Dans le courant de l'été, l'armée de terre américaine a publié un document apparemment inattendu : intitulé "Army Climate Resilience Handbook", manuel de résilience climatique de l'armée, il s'agit d'un guide destiné aux planificateurs militaires américains pour les aider à réduire les risques climatiques actuels et futurs.
Dans cet article, je vous propose un survol de ce document de presque 250 pages qui pourrait inspirer les spécialistes de la défense de ce coté-ci de l'Atlantique, mais aussi beaucoup d'entreprises ou d'organismes publics.
Les risques climatiques, un sujet ni étrange ni nouveau pour les militaires américains
D'abord, il est peut-être utile de remettre ce guide dans son contexte. La gestion des aléas météorologiques fait évidemment partie intégrante des missions d'une armée mais on peut s'étonner de voir la question du changement climatique abordée aussi ouvertement dans le contexte américain.
- La Revue quadriennale de défense de 2014 accordait une place significative aux effets du changement climatique et annonçait, entre autres, une évaluation systématique des risques pour toutes les installations militaires - objectif repris dans une feuille de route publiée peu après.
- En 2016, sur ordre du président Obama, le département de la défense a publié une directive sur "l'adaptation au changement climatique et la résilience", qui répartissait les responsabilité et affectait des moyens pour évaluer et gérer les risques climatiques.
- Lors du vote du budget de la défense pour l'année 2018, le Congrès a reconnu le changement climatique comme une menace directe pour la sécurité des Etats-Unis et demandé une évaluation des vulnérabilités à l'horizon des 20 prochaines années. Il est intéressant de noter que le Sénat comme la Chambre des représentants étaient à majorité républicaine lorsque ce texte a été adopté.
En parallèle, toute une série d'événements ont illustré la vulnérabilité des installations et des opérations militaires américaines. Là aussi une liste exhaustive serait trop longue mais pour citer quelques cas marquants :
- en août 2013, le centre d'entrainement de Fort Irving en Californie subit pour plusieurs millions de dollars de dégât suite à un épisode de pluie intense.
- en juin 2016, 9 soldats meurent dans une inondation à Fort Hood (Texas).
- en octobre 2018, la base aérienne de Tyndall en Floride est ravagée par l’ouragan Michael, près de 484 bâtiments sont détruits ou irréparables, 11000 personnes et tous les avions en état de voler sont évacués.
- en mars 2019, un tiers de la base aérienne d'Offut est inondé, 130 bâtiments sont endommagés, le coût de reconstruction estimé à près d'un demi milliard de dollars.
- en août 2020, la base aérienne de Travis est évacuée sous la menace d'un des incendies qui embrasent la Californie.
Ajoutez à cela, le nombre rapidement croissant des coups de chaleur à l'entrainement, et il n'est vraiment plus surprenant que les armées se préoccupent des risques climatiques actuels et futurs. La marine a d'ailleurs devancé l'armée de terre : la Navy a publié son propre manuel sur l'adaptation et la résilience des installations dès 2017.
Quatre étapes pour identifier et réduire les risques climatiques
Le manuel de l'US Army s'adresse aux planificateurs. L'objectif de leur fournir une demarche pour identifier et réduire les risques climatiques lors de la création ou de la révision de schémas directeurs immobilier, plan eau et énergie, plan de gestion des urgences, etc.
L'approche proposée passe par 4 étapes :
1. Définir le périmètre et les objectifs
Quelle est la situation actuelle ? L'emplacement des installations et leurs rôles ? Les cartographies et les informations topographique dont on dispose ? Les risques déjà connus et les mesures de mitigation existantes ?
Et qu'est-ce que l'on souhaite faire à l'horizon 20-50 ans ? Des extensions ou de nouvelles constructions sont-elles envisagées ? Certaines zones peuvent-elles être réaffectées ? Etc.
2. Identifier les risques climatiques observés et futurs
Cette étape est probablement la plus importante. Elle se décompose en deux sous-parties.D'abord, on va recenser systématiquement les problèmes déjà observés et les événements climatiques extrêmes passés ainsi que les tendances connues. Ces observations sont synthétisées dans un tableau et des fiches assez brêves dont le manuel fournit plusieurs exemples.
La deuxième partie consiste à évaluer l'évolution des risques sous l'effet du changement climatique. Cette évaluation passe par un outil informatique, l'Army Climate Assessment Tool ou ACAT, qui est certainement l'aspect le plus innovant de la démarche.
Cet outil n'est pas accessible mais un guide utilisateur et quelques captures d'écran sont fournis dans le manuel et permettent de se faire une idée assez précise de son fonctionnement. L'ACAT s'appuie sur le 5e rapport du GIEC et le projet CMIP5 : il exploite des projections à l'horizon 2050 et 2085 réalisées par plusieurs dizaines de modèles américains et internationaux pour deux scénarios d'émissions (RCP8.5 et 4.5). Ces projections sont régionalisée avec une résolution spatiale qui descend à 8km et servent à calculer une trentaine d'indicateurs locaux : aridité, submersion, érosion côtière, cumul maximal de précipitations sur 1 jour et 5 jours, fréquence des épisode de chaleur supérieur à 95°F/35°C, etc. Les sources et les modes de calcul pour chaque indicateur sont détaillés en annexe.
A partir de ces indicateurs, 8 risques sont évalués : sécheresse, submersion marine, inondation, chaleur, consommation d'énergie, incendie, érosion des sols et événements extrêmes. Une valeur est affectée à chacun de ces risques par moyenne pondérée des indicateurs pertinents. Par exemple, le risques "événement extrême" est égal à 1.7 fois la fréquence des ouragans + 1.5 fois les précipitations maximales annuelles sur le bassin versant + 1.4 fois la fréquence des tornades + 1.4 fois la fréquence de vents supérieur à 50 noeuds (93km/h) , etc.
3. Identification des vulnérabilités
En croisant les informations collectées pendant les deux étapes suivantes, les installations et les infrastructures sont classées en fonction du niveau d'exposition (3 niveaux) et des capacités d'adaptation (2 niveaux).
Le manuel fournit des règles précises pour le classement de façon à réduire le degré de subjectivité. Par exemple un bâtiment ne peut être classé dans la catégorie "pas d'exposition" que s'il n'a jamais subi de dommage lors d'évènements climatiques passés et ne peut être considéré "exposition basse" que si les dommage ont été minimaux, dans tous les autres cas il doit être classé en "exposition élevée".
4. Identification des mesures de réduction des risques et de préparation
Un catalogue avec plus d'une soixantaine de mesures possibles est fourni ainsi que quelques "success stories" (le saviez-vous ? on peut économiser pas mal d'eau en lavant les tanks avec des eaux grises).
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