Même si le climat est omniprésent dans les débats sur l'énergie, l'arbitrage entre nucléaire et émissions de gaz à effet de serre reste le plus souvent hypothétique. Il est très rare qu'il se présente réellement dans une décision politique. L'annonce de la semaine dernière et les prises de position qu'elle a entraîné étaient donc intéressantes à observer, voici quelques réflexions à ce sujet.
Des pro-nucléaires confortés dans leurs discours
L'air est connu : pour ses partisans, le nucléaire est une énergie indispensable si on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre et lutter contre le changement climatique.
L'objectif de cet article n'est pas de discuter du bien-fondé de cette affirmation (et si vous vous apprêtez à taper un commentaire rageur à ce sujet je vous invite à passer votre chemin), contentons-nous de constater que les vertus climatique font évidemment partie du marketing nucléaire et que c'est de bonne guerre puisque, effectivement, l'atome est avec les renouvelables la seule production d'électricité décarbonée à notre disposition.
En choisissant en pleine COP23 de justifier le report de l'objectif de 50% au nom de la lutte contre le changement climatique, Nicolas Hulot a validé cet élément de langage et offert une tribune inespérée aux tenants de l'atome. Inutile de se voiler la face : la semain dernière, la communication pro-nucléaire a engrangé des points.
Plus qu'un coup de communication ponctuel, il est probable que cette séquence laissera une marque : il faut désormais fixer un nouvel objectif et le débat que cela va entraîner risque, malheureusement, d'être façonné autour d'une alternative caricaturale entre baisse des émissions et baisse du nucléaire.
Des anti-nucléaires marquent contre leur camps
Du coté des opposants, le piège était évident : il ne fallait pas entrer dans cette alternative. Pourtant tout le monde n'est pas parvenu à l'éviter : certains ont vu dans l'augmentation des émissions, anticipée par les scénarios de RTE, un sacrifice acceptable pour baisser rapidement la part du nucléaire dans le mix électrique.
Rappel : les émissions totales de France sont de env. 460 MteqCO2 ... Ces +10MtCO2 ne représentent donc que 2 %, facilement compensables sur par ex. une politique volontariste sur la mobilité très bas carbone.— Thierry Salomon (@ThierrySalomon) 10 novembre 2017
Là encore, il ne s'agit pas de se prononcer sur le fond, simplement de reconnaitre que, dans un débat qui se joue sur le plan des principes, cette prise de position est indéfendable. Pire, elle contribue à valider le discours des partisans du nucléaire, dans sa version la plus manichéenne : si vous n'êtes pas avec nous, vous êtes contre nous, donc contre la réduction des émissions de gaz à effet de serre, voire quasiment climatosceptique.
Il y a fort à parier que ces dérapages, même très marginaux, seront exploités par les pro-nucléaires pour tenter de discréditer toute remise en cause de l'atome. En fait, je ne serais pas surpris que leurs auteurs deviennent rapidement les idoles du camps opposé sur le thème "eux, au moins, ils assument"...
Pour les ONG, fallait-il vraiment parler de nucléaire pendant la COP23 ?
D'une manière générale, les organisations de protection de l'environnement ont réagi négativement à l'annonce de Nicolas Hulot. Certaines ont souligné que les scénarios de RTE constituaient une avancée en acceptant la baisse de la consommation électrique et en proposant des trajectoires de réduction de la part du nucléaire, d'autres se sont inquiétés des doutes que le gouvernement fait peser sur l'agenda de la transition énergétique française ou ont dénoncé l'utilisation du climat comme alibi pour soutenir l'atome... bref la plupart ont heureusement refusé d'entrer dans l'alternative baisse du nucléaire contre baisse des émissions.
Ces prises de position sont certes mieux inspirées que les précédentes mais je vous avoue qu'elles me paraissent encore assez malvenues. D'abord parce qu'elles ont contribué à détourner l'attention des questions climatiques et à étouffer l'écho médiatique d'une COP déjà bien pâlotte. N'y avait-il vraiment aucun sujet plus urgent à traiter ?
Au milieu de la COP23, le nucléaire suscite plus d'intérêt sur l'internet français que le climat. |
Enfin, je n'ai pas l'impression que ces interventions aient ajouté à la clarté du débat. En témoigne l'attribution du "fossile du jour" à la France pour une décision qui est un arbitrage entre renouvelables et nucléaire, comment mieux tout mélanger dans l'esprit du public ?
C'est qu'en réalité ces réactions sont plutôt à usage interne. Les ENGO impliquées dans les conférences sur le climat sont souvent par ailleurs opposées au nucléaire, ou au moins composées de personnes qui le sont. Il était donc difficile pour elles de laisser passer le sujet en pleine COP23 : on se souvient par exemple que pendant la COP15, en 2009, la signature par le réseau Sortir du nucléaire d'un appel qui ne mentionnait pas le nucléaire avait été le déclencheur d'une grave crise au sein du mouvement.
Il faut aussi savoir que les organisations impliquées dans la lutte contre le changement climatique sont régulièrement approchées par des partisans du nucléaire en quête d'alliés. Paradoxalement, cela les incite souvent à prendre explicitement position contre l'atome afin de limiter le risque de récupération (par exemple, le Mouvement pour la justice climatique a suivi en France ce parcours).
Entre reflexe de la base salariée et militante et efficacité de la communication, l'équation est donc compliquée pour les associations. Mais les COP sont un des rares moments où elles peuvent parler de climat au grand public et je crois que c'est cet objectif qui aurait du l'emporter. Les ONG auraient mieux fait de ne pas s'attarder sur le recul du gouvernement ou de l'utiliser pour parler de climat plutôt que pour se lancer dans un débat sur le nucléaire.
Après tout cette annonce ne change pas l'objectif inscrit dans la loi de transition énergétique et il sera toujours temps d'avoir discussion plus tard. La COP elle n'a lieu qu'une fois par an.
D'une manière générale, le climat et le nucléaire (particulièrement en France) sont des problèmes graves qui méritent des discours sérieux et robustes. Vouloir parler de tout à la fois n'est pas la meilleure façon d'y arriver, les organisations actives sur ces deux sujets devraient peut-être apprendre à mieux séparer leurs interventions et être prêtes, lorsque c'est nécessaire, à choisir leur priorité.
Publié le 13 novembre 2017 par Thibault Laconde
Illustration : Fossil of the day via @FossiloftheDay
Personnellement, je trouve un peu futile cette discussion sur la meilleure saison pour parler du nucléaire (elle me fait penser aux généraux de l'antiquité qui demandaient à leurs astrologues si le moment était opportun pour se lancer dans une bataille. La réponse dépendait des entrailles d'un poulet ou de la direction de vol des oies sauvages ...).
RépondreSupprimerBien plus important à traiter me semble être le dogme qui semble s'être installé parmi les politiques et les médias selon lequel il serait techniquement possible et peu onéreux (voire "économique" !) de s'alimenter à court terme avec une très forte proportion (laissons tomber les 100%) d'électricité renouvelable intermittente: photovoltaïque ou éolienne. Comment des organismes publics responsables (ADEME par exemple) peuvent ils promouvoir ce type de politique alors qu'aucun moyen de stockage propre à lisser les variations journalières ou hebdomadaires de ces énergies n'existe aujourd'hui. Ce mensonge délibéré conduit un public (média et politiques compris), peu au fait des contraintes qui pèsent sur la gestion d'un réseau électrique, à suivre les élucubrations irréalistes de quelques activistes naïfs, pour dénoncer et démanteler des solutions "qui marchent" et les remplacer par un système dont tous les professionnels savent qu'il conduit à la ruine.
En résumé: La production électrique solaire + éolien tombe fréquemment à moins de 1% de sa valeur nominale. Si nous voulons être chauffés et éclairés en 2050, les solutions de stockage n'existant pas (en volume suffisant), il faut donc avoir recours à une énergie de substitution, soit le nucléaire (qui a l'avantage d'exister), soit les énergies fossiles d'importation (gaz naturel de M.Poutine ?) soit si nous voulons conserver la maîtrise de notre énergie, le gaz de schistes français (sous réserve d'inventaire ...). A l'heure actuelle, il n'y a pas d'autre choix possible !
Signé: papijo