Même après la validation par le Conseil Constitutionnel de la "loi Jacob" du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique, le gaz de schiste reste un sujet de débat politique et médiatique. Pour vous y retrouver au milieu d'affirmations souvent contradictoires de pros et des antis, je vous propose un petit aide mémoire en 7 points.
1. Le gaz de schiste n'est qu'un gaz non conventionnel parmi d'autres
"Gaz de schiste" est un abus de langage pour désigner du gaz de roche-mère, c'est-à-dire du méthane qui est resté enfermé dans la roche où il s'est formé - contrairement au gaz conventionnel qui après s'être formé a migré vers un réservoir.
La catégorie des gaz non-conventionnels comprend aussi le gaz de charbon, emprisonné dans une veine de charbon (ce que l'on appelait autrefois le grisou) et le gaz de roche compacte, qui a migré vers un réservoir celui-ci ayant ensuite perdu sa perméabilité. En anglais, on parle de shale gas (gaz de schiste), coal bed methane (gaz de charbon) et tight gas (gaz de roche compacte).
Le point commun entre ces trois formes : dans tous les cas, la matière contenant le gaz doit être fracturée pour qu'il puisse être récupéré.
Le terme "gaz de schiste" est particulièrement impropre aux Etats-Unis, où le gaz de roche compacte est majoritaire. En Europe, il pourrait être le principal gaz non conventionnel, les autres étant pratiquement absents du continent pour des raisons géologiques et historiques (l'épuisement des mines de charbon).
2. Les hydrocarbures non-conventionnels ne sont pas nouveaux
Figurez-vous que les hydrocarbures de schiste figuraient déjà à l'agenda politique il y a plus d'un siècle... En 1913, lorsque Wiston Churchill, alors premier lord de l'amirauté, fait passer la flotte de guerre anglaise du charbon au pétrole, que répond-t-il aux parlementaires inquiets de voir la Royal Navy dépendante d'une source d'énergie absentes des iles britannique ? Que l'on pourrait extraire deux fois sa consommation des schistes et de l'argile de métropole. C'est dire si l'extraction des hydrocarbures non-conventionnels est une vieille lune...
Si cela n'a pas été fait jusqu'à présent ce n'est pas parce qu'on ne connaissait pas cette ressource ou qu'on ne savait pas comment l'exploiter mais parce que son taux de retour énergétique est très mauvais : de l'ordre de 1 à 5, c'est-à-dire qu'il faut dépenser un baril de pétrole pour en sortir 5 de terre. Pour les hydrocarbures conventionnels ce taux reste en moyenne de 1 à 30 même si il a beaucoup baissé.
Puits de gaz de roche dans le Wyoming (États-Unis) |
3. Personne ne connaît la quantité de gaz exploitable en Europe
Combien y a-t-il de gaz de schiste sous nos pieds ? Et quelle proportion est récupérable dans des conditions économiquement viables et environnementalement acceptables ?
Aucune estimation sérieuse des réserves récupérables n'existe en Europe. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les estimations qui faute de mieux font référence sont celles de l'Energy Information Administration... américaine. Il s'agit d'études purement théorique, la méthodologie utilisée consiste à comparer les caractéristiques géologiques de bassins situés à l’extérieur des États-Unis et celles de zones explorées du sous-sol américain. Même si ces estimations étaient fiables, l'extrapolation de la part récupérable resterait plus que douteuse. En effet elle dépend aussi de paramètres économiques, industriels, politiques ou démographiques dont il n'est tenu aucun compte dans cette étude. Il va pourtant de soi que même à géologie identique le taux de récupération ne peut pas être le même dans le bassin parisien (1000 habitants/km²) et dans l'Arkansas (20 hab/km²).
En France, les réserves estimées par l'EIA ont fondu d'un quart entre l'étude initiale de 2011 et sa mise à jour en 2013. En Pologne, le chiffre avancé par l'agence américaine a été divisé par 10 après des forages expérimentaux... Voilà qui donne une idée de la précision des données disponibles.
4. Et par conséquent, toutes les promesses d'emplois, de croissance, etc. sont farfelues
Plusieurs entreprises de conseil ou think tank se sont essayés à la prévision de l'impact économique de l'exploitation de gaz non-conventionnels. On peut citer par exemple Sia Conseil ou l'IREF.
Sans entrer dans le détail des calculs, ces études ont au moins la même marge d'erreur que l'estimation des ressources sur laquelle elles se basent. Que l'on parle d'emplois ou de points de croissance, aucune projection sérieuse ne peut être effectuée avec des hypothèses aussi fragiles.
5. L'effet des gaz non-conventionnels sur les prix de l'énergie n'est pas démontré
Soit, pourrait-on dire, mais même sans s'aventurer à le quantifier, les gaz non-conventionnels auront un effet positif pour l'économie, puisque le gaz de schiste fait baisser le prix de l'énergie, ce qui redonne de la compétitivité aux entreprises et donc du tonus à l'économie. Et les partisans de ce raisonnement de citer les États-Unis en exemple en affirmant que le prix du gaz y a été divisé par 3 suite à l'exploitation des gaz non-conventionnels.
Cette division par 3 du prix du gaz existe bel et bien, mais elle prend pour référence un pic très bref intervenu à l'été 2008. Si cette baisse spectaculaire est due aux gaz non-conventionnels pourquoi intervient-elle a un moment où il sont déjà largement exploités et où la production est stable ? Et pourquoi alors que la production totale de gaz est à son plus haut, les prix ont-ils quasiment doublé depuis le début de l'année 2013 ?
Il semble très improbable qu'il y ait un lien entre cet effondrement et l'exploitation de gaz non-conventionnels. Le déclenchement de la crise des subprimes, le manque de liquidité et la baisse des anticipations de consommation sont des explications beaucoup plus convaincantes, d'autant que le même profil, hausse des prix en 2008, forte baisse en 2009, se retrouve sur les marchés européens qui eux n'ont pas accès aux gaz non-conventionnels.
Évolution du prix du gaz aux États-Unis |
Quoiqu'il en soit dans le même temps, le prix du charbon et du pétrole (qui pèsent 3 fois plus lourd que le gaz dans le mix énergétique américain) n'ont pas cessé d'augmenter, absorbant très largement ce gain. Au plus, les gaz non-conventionnels ont permis de limiter la hausse des prix de l'énergie aux États-Unis.
6. Au-delà de l'impact sur l'environnement local, les gaz non-conventionnels sont une catastrophe climatique
Les gaz non-conventionnels sont invariablement dénoncés pour leur impact sur l'environnement local... Mais qu'en est-il de leur impact global ?
A priori l'exploitation de gaz non-conventionnels aux États-Unis peut paraître une bonne idée. En effet, ce gaz fait concurrence au charbon pour la production d'électricité. Alors qu'un kilowatt-heure produit avec du charbon émet environ 350 grammes de dioxyde de carbone, le produire avec du gaz émet un peu plus de 200 grammes. Une baisse tout de même conséquente ! Et effectivement, la part du charbon dans le mix électrique américain s'est stabilisée et a même décru alors que celle du gaz ne cesse d'augmenter.
Parts du gaz et du charbon dans le mix électrique américain |
En France, la question ne se pose même pas puisque la part du nucléaire fait de l'électricité française une des plus économe en dioxyde de carbone. Un recours au gaz ferait en tout état de cause augmenter fortement les émissions.
7. En France, l'extraction des gaz non-conventionnels n'est pas interdite
La recherche des de gaz non-conventionnels a été interrompue en France par la loi du 13 juillet 2011. Mais comme son nom l'indique, cette loi interdit "l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique". Même si la fracturation hydraulique est la principale méthode d'exploitation du gaz de schiste, à aucun moment celui-ci n'est explicitement mentionné. Rien n’empêcherait une compagnie pétrolière d'extraire des gaz non-conventionnels avec une autre méthode de fracturation : à l'héptafluoropropane comme le proposait en 2014 Arnaud Montebourg, à l'arc électrique, au CO2, pneumatique... Aucune de ces techniques n'est rentable actuellement, mais pourquoi ne pas les utiliser pour l'exploration ? Rien ne l'interdit en tous cas.
Vous voulez aller plus loin ? Consultez l'observatoire de la fracturation hydraulique, un état des lieux mensuel de l'exploitation des gaz et pétrole de schiste. Ces articles peuvent également vous intéresser :
- Schiste et fluoropropane : à la recherche du gaz miracle d'Arnaud Montebourg
- Du pétrole à n'importe quel prix ? Voyage au pays des sables bitumineux
- Une brève histoire du pétrole et des hydrocarbure
http://www.indigne-du-canape.com/non-a-lexploitation-du-gaz-de-schiste-this-is-bull-schiste/
RépondreSupprimerIl faut désormais clairement prendre position contre cette exploitation qui serait une nouvelle catastrophe écologique à moyen terme, soyons en sûrs !
Merci pour votre article !