Donner un prix au carbone... Oui, mais avec une taxe ou un marché ?

Taxe carbone ou marché ? quelle politique pour baisser nos émissions de CO2 ?
Quelle(s) politique(s) mettre en oeuvre pour faire baisser nos émissions de gaz à effet de serre ?
Même si cette question n'est pas directement à l'agenda de la Conférence sur le Climat de Paris (les négociations internationales portent sur les objectifs et laissent les moyens à la convenance des États), l'approche de la COP21 stimule les débats. Et un consensus semble se dessiner en faveur d'un prix du carbone.

Du FMI à Greenpeace en passant par les grands patrons réunis lors du Business & Climate Summit, presque tout le monde semble d'accord sur cette expression, "prix du carbone", mais l'unanimité s'effrite rapidement lorsqu'il s'agit de l'outil à utiliser. D'un coté, il y a les partisans d'un marché des permis d'émission, de l'autre ceux d'une taxe sur le CO2. Petit comparatif....


Taxe carbone, marché des émissions... comment ça marche ?


D'abord, expliquons comment fonctionne un marché du carbone. Vous allez voir, c'est beaucoup plus simple qu'on l'imagine...
  1. Pour commencer, le régulateur définit les personnes et/ou les organisations concernées par le mécanisme. Par exemple, pour le marché du carbone européen (ou EU Emissions Trading System, ETS), il s'agit des producteurs d'énergie (à partir de 20MW) et des industries lourdes (raffinerie, métallurgie, fabrication de ciment, verre, papier, etc.) soit environ 11500 organismes.
  2. Ensuite, il définit une période d'engagement et le niveau d'émission qu'il souhaite pendant cette période.
  3. Il crée le nombre de permis d'émission correspondant. Par exemple si vous voulez émettre 1 milliards de tonnes équivalent-CO2, vous créez un milliard  de permis d'émettre une tonne.
  4. Enfin, le régulateur distribue ces permis aux régulés, il peut les donner gratuitement (c'est le cas dans le système européen pour les secteurs exposés à la concurrence internationale), les mettre aux enchères, etc.
  5. Les régulés peuvent vendre les permis qu'ils ont reçu ou au contraire en acheter d'autres, bref ils font leurs petites affaires. Les permis sont cotés et logiquement le prix varie en fonction de l'offre et de la demande.
  6. A la fin de la période, les régulés doivent posséder le nombre de permis correspondant à leurs émissions sinon ils payent un amende par permis manquant. Dans le système européen, cette amende n'est pas libératoire : les contrevenants doivent payer et acheter les permis manquants.

Pour une taxe, ça commence pareil mais c'est encore plus facile :
  1. Le régulateur definit les personnes et/ou les organisations concernées par le mécanisme. 
  2. A intervalle régulier, les régulés présentent leurs comptabilités carbones et payent un montant fixé par tonne émise.

Taxe vs. marché : le match


Si vous avez suivi jusqu'ici, vous commencez sans doute à comprendre que la différence entre taxe et marché n'est pas que cosmétique.
En fait, la régulation des émissions de gaz à effet de serre par un prix du carbone est un problème à deux dimensions :
  • D'une part le niveau d'émission acceptable, c'est-à-dire l'impact sur l'environnement,
  • D'autre part le prix d'une tonne de CO2 donc le coût global supporté par l'économie.
Si vous choisissez une taxe carbone, vous fixez le prix de la tonne mais il vous sera très difficile d'anticiper le niveau d'émission qui en résultera. C'est un vrai casse-tête pour le régulateur : s'il fixe un prix trop faible, les émissions dépasseront le seuil acceptable, si le prix est trop élevé on sera en dessous du seuil mais des activités et des emplois seront détruits inutilement.
Ajoutons que le régulateur peut aussi avoir d'autres considérations en tête que le niveau de prix optimal : la prochaine manifestation des routiers, le besoin de faire rentrer des recettes pour équilibrer le budget de l'Etat, sa réélection, etc. En bref, la taxe a peu de chance d'être fixée juste au bon niveau par contre elle est simple à mettre en oeuvre et lisible pour les acteurs économiques qui savent précisément combien ils devront payer et pourquoi.

Si vous choisissez le marché, au contraire, vous fixez la quantité de gaz à effet de serre qui sera émise mais vous ne pouvez pas prévoir le prix de la tonne de carbone, celui-ci est fixé par l'offre et la demande. Il dépend donc des décisions des régulés, de la conjoncture économique ou même de la météo. En théorie, cela ne pose pas de problème : par la grâce de la main invisible le prix s'ajustera au niveau optimal, c'est-à-dire au coût marginal de la dernière réduction d'émission nécessaire pour atteindre le niveau fixé. Le système est donc très simple à gérer pour le régulateur et garantit que l'objectif d'émission sera atteint, en théorie avec un coût social optimal.
Mais cette fois-ci, le casse-tête est du coté des régulés qui doivent décider de réduire leurs émissions ou d'acheter des crédits sans savoir combien cela leur coûtera. Le marché européen du carbone offre un bel exemple de cette imprévisibilité : depuis sa création il a connu plusieurs crash ce qui a mis en difficulté des entreprises qui, tablant sur un prix plus élevé, avaient investi dans l'amélioration de leur empreinte carbone...

Ce tableau résume les principales caractéristiques des deux mécanismes :
avantages et inconvénient de la taxe carbone et du marché d'émission pour réduire les gaz à effet de serre

Notez au passage que, contrairement à une idée reçu, le système de marché des permis d'émissions n'est pas favorable aux entreprises : au contraire, il garantit le niveau d'émission en laissant les organisations régulées gérer les incertitudes.


Qui est le gagnant ?


Vous pouvez sans doute vous faire votre propre opinion...

En ce qui me concerne, je crois que le marché aurait peut-être été une bonne méthode il y a 20 ans, lorsqu'on avait le temps d'organiser une décroissance lente des émissions, mais que ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il nous faut un système qui soit fort et lisible afin d'inciter ceux qui le peuvent à réduire rapidement leurs émissions... et de pousser ceux qui ne peuvent pas à la faillite. C'est donc la taxe qui a ma préférence.

Mais cette solution pose aussi des problèmes : 
  • Comment gérer les conséquences sociales ? Un prix du carbone, quel que soit la méthode utilisée, vise à modifier la structure de la consommation pour aller vers des produits moins émetteurs en gaz à effet de serre. Les compagnies aériennes, les éleveurs ou les fabricants de voiture, pour ne citer que quelques secteurs présents dans l'actualité, verront nécessairement leurs activités baisser. Et les utilisateurs de leurs produits, qui pour certains n'ont pas de substitution à court-terme, seront sanctionnés.
  • Comment organiser la coexistence des deux systèmes dans les endroits où un marché existe déjà ? Il n'est en effet pas question de démanteler un mécanisme qui fonctionne au risque de perdre à nouveau plusieurs années...
  • Comment éviter les fuites de carbone sans dispenser les secteurs exposés à la concurrence internationale ? La solution idéale serait une mise en place coordonnée dans les principaux pays émetteurs (au moins États-Unis, UE, Inde et Chine). A défaut reste l'idée d'une taxe carbone au frontière mais sa faisabilité pratique et juridique est douteuse.
On l'a un peu oublié, mais il y a eu au début des années 90 plusieurs projets de taxes carbone aux Etats-Unis et en Europe, ils ont tous échoué faute d'avoir répondu à ces questions...

Publié le 13 octobre 2015 par Thibault Laconde 


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1 commentaire :

  1. Pour la reduction des émissions de CO2, quand on veut choisir entre des outils, il faut savoir quels sont les acteurs visés par ses outils. Le marché ETS vise les producteurs (les plus gros). Mais les émissions de CO2 sont très diffuses (le pot d'échappement de ma voiture, la cheminée de ma chaudière) et on se rend rapidement compte que c'est le consommateur qui a le levier principal de reduction. Comment va t on diviser par 4 les émissions du secteur aerien en France? Boeing, Airbus, air France? Non le seul qui a ce pouvoir c'est le passager en prenant 4 fois moins l'avion. c'est pourquoi il faut un signal prix (meilleur nom que taxe) pour inciter financièrement chaque consommateur à s'orienter vers des produits et services avec moins de carbone, donc coutant moins cher.

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