Video : l'essentiel de l'Accord de Paris sur le climat en 10 minutes

Le 28 avril, j'ai été invité à intervenir en Suisse, à la HES-SO de Sierre, en ouverture d'un forum consacré à l'après-COP21. J'ai eu l'occasion d'y détailler le contenu de l'Accord de Paris, de le replacer dans le contexte de la lutte contre le changement climatique et des négociations internationales depuis la Convention-Cadre de 1992 et de parler signification en termes d'émission.
Rien de bien nouveau : je traite largement de ces sujets sur le blog. Mais vous n'avez peut-être pas le temps de lire mon rapport sur l'Accord de Paris et ses implications économiques ou tous les articles que j'ai consacré à la COP21... Alors que diriez-vous d'un extrait de cette conférence qui en reprend l'essentiel en une dizaine de minutes ?

Pour aller plus loin vous pouvez retrouver ici toutes les interventions du forum.


Voici la retranscription de mon intervention :

Comme vous le savez certainement, il y a eu une conférence sur le climat à Paris en fin d'année dernière. Cette conférence se tenait sous l'égide de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques qui a été adoptée en 1992 et qui est entrée en vigueur en 1994. C'est cette convention qui a crée les négociations internationales sur le climat : depuis qu'elle est entrée en vigueur, tous les États de la planète ou presque se retrouvent en général pendant la première quinzaine de décembre pour discuter du climat et de comment préserver les équilibres climatiques. L'Accord de Paris qui se situe donc dans un temps très long mais même si on a l'impression qu'on a ces conférences reviennent tous les ans et que pas grand chose ne bouge, ça n'est que la deuxième fois qu'une conférence sur le climat aboutit à un traité international. La première fois, c'était à Kyoto en 1997 et la deuxième fois, donc, à Paris en 2015. En soi un tel accord est déjà un événement.

Cet accord est l'aboutissement d'un cycle de négociation qui a commencé après l'échec de Copenhague en 2009. Un nouveau mandat de négociation a été trouvé deux ans plus tard à Durban qui prévoyait l'adoption d'un accord au plus tard en 2015 pour une entrée en vigueur au plus tard en 2020.

En fait, il n'y a pas de date d'entrée en vigueur dans l'Accord mais il y a une condition : il faut qu'il soit ratifié par au moins 55 pays représentant au moins 55% des émissions.
Cette condition d'entrée en vigueur est la même que celle du protocole de Kyoto.  Et le protocole a été adopté en 1997 et n'est entré en vigueur en 2005, ça peut donc prendre beaucoup de temps. Mais l'Accord de Paris semble né quand même sous de meilleurs auspices : il a été ouvert à la signature la semaine dernière et 175 pays l'ont signé dès le premier jour. Le processus de ratification sera forcément un peu plus long parce qu'il faut en général passer par une approbation du pouvoir législatif. Mais si tout se passe bien, l'Accord devrait pouvoir entrer en vigueur en 2018 et peut-être dès l'année prochaine.

Alors que contient cet Accord ? Commençons par ce qu'il ne contient pas : des engagements de moyens. Dans l'Accord de Paris, il n'est pas dit qu'il faut créer des taxes carbone, développer les énergies renouvelables ou la mobilité électrique, arrêter d'utiliser du pétrole ou du charbon... Ça, c'est du ressort des politiques nationales, c'est aux États de décider.
Ce qu'il y a dans l'Accord de Paris, c'est des engagements collectifs de résultats complétés par une méthodologie qui permet de répartir ces objectifs entre les différents États et de de créer une transparence pour s'assurer que les États font bien ce qu'ils ont dit qu'ils allaient faire. C'est le cœur de l'Accord de Paris : des objectifs communs, une méthodologie pour les répartir, une méthodologie pour savoir où on en est. Et le pari de cet accord, c'est de dire que si on s'engage tous et si on peut savoir ce que chacun fait pour contribuer à cet objectif commun, les États seront incités à jouer le jeu.
Il y a d'autres éléments évidemment dans cet accord. Notamment des engagements de financement avec l'idée que les pays industrialisés sont plus responsables et plus capables d'agir que les pays en développement et donc qu'ils doivent les aider à lutter contre le changement climatique. On trouve, dans les décisions qui accompagnent l'Accord le chiffre de 100 milliards de dollars par an qui devraient  être donné par les pays industrialisés aux pays en développement. Il y a aussi un mécanisme de flexibilité - quelque chose d'assez classique depuis le Protocole de Kyoto : un principe qui permet aux États de remplir leurs objectifs soit en réduisant leurs propres émissions soit en aidant un pays tiers à réduire les siennes.

Ce qu'il faut préciser c'est que cet Accord ne fixe que des principes généraux. C'est un document relativement bref - 11 pages pour la version anglaise. Il ne contient pas de détails, plutôt une direction générale qui devra être précisée dans les années qui viennent. Ce travail commencera dès cette année : le prochain rendez-vous est fixé à la COP22 à Marrakech en novembre. Et le grand moment pour l'Accord de Paris, ce sera la première conférence sur le climat après son entrée en vigueur donc a priori en 2017 ou 2018. C'est à ce moment-là qu'on devra vraiment rentrer dans le concret et rendre l'accord opérationnel.

Donc beaucoup reste à préciser, il y a une chose quand même sur laquelle j'aimerais revenir parce que à mon avis c'est un des points les plus importants dans cet accord : les objectifs qui sont fixés à la communauté internationale.
Il y a en fait deux objectifs en fait. Un objectif se trouve dans l'article de 2 : limiter la hausse de la température à 2°C. Par hausse de la température, on entend hausse de la température moyenne sur l'ensemble de la planète en 2100 par rapport à l'époque préindustrielle donc au milieu du XIXe siècle. L'objectif est de rester bien dessous de 2°C tout en faisant le maximum pour limiter la hausse de la température à 1.5°C - sachant que le 1.5°C malheureusement semble déjà très peu accessible.
On a un deuxième objectif qui se trouve dans l'article 4 : arriver dans la seconde moitié du XXIe siècle à un équilibre entre les gaz à effet de serre qu'on produit et qu'on met dans l'atmosphère et les gaz à effet de serre qu'on retire. C'est ce qu'on appelle le "zéro émission nette" : on ne devra plus mettre dans l'atmosphère plus que ce qu'on est capable de retirer.

Qu'est-ce que ça signifie en termes de trajectoire d'émissions ? Évidemment ces objectifs ne nous disent pas "en 2030 il faudra émettre moins de tant de milliards de tonnes", "en 2040 tant de milliards de tonnes", etc. Les scientifiques du GIEC, ont reçu pour mission de travailler sur le sujet et ils doivent rendre un rapport en 2018 là-dessus.
Mais si on on essaie déjà de façon très sommaire d'imaginer sur quelle trajectoire nous met l'Accord de Paris, voici ce que je vous propose : commençons par les évidences, pour remplir les objectifs de l'Accord de Paris, il faut que nos émissions atteignent un pic rapidement et se mettent à décroitre. Ce pic on y est peut-être déjà, ça fait quelques années que les émissions sont relativement stables, on est peut-être déjà au niveau maximum, soit 40 milliards de tonnes équivalent CO2 par an.
Ensuite, l'objectif de zéro émission nette signifie que, à un moment, dans les décennies qui viennent, on va commencer à développer des technologies qui nous permettrons de retirer des gaz à effet de serre de l'atmosphère. C'est quelque chose qu'on ne sait absolument pas faire à l'heure actuelle. Aujourd'hui, il y a quelques projets expérimentaux mais à grande échelle, la chose qui s'en rapproche le plus c'est encore de planter des arbres qui pendant leur période de croissance absorbent du dioxyde de carbone. Mais pour une raison ne serait-ce que d'espace disponible, c'est quelque chose qu'on ne pourra pas mener très loin. Donc à un moment dans les décennies qui viennent, il va falloir inventer les technologies et les filières qui nous permettront de retirer des gaz à effet de serre de l'atmosphère. Et entre 2050 et 2100 doit arriver un moment où cette capacité à retirer les gaz à effet de serre de l'atmosphère s'équilibre avec les émissions résiduelles, celles qu'on n'aura pas pu réduire. Finalement, nous continuerons à émettre mais sans altérer globalement la chimie de l'atmosphère parce qu'on retirera ce qui aura été émis : c'est la traduction de l'objectif de l'article 4, le zéro émission nette.

Si on rajoute l'objectif de l'article 2, limiter la hausse de température à 2°C, le dernier rapport du GIEC nous dit que pour avoir une chance de 66% de rester en dessous de 2°C, il ne faut pas émettre plus de 800 milliards de tonnes équivalent CO2 entre maintenant et la fin du siècle. La surface qui est hachurée en rouge sur ce graphique doit donc être inférieure à 800GTeqCO2, c'est grosso modo 20 ans d'émissions au rythme actuel. Donc notre budget carbone pour le reste du siècle, c'est 20 ans de nos émissions à l'heure actuelle.
Si on additionne ces deux contraintes avec les hypothèses les plus optimistes, on arrive à une baisse des émissions qui devrait être d'au moins 3.9% par an entre maintenant et 2050. Donc une baisse des émissions de 4% par an, tous les ans, pendant 35 ans. Pour le dire autrement, ça revient à baisser nos émissions chaque année en moyenne de 860 millions de tonnes équivalent CO2, sachant que 860 millions de tonnes équivalent CO2, c'est à peu de choses près ce qu’émet aujourd'hui en un an l'Allemagne. Donc on a une baisse importante mais qui n'est pas non plus complètement délirante. Baisser de 4% par an, ça reste envisageable.

Je vais m’arrêter là. C'est-à-dire m'arrêter à l'endroit le plus intéressant. Le moment où on se demande : "on a cette trajectoire, qu'est-ce que ça signifie en termes de choix technologiques ? En termes de choix politiques ? En termes de décisions d'entreprise ? En termes de sensibilisation des populations ?"
Voila les questions qui vont se poser dans les années qui viennent. Sans rentrer dans les détails parce que des gens vont en parler après moi et le feront sans doute mieux, j'aimerais quand même vous laisser avec cette idée que les objectifs de l'Accord de Paris sont ambitieux et qu'on ne les atteindra pas seulement en mettant la pression sur les gens à qui on a l'habitude de mettre la pression, les gens qui produisent du pétrole ou du charbon, les constructeurs automobiles, etc. On ne va pas réussir à atteindre zéro émissions nette simplement comme ça. A l'échelle du demi-siècle, c'est relativement long, ça nous laisse le temps de faire - il va falloir réellement repenser beaucoup de choses : la façon dont on produit, la façon dont nos sociétés fonctionnent... C'est le vrai défi de l'Accord de Paris, et il reste entièrement à relever. Merci.


Publié le 23 mai 2016 par Thibault Laconde

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