Montesquieu : l'Esprit des lois et la théorie des climats

Commencer une série consacrée à l'histoire scientifique du climat en parlant de Montesquieu, vous semble curieux ? C'est probablement que vous ne savez pas que l'auteur des Lettres persanes est aussi, entre autres, celui d'un discours sur l'usage des glandes rénales... Montesquieu était un membre éminent de l'Académie des science de Bordeaux et sa passion pour les sciences naturelles se retrouve dans l'Esprit des lois, en particulier lorsqu'il aborde les liens entre climat et politique.


Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu


Montesquieu, l'esprit des lois et la théorie des climats
Montesquieu est né près de Bordeaux en 1689, l'année où le Bill of Right est adopté en Grande Bretagne. Comme son nom le laisse deviner, sa vie s'annonce à l'abri des contingences matérielles, ses parents lui rappellent d'ailleurs subtilement que tout le monde n'a pas sa chance en lui choisissant un mendiant pour parrain.
Montesquieu fait des études de droit près de Paris et à 25 ans il entre comme conseiller au parlement de Bordeaux. Deux ans plus tard, en 1716, il hérite de la fortune de son oncle, de son titre de baron et d'une des charges les plus prestigieuse au sein du Parlement.
Mais Montesquieu se passionne déjà plus pour les science que pour sa charge : la même année, il crée un prix d'anatomie à l'Académie de Bordeaux et dans la décennie qui suit il publie plusieurs mémoires et discours sur des sujets aussi variés que la respiration sous l'eau, l'écho, la pesanteur, les intempéries en Italie ou les mines d'Allemagne...

En 1721, Montesquieu commence sa carrière littéraire en publiant les Lettres persanes - anonymement et à Amsterdam, ce qui ne l’empêche pas d'entrer rapidement à l'Académie Française.
En 1726, il vend sa charge et entame une longue série de voyages en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Italie et surtout en Grande Bretagne où il séjourne plus d'un an. De retour à Bordeaux, en 1734, il publie sa première grande œuvre politique :  Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Il commence peu de temps après la rédaction de l'Esprit des lois, celui-ci est publié 1748. Violemment attaqué, mis à l'index par l’Église, il acquiert néanmoins rapidement une grande influence.

Montesquieu meurt en 1755 à 66 ans. Il est inhumé à Paris dans l'église Saint-Sulpice, avant que ses restes, plusieurs fois profanés, se perdent...


Le mot "climat" apparait plus souvent dans l'Esprit des lois que le mot "politique"


Livre XIV : Des lois dans le rapport qu'elles ont avec la nature du climat, livre XV : Comment les lois de l'esclavage civil ont du rapport avec la nature du climat, Livre XVI : Comment les lois de l’esclavage domestique ont du rapport avec la nature du climat, Livre XVII : Comment les lois de la servitude politique ont du rapport avec la nature du climat, etc. Il suffit de regarder la table des matières pour se rendre compte de la place que le climat occupe dans l'Esprit des lois !
Le mot "climat" lui-même apparaît 120 fois dans le texte, c'est plus que "politique" qui n'y est que 116 fois.

En fait, le maître-livre de Montesquieu peut être considéré comme le point culminant de la "théorie des climats", selon laquelle les caractéristiques des populations s'expliquent par leur environnement et en particulier par le climat auquel elles sont soumises.
Cette idée est attribuée à Hippocrate, le père de la médecine occidentale, qui l'a énoncé dans son Traité des airs, des eaux et des lieux. Selon lui l'environnement est responsable des maladies mais aussi plus largement des caractéristiques physiques, et finalement morales, d'une population. En schématisant à peine, les climats froids engendrent des gros bourrins courageux mais pas très futés, alors que les climat chauds, donnent naissance à des hommes intelligents, raffinés mais alanguis. Entre les deux, c'est-à-dire invariablement là où est né l'auteur, se trouve un climat optimal qui permet de réunir toutes les qualités.

Montesquieu reprend résolument à son compte ce déterminisme environnemental : dans le livre XIX, il écrit que "plusieurs choses gouvernent les hommes : le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées , les mœurs, les manières" mais que "l'empire du climat et le premier de tous les empires". Et il met à profit sa passion pour l'anatomie en détaillant l'action du froid et de la chaleur sur les nerfs, les muscles, le cœur, etc. dans de longues pages destinées à donner une base scientifique à sa position (par exemple, "l'air froid resserre les extrémités des fibres extérieures de notre corps : cela augmente leur ressort, et favorise le retour du sang des extrémités vers le cœur. [...] On a donc plus de vigueur dans les climats froids.").
Mais Montesquieu va encore un peu plus loin en liant climat et système politique. Pour lui "les mauvais législateurs sont ceux qui ont favorisé les vices du climat, et les bons sont ceux qui s'y sont opposés". Par exemple, la polygamie est favorisée par les climats chauds et la consommation d'alcool par les climats froids (là encore, ces affirmations donnent lieu à une démonstration médicale), ce qui explique que la première soit permise en terre d'Islam alors que le second est interdit, et vice-versa. C'est une des raisons pour lesquels l'Esprit des Lois a été critiqué par l’Église : il attribue à l'influence du climat et à des causes naturelles des choix qui semblent relever de la morale.

La théorie des climat a été discréditée au XIXe siècle par les progrès de la médecine et de la sociologie mais beaucoup de clichés qui en sont issus restent ancrés dans les esprits. Et nous y revenons petit à petit : aujourd'hui, de nombreuses études essaient, comme Montesquieu il y a 300 ans, d'établir un lien entre développement économique et climat ou entre violence et climat.
L'Esprit des lois est donc d'actualité. Le relire, ce n'est pas seulement visiter un monument un peu poussiéreux, c'est se confronter à la première intuition des liens entre climat et société et à une démarche scientifique mise au service d'idées qui, aujourd'hui, apparaissent datées voire racistes. De ce point de vue, Montesquieu inscrit notre compréhension du climat dans un temps très long tout en nous interrogeant sur ses limites.

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Aventuriers, rêveurs, révolutionnaires... du XVIIIe siècle au début du XXe, l'histoire scientifique du climat a été écrite par des personnalités hautes en couleur. Retrouvez ici l'histoire des autres pionniers de la discipline :
  1. Montesquieu : l'Esprit des lois et la théorie des climats
  2. Buffon : refroidissement climatique et géoingénierie avant l'heure
  3. Saussure : l'aube de la paléoclimatologie
  4. Fourier : l'invention de l'effet de serre
  5. Foote : la démonstration de l'effet de serre à la portée de tous
  6. Tyndall : la première spectroscopie des gaz à effet de serre
  7. Arrhenius, Hogböm et Ekholm : le clan des suédois
  8. Milankovitch : la solution à l'égnime de l'âge de glace
  9. Callendar : l'homme qui a vu le réchauffement



Publié le 4 juillet 2017 par Thibault Laconde



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1 commentaire :

  1. Naître à Roubaix (ç un exemple) engendre des gros bourrins, naître à Perpignan engendre des alanguis (autre exemple), c'est amusant ! Au delà des cette remarque futile, intéressant et j'ai bcp apprécié la lecture. attente de la suite !

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