Lecture : "fin de l'Occident, naissance du monde" de Hervé Kempf

Energie et developpement - couverture de fin de l'Occident, naissance du monde de Hervé Kempf
Chroniqueur le lundi dans le Monde et sur Reporterre.net le reste de la semaine, Hervé Kempf est un de ceux qui parviennent à faire entrer dans le débat public des idées qui sous la plume d'un autre auraient été jugées trop radicales ou trop idéalistes pour être seulement discutables.

Son dernier livre : "fin de l'Occident, naissance du monde", publié en janvier 2013 chez Seuil, lui permet de remplir une nouvelle fois cette mission, sans excès de zèle.

Récit de l'essor et de l'affaissement de l'Occident


La première partie du livre est une relecture de l'histoire de l'humanité qui met en évidence l'extraordinaire essor de l'Europe au XVIIIe siècle après des millénaires pendant lesquels les conditions de vie avaient été globalement comparables en tout point de la planète. L'avance acquise par l'Occident, explique M. Kempf, n'est qu'un phénomène transitoire, elle n'a été possible que grâce au recours massif aux énergies fossiles, et il est dans l'ordre des choses que les régions qui ont été un temps distancées rattrapent peu à peu leur retard.
Le problème, c'est que nous sommes désormais trop nombreux et trop gourmands : la Terre ne peut pas offrir un mode de vie à l'occidentale à 9 milliards d'êtres humains. Dès lors, il existe deux possibilités :
  • Soit les pays industrialisés tentent de contrecarrer le développement du reste du monde pour continuer à disposer des ressources nécessaires à leurs excès, et dans ce cas le conflit est inévitable. M. Kempf prête ce dessein à "l'oligarchie" et aux partis de droite avec lesquels elle a partie liée.
  • Soit ils acceptent de renoncer à une partie de leur consommation pour que le niveau de vie des autres pays puissent s'élever. Logiquement, il s'agit de la mission historique de la gauche.
On pourrait faire remarquer à l'auteur que "le reste du monde" ne se limite pas à la Chine et que pour de nombreux pays la convergence qu'il prédit est loin d'être acquise. On pourrait également lui reprocher de ne pas s’arrêter sur les rattrapages qui ont déjà eu lieu (l'Europe rattrapant les États-Unis dans les années 50-60, le Japon rattrapant les précédents dans les années 80...) et qui ont plutôt  signifié la victoire du rattrapé que sa chute. Mais en somme M. Kempf réussit une synthèse limpide à l'intersection de Paul Bairoch, Kenneth Pomeranz et des époux Meadows. On sort de cette première partie convaincu...

Passer du constat à l'action ? Pas si facile...


Difficile cependant d'accepter sa thèse sans se poser quelques questions : Jusqu'où la consommation des pays industrialisés devra-t-elle baisser ? Pourra-t-on ne renoncer qu'au superflu ou faudra-t-il aller plus loin ? Comment rendre la baisse de leurs niveaux de vie acceptable aux peuples occidentaux ? Est-ce compatible avec un fonctionnement démocratique ? Comment reprendre le pouvoir à cette oligarchie qui y semble si bien accrochée ? En bref : comment se passera la transition ?
Le septième chapitre du livre s'appelle justement "les chemins de la mutation", mais voilà : dès les première lignes l'auteur juge que, probablement, "seul le désastre dans lequel nous entraîne l'oligarchie ouvrira la porte d'une autre politique." Évacuée la question du comment, il peut passer directement au quoi et s'attarder sur les sentiers bien battus de l'abolition du chômage,de la sobriété heureuse, de la suppression du PIB, etc. Autant de projets qui ressemblent beaucoup à des vœux pieux si on ne propose pas les moyens de les mettre en œuvre...
Et quand l'auteur ébauche enfin  des instruments concrets, comme la bio-économie ou la prise en compte de la productivité du facteur environnemental, il les emprunte à l'analyse économique classique et on voit mal en quoi ils se distinguent de "l'économie verte" pourtant dénoncée quelques pages plus tôt.

Curieusement en retrait par rapport au diagnostic radical des premiers chapitres, le "post-capitalisme" que M. Kempf appelle de ses vœux semble finalement n'être qu'un capitalisme assagi, à l'ancienne. On sent d'ailleurs régulièrement une attirance pour le passé, le comble est atteint lorsque l'auteur affirme que le chômage a été inventé par le monde moderne (faut-il rappeler que, d'après Jean Delumeau, les proportions de vagabonds et désœuvrés à la Renaissance étaient comparables aux taux de chômage actuels ?).

Que de questions laissées en suspens !


On sort de cette lecture réellement désappointé.  D'abord parce que M. Kempf articule son texte autour d'un exercice de prospective, une trame qui rend la lecture plus vivante mais qui suscite aussi beaucoup de questions et de doutes auxquels l'auteur prend rarement le temps de répondre. C'était inévitable en moins de 150 pages, peut-être aurait-il mieux valu le présenter comme un simple scénario, ce qui aurait permis d'approfondir en s'affranchissant volontairement de la rigueur.

Mais surtout, alors que la 4e de couverture laisse entendre que l'on tient le manifeste d'un mouvement politique, il manque l'essentiel : Comment ? Le constat que fait M. Kempf  a été lu et répété des centaines de fois, tout le monde sait que la planète va mal. L'objectif qu'il propose est on ne peut plus consensuel : un monde où les hommes et les femmes seraient égaux et accéderaient à une vie confortable sans mettre en danger leur environnement et celui de leurs descendants (est-ce qu'il est vraiment nécessaire d'abattre des arbres pour imprimer ça ?). Ce qui nous manque se trouve entre les deux : Comment passer du constat à l'action ? Comment trouver notre chemin vers cet idéal ? Là-dessus, ce livre n'apporte pas de réponse.

D'autres livres sur l'écologie, le développement durable ou l'énergie ? Consultez la bibliothèque !   

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3 commentaires :

  1. Bonjour,

    Votre critique est intéressante. C'est vrai que c'est le comment qui est important. P. Diamantis et S. Kotler dans Abundance donnent des pistes techno-futuristes plutôt prometteuses et argumentées www.1min30.com/inbound-marketing/abundance-le-livre-une-autre-vision-de-lavenir/

    Ils ne règlent pas pour autant la question de la répartition des richesses dans un monde qui continuera à créer plus d'inégalités à force de moins dependre du travail humain.

    Bien cordialement,

    Gabrizl Dabi-Schwebel
    Www.1min30.com

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  2. L'auteur entend faire du "passage du néolithique au biolithique" un moyen pour faire l'impasse sur les possibles découvertes ou mises au point de nouvelles ressources énergétiques.
    Pour l'auteur, la priorité devrait être d’apprendre à en consommer le moins possible, et de cultiver les "valeurs de sobriété et d’efficacité qui seront les qualités économiques de l’avenir”. J'attends de lire comment l'auteur envisage concrètement que la nourriture sera acheminée, s'il n'y a pas de recherche sur de nouvelles ressources énergétiques. Allons-nous tous manger local? De ce fait, il serait bon qu'il puisse expliquer comment les villes vont être alimentées par des circuits courts. S'il est recommandé que l'humain prospère en accord avec les autres espèces vivantes de la planète, l'auteur nous parle de période anthropocène, recommande-t-il alors que nous retournions à des modes de vie du XVIIIe siècle?
    Et il est troublant de constater que les leaders occidentaux savent qu'il faut trouver des alternatives à la transition énergétique, et que c'est précisément sur ces budgets-là que l'Europe ne souhaite pas investir!
    Et si les Etats n'investissent pas pour découvrir de nouvelles ressources énergétiques, peut-être est-ce tout simplement parce qu'ils soutiennent la thèse d'Hervé Kempf, que le progrès réside à contraindre l'humain à la sobriété et à ne pas investir dans les technologies d'avenir. Il me semble que cette théorie où la Nature est plus importante que l'homme devient un terrain où la pensée oligarchique malthusienne peut prendre tout son essor pour opérer la dépopulation massive, but ultime.
    Ensuite, l'auteur écrit qu'il est nécessaire "d’accomplir la révolution industrielle pour nous engager dans l’ère biolithique, où l’espèce humaine prospèrera en accord avec les autres espèces vivantes de la planète." C'est très joli dans le texte! Mais faudrait-il encore qu'il n'y ait pas d'importants acteurs qui spéculent sur les matières premières qu'ils ne consomment pas directement (Voir les spéculations réalisées par Goldman Sachs sur le maïs, de soja, blé déstabilisant ainsi les marchés et la survie des peuples.) Avant de s'engager dans le biolithique, si on commençait par interdire aux banques d’investissement de spéculer sur les marchés agricoles...
    Ce qui est le plus troublant se situe dans la conclusion. Par ailleurs l’auteur "interpelle la gauche et l’invite à se distancer désormais des luttes historiques du mouvement ouvrier". La nature, oui, les ouvriers, non. Il y a décidément un fort parfum de malthusianisme qui règne ici... La vraie pollution, ce sont les pauvres, et la définition de l'écologie, ce ne serait pas faire disparaître la pauvreté, mais une solution bien plus radicale: faire disparaitre physiquement les pauvres (si la doctrine de Malthus vous est inconnue, renseignez-vous, ça vaut son pesant de cacahuètes...).
    Et enfin, il écrit "Il ne s’agit plus de répartir l’abondance, l’enrichissement sans fin promis par la croissance, mais d’organiser la sobriété”. Reste à savoir si l'auteur exigera des 1% les plus riches de la planète de partager leur richesse pour vivre avec plus de sobriété!!!

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  3. Je me suis plongé dans la lecture de ce livre avec délectation et un profond intérêt et puis à mi-chemin, le livre sombre dans le "communisme bio": on se voit en compagnie d'intellectuels qui n'ont jamais mis les pieds hors de Paris, à discuter sur les marches de la Sorbonne de l'avenir du monde version rive gauche, en attendant avec impatience la révolution "biolithique" qui ne manquera pas d'arriver tant il est acquis que les chinois et les indiens sont des siphoneurs(p 81), que la démocratie en Europe devra se faire sans le Royaume-Uni qui est un handicap (p132), que les USA sont un problème (p134) et que les pays producteurs d'énergie sont des parasites.
    Mais Dieu merci, la Gauche Française, lumière savante au milieu des ténèbres de l'ignorance, est là, pour guider le monde. C'est à ce titre, paradoxe invraisemblable, qu'Hervé Kempf nous propose un moyen-âge de misère, une mise à l'écart de l'Europe et un appauvrissement général, s'imaginant que tout le monde étant d'accord avec le diagnostique, tout le monde sera forcément d'accord avec son remède qui n'est que l'insupportable version écologique de la Révolution Prolétarienne dans sa déclinaison maoïste du grand bond en avant. On voudrait sourire et on est mortifié.

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