Fiche de lecture : "L'effondrement de la civilisation occidentale" de Erik Conway et Naomi Oreskes

"L'effondrement de la civilisation occidentale" - Erik M. Conway, Naomi Oreskes
Le changement climatique nous mène droit à une catastrophe sans précédent, nous le savons, nous avons les moyens de réagir, et nous ne faisons rien ou si peu. Lorsqu'il est écrit au présent, ce constat est déjà connu, banal même, au point qu'il devient difficile de s'en alarmer sans passer pour un vieux radoteur de mauvais augure.

Alors pourquoi ne pas tenter de l'écrire au passé ? C'est l'expérience que tentent Erik Conway et Naomi Oreskes, déjà auteurs des Marchands de doutes, dans L'effondrement de la civilisation occidentale publié ces jours-ci.




Récit d'une catastrophe qui aurait dû être évitée


Le postulat de départ est simple : notre époque n'est pas parvenue à prendre la mesure du danger que représente le changement climatique et les émissions de gaz à effet de serre ont continué à augmenter.
Au milieu du XXIe siècle, les effets de ce dérèglement sont devenus massifs entrainant une panique mondiale et le recours à la géo-ingénierie. Malgré de premiers résultats encourageants, cette solution a dû être rapidement abandonnée à cause d'effets secondaires incontrôlables. Les températures ont rebondit, puis se sont emballées avec le dégel du permafrost, et la hausse a atteint 11°C. En 2073, les calottes polaires nord et sud se sont effondrées faisant monter le niveau de la mer de 7 mètres.
Ce "grand effondrement" a emporté avec lui la plupart des gouvernements : 1.5 milliards de personnes ont été contraintes de migrer vers l'intérieur des terre, les épidémies ont ravagé la population et le taux d'extinction a atteint 70%. Ce n'est qu'au tournant du XXIIe siècle, avec la dissémination de végétaux  absorbant rapidement le dioxyde de carbone et l'arrivée opportune d'un minimum solaire, que les survivants ont pu commencer à reconstruire.

Le pire s'est réalisé, donc, et le narrateur, un historien de la fin du XXIVe siècle, tente de comprendre comment.

De l'épistémologie plus que du Roland Emmerich


Ce scénario catastrophe n'est pas le centre de son propos. Ce qui l'intéresse, c'est surtout d'expliquer pourquoi, alors que l'humanité était au sommet de sa puissance technologique et savait exactement ce qui allait se passer, elle a laissé faire.
Si l'enchainement des événements peut ressembler à celui d'un film à gros budget, avec un partie-pris narratif ludique qui rappelle par exemple World War Z, ne vous méprenez pas : le fond du propos est une double critique adressée à la communauté scientifique et au néolibéralisme.

La première est accusée de préférer se taire plutôt que risquer d'avoir tort, de ne pas parvenir à donner une vision d'ensemble des phénomènes qu'elle étudie et surtout d'occulter le rôle des sciences sociales. Pour Naomi Oreskes et Erik Conway, tout deux historiens des sciences, la société est à l'origine des phénomènes physiques étudiés par les scientifiques (ce n'est pas le dioxyde de carbone qui cause le changement climatique, ce sont les activités humaines qui l'émettent) et la validation d'une thèse scientifique est un phénomène social.

La seconde critique va au néolibéralisme qui entrave toutes les actions qui permettraient de prévenir la crise au nom d'une liberté économique absolue, condition selon lui de la liberté tout court. Trahissant leurs fondateurs, pour qui l'intervention de l’État pouvaient parfois se justifier au regard de l’intérêt général, les néolibéraux  ont élaboré le discours dominant du XXIe siècle selon lequel toute réglementation est suspecte même dans un domaine aussi vital que la protection de l'environnement. Paradoxalement, ils font ainsi le lit de régimes centralisés et autoritaires seuls capables de gérer les conséquences de leur laisser-faire.


En conclusion


L’intérêt de cet ouvrage est de faire ces deux critiques, qui n'ont pas grand chose de nouveau, sous un angle historique qui permet à la fois de connecter entre eux des événements réels et de projeter les tendances actuelles sur le siècle à venir.  Bien sur, cet exercice se prête à la critique : le scénario décrit n'est qu'un parmi une multitude d'autres possibles. Mais cette réalité est assumée par les auteurs qui, d'ailleurs, connaissent assez bien leur sujet pour lui donner une vraisemblance suffisante.

En conclusion, s'il fallait trouver un défaut à ce livre ce serait sa brièveté : cet essai est tiré d'un article paru fin 2013 (The Collapse of Western Civilization: A View from the Future) et il en a gardé la concision avec seulement 70 pages (artificiellement augmentées par une cinquantaine de pages de notes, glossaire et entretiens). Les auteurs auraient sans doute pu tirer mieux de leur choix narratif et donner plus d'épaisseur à leur scénario. 

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1 commentaire :

  1. Sur le même sujet, d'autres chercheurs essayent aussi de s’appuyer sur la science-fiction pour chercher des visions plus inspirantes : http://www.scienceshumaines.com/la-science-fiction-au-secours-de-l-ecologie-entretien-avec-yannick-rumpala_fr_32101.html

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