Pour s'échauffer en attendant ce grand jour, je vous propose de nous pencher sur quelques trajectoires qui pourraient se retrouver dans la PPE et d'analyser leurs conséquences sur le mix électrique français dans les prochaines décennies.
Scénario 1 : la PPE ambitieuse selon Matthieu Orphelin
Le premier scénario est proposé par Matthieu Orphelin, député LREM après avoir été porte-parole de la Fondation pour la Nature et l’Homme (aka Fondation Nicolas Hulot). Sur son blog, il propose :
- "Un rythme de fermeture d’au moins un réacteur nucléaire par an dès 2022, et de deux par an dès que possible". Je traduis le "dès que possible" par 2027 : nous aurions donc une fermeture de réacteur par an entre 2022 et 2026 puis 2 à partir de 2027 et je fais l'hypothèse que les fermetures se font dans l'ordre de mise en service des réacteurs. M. Orphelin n'évoque ni Fessenheim ni Flamanville je suppose donc que la première ferme et la deuxième ouvre comme prévu en 2019 et je ne compte pas les deux réacteurs de Fessenheim parmi les fermetures à effectuer après 2020.
- "La fermeture des quatre [dernières] centrales à charbon d’ici à 2022" et je laisse les autres énergies fossiles (gaz et fioul) à leur niveau moyen des dernières années.
- Une apologie non chiffrée des énergies renouvelables que je traduis par un respect des engagements de campagne du candidat Macron (doublement de la production solaire et éolienne sur le quinquennat) avec une poursuite de la croissance au même rythme par la suite. Les autres énergies renouvelables (hydroélectricité et biomasse) ne changent pas.
L'objectif de 50% de nucléaire dans le mix électrique français, fixé à 2025 par la loi de transition énergétique de 2015, n'est atteint qu'en 2039. La durée de vie de tous les réacteurs français doit être prolongée au-delà de 40 ans - l'échéance actuellement prévue. Et 43 des 58 réacteursen service doivent fonctionner après leur 50e anniversaire.
Scénario 2 : La PPE version Orphelin light
Si cela vous a échappé, 2022 est une année électorale. Curieux hasard... En 2021, je suis à peu près certain que M. Macron et ses ministres auront mieux à faire que de tordre le bras à EDF pour obtenir la fermeture d'un réacteur à la centrale de Bugey. Il n'est pas déraisonnable de penser que ce sera aux élus tous frais livrés mi-2022 de s'y coller. Et ils seraient remarquablement efficaces s'ils y arrivaient en moins de temps qu'il en faut au gouvernement actuel pour pondre une PPE, qui n'est somme toute qu'un décret.
Disons donc que, après Fessenheim, la première fermeture a lieu en 2025 et que le rythme s'accélère à 2 réacteurs par an en 2030 plutôt qu'en 2027. Toutes les autres hypothèses restent inchangées.
Dans ce cas, l'évolution du mix électrique serait la suivante :
Faute de baisse du nucléaire, la production électrique française croit jusqu'en 2030 pour atteindre 560TWh (contre 540 en moyenne sur les dernières années) puis elle baisse lentement.
L'objectif de 50% de nucléaire est atteint en 2041. Sur 58 réacteurs, seuls 9 sont arrétés avant leur 50e anniversaire et surtout 16 atteignent ou dépassent 60 années de fonctionnement.
Scénario 3 : Orphelin + SFEN
Reprenons notre premier scénario, nous avons supposé qu'il n'y aurait pas de nouveaux réacteurs construits après l'EPR de Flamanville. Que se passerait-il avec de nouvelles constructions ?Prenons les revendications de la SFEN, le lobby du nucléaire français : une paire d'EPR mise en chantier avant la fin du quinquennat et inaugurée en 2030 puis une nouvelle paire tous les 5 ans pour atteindre 8 nouveaux réacteurs en plus de celui de Flamanville. Dans ce cas, l'évolution du parc nucléaire français serait la suivante :
Cela ne change pas grand chose à la trajectoire du mix électrique d'ici à 2030, ni au nombre de réacteurs qui dépassent la cinquantaine. Par contre évidemment la date à laquelle la France passe sous 50% de nucléaire serait (un peu) retardée : ce serait en 2042.
Quelques éléments de conclusions
Que retenir de ce petit exercice ? Plusieurs conclusions intéressantes :
- La PPE ne fera pas de miracle : la proposition de M. Orphelin est sans doute dans la tranche haute de ce que le gouvernement pourrait décider, pourtant elle conduit à reculer de 15 ans l'objectif de diversification du mix électrique français initialement prévu pour 2025 et oblige à prolonger la durée de vie de la grande majorité des réacteurs au-delà de 50 ans.
- Il n'y a plus guère de marge d'erreur : le scénario "Orphelin light" montre que 2 ans de retard - ce qui est bien peu au regard des succès foudroyants de la politique énergétique français depuis 10 ans - nous obligeraient à pousser un quart de nos réacteurs au-delà de soixante années de fonctionnement. Un pari hasardeux, pour dire le moins... Le mix électrique se manoeuvre comme un paquebot et les retards apparemment anodins que nous accumulons aujourd'hui peuvent très bien nous mettre sur la route d'un naufrage dans une ou deux décennies.
- Ces trajectoires ne sont pas des trajectoires de baisse de la production d'électricité : le discours politique classique tourne autour de la réduction de la consommation d'électricité, du développement des renouvelables et d'une baisse du nucléaire mais les trajectoires proposées collent rarement. En l'occurrence, on aurait dans tous les scénarios une production croissante ou stable jusqu'à 2030 au moins. Exit donc la sobriété et l'efficacité, sauf à ralentir sur les renouvelables ou à trouver de nouveaux débouchés pour notre électricité.
- L'objectif de 50% de nucléaire est peu sensible au scénario : cet objectif tend à devenir l'alpha et l'omega de la politique énergétique et il y a des chances que la PPE soit jugée largement sur la date à laquelle elle permettra de l'atteindre. Pourtant cet indicateur n'indique pas grand chose : même si nos trois scénario conduisent à des situations très différentes en milieu de siècle, les 50% sont atteint à la même date à ± 2 ans, preuve encore une fois que cet objectif est mal conçu.
Vous vous demandez comment sont obtenu ces projections ou vous souhaiteriez étudier d'autres scénarios : consultez cette page.
Publié le 24 octobre 2018 par Thibault Laconde
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