Nucléaire : la prolongation n'aura pas lieu (pour l'instant)


Vous vous souvenez certainement de cet article, publié par le Journal du Dimanche le 13 octobre : "L’État va prolonger le nucléaire de 10 ans". Sans l'ombre d'un conditionnel...

Selon une masse de sources anonymes - du ministère de l'écologie, des finances, d'EDF... - toutes plus catégoriques les unes que les autres, c'est le 15 novembre, cette semaine donc, que le gouvernement doit franchir le pas et autoriser les centrales nucléaires à repousser à 50 ans leur fermeture (au lieu de 40 à l'heure actuelle et des 30 prévues lors de la construction).

Une bien curieuse rumeur...


Cette information a été reprise par l’ensemble de la presse, au point que le ministre de l'écologie a dû démentir pendant les questions au gouvernement, démenti qui - signe des temps - n'a même pas ralenti les rumeurs.
Il y a pourtant quelques raisons de s’interroger sur la décision qu'annonce cet article :
  1. A l'heure actuelle, l’État n'a pas le pouvoir de fermer une centrale nucléaire. Cette responsabilité appartient à l'exploitant, EDF, qui se montre peu coopératif en la matière. Le Conseil de politique nucléaire autorise l'allongement de la durée de vie des centrales nucléaires ? Bien, c'est un peu comme si vous autorisiez le soleil à se lever.
  2. Aucune centrale nucléaire ne peut fonctionner en France sans autorisation de l'Autorité de Sureté Nucléaire, or celle-ci se montre réticente à prolonger la durée de vie des centrales. Pierre-Franck Chevet, son président, l'a redit sans ambiguïté et il est irrévocable jusqu'à l'expiration de son mandat en 2018. Même si l’État prend position pour le prolongement, cette décision risque de rester lettre morte, soit à cause d'un refus de l'ASN soit à cause d'un renoncement d'EDF face aux coûts des travaux qu'elle ne manquerait pas d'imposer.
  3. Aucun réacteur nucléaire français en service n'a plus de 40 ans, l'âge moyen du parc est de 29 ans et même Fessenheim, la plus vieille centrale en service, ne soufflera ses 40 bougies qu'en 2018. On voit mal pour quelle raison, le gouvernement prendrait cette décision maintenant au risque de ruiner a loi sur l'énergie que le gouvernement annonce toujours pour fin 2014 et de fragiliser un peu plus l'alliance vert-PS (vitale pour les municipales) ?


La théorie de la prolongation comptable


Une justification de la prolongation pourrait être ses vertus comptables : comme toutes les entreprises, EDF amortit ses infrastructures sur leur durée de vie estimée. Si la durée de vie augmente, le montant annuel de l'amortissement décroît, et l'excédent d'exploitation augmente - peu importe que les centrales soient où non exploitées plus longtemps.
Il y a une jurisprudence en la matière : une manipulation similaire a eu lieu en 2003. La durée de vie des centrales avait alors été théoriquement prolongée de 30 à 40 ans. La décision n'a été actée par l'ASN qu'en 2009 mais elle a immédiatement gonflé les profit d'EDF de plusieurs centaines de millions d'euros par an et sans doute influencé la valorisation de l'entreprise lors de l'ouverture de son capital en 2005. Que ce soit au moment de l'introduction en bourse ou par le versement de dividendes, l’État a largement profité de cette opération.

Mais ce coup de bluff n'est pas sans risque : L'allongement de 2003 a peut-être gonflé les bénéfices d'EDF d'une dizaine de milliards d'euros en 10 ans mais selon l'ASN le coût des travaux nécessaires pour amener les réacteurs jusqu'à 40 ans est d'au moins 50 milliards. A long terme, on ne peut pas dire que ce soit une opération brillante...
Pire encore, si les centrales ne sont finalement pas exploitée sur la période prévue, cela signifie qu'il faudra continuer à payer des installations après leur mise hors service. De quoi plomber l'entreprise, la facture d'électricité des français et plus généralement l'énergie nucléaire.

Dans la situation actuelle qui se soucie du long terme ? La tentation de renouveler l'opération de 2003 peut être forte et une partie de la majorité semble être acquise à cette "prolongation comptable". Mais est-ce vraiment faisable ? EDF était un établissement public en 2003, c'est devenu depuis une société anonyme cotée en bourse. Les bidouillages qui étaient possibles il y a 10 ans feraient sans doute grincer l'Autorité des Marchés Financiers aujourd'hui.

La prolongation n'aura pas lieu


En tous cas pas pour l'instant : le scoop du JDD était éventé. Le Conseil de politique nucléaire qu'il annonçait pour le 15 novembre ne figure à l'agenda d'aucun des ministres concernés. Autre signe : le cours de bourse d'EDF ne s'agite pas : une progression légèrement supérieure à celle du CAC40 depuis un mois, pas de gros volumes.
N'est-ce que partie remise ? L’allongement peut encore être effectué jusqu'à mi-février pour être pris en compte dans les résultats 2013.

Si cette décision doit être prise, il semble cependant plus probable qu'elle attende la loi sur l'énergie prévue pour fin 2014. Après les élections municipales et européennes, après la fin du mandat d'Henri Proglio, le PDG d'EDF, à la veille de l'avis de l'ASN prévu en 2015 et espérons-le dans un contexte un peu plus apaisé. Ce calendrier aurait aussi l'immense mérite de "banaliser" la question nucléaire : faire en sorte qu'elle se pose au même moment et selon les même procédure que les autres questions énergétiques, qu'elle devienne un peu moins idéologique et un peu plus démocratique.

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