Mais même dépouillé de ce titre de gloire, Tyndall vaut qu'on s'arrête sur sa vie et ses travaux. Il a bien sur consacré plusieurs décennies à l'étude de l'atmosphère. Mais c'est aussi un véritable "self-made man" de la science, grâce à laquelle il a fait son chemin de la campagne irlandaise aux prestigieuses institutions londoniennes et bâti une petite fortune.
Scientifique self-made man
John Tyndall nait en 1820 dans le sud-est de l'Irlande au sein d'une famille relativement modeste : son père est un policier descendant d'immigrants anglais. Il fait de courtes études et, à 19 ans, il est embauché comme dessinateur par l'agence cartographique irlandaise, puis un peu plus tard par son homologue anglaise. En novembre 1843, il est licencié pour avoir signé une pétition réclamant une hausse des salaires.
Par chance, l'économie britannique est alors en pleine ébullition et Tyndall trouve dans le boom du chemin de fer l'occasion de rentabiliser son expérience topographique. L'année suivante, il est embauché par une société d’ingénierie ferroviaire ce qui lui assure un revenu confortable. Après 3 années de travail intensif, il a économisé suffisamment pour reprendre ses études.
A l'été 1848, il part pour la Hesse et s'inscrit à l'université de Marbourg - les laboratoires de chimie et de physique allemands étaient alors très en avance sur leurs homologues britanniques. Parmi ses professeurs, on trouve notamment Robert Bunsen (inventeur des becs du même nom) et Hermann Knoblauch, deux précurseurs dans l'étude du spectre électromagnétique. Lorsqu'il rentre en Grande Bretagne en 1851, Tyndall possède un doctorat et une excellente formation en physique expérimentale.
Après de premières publications sur le magnétisme, Tyndall est élu à la Royal Society en 1852, l'année suivante il obtient le prestigieux poste de professeur de physique à la Royal Institution.
Comme Saussure avant lui, Tyndall va tomber amoureux de la montagne et cela va durablement orienter ses travaux. Après une première visite des Alpes dans le cadre de ses recherches en 1856, il y retourna presque chaque année et finira par se construire un chalet en Suisse. Il participe à la première ascension du Weisshorn en 1861 et, en 1868, il fait partie de la septième cordée à atteindre le sommet du mont Cervin, un des plus difficiles des Alpes sur lequel il avait échoué en 1860 et 1862.
L'alpinisme va naturellement amener Tyndall à s'intéresser aux glaciers dont il cherche à expliquer la formation. C'est alors qu'il découvre les travaux de Fourier et Pouillet et qu'il entreprend, à la fin des années 1850, de prouver leur théorie.
Pour cela, Tyndall construit un des premiers spectromètres infrarouge. A l'aide de cet appareil, il montre sans ambiguïté que l'oxygène, l'hydrogène et l'azote laissent passer le rayonnement infrarouge mais que celui-ci est arrêté par le dioxyde de carbone et la vapeur d'eau, comme l'avait supposé Pouillet. Il en profite pour allonger la liste des gaz à effet de serre en démontrant que l'ozone, le méthane, l'éthylène, le monoxyde d'azote et quelques autres ont eux aussi la capacité à bloquer le rayonnement infrarouge même à faible concentration.
Ces découvertes sont détaillées en 1859 lors d'une conférence donnée à la Royal Institution et présidée par le prince Albert, le mari de la reine Victoria. Elles feront l'objet de plusieurs autres conférences et publications.
C'est en effet un des traits remarquable de Tyndall : il est autant chercheur que vulgarisateur professionnel. Il a écrit une vingtaine de livres, la plupart immédiatement traduit en français, et donné des centaines de conférences destinées au grand public - par exemple ses "leçons de Noel" devant un public d'adolescents. Autant d'activités qui participent à la diffusion de ses recherches, assurent sa renommée et génèrent des revenus considérables. En 1872, par exemple, Tyndall fait une tournée de conférences aux États-Unis pour laquelle il perçoit 23.100$, l'équivalent de près de 400.000€ actuels...
Tyndall se retire progressivement dans les années 1880 pour s'installer à la campagne dans le sud-ouest de Londres. C'est là qu'il meurt en 1893 d'une overdose de somnifère.
Le spectroscope de Tyndall
Tyndall n'est pas un théoricien. Confronté à une question, il cherche avant tout l'expérience qui lui permettra de la résoudre et s'efforce de la mettre en place. C'est ainsi, par exemple, qu'il a compris que le ciel apparait bleu parce que les particules de l'atmosphère diffusent la lumière reçue du soleil : il a découvert ce phénomène, qui porte le nom d'effet Tyndall, simplement en injectant de la fumée dans un tube traversé par une lumière blanche...
Pour l'effet de serre, ce sera un peu plus compliqué... Le point central de la théorie de Fourier-Pouillet, c'est que le dioxyde de carbone et la vapeur d'eau sont capables d'absorber le rayonnement infrarouge émis par la surface terrestre. Pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, il faut donc trouver un moyen de mesurer l’absorption d'un rayonnement infrarouge par un gaz. Pour cela, Tyndall conçoit un système assez imposant :
Le fonctionnement est le suivant : le gaz à étudier se trouve dans le conteneur (marqué G sur le schéma), il est relâché, via un dispositif de filtrage, dans le tube où le vide a préalablement été fait grâce à une pompe à vide (A). L'intérieur du tube doit être parfaitement poli de façon à refléter le rayonnement sans l'absorber.
Le rayonnement infrarouge est émis par un source (appelée cube de Leslie) chauffée (C), il traverse le tube et atteint une photopile différentielle (P).
Cette photopile produit un courant fonction de la différence entre le rayonnement reçu par la droite, via le tube, et par la gauche depuis une autre source (C'). Ce système permet de calibrer la mesure : l'écran (H) est positionné de telle façon que le courant produit par la photopile soit nul avant le début de l'expérience.
Après injection du gaz dans le tube, le courant produit par la photopile peut être lu grâce à un galvanomètre (N).
Le spectromètre de Tyndall n'est pas le premier : les physiciens italiens Macedonio Melloni et Leopoldo Nobili ont mis au point un système comparable dès les années 1830 pour l'analyse spectrale de liquides et de solides. Cependant la spectrométrie des gaz pose de nouveaux problèmes qui mettront à l'épreuve l'inventivité de Tyndall.
Par exemple, il faut fermer les extrémités du tube mais il faut évidemment le faire avec un matériaux qui n'absorbe pas le rayonnement infrarouge. Ce qui exclut le verre. Tyndall choisit de fermer son tube avec des plaques de sel gemme. Mais encore faut-il trouver des cristaux qui soient suffisamment purs et grands. Tyndall en obtient d'abord un du British Museum mais il ne peut en tirer qu'une seule plaque. Après des recherches qu'on imagine assez laborieuses, il parvient à trouver deux autres cristaux, dont un morceau de sel qui lui est ramené d'Allemagne, assez pour préparer trois autres plaques.
Deuxième exemple : les gaz étant moins absorbants que les liquides, il faut une thermopile beaucoup plus précise. Mais cela augmente aussi le risque de perturbations : la thermopile de Tyndall est suffisamment sensible pour que le rayonnement infrarouge émis par le corps humain même à quelques mètres puisse fausser la mesure. Par conséquent, il faudra lire le résultat des expériences... grâce à un télescope installé de l'autre coté du laboratoire !
Signe de l'importance historique de cette expérience, la Royal Society de Londres expose encore parmi ses objets emblématique, le tube du spectromètre construit par Tyndall. Aujourd'hui, cependant, l'expérience de Tyndall peut être reproduite assez simplement. Cette vidéo explique comment faire.
Tyndall ne se contente pas vérifier que les spéculations de Fourier et Pouillet sont fondées, il est le premier à quantifier l'absorbance des gaz. Ces mesures lui permettent de déterminer que la vapeur d'eau est le plus important gaz à effet de serre et de comprendre son rôle central pour le climat : "Si, comme cette expérience le montre, la plus grande influence est exercée par la vapeur d'eau, toute variation de ce constituant doit produire un changement de climat. La même remarque peut s'appliquer à l'acide carbonique [dioxyde de carbone]".
Mais surtout les travaux de Tyndall ouvrent une nouvelle ère dans l'étude de l'effet de serre. Celui-ci est désormais un phénomène quantifiable, ce qui va permettre les premiers calculs et les premiers modèles climatiques. Dans le prochain épisode, nous verrons comment un groupe de scientifiques suédois a été pionnier dans ce domaine et montré, dès le tournant du XIXe siècle, la possibilité d'un réchauffement climatique causé par les émissions de CO2 humaines.
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Aventuriers, rêveurs, révolutionnaires... du XVIIIe siècle au début du XXe, l'histoire scientifique du climat a été écrite par des personnalités hautes en couleur. Retrouvez ici l'histoire des autres pionniers de la discipline :
- Montesquieu : l'Esprit des lois et la théorie des climats
- Buffon : refroidissement climatique et géoingénierie avant l'heure
- Saussure : l'aube de la paléoclimatologie
- Fourier : l'invention de l'effet de serre
- Foote : la démonstration de l'effet de serre à la portée de tous
- Tyndall : la première spectroscopie des gaz à effet de serre
- Arrhenius, Hogböm et Ekholm : le clan des suédois
- Milankovitch : la solution à l'égnime de l'âge de glace
- Callendar : l'homme qui a vu le réchauffement
Publié le 8 aout 2017 par Thibault Laconde
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