Où construire de nouveaux réacteurs nucléaires en France ?


Dans une intervention au Creusot, le 8 décembre, Emmanuel Macron a relancé le débat sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France et promis une décision au lendemain des prochaines élections générales, en 2023.

Dans cet article, je vous propose de contribuer à cette discussion autour d'une question : compte-tenu des contraintes climatiques, où pourrait-on implanter de nouveaux réacteurs nucléaires en France ?

Problème et hypothèses

On peut reformuler la question de cette façon : on sait que le fonctionnement des centrales nucléaires françaises est d'ores-et-déjà perturbé par les fortes chaleurs et, surtout, les périodes de sécheresse. Avec le changement climatique, on peut s'attendre à ce que ces phénomènes deviennent progressivement plus fréquents et plus sévères. Or un réacteur nucléaire qui serait construit vers 2030 sera certainement en service jusqu'à 2080 voire 2100.

Comment s'assurer que les réacteurs que nous allons éventuellement construire puissent encore fonctionner à la fin du siècle dans un climat qui aura largement dérivé ?

Pour réfléchir à cette question, nous allons prendre les hypothèses suivantes :

  1. On suppose que les limites de température et de débit, fixées par décision de l'ASN et homologuées par arrêté ministériel pour chaque centrale, sont inchangées
  2. Les réacteurs à construire sont de type EPR, avec une puissance électrique de l'ordre de 1600MW
  3. Ils sont construits par paire : chaque site choisi doit pouvoir accueillir 2 réacteurs
  4. Les seules implantations possibles sont sur les où se trouve déjà une centrale nucléaire, c'est-à-dire un des 18 sites suivants : 

Les centrales nucléaires, comme les centrales à charbon, sont équipées de turbines à vapeur qui ont besoin d'une source de refroidissement fiable. Un point clé pour le bon fonctionnement de nos futurs réacteur est l'accès à l'eau. Cette question se présente bien sur différemment selon qu'on se trouve en bord de mer ou sur un fleuve. Aujourd'hui, les deux tiers des réacteurs français sont des réacteurs fluviaux, commençons donc par là.

EPR fluvial = refroidissement en circuit fermé

D'abord l'implantation de nos futurs réacteurs en bord de fleuve imposerait presque automatiquement un choix technologique : l'utilisation d'un refroidissement en circuit fermé.

Pour faire simple, il existe deux façons de refroidir une centrale nucléaire (ou plus généralement une centrale électrique équipée d'une turbine à vapeur) :

  • En circuit ouvert : de l'eau est prélevée dans le fleuve ou la mer, elle est mise en contact avec le circuit d'eau de la turbine dans un condenseur (à peu près l'équivalent d'un radiateur de voiture) puis rejetée. Ce système nécessite de grandes quantité d'eau mais il n'y a pas de consommation : toute l'eau prélevée est rapidement rejetée.
  • En circuit fermé : l'eau utilisée pour le refroidissement est elle-même refroidie au contact de l'air dans un aéroréfrigérant (ces grandes tours hyperboloïdes) puis réutilisée. Ce recyclage de l'eau permet, en gros, de diviser par 20 les prélèvements d'eau mais une partie de l'eau utilisée s'évapore lors du refroidissement, par conséquent la centrale contribue à faire baisser le niveau du fleuve.

La centrale nucléaire de St Alban, en haut, refroidie en circuit ouvert : pas de tour
La centrale de Golfech, en bas, refroidie en circuit fermé : tours

Le problème d'un circuit ouvert, c'est que l'ensemble de la chaleur excédentaire de la centrale est envoyée vers le fleuve. A la louche, la puissance thermique à évacuer est égale à 2 fois la puissance électrique. Pour 2 gros réacteurs, type EPR, cela représente de l'ordre de 6GW qui vont aller réchauffer le fleuve.

L'ampleur exact de ce réchauffement dépend du débit : plus le débit est élevé, plus le fleuve peut "diluer" la chaleur reçue. Pour un fleuve de débit moyen comme la Loire (~300m3/s en moyenne) , le refroidissement de 2 EPR en circuit ouvert entrainerait en moyenne en réchauffement de 5°C. C'est énorme, beaucoup plus que ce qui est actuellement autorisé (1.5°C max pour la Loire).

Parmi les fleuves français, il n'y a guère que le Rhône qui aurait un débit suffisant. Et encore, même à climat constant, des EPR refroidis en circuit ouvert implantés sur le Rhône seraient exposés à des arrêts à répétition comme en rencontrent désormais tous les ans les centrales St Alban ou Bugey, pourtant équipées de réacteurs moins puissants. St Alban, par exemple, a connu 22 épisodes d'indisponibilité cette année précisément parce que le débit du Rhône ne permettait pas de la refroidir dans le respect de ses limites d'échauffement.

Donc de façon réaliste : EPR fluvial = EPR avec un refroidissement en circuit fermé.

Ce n'est pas complètement anodin : pour l'instant, tous les EPR construits ou en construction sont équipés de refroidissement en circuit ouvert. Un circuit fermé représente un surcoût par rapport à ce système.

La problématique du débit 

On cherche donc sur quel(s) fleuve(s) installer une paire de réacteurs de 1600MW refroidis en circuit fermé.

Comme je l'ai dit plus haut, ce système de refroidissement a l'avantage de limiter les rejets thermiques (en général le réchauffement produit par un réacteur est compris entre 0 et 1°C) et les prélèvements d'eau (de l'ordre de 3m3/s). Par contre une partie de l'eau prélevée est évaporée, concrètement le débit du fleuve est plus faible après la centrale.

L'évaluation du débit futur d'un fleuve en fonction du changement climatique est un art compliqué. Mais quelques tendances se dégagent : une aridification liées à l'augmentation de la température donc de l'évaporation et des étiages plus précoces et plus sévères parce que les stocks d'eau solide (neige, glaciers...) se réduisent et fondent plus tôt dans l'année. Ajouté à une demande en eau probablement croissante, tout cela peut contribuer à rendre problématique la consommation d'eau de nos réacteurs.

Pour une paire d'EPR, la consommation d'eau serait probablement de l'ordre de 2m3/s. Ce n'est pas énorme : c'est le débit d'un gros ruisseau. A cela, il faut au moins au début la consommation des réacteurs existants, soit entre 1.3m3/s (Bugey, St Laurent) et 3m3/s (pour Cattenom).

On a donc une consommation de l'ordre de 2 à 5 m3/s. Même sans tenir compte de l'évolution du climat, il ne semble guère réaliste de demander ça à un fleuve dont le débit est régulièrement inférieur à 20-30m3/s. Le critère de débit permet déjà de rayer quelques noms de notre liste :

  • Cattenom : l'étiage (VCN3) de la Moselle pour la station de référence de la centrale est en moyenne de 22m3/s
  • Chooz : 26m3/s pour l'étiage de la Meuse
  • Civaux : 14m3/s pour l'étiage de la Vienne
  • Nogent : 27m3/s pour l'étiage de la Seine

Rhône et sous condition Loire, Garonne et Gironde

La Loire, dont les étiages sont compris entre 54 et 69m3/s, reste une destination envisageable pour nos nouveaux réacteurs. Cependant le débit descend régulièrement en dessous de cet étiage moyen annuel : à Gien, station de référence pour les centrales de Belleville et Dampierre, le débit passe sous les 40m3/s en moyenne tous les 4 ans et sous les 30m3/s en moyenne tous les 10 ans. Avec peu de marges, donc, et une aridification qui devrait être particulièrement marquée dans la région, la Loire semble peu propice à l'installation de nouveaux réacteurs... Mais à voir : une étude plus détaillée serait intéressante.

La Garonne au niveau de Golfech offre une marge un peu supérieure (étiage moyen de 71m3/s). Mais la Garonne a un autre problème : c'est le plus chaud des fleuves français et sa température dépasse déjà régulièrement les 28°C (théoriquement la température maximale autorisée pour les cours d'eau européens), entrainant l'arrêt de la centrale de Golfech. Un problème similaire se pose à Blayais malgré un débit largement suffisant.

Je sais bien que Golfech et Blayais sont aujourd'hui arrêtées pour respecter une limite réglementaire, limite qu'abhorrent les défenseurs de ces centrales, mais la température a aussi un coût technique : prolifération de pathogènes, perte de rendement, surdimensionnement des condenseurs... Ces deux sites ne sont donc probablement pas un excellent choix.

Reste le Rhône. Avec son étiage à 175m3/s à la hauteur de Bugey et 536 au niveau de Cruas, le Rhône est le seul fleuve français à offrir une marge de débit confortable pour l'installation d'une paire d'EPR (à condition qu'ils soient refroidis en circuit fermé). 

Évidemment, avant de commencer à couler le béton il faudra étudier en détail l'impact du changement climatique sur le régime du Rhône et l'évolution des autres besoins en eau, et probablement aussi mieux sécuriser l'approvisionnement auprès de nos voisins suisses.

L'option du bord de mer

Vous me direz peut-être : pourquoi on s'embête ? Si il faut de l'eau, on n'a qu'à construire nos futurs réacteurs là où il y en a toujours : en bord de mer.

Et vous aurez probablement raison. Les réacteurs de bord de mer sont par définition à l'abri de la sécheresse. Ils sont aussi moins exposés à l'aléa que représente la température de l'eau (quoique pas totalement immunisés).

Les réacteurs de bord de mer sont soumis à d'autres risques, en premier lieu l'aggravation du risque d'inondation avec l'élévation du niveau de la mer. Mais si ce phénomène est correctement étudié et anticipé, il existe des moyens relativement simples de protéger une installation peu étendue comme une centrale nucléaire.

En réalité, si on envisage l'installation de nouveaux réacteurs en bord de mer, l'incertitude me parait plus porter sur le réseau : peut-on vraiment alimenter l'ensemble du territoire à partir de 400 kilomètres de côte entre la Normandie et le Pas de Calais ? Je ne sais pas mais je n'ai pas l'impression que la réponse soit un "oui" évident. Pourrait-on s'en sortir en créant d'autres implantations ? Là aussi, beaucoup de points d'interrogation... 

En guise de conclusion 

Même si l'article est un peu long, il ne fait évidemment qu'effleurer la question de la prise en compte du changement climatique dans la conception et l'implantation de futurs réacteurs nucléaires.

Mon objectif était plutôt de montrer que le climat est une contrainte forte sur un futur programme nucléaire. Cette question devra être sérieusement étudiée et les résultats réellement pris en compte dans les décisions.

J'aimerais penser que c'est une évidence mais la discussion sur la politique énergétique est descendu à un tel niveau en France que je peux déjà presque entendre M. le député lambda chuchoter dans les couloirs des ministères qu'il faut absolument lui construire un EPR sur sa rivière à sec tous les deux ans.


Publié le 15 décembre 2020 par Thibault Laconde

3 commentaires :

  1. Quel autre choix avons-nous à long terme que le nucléaire...sauf à accepter des stratégies de décroissance économique.

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  2. Merci pour cet article. Si quelques % de production sont perdus chaque année à cause de contraintes de refroidissement, en période de surcapacité, à première vue cela parait acceptable. A partir de combien de % de production perdue la capacité de refroidissement devient dimensionnante dans le choix du site selon vous? Merci

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    1. Je ne pense pas que l'on puisse raisonner à l'échelle du site : une des caractéristiques importantes des indisponibilités climatiques est qu'elles sont corrélées entre réacteurs et centrales, contrairement par exemple aux indisponibilités liées à une défaillance.
      Par exemple si un réacteur de Bugey est indisponible en raison d'un problème technique, la probabilité qu'un autre réacteur de la centrale ou un réacteur de St Alban le soit aussi simultanément est très faible. Mais s'il est indisponible parce que le Rhône est trop bas ou trop chaud, la probabilité que les autres réacteurs utilisant le fleuve pour leur refroidissement rencontrent aussi des problèmes devient beaucoup plus élevée.

      C'est surtout cette corrélation qui pose problème. Les pertes enregistrées aujourd'hui (~0.3% en moyenne) correspondent environ à une indisponibilité d'un jour par an et par réacteur. C'est faible mais si ce "1 jour d'indisponibilité" est le même pour plusieurs centrales ça peut être assez pour mettre en cause la sécurité d'approvisionnement.


      Il faudrait donc plutôt raisonner en pourcentage maximal de la capacité totale indisponible à un instant donné.
      Au cours des dernières années, cette valeur a dépassé 10% (ie: plus de 6GW indisponibles simultanément), ce qui, de mon point de vue, est déjà inquiétant.

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