Comme cet article est déraisonnablement long, voici les 4 grands points à en retenir :
- Ces scénarios semblent sous-entendre une baisse importante du facteur de charge du parc nucléaire (qui passerait aux alentours de 60% dans les années 2030). La baisse de la production nucléaire serait donc à la fois le fait des fermetures de réacteurs (de l'ordre de -70TWh dans les scénarios 1 et 2) et de la baisse du facteur de charge (de l'ordre de -60TWh).
- Dans tous les cas, ils impliquent une hausse importante de la production électrique renouvelable : au moins 120TWh/an en plus peut-être jusqu'à 200. Le rythme de croissance devrait être comparable à celui rencontré en Allemagne depuis les années 2000, nous ne sommes pas du tout sur une trajectoire de ce type aujourd'hui.
- En parlant de 40% de renouvelables plutôt de 50% de nucléaire, les scénarios suggèrent un abandon de cet objectif ou bien un développement (de l'ordre de +30TWh/an) de la production électrique au gaz.
- Le calendrier de fermeture proposé (début en 2022 ou 2028) n'est pas cohérent avec le calendrier politique (élections de 2022 et 2027, PPE 2023 et 2028) et risque de rendre ces orientations ineffectives.
Scénarios et méthode
Trois scénarios seraient donc à l'étude :
- Scénario 1 :
Fermeture de Fessenheim
6 fermetures de réacteurs entre 2022 et 2028
6 fermetures entre 2028 et 2035
Les renouvelables atteignent 40% du mix électrique en 2030 - Scénario 2 :
Fermeture de Fessenheim
12 fermetures entre 2028 et 2035
Les renouvelables atteignent 40% du mix électrique en 2032 - Scénario 3 :
Fermeture de Fessenheim
9 fermetures entre 2028 et 2035
4 EPR construits avant 2040
Les renouvelables atteignent 40% du mix électrique en 2034
Par ailleurs on sait que la production électrique au charbon doit s'arrêter en 2022. En supposant que les autres productions fossiles restent stables pour ne pas augmenter les émissions de gaz à effet de serre, on peut donc calculer la production non-renouvelable.
Les dates auxquelles les renouvelables atteignent 40% du mix (donc 2/3 de la production conventionnelle) donne un point de passage à partir duquel j'interpole une trajectoire. Je suppose que 2/3 de la production renouvelable supplémentaire vient de l'éolien et 1/3 du solaire mais cette hypothèse n'a pas d'impact sur le résultat à ce stade.
Analyse des trajectoires nucléaires et renouvelables
On arrive aux résultats suivants :
- Scénario 1 :
On a une petite vaguelette au début liée à la fermeture de Fessenheim et à l'entrée en service de Flamanville, ensuite la puissance installée reste stable jusqu'en 2022 puis décroît d'environ 10GW pour atteindre 52GW en 2035.
Dans cette hypothèse, arriver à 40% de renouvelable en 2030 implique que la production EnR soit de 256TWh à cette date. Cela nous donne l'évolution suivante pour le mix électrique français :
La production totale connaîtrait une forte croissance : 529TWh/an en 2017, 580 en 2025, 610 en 2030 et, si on prolonge le développement des renouvelables, 645 en 2035. L'objectif de 50% de nucléaire dans le mix électrique n'est pas atteint mais presque : en prolongeant la trajectoire des EnR on l'atteindrait entre 2035 et 2040.
- Scénario 2 :
La seule différence avec le scénario précédent est que les fermetures démarrent plus tard ce qui entraîne une baisse plus rapide de la puissance installée à partir de 2028. Dans ce scénario, tous les réacteurs français (sauf les 2 de Fessenheim évidemment) dépassent 50 ans de fonctionnement.
Dans ce cas, atteindre 40% de renouvelable en 2032 implique aussi que la production EnR soit de 256TWh à cette date. Cela nous donne la trajectoire suivante pour le mix électrique français :
Sur la période 2018-2028, les renouvelables augmentent déjà à marche forcée mais les fermeture de réacteurs n'ont pas encore commencé ce qui entraîne une forte hausse de la production totale : +100TWh en 10 ans. A partir de 2028, la production se stabilise juste au-dessus de 600TWh/an.
- Scénario 3 :
Le parc nucléaire connaît une petite baisse à partir de 2028 et atteint un minimum à 56.5GW en 2035. Ensuite l'entrée en service des nouveaux EPR (que j'ai cadencé tous les 2 ans) fait remonter la puissance installée à 61.3GW, quasiment à son niveau actuel. Ce scénario est à peu de chose près un scénario de stabilité pour le parc nucléaire.
Atteindre 40% de renouvelables en 2034 implique que la production EnR soit de 260TWh cette année-là. Dans ce cas, la trajectoire du mix électrique français à cette allure :
Dans ce scénario la production électrique française semble destinée à enfler indéfiniment : 529TWh en 2017, 585 en 2025, 643 en 2035...
Il est intéressant de s'attarder d'ailleurs sur ce qu'il se passe autour de 2035. On atteint 40% d'EnR en 2034 mais c'est aussi l'année où le parc nucléaire est à son minimum, ensuite il remonte et a priori la production nucléaire aussi. Dans ce scénario, les 40% de renouvelables ne seront donc atteints que pendant un an ou deux ans sauf si leur développement se continue rapidement ensuite. Cela impliquerait un gonflement encore plus important de la production électrique totale qui pourrait dépasser 700TWh/an après la mise en service des nouveaux EPR.
Les questions restant en suspens
Au-delà des chiffres et des réactions pavloviennes qu'ils peuvent provoquer, ces scénarios posent plus de questions qu'ils n'apportent de réponses. Voici celle qui me paraissent dignes d'intérêt :Le calendrier a-t-il été réfléchi ?
Si une de ces propositions était adoptée, son principal apport serait d'assumer qu'une dizaine de réacteurs nucléaires ont vocation à fermer au cours des deux prochaines décennies. Sauf que...Sauf que ces fermetures sont repoussée au-delà du quinquennat actuel pour commencer en 2022 au plus tôt. 2022 est une année électorale et 2023 doit voir le renouvellement de la PPE, deux occasions pour remettre en cause les orientations qui vont être décidées aujourd'hui. Cette chronologie ne peut qu'inciter les acteurs du secteur électrique au mieux à attendre pour voir ("inutile d'investir dans une trajectoire de transition qui sera peut-être renversée dans 3 ans") au pire à l'obstruction ("si on peut gagner 3 ans on aura une nouvelle chance d'infléchir la politique énergétique dans le sens qui nous arrange").
Bref le calendrier retenu neutralise les décisions. Sans évolution, cette PPE risque bien de connaître le même destin que les objectifs de la loi de transition énergétique de 2015... De ce point de vue, la majorité actuelle ne semble n'avoir rien appris de l'expérience de la précédente.
Est-ce qu'on enterre les 50% ou est-ce qu'on développe les fossiles ?
On l'a vu, aucun de ces scénarios ne permet de réduire la part du nucléaire à 50% de la production électrique française. D'ailleurs il n'y est plus question de 50% de nucléaire mais de 40% de renouvelables...Vous me direz peut-être : ça revient exactement au même puisque nous avons aujourd'hui 10% de fossiles, ajoutés à 40% de renouvelables ont arrive bien à un mix mi-nucléaire mi-non nucléaire. Mais ce n'est pas vrai. D'abord la proportion de fossiles est destinée à reculer avec la fermeture des centrales à charbon, ensuite l'augmentation rapide de la production totale (qui est un point commun au 3 scénarios) devrait encore réduire cette part. Pour avoir 10% de fossiles en 2030, il faudrait que la production de nos centrales à gaz fasse plus que doubler...
Donc de deux choses l'une : soit ces scénarios supposent l'abandon de l'objectif de 50% soit ils sous-entendent un développement significatif de la production électrique au gaz.
Est-ce qu'on va vers une trajectoire de développement des renouvelables "à l'allemande" ?
Les objectifs de 40% d'EnR en 2030, 2032 et 2034 impliquent tout de même une production renouvelable massive : plus de 250TWh alors que nous sommes aujourd'hui pratiquement stable en dessous de 100. Ajouter 150TWh de renouvelables en 15 ou 20 ans, c'est une trajectoire "à l'allemande" : entre 2000 et 2017, l'Allemagne a augmenté sa production renouvelable d'un peu moins de 180TWh. Mais sommes-nous près à assumer une telle croissance ?Par ailleurs cette augmentation de la production renouvelable combinée à une baisse modeste voire très modeste du parc nucléaire implique une forte augmentation de la production totale alors que la plupart des scénarios tablent sur une consommation peu ou prou stable. Est-ce que cela à vraiment un sens ?
Ou alors est-ce qu'on assume une baisse du facteur de charge du nucléaire ?
Il existe une autre possibilité. J'ai supposé que le facteur de charge du parc nucléaire aller rester stable. C'est une hypothèse simplificatrice : avec le développement des renouvelables variables, les réacteurs nucléaires auront plus souvent à réduire leurs puissances pour laisser la place à une production renouvelable, leur facteur de charge va donc baisser.Mais au-delà de cette évolution naturelle, peut-être que ces scénarios prennent pour hypothèse une forte réduction du facteur de charge ? Dans ce cas, la part du nucléaire peut reculer plus vite que ce qui serait permis par la seule fermeture de réacteurs et il ne serait pas forcément nécessaire d'augmenter la production pour atteindre 40% de renouvelables.
Je me suis donc posé la question : prenons le scénario 1, par exemple, si on souhaite maintenir la production totale constante et arriver à 40% d'EnR en 2030, quel devrait être le facteur de charge du parc nucléaire résiduel ? La réponse est 60% contre 72% en moyenne aujourd'hui. Ca ne semble pas irréaliste... Et dans ce cas la hausse de la production renouvelable ne devrait plus être "que"de 120TWh. C'est peut-être, probablement même, le raisonnement derrière ces propositions...
Publié le 21 novembre 2018 par Thibault Laconde,
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