Rappelez-vous ce que vous avez lu ou entendu sur l'énergie en Chine - la production d'électricité à partir de charbon, les investissements dans le nucléaire, le développement du solaire, etc. Puis lisez cet article et attendez-vous à être étonné.
Idée reçue n°1 : les énergies fossiles reculent en Chine
En apparence, c'est vrai : La part des énergies fossiles dans la production d'électricité chinoise est passée de 71.8% en 2016 à 70.9% en 2017. Presque un point de moins en un an, c'est un progrès plus qu'honorable...Mais voilà : dans le même temps la consommation d'électricité a augmenté de 6.5%, les énergies fossiles ont donc une part légèrement plus petite d'un gâteau beaucoup plus grand... A l'arrivée, la production d'électricité à partir de gaz et surtout de charbon a progressé de plus de 220TWh en 2017. C'est-à-dire que la production fossile est celle qui a le plus augmenté, en fait elle a plus augmenté que celle de toutes les autres énergies réunies.
Au-delà de la production, la puissance installée a elle aussi augmenté (si vous n'êtes pas tout à fait au clair sur la différence entre les deux, je vous conseille cet article). Les investissements dans les énergies fossiles, par contre, ont reculé d'un tiers en 2017 mais un Renminbi investi dans la production d'électricité chinoise sur 4 va encore aux énergies fossiles.
Idée reçue n°2 : la Chine est dernière de la classe
En sens inverse, on qualifie parfois un peu vite la Chine de cancre en matière d'énergie. C'est vrai qu'elle est depuis 2007 la première émettrice de gaz à effet de serre de la planète mais cela tient évidemment beaucoup à l'immensité de sa population...Avec à peu près trois-quart d'énergies fossiles dans son mix électrique, la Chine est en réalité en milieu de tableau. Au sein du G20, elle se classe 8e et fait mieux que l'Inde ou que des pays développés comme le Japon et l'Australie.
Évidemment les statistiques chinoises tentent d'embellir la situation en ne distinguant pas au sein des énergies fossiles le charbon, très polluant, et le gaz, qui l'est environ 3 fois moins : le problème de la Chine si on la compare à d'autres pays ce n'est pas la part des énergies fossiles, c'est la part du charbon au sein des énergies fossiles - environ 95%.
En prenant ce critère, la Chine se place effectivement parmi les 10 pays avec le mix électrique le plus sale mais elle reste nettement meilleure que l'Afrique du Sud ou la Pologne.
Idée reçue n°3 : la Chine investit à fond dans le nucléaire
Dans l'industrie nucléaire, la Chine est presque toujours présentée comme la terre promise. Et c'est vrai que le pays affiche des objectifs impressionnants : faire passer son parc nucléaire de 28 à 58GW entre 2016 et 2020 et avoir encore 30GW de plus en construction, voire atteindre 150GW en 2030 !Imaginez donc ma surprise, lorsque j'ai découvert parmi les chiffres publiés par la NEA une baisse de 21.6% des investissements dans le nucléaire en 2017 ! L'année dernière, la Chine a consacré environ 5 milliards d'euros au développement de sa production d'électricité nucléaire. C'est encore beaucoup, certes, mais ce n'est pas du tout à l'échelle des objectifs annoncés...
J'ai cherché les données pour les années précédentes, et là re-surprise : 2017 n'est pas une exception. Les investissements dans le nucléaire baissent régulièrement depuis au moins 2012. En 6 ans, ans ils ont été divisés par 2 ! Les mises en chantier de réacteurs sont elles aussi orientées à la baisse : 3.5GW par an en moyenne entre 2012 et 2015, 2GW en 2016 et 0.6 en 2017.
Résultat : les objectifs nucléaires mirobolants de la Chine ne seront certainement pas atteints. Actuellement il y a un peu plus de 19GW en construction, pour tenir l'objectif de 58GW fixé par le 13e plan quinquennal il faudrait achever tout ces chantiers et encore 2 ou 3 réacteurs de plus. En moins de 3 ans, c'est pratiquement impossible. Avoir 30GW en construction en 2020 semble aussi très compliqué. Quant aux 150GW en 2030, sauf retournement spectaculaire, ils apparaissent comme un doux rêve.
En bref, si vos économies sont placées dans le devéloppement de l'industrie nucléaire sur le marché chinois (et par extension sur le développement de l'industrie nucléaire tout court), il est peut-être temps de réfléchir à vos choix...
Idée reçue n°4 : l'éolien et le solaire représentent un quart de l'électricité chinoise
Ici, il s'agit surtout d'une précision sémantique. Les chinois distinguent en général l'électricité venant de centrales thermiques (火电, le premier caractère signifie feu, le deuxième électricité) du reste. Mais cette électricité thermique ne comprend pas le nucléaire (核电) qui figure toujours à part, "fossile" est donc une traduction plus appropriée que "thermique".Résultat : lorsqu'on discute du mix électrique chinois on se retrouve souvent à parler d'énergies fossiles d'une part et de "non-fossiles" d'autre part. Cette seconde appellation ne nous est pas très familière et elle a vite fait de devenir "énergies renouvelables" oubliant au passage le nucléaire. L'étape d'après est de confondre les renouvelables avec leurs représentants les plus médiatiques : l'éolien et le solaire.
En réalité, une fois retirés les 4% de nucléaire, les énergies renouvelables représentent de l'ordre d'un quart de la production électrique chinoise. Et le gros de cette production (18.6%) vient des barrages hydroélectriques pas des éoliennes ou des panneaux solaires.
Idée reçue n°5 : la révolution solaire est en marche !
S'il y a une information sur le secteur électrique chinois qui est parvenue à trouver son chemin jusqu'aux médias occidentaux en 2017, c'est bien celle-là : le solaire s'envole !Incontestablement, le développement du solaire photovoltaïque chinois vaut qu'on s'y arrête. La Chine, qui pendant longtemps a complètement ignoré cette technologie au profit du solaire thermique domestique, est devenue en l'espace de 5 ans la championne mondiale incontestée. En 2017, le parc solaire chinois a dépassé 130GW. Deuxième pays le mieux doté, l'Allemagne n'affiche que 40GW et la France ne dépasse pas 7GW...
Mais c'est surtout le rythme auquel le parc solaire s'est développé qui est incroyable : 53GW de nouvelles capacités solaires photovoltaïque ont été raccordés en un an ! Cette explosion a pris de court aussi bien les planificateurs chinois (l'objectif fixé fin 2016 pour 2020 a été atteint en un an) que les analystes.
Mais cet exploit risque fort de rester sans lendemain. D'abord parce que malgré sa progression la production solaire photovoltaïque est encore loin d'entamer la domination des énergies fossiles : elle représente moins de 2% du mix électrique chinois.
Ensuite et surtout parce que le gouvernement chinois appuie très fort sur le frein : après un recul de 6 à 18% mi-2017, les tarifs de rachat pour l'électricité solaire vont encore être abaissés de 12 à 56% en 2018. Par ailleurs, le gouvernement central a décrété l'arrêt de la moitié des projets sur les deux tiers environ du territoire, dans certaines provinces c'est même la totalité des projets qui ont été stoppés.
Dans ces conditions, le rythme de croissance devrait ralentir, peut-être à quelques gigawatts par an, et il faudra des années avant que le solaire pèse réellement dans le mix électrique chinois.
Idée reçue n°6 : l'éolien et le solaire ont atteint leurs limites
En Chine comme ailleurs, l'intégration des énergies renouvelables intermittentes pose question. Au cours des dernières années, la Chine a souvent connu des cas d'effacement de production (ou curtailment), c'est-à-dire des situations où le gestionnaire du réseau coupe des sources d'énergie renouvelable parce qu'il ne parvient pas à écouler leur production ou parce qu'il préfère faire appel à des centrales plus flexibles. Ces épisodes ont parfois été interprété comme la preuve que le développement du solaire et de l'éolien en Chine était une impasse.En réalité, avec moins de 7% du mix électrique, il n'y a aucune raison que l'intégration des renouvelables intermittentes soit ingérable en Chine. Après tout, la part des renouvelables (hors hydroélectricité) atteint sans vraie difficulté 25% en Nouvelle Zélande, en Irlande ou en Espagne...
Ce qui manquait surtout c'était les infrastructures pour écouler la nouvelle production renouvelable des régions du centre et de l'ouest où elle est souvent localisée vers les régions industrielles de la côte est.
Les investissements dans ce domaine se sont accélérés en 2017 : plus de 11.000km de lignes à très haute tension ont été construit.... Et le problème semble en voie de résolution : le taux d'effacement a baissé de 5.2 points pour l'éolien et de 4.3 points pour le solaire alors que la production a fortement progressé. Il reste des engorgements dans des provinces rurales où les renouvelables se sont développés très vite mais ils sont localisés.
Idée reçue n°7 : les chinois consomment trop d'électricité
Pour que la progression du nucléaire et des renouvelables en 2017 permette de réduire la production d'électricité fossile, il aurait fallu que la consommation chinoise augmente de moins de 2.3%. Or la croissance de la consommation a été presque 3 fois plus rapide !Il est clair que tant que la demande continuera à croître aussi vite, il sera très difficile de réduire la production électrique fossile.
Alors, le problème c'est que les chinois gaspillent l'électricité ? C'est aller un peu vite : avec 6400TWh en 2017, la consommation d'électricité chinoise se situe à la louche au double de l'Union Européenne qui est deux fois moins peuplée et elle est supérieure de moitié à celle des Etats-Unis qui ont une population 4 fois moins importante. Mais surtout, la part de la consommation domestique est faible : moins de 14% du total. C'est l'industrie qui absorbe 70% de l'électricité produite en Chine. Les ménages chinois n'y sont donc pas pour grand chose...
Publié le 7 février 2018 par Thibault Laconde
Intéressant : je vais vous suivre !
RépondreSupprimerje tiens depuis 13 ans un blog scientifique mais tangentiel sur le sujet Economie et energie ( SCIENCES.ENERGIES.ENVIRONNEMENT )
Bonjour et merci beaucoup pour cet article éclairant!
RépondreSupprimerSi je ne m'abuse, il y a une petite incohérence au sujet du nucléaire entre le briefing ("l'objectif de 58GW en service en 2020 semble accessible compte-tenu des 19 projets en cours") et l'article ci-dessus ("Actuellement il y a un peu plus de 19GW en construction, pour tenir l'objectif de 58GW fixé par le 13e plan quinquennal il faudrait achever tout ces chantiers et encore 2 ou 3 réacteurs de plus. En moins de 3 ans, c'est pratiquement impossible.").
Bonjour,
SupprimerVous avez tout à fait raison. C'est simplement que l'écart entre les statistiques et le discours ambiant m'a incité à une prudence excessive dans le briefing. Cet article est écrit 2 semaines plus tard et j'ai eu le temps de tout revérifier et de me rendre à l'évidence : il faudrait bien un miracle pour que les objectifs nucléaires pour 2020 soient atteints.
Je vais modifier la note dans ce sens dans une prochaine version.
Merci Thibault pour cet article excellent et très instructif !
RépondreSupprimerexcellent et très éclairant (sans jeu de mots hasardeux)
RépondreSupprimer'Après tout, la part des renouvelables (hors hydroélectricité) atteint sans vraie difficulté 25% en Nouvelle Zélande'
RépondreSupprimerEn Nouvelle-Zélande, la plus grande part des énergies renouvelables non hydroélectriques est de loin celle de la géothermie, qui n'est pas intermittente. De plus, le pays dispose d'une très bonne ressource éolienne, et avec cinquante pour cent d'énergie hydraulique, il est beaucoup plus facile d'équilibrer les périodes calmes. Même ainsi, le vent ne produit qu'environ cinq pour cent de notre production, et la plupart de ces activités remontent à l'époque où le gouvernement, alors propriétaire des plus grandes sociétés de production, avait ordonné qu'aucune nouvelle centrale fossile ne soit construite. Depuis lors, un gouvernement différent a abrogé cette directive et vendu 50% de la possession des compagnies d'électricité, et ils n'ont développé que des parcs éoliens en Australie, où ils sont subventionnés.
John ONeill
pas reussi a m inscrire a votre lettre !
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