qu'est-ce que cela veut dire pour les travailleurs exposés à la chaleur ?

La réponse du Code du Travail : débrouillez-vous.

La protection des salariés contre la chaleur est sous la responsabilité de l'employeur dans le cadre de son obligation générale d'évaluation et de prévention des risques. Cependant le droit du travail français ne fixe aucun seuil de température. Il n'existe ni limite de température de l'air interdisant le travail en extérieur, ni température d'ambiance maximale pour les ateliers, les bureaux, etc.

Pour l'anecdote, l'article R4121-1 du Code du Travail, celui-là même qui impose à l'employeur d'évaluer les risques, n'en mentionne explicitement qu'un seul : les risques "liés aux ambiances thermiques". C'est bien qu'ils doivent être un peu importants...

Cette obligation d'évaluation et de prévention est tout de même renforcée dans les départements placés en vigilance rouge canicule. Selon les instructions du Ministère du Travail, l'employeur doit "procéder à une réévaluation quotidienne des risques encourus par chacun des salariés" et aménager le travail en conséquence, par exemple en diminuant la charge de travail, en modifiant les horaires, en élargissant le télétravail... L'INRS met à disposition des recommandations dans ce sens.
Si ces mesures sont insuffisantes pour garantir la santé et la sécurité des salariés, l'employeur doit arrêter le travail.
 

Droit de retrait

Si l'employeur ne prend pas les mesures nécessaires pour protéger les travailleurs face à la canicule, c'est l'heure du droit de retrait. Il faut pour cela "un danger grave et imminent pour la vie ou la santé" des salariés (art. L4131-1 du Code du Travail). Mais là aussi aucune indication claire.
La jurisprudence n'aide pas à s'y retrouver. Le seul exemple a ma connaissance c'est cet arrêt de la Cour de Cassation de 2010 qui donne raison a un couvreur licencié après avoir arrêté le travail pendant la canicule de 2003.
 

En théorie, le Code du Travail est très protecteur pour le salarié qui exerce son droit de retrait : l'employeur ne peut pas s'y opposer, le sanctionner ou retenir son salaire. En pratique, cela reste une décision très difficile surtout en l'absence de règles ou de précédents.

Il y a eu quelques exemples d'exercices du droit de retrait pendant la vague de chaleur de juin 2022, par exemple à l'usine Toray d'Abidos (suite à un accident du travail) ou aux abattoirs Bigard de Quimperlé. Ce n'est probablement pas un hasard s'il s'agit de sites avec une forte population ouvrière et des syndicats solidement implantés, on peine à imaginer l'utilisation de ce dispositif par des salariés précaires - ce que reconnait d'ailleurs explicitement la CGT de Quimperlé - ou simplement isolés par un travail en extérieur. Or ce sont souvent eux les plus exposés.

 

Le Code du Travail devrait-il prévoir une température maximale ?

En résumé, le droit du travail n'indique pas à partir de quand la chaleur est considérée comme dangereuse. La décision d'arrêter le travail en cas de canicule est laissée à l'appréciation de l'employeur et, en dernier recours, du salarié via l'exercice du droit de retrait.

Question évidente : la loi devrait-elle fixer une température au-delà de laquelle l'employeur doit arrêter le travail ? A mon avis, la réponse est oui.

Il est difficile de fixer une température en dessous de laquelle il n'y a pas de danger. Il existe des exemples de coups de chaleur mortels avec une température inférieure à 30°C... La température acceptable depend en effet de nombreux facteurs : conditions météorologiques, notamment humidité, ensoleillement et vent, âge, état de santé et acclimatation, niveau d'effort physique, port d'équipements de protection individuels, etc. 

Par contre, il est assez facile de fixer une température au-delà de laquelle le travail est toujours dangereux. C'est le sens que devrait avoir selon moi l'inscription d'une température maximale dans la loi : donner une borne supérieure. Un repère qui permet à l'employeur, son représentant ou le salarié de regarder une carte météo ou un thermomètre et dire : "OK, la décision ne m'appartient plus, il faut arrêter".

Cette inscription ne devrait évidemment pas priver l'employeur et le salarié de la possibilité de cesser le travail si les conditions deviennent dangereuses avec des températures inférieures.

 

Où fixer la limite ? Quelques sources d'inspiration

Une température maximale au travail, ça n'est pas inédit, y compris dans des pays qui ne sont pas connus pour leur droit social progressiste. Pour ne citer que quelques exemples : 

  • En Arabie Saoudite, le travail en extérieur est interdit en été entre midi et 15h et doit être suspendu si la température atteint 50°C
  • Le Qatar s'est doté récemment, après moult pressions, d'une règle interdisant le travail en extérieur lorsque la température de thermomètre globe humide (une variante de la température humide tenant compte en plus de l'ensoleillement et du vent) dépasse 32.1°C.
  • En Chine, le travail en extérieur est interdit lorsque la température maximale journalière dépasse 40°C et réglementé au-dessus de 35 (durée maximale, interdiction des heures supplémentaires...). Et il ne s'agit pas que de limites théoriques : la suspension du travail en extérieur a par exemple été mise en oeuvre à Shanghai cette année.
    Les travailleurs chinois ont aussi droit à une (petite) prime de chaleur.

Il existe même une norme internationale sur le sujet : l'ISO 7726. Comme la législation quatari, elle fixe des seuils en température de thermomètre globe humide (WBGT en anglais) et différenciés selon le niveau d'effort physique et l'acclimatation. Par exemple pour un travailleur non acclimaté, elle recommande de limiter l'activité à partir d'une température WBGT de 23°C et de cesser toute activité à à 33°C.

Le graphique ci-dessous donne une approximation des limites de l'ISO 7726 en fonction de la température et de l'humidité :

ISO 7726 : Température maximale recommandée au travail
 

Aux taux d'himidité usuels, la limite se situe autour de 40°C. S'il fallait inscrire un seuil dans la loi, je pense que cette valeur serait un bon candidat.

 

 Publié le 25 juillet 2022 par Thibault Laconde