En bref, que nous dit-il ? Que des intérêts économiques utilisent la science à leur avantage contre l'intérêt général, jusque là rien de bien nouveau, mais surtout qu'en l'instrumentalisant ainsi ils sapent dangereusement l'institution scientifique au risque de réduire sa capacité à faire progresser nos sociétés.
"Maintenir la controverse vivante"
En 1953, alors que les journaux américains commencent à se faire l'écho d'études sur les liens entre tabac et cancer du poumon, les responsables des cigarettiers se réunissent en secret pour élaborer une contre-attaque. Elle sera efficace : il faudra 10 ans au régulateur américain pour reconnaître la dangerosité du tabac. S'agit-il d'un simple raté d’une administration sanitaire encore récente ? Non, le même scénario se répète, en pire, trente ans plus tard : il s'écoulera près de vingt ans entre la découverte des effets du tabagisme passif et les premières interdiction de fumer dans les lieux publics !
Les industriels du tabac ne sont évidemment pas étrangers à ces retards dont les conséquences se chiffrent en milliers de vies perdues... et en milliards de cigarettes vendues, mais comment sont-ils parvenus à de tels résultats ? Il est désormais possible de la savoir puisque les cigarettiers ont accepté en 1998 de communiquer l'ensemble de leurs archives pour clore les poursuites engagées par 46 Etats américains, les stratégies et le détail de leur mise en œuvre sont accessibles à qui se donne la peine de chercher.
Il en ressort que, bien sur il y eut une bataille de lobbying et de communication, mais surtout, en sous-main, une instrumentalisation de la science. Et plutôt que de tenter de contredire les études qui les mettaient en cause (et dont ils ont eu assez vite la conviction qu'elles étaient valides), les industriels se sont employés à "maintenir la controverse ouverte".
Quel est l'effet des facteurs environnementaux, comme la pollution, sur les cancers du poumon ? De l'hérédité et des facteurs génétiques ? De l'amélioration des diagnostic et de l'allongement de la durée de vie ? Les projets de recherches soutenus directement ou en sous-main par l'argent du tabac remplissent des dizaines de pages. Ils s’intéressent souvent à des sujets sérieux et, dans de nombreux cas, ils ont abouti des résultats réellement utiles à la santé publique, mais ils ont surtout permis aux "big tobacco" de mettre en ordre la science comme il l'entendait, permettant le développement de telle branche, retardant telles autres et fixant la frontière entre le certain et le douteux. Les industriels ont appris à définir les contours de l'ignorance, évidemment à leur avantage.
La stratégie est simple : "produire du doute" (la formule figure telle-quelle dans un mémo de 1969), puis laisser les communiquants affirmer qu'il n'existe pas encore de certitude scientifique. S'il se trouve des chercheurs pour affirmer le contraire, c'est très bien : cela fera de bons débats télévisés qui, c'est une règle du genre, placeront les deux camps sur un pied d'égalité même si l'un représente le consensus scientifique et l'autre des intérêts privés. Il suffira ensuite de compter sur l'inertie du régulateur et des politiques, trop content de pouvoir invoquer l'absence de certitudes pour de prendre des mesures contraignantes.
Le scientifique comme outil de relations publiques
La recherche se trouve ainsi mobilisés, et éventuellement financé, non par pour les résultats qu'on en espère mais pour l'effet qu'elle produit sur les décideurs et l'opinion publique. Car, comme le dit très justement Stéphane Foucart, aux yeux du public, la communication autour de la science est la science.
Son livre propose de nombreux exemples édifiants de ce travail. Ainsi, par exemple, ARISE (Associates for research into the science of enjoyment), créature des cigarettiers dont l'objectif est de faire basculer leur produit dans la catégorie des "petits plaisirs" au coté du carré de chocolat et du verre de vin, plutôt que dans les drogues dures vers lesquels il penchait dangereusement. Au final : un vrai triomphe ! Sur près de 850 articles de presse traitant d'ARISE, plus de 500 évoquent une possibilité que les mesures de lutte contre la tabagisme soient contre-productives pour la santé publique.
Un autre exemple remarquable, l'appel de Heidelberg préparé par les industriels de l'amiante à la veille du sommet de Rio en 1992, montre que cette méthode peut même façonner durablement la façon dont des pans entiers de la science sont perçus.
Car les cigarettiers ne sont plus les seuls à recourir à la manipulation de la science et des scientifiques. Même si ces cas sont beaucoup moins bien documentés, les débats autour du changement climatique, de l'amiante, des OGM, des perturbateurs endocriniens ou des pesticides ont été et sont aujourd'hui encore façonnés de la même façon. Finalement, c'est l'institution scientifique dans son ensemble qui est abîmée, apparaissant comme incapable de produire une consensus et de créer l'action... Paradoxal alors que nous vivons dans une époque plus technologique que jamais !
Vous pouvez détailler le façonnage des débats sur les pesticides et les OGM?
RépondreSupprimerQui produit de le doute? Joseph Bové?
Il ne vous reste plus qu'à acheter le livre... vous ne serez pas déçu.
SupprimerLes contrevérités et approximations récurrentes publiées par ce monsieur dans le journal Le Monde m'ont amené à arrêter de le lire; ce n'est pas pour lui donner de l'argent en achetant un livre.
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RépondreSupprimerPar un magnifique tour de passe-passe, Stéphane Foucart accuse les industries chimiques de « créer l’incertitude ». Un comble ! Car il ne peut ignorer que ce sont au contraire les mouvements écologistes anti-science qui ont utilisé et utilisent encore la stratégie de la « fabrique du doute ». Cela a été le cas dans les années 1970, pour contrer la montée en puissance de l’industrie nucléaire. Et depuis les années 1990, cette arme fatale est largement utilisée pour faire la guerre aux OGM. Ainsi, José Bové et ses amis évoquent régulièrement des « incertitudes sur les impacts irréversibles » des plantes transgéniques, tandis que d’autres affirment avoir « des doutes » sur les effets sanitaires des OGM. Et c’est toujours sous le prétexte de « doutes » qu’est évoqué le principe de précaution pour bloquer une innovation ou un projet.
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http://www.agriculture-environnement.fr/revue-de-livre,3/ste%CC%81phane-foucart-et-la-the%CC%81orie-du-mensonge,886
"C'est celui qui le dit qui l'est", réthorique de maternelle... Mais elle a l'avantage d'éviter d'aborder le fond du livre : la découverte progressive de stratégies de communication et d'influence parfaitement conscientes de la part d'entreprises qui connaissaient la nocivité de leurs produits. C'est un fait pour le tabac, reconnu par les industriels eux-même (cf. "Tobbaco Master Settlement" de 1998). Il faudra encore quelques années pour parvenir à une telle reconnaissance sur l'amiante, les perturbateurs endocriniens, les pesticides ou le changement climatique mais de plus en plus de documents et de procès l'attestent déjà...
SupprimerDiriez-vous que sur ces sujets, il n'était pas légitime d'avoir des "incertitudes sur les impacts irréversibles" ou des "doutes sur les effets sanitaires" ?
NB : Au cas où vous, ou d'autres lecteurs, l'ignorerez, le site auquel vous faites référence est tenu par un lobbyiste de l'agroalimentaire déjà condamné pour diffamation.
Le fond du livre est que l'auteur est une gauchiste ignorante inculte qui voit le monde à travers son prisme anti-science, anti-technologie, anti-business.
SupprimerElle n'a aucune preuve de ce qu'elle affirme sur le changement climatique, sujet auquel elle ne peut rien comprendre tant son inculture est immense.
Elle croit aussi que le pH neutre est 6, que les normes de radioprotection sont fondées sur l'idée qu'il existe un taux de radiation sans danger, que la corrélation statistique implique un lien de causalité... elle ne passera pas la première année de fac!
Je crois que vous avez malencontruseusement copié/collé un commentaire destiné à un autre article, sur un autre livre d'un(e) autre auteur.
SupprimerMais merci pour cette contribution constructive à la discussion.