Climat : Comment interpréter les objectifs de l'Accord de Paris ?

Combien de dioxyde de carbone pourra-t-on émettre dans le cadre de l'accord de paris sur le climat ?
Sauf si vous habitez dans une grotte, vous savez certainement qu'un accord international sur le climat a été adopté à Paris samedi dernier. Il reste encore largement à préciser - ce sera le rôle des prochaines conférences - mais il déjà contient des indications claires de la direction que la communauté internationale souhaite donner aux émissions de gaz à effet de serre. Et donc des choix économiques et technologiques à venir. Décryptage...

(Version courte si vous êtes pressé : baisse des émissions d'au moins 4% par an pendant les 35 prochaines années puis zero émissions nettes)

> Cet article est tirée de mon analyse de l'Accord que vous pouvez télécharger intégralement ici.



Ce que dit l'Accord de Paris


L'Accord contient deux objectifs principaux en matière d'atténuation :
  • "Contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C." (article 2)
  • "Parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais [...] et parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle." (article 4)

Tout cela est bel est bon, me direz-vous, mais ça ne nous dit pas combien de gaz à effet de serre nous pourront émettre en 2030 ou 2070. On y vient.


Interprétation des objectifs de Paris


Le 5e rapport du GIEC (p. 64)  indique que pour avoir une probabilité de 66% de rester en dessous de 2°C, il faut que le total de nos émissions ne dépasse pas  2900 milliards de tonnes équivalent-CO2 (ou GTeqCO2). Compte-tenu de ce qui a déjà été émis nous disposons encore d’un « budget carbone » d’environ 800GTeqCO2.
Le premier objectif de l'Accord de Paris peut donc s'interpréter comme une limitation de nos émissions de gaz à effet de serre à 800GTeqCO2 entre maintenant et le moment où nous atteignons les zéro émissions nettes. Il s'agit d'une limite maximale puisqu'elle revient à renoncer à l’objectif de 1.5°C et nous laisse encore une chance sur trois de dépasser 2°C. Elle correspond à peu près à 20 années d'émissions au rythme actuel.

La seconde partie du second objectif a donné lieu à quelques inquiétudes en fin de semaine dernière, principalement parce que la version anglaise est plus ambiguë que la version française. Mais, en clair, il s'agit de parvenir à zero émissions nettes pendant la seconde moitié du XXIe siècle. C'est-à-dire qu’à un moment au cours de la seconde moitié du XXIe siècle nos émissions devront devenir égales à la quantité de gaz à effet de serre que nous captons. Pour alléger un peu, notons Teq le moment où cet équilibre est atteint et Eeq le niveau d’émission correspondant.
A l’heure actuelle, notre capacité à capturer et à stocker des gaz à effet de serre est très faible. Les projets d’afforestation et de reforestation nous permettent de retirer quelques fractions de pourcents de nos émissions annuelles de l’atmosphère et encore il ne s’agit que d’un stockage temporaire. Des solutions techniques sont proposées, par exemple l’utilisation de centrales à biomasse avec capture et séquestration du carbone, et d’autres pourraient apparaître dans le courant du siècle. Il est donc difficile d’estimer la quantité de gaz à effet de serre qui pourrait être retirée de l’atmosphère dans 50 ans. Pour donner une fourchette large, on peut estimer que Eeq se trouvera quelque part entre 0 (ce qui est très pessimiste) et 10GTeqCO2 par an (ce qui est sans doute beaucoup trop optimiste).

L'addition de ces deux contraintes nous donne un profil d'émissions de ce type :
  • Un pic dans les années qui viennent,
  • L'apparition de puits de carbone (ou "émissions négatives") dans le courant de siècle qui croissent jusqu'à Eeq,
  • Une décroissance rapide des émissions pour passer du pic à Eeq,
  • Un total des émissions nettes (c'est-à-dire la surface hachurée) inférieur à 800GTeqCO2.
émission de gaz à effet de serre autorisées par l'accord de paris sur le climat

Quelques observations


Ce modèle permet de comprendre trois points importants :
  • La phase critique de la mise en œuvre des objectifs de Paris se trouve entre le pic d’émission et le moment où les zéro émissions nettes sont atteintes. Pendant cette période, les émissions mondiales de gaz à effet de serre devront décroître à un rythme soutenu, ce qui implique une forte pression sur les entreprises et les consommateurs.
  • Beaucoup de profil d’émission sont envisageables mais le rythme de baisse moyen pendant cette phase ne dépend que de quatre variables : les émissions entre aujourd’hui et le pic, le niveau d’émission au moment où le pic se produit, Teq et Eeq.
  • Plus le pic d’émission sera tardif plus le rythme de baisse devra être rapide, il est en est de même pour le moment où les zéro émissions nettes sont atteintes. Eeq est le seul paramètre sur lequel nous pouvons réellement jouer pour adoucir la transition. Le cas le plus favorable est celui où le pic d’émissions a lieu immédiatement, les zéros émissions nettes sont atteintes le plus tôt possible (Teq = 2050) et Eeq est maximal (donc selon notre hypothèse Eeq = 10GTeqCO2). Il est à noter que, en dehors de ce cas le plus favorable, une baisse linéaire des émissions ne permet pas d’atteindre l’objectif de 2°C/800GTeqCO2, il faudrait donc un profil de décroissance des émissions plus rapide (par exemple exponentiel).

Dans le cas le plus favorable,  les émissions mondiales de gaz à effet de serre devront baisser en moyenne de 3.9% par an entre 2015 et 2050. Ce qui revient quand même à retirer 860MTeqCO2 par an, soit à peu près aux émissions actuelles de l’Allemagne, chaque année pendant 35 ans.

Publié le 17 décembre 2015 par Thibault Laconde


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1 commentaire :

  1. A noter que si le pic se produit tardivement, c'est le reflet du fait qu'il est en réalité très difficile d'arriver à se sevrer des énergies carbonées. Donc plus c'est difficile au début, plus l'effort ensuite est élevé.

    Il y a très peu de réalisme à dire qu'on va compenser le pic tardif par une réduction plus importante ensuite, c'est justement parce que même simplement arriver à modérer les émissions est déjà difficile à atteindre que le pic est retardé, et la réduction forte ensuite en est d'autant moins probable. Pour l'instant depuis 1995, on a même pas réussi à contenir l'augmentation, voilà l'état des choses.

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