Le mur solaire de Trump : Bullsh*t ?

Pendant la campagne présidentielle américaine, Donald Trump s'est engagé à construire un mur le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Depuis quelques semaines, il laisse flotter l'idée que ce mur pourrait être couvert de panneaux solaires. Mercredi 21 juin, pour la première fois, il a défendu ce coup de génie dans une réunion publique en Iowa : ce mur solaire, a-t-il dit, pourra "s'autofinancer" et "plus il sera haut, plus il aura de la valeur".

A priori, l'idée prête à sourire : au moment où les États-Unis se préparent à sortir de l'Accord de Paris sur le climat et à relever les droits de douanes sur les panneaux solaires, quelle crédibilité pourrait-on accorder à cette soudaine passion pour les énergies renouvelables ?
Mais passons outre et essayons de regarder la question objectivement : d'un point de vue technique et économique, l'idée du "mur solaire" tient-elle la route ?
Mur solaire à la frontière Etats-Unis/Mexique

La question de l'angle et de la disposition des panneaux


Une première remarque vient spontanément à l'esprit : un mur est, en général, vertical, ce qui, sauf aux pôles, n'est pas la meilleure inclinaison pour un panneau solaire.

La frontière entre le Mexique et les États-Unis s'étend entre Brownsville, Texas situé à 25,5° Nord et San Diego, Californie à 32,3° Nord, c'est-à-dire à peu près sur les même latitudes que le Maroc.
C'est un bon endroit pour produire de l'électricité photovoltaïque mais la proximité de l'équateur signifie que les panneaux solaire devraient avoir une faible inclinaison : à Brownsville, l'angle permettant d'optimiser la production annuelle est d'environ 22° et à San Diego il est de 32°... On serait donc plus proche d'une rampe d'accès pour fauteuil roulant que d'un mur.
Précisons évidemment que, comme nous sommes dans l'hémisphère nord, les panneaux solaires doivent être placés vers le sud, donc coté mexicain.

Alors comment ces panneaux solaires pourraient-ils être disposés sur le mur ? Je vois a priori 3 solutions :
  1. Les installer sur le mur mais avec un angle de 70° au moins, très éloigné de l'inclinaison optimale,
  2. Les installer au sommet du mur avec une inclinaison optimale mais une surface disponible réduite,
  3. Combiner les deux.
Sur un schéma, ça donnerait ça :
Mexico - USA border solar wall

 Quelle production d'électricité solaire ?


Le cahier des charges publié par l'administration américaine précise que le mur devra être haut d'approximativement 30 pieds, soit 9.1 mètres. On peut donc facilement calculer que, pour la première solution, on aura au maximum 9.7m² de panneaux solaires par mètre de mur.
Pour la deuxième solution supposons que le mur est surmonté de d'une structure de 2 mètres, on aura donc 2m² de panneaux solaires par mètre de mur avec la possibilité de leur donner l'inclinaison optimale.
Et pour la troisième solution, on aura la somme des deux précédentes : 2m² de panneaux solaires bien inclinés et 9.7m² de panneaux solaires mal inclinés par mètre de mur (on néglige le fait que les panneaux du haut vont faire de l'ombre à ceux d'en dessous).

La frontière entre les États-Unis et le Mexique fait 3141km, si notre mur la couvre totalement, nous aurons donc :
  • Pour la solution 1 : 27.6km² de panneaux solaires soit environ 4.3 milliards de watt-crêtes (en comptant 150Wc par mètre carré de panneaux)
  • Pour la solution 2 : 6.3km² de panneaux solaires, soit environ 940MWc
  • Pour la solution 3 : 4300MWc de panneaux mal orientés et 940MWc de panneaux bien orientés
Quelle serait la production de cette installation ? Pour l'évaluer, j'ai calculé la production d'énergie annuelle par watt-crête sur 15 points de la frontière entre le Mexique et les États-Unis :


En étant généreux, on peut donc viser une production de 2.1kWh par an pour chaque watt-crête de panneaux solaires bien orientés et de 1.7kWh par an pour les panneaux solaires orientés à 70°. Ces chiffres prennent des hypothèses très optimistes : toutes les pertes sont négligées et on suppose que les panneaux ont toujours une orientation nord-sud optimale.

La production annuelle d'électricité photovoltaïque est donc de :
  • 7.1TWh par an pour la solution 1
  • 1.9TWh par an pour la solution 2
  • 9.1TWh par an pour la solution 3
Pour comparaison, un réacteur nucléaire de type EPR produit environ 11TWh par an. Dans tous les cas, le mur solaire de Trump fournirait donc moins d'électricité qu'un seul réacteur nucléaire.


Rationalité économique du "mur solaire"


Actuellement aux États-Unis, le prix de gros des panneaux solaires est d'environ 0.4$/Wc. Nous allons retenir ce chiffre même si l'administration américaine se prépare à protéger les fabricants américains avec des droits de douanes qui pourraient le faire doubler. Les panneaux solaires nécessaires pour équiper l'ensemble du mur coûteraient donc entre 380 millions et 1.7 milliards de dollars.
Il faut bien entendu ajouter le prix de l'installation, des supports, de l'électronique et du raccordement : en général le coût total d'une installation solaire est à peu près 3 fois celui des panneaux solaires. Dans notre cas, compte-tenu de la complexité du projet et des contraintes particulières, ce serait probablement plus. La question du raccordement, par exemple, devrait poser problème : la frontière s'étend sur des milliers de kilomètres souvent dans des zones désertique, il faudrait donc construire de nouvelles lignes électriques et de nombreux postes de transformation  pour écouler une production finalement modeste. La maintenance serait aussi problématique : comment nettoyer et entretenir régulièrement des panneaux solaires perchés à 10 mètres de haut au milieu d'un désert ? comment éviter et réparer les dégradations de panneaux situés coté mexicain ?
Même s'il est difficile à évaluer précisément, on peut estimer que le coût global de l'installation et de son entretien serait probablement de l'ordre de 2 milliards pour la solution 2 et de la dizaine de milliards pour les solutions 1 et 3, ce qui est dans tous les cas significatif par rapport au prix du mur lui même, estimé à environ 21 milliards de dollars.

L'électricité produite serait écoulée sur trois réseaux électriques : celui du Texas, du sud-ouest et de la Californie. La moyenne pondérée sur les hubs les plus proches de la frontière donne un prix de gros de l'électricité de 28.73$/MWh. Par conséquent, l'installation de panneaux solaires sur le mur rapporterait 200, 57 ou 260 millions de dollars par an pour les solutions 1, 2 et 3 respectivement.

Avec une durée de vie des panneaux solaires de 20 ans, il y a peu de chance que l'opération soit rentable. Une chose est sure : l'installation de panneaux solaires sur le mur ne peut en aucun cas rentabiliser sa construction, ni même en payer une part significative. Si ce "mur solaire" se fait, ce que, à mon avis, personne n'envisage sérieusement, il ne s'agira que d'un éléphant blanc, un gadget couteux destiné à susciter l'incrédulité des prochaines générations.
Il est intéressant de noter que la construction d'une dizaine de grandes centrales solaires dans les régions semi-arides qui bordent la frontière entre les États-Unis et le Mexique permettrait d'obtenir la même production pour un investissement moins important. Mais de ça il n'est pas question : même repeint en vert, le populisme reste du populisme...

(A l'exception des données économiques, tous les chiffres cités dans cet article ont été calculés à l'aide de l'outil européen d'évaluation des ressources solaires PVGIS)

Publié le 23 juin 2017 par Thibault Laconde

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6 commentaires :

  1. Comment est calculé la "production d'énergie annuelle par watt-crête" ?

    L'article ne mentionne pas le nombre d'heures d'ensoleillement par jour selon la période de l'année.

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    1. La production globale est calculée à partir du rendement moyen obtenu sur 15 points de la frontière avec PVGIS V5.

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    2. La V5 est en effet nécessaire pour accéder aux données pour le continent américain:

      http://re.jrc.ec.europa.eu/pvgis.html

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. En plus des points évoqués, c'est techniquement complexe: dans la solution 2, la puissance crête serait de 300 kW par kilomètre.
    Tout les km on ajoute un transformateur pour passer en HTA (jusqu'à 50 kV).
    Sauf qu'au bout de 10 km, il faut encore monter la tension en HTB.
    Donc un transformateur HTA tout les km et un transformateur HTB tout les 10km.
    Sauf qu'au bout de 100 km, il faudra encore remonter la tension....

    Donc le mur aurait aussi: une ligne très haute tension, une ligne moyenne tension HTB, une ligne HTA et la ligne basse tension. Rien que ça!

    Ce n'est pas pour rien que les grandes centrales solaires sont le plus proche possible d'un carré :)

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    1. Effectivement. Et il faudrait encore ajouter des onduleurs pour passer en 110V AC, à la louche tous les 5 mètres.
      Donc environ 600.000 onduleur, 3000 postes HTA et 300 postes HTB...

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