Fiche de lecture : "Vert, histoire d'une couleur" de Michel Pastoureau

Livre de Michel Pastoureau : "Vert, histoire d'une couleur"A quoi associez-vous la couleur verte ? A la nature ? Au parti politique (Europe Écologie-les Verts) ? A la permission (par opposition au rouge pour l'interdiction) ? A la religion musulmane ?
Est-elle positive ou négative ? Rassurante ou inquiétante ?

Aucune de ces questions n'a de réponse simple : comme toutes les couleurs, le vert a une histoire longue, complexe et passionnante. C'est cette histoire que raconte Michel Pastoureau dans sont livre : "Vert, histoire d'une couleur".

Comment l'antiquité inventa la couleur verte


Comme le bleu, la couleur verte est rarement citée dans les textes grecs. D'une manière générale, le lexique des couleurs est pauvre et imprécis à l'époque. Un même mot peut être utilisé pour des couleurs qui aujourd'hui nous semblent bien différentes : le terme glaucos par exemple  peut désigner le vert, le bleu, le gris et certains jaunes... Il faut attendre la période hellénistique (après Alexandre le Grand) pour qu'un mot désigne sans ambiguïté la couleur du poireau, c'est-à-dire le vert.

Les romains, eux, distinguent bien le vert et ont un nom pour le désigner : "virilis", de la racine "vir" qui est particulièrement fertile en latin puisqu'elle donne des mots signifiants branche, verge, virilité, courage... Cependant, à de rares exceptions, comme le goût de Néron pour le vert émeraude, cette couleur reste peu prisée : c'est celle des barbares germains et du peuple.

Une couleur ambiguë au Moyen Age


Au début du Moyen Age, le vert gagne en respectabilité. Le pape Innocent III en fait, dans son traité sur la messe, une couleur liturgique : la couleur des cérémonies ordinaires, complément du rouge et du blanc pour les jours de fête et du noir pour le deuil. En Orient, la tradition veut que Mahomet ait eu un gout particulier pour le vert, ses descendants (Fatimides notamment) l'adopteront comme couleur dynastique avant qu'il ne devienne, vers la fin du Moyen Age, la couleur sacrée de l'Islam
C'est également une couleur courtoise et chevaleresque : les tournois se déroulent dans un environnement vert, d'abord à la campagne puis en ville où la verdure est reconstituée. Cette couleur symbolise aussi l'amour naissant, avant le rouge de l'amour passion.
Mais cette perception positive n'est pas sans nuance. Le vert est aussi la couleur de l'étrange, du diable et de ses créatures : dragon, crocodile, serpent, crapaud... Les sorcières aussi lui sont associées : les yeux verts, la peau verte parfois, sont signes de maléfice. Ces croyances perdurent encore aujourd'hui : une personne sur dix environ dit avoir peur de la couleur verte ou penser qu'elle porte malheur.

A la renaissance, le vert est peu présent dans la vie quotidienne. Il est redevenu la couleur du peuple, des roturiers, des paysans... Alceste, le misanthrope de Molière, et Don Quichotte ont en commun de porter des rubans verts, signes de leur mépris pour la mode et le regard des autres.
Certains personnages cependant se distinguent par leur goût pour cette couleur. C'est par exemple le cas de Louis XIII, que Richelieu essaiera en vain de faire changer d'avis.
Alceste et ses rubans verts
Cette mauvaise réputation est peut-être liée à la difficulté d'obtenir et de stabiliser la couleur verte en peinture et en teinturerie. Couleur instable, le vert symbolise donc logiquement ce qui est changeant ou imprévisible : l'enfance, l'amour, le jeu...
Mais surtout la couleur verte était souvent fabriquée à partir de vert-de-gris, un oxyde de cuivre toxique : à cette époque, porter des habits de couleur verte pouvait réellement être dangereux.

Une réhabilitation progressive à partir du XVIIIe siècle


C'est à partir de la période pré-romantique que le vert revient en faveur, notamment comme couleur de la nature. Cette période voit un renouveau de la peinture de paysage, on apprend donc à préparer de beaux verts et peu à peu à les utiliser dans d'autres domaines comme l'ameublement. Le point culminant sera le vert empire apprécié de Napoléon, et peut-être l'origine de l'arsenic retrouvé dans ses cheveux puisque les tentures et les papiers peint étaient souvent colorés avec du vert de Schweinfurt, un composé de cuivre et d'arsenic.

Le vert aurait même pu être la couleur de la Révolution française. Le 12 juillet 1789, lorsque Camille Desmoulins appelle la foule à la rébellion, il attache à son chapeau un feuille de tilleul. La cocarde verte devient rapidement le signe de ralliement des insurgés. Mais alors qu'ils se dirigent vers les Invalides pour prendre les armes, ils apprennent que le vert est la couleur du frère de Louis XVI, le futur Charles X, un contre-révolutionnaire convaincu. Et voilà la couleur verte abandonnée par les révolutionnaires avant même d'avoir été complétement adoptée.
Le vert reste cependant la couleur des idées nouvelles et de la liberté. Le couple rouge pour l'interdiction et vert pour la permission apparait dans la signalisation maritime à cette époque.

On retrouve encore des réminiscence des significations négatives du Moyen Age au XIXe siècle. Le vert reste une couleur suspecte en particulier chez les femmes - à la Belle Époque, les prostituées portent souvent du vert. Les artistes aussi restent méfiant vis-à-vis du vert. Les impressionnistes qui peignent souvent en plein air l'utilisent sans retenu mais il est rare chez les peintres abstraits. Kandinsky notamment déteste cette couleur.
Couleur verte dans un logo ou une marque = développement durable, environnement ou greenwashing...
La couleur verte dans les marques aujourd'hui... choisir cette couleur dans un logo annonce
presque toujours une communication en lien avec le développement durable

Ce n'est qu'à la fin du XXe siècle que le vert prend sa signification actuelle et devient presque univoquement positif. Le vert, déjà couleur de la nature, acquiert avec le développement des idées écologistes une dimension politique qu'il n'avait presque jamais eu : choisir la couleur verte pour un logo par exemple n'est pas anodin et annonce presque toujours une intention en lien avec le développement durable. Il est aussi symbole de santé (les pharmacies) et de destin (le tapis vert).
Il est aujourd'hui la couleur préférée d'une personne sur six, ce qui le place derrière le bleu mais loin devant les autres couleurs.

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3 commentaires :

  1. Protection de l'environnement-couleur Verte
    Une convention?
    Je ne partage pas cette vision des choses. Au contraire, j'invite tout le monde à prendre conscience que la préservation de l'environnement est un combat réel à la recherche de l'amour et du respect de l'environnement. L'environnement qui est tout aussi l'ensemble des personnes qui nous entourent... Cet ouvrage vous en dit plus

    http://www.edilivre.com/perdu-morho-naba.htm

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  2. Convergences d'explications très sympathiques

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  3. Pour ma part, ça toujours été le bleu, et toutes les nuances du bleu, mais votre article m'a beaucoup intéressée.

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