Bonus-malus énergie : après la censure par le Conseil Constitutionnel, les réponses à vos questions

La loi Brottes "visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre" a été proposée en septembre 2012 et adoptée par l'Assemblée le 12 mars 2013. Elle portait notamment sur l'instauration d'une tarification progressive de l'énergie, rebaptisée pour l'occasion "bonus-malus énergie".
Cette mesure a été longuement débattue et a connu un parcours parlementaire tourmenté. Ultime rebondissement le 11 avril : la censure par le Conseil Constitutionnel de l'article 2 de la loi, justement celui qui créait le mécanisme de tarification progressive.

Le débat a aussi eu lieu aussi sur ce blog : mon analyse de la loi Brottes lors de son dépôt en septembre a reçu 7000 visites et 45 commentaires, les autres articles liés à ce sujet, comme celui sur le système californien, ont également été très visités et partagés.

Les réactions étaient globalement défavorables au système de bonus-malus. Les critiques reçues par mes articles recoupent d'ailleurs souvent (quoiqu'en termes un peu plus directs) celles qui ont fondé la saisine du Conseil Constitutionnel.
J'ai essayé de répondre aux commentaires au fur et à mesure. Je reprend ici avec mes réponses ceux qui sont revenus le plus souvent ou qui m'ont paru les plus intéressants.


Faire varier le prix de vente en fonction du client, cela ne trouble personne ? Elles sont où, au juste, l'égalité et l'équité?" en langage de constitutionnalistes : "rupture d’égalité devant les charges publiques"

Cette critique - qui concerne le principe même de la loi : faire varier le prix de l'énergie en fonction de la consommation - est finalement assez rare.
En effet, dans un pays qui s'étend sur une dizaine de parallèles, il est évident qu'une même personne habitant le même logement avec les même habitudes aura une consommation d'énergie différente selon qu'elle se trouve au sud ou au nord. Revendiquer des tarifs identiques par unité d'énergie consommée pour une famille de 5 personnes dans une maison à Roubaix et un célibataire en immeuble à Nice relève d'une conception un peu particulière de l'égalité...

Toute la difficulté de la loi Brottes est de calculer sans trop d'erreur le niveau raisonnable de consommation de chaque ménage. Le texte a pris en compte de nombreux cas particuliers : immeubles collectifs, résidence secondaire, garde alternée...
Il y aura toujours des situations imprévues : certaines personnes bénéficieront de façon indue du bonus, d'autre seront sanctionnées par un malus sans avoir été particulièrement dispendieuses. Reste que la tarification progressive est globalement bien plus équitable que le système précédent.



Une usine à gaz d'énarques dont la devise est pourquoi faire simple quand il est si simple de faire compliqué." ou pour le dire autrement "le dispositif ne répond pas aux principes d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi"

Le système de calcul est complexe, c'est un fait. Mais il faut mettre deux bémols à ce constat :
  • D'une part ce système n'est pas plus compliqué que la tarification d'autres produits courants : assurance auto, mutuelle...
  • D'autre part, la vraie question est : cette complexité nuit-elle à l’efficacité de la mesure ? A mon avis, la réponse est non : même si le mode de calcul est compliqué, le message adressé au consommateur est simple et clair. En plus du montant de sa facture, il verra désormais apparaître un bonus ou un malus qui lui permettra de situer sa consommation par rapport à la normale et d'évaluer facilement les économies qu'il pourrait réaliser.
L'expérience réussie de la Californie (où la méthode de calcul est encore plus complexe qu'en France) a d'ailleurs montré que la simplicité du système n'est pas déterminante pour son efficacité.


Qui va payer ? toujours les mêmes..." Et de multiples variantes dont celle adressée au Conseil Constitutionnel "le malus doit être considéré comme un impôt"
En réalité, la tarification progressive est neutre : les sommes reversées aux bénéficiaires du bonus et les frais de gestions seront payés par les consommateurs soumis à un malus. Cette mesure ne rapportera rien ni aux fournisseurs d'électricité ni à l’État.
Par ailleurs, la progressivité retenue est lente : seuls les très gros consommateurs utilisant au moins 3 fois plus que le volume de base verront leurs factures augmenter.


Pour commencer que tous les français paient leur énergie au même prix... les agents EDF paient un prix ridiculement bas."

Il y a beaucoup à dire sur le "tarif agent" d'EDF, la Cour des Comptes s'en est d'ailleurs chargé récemment (pdf). Quoiqu'il en soit il s'agit d'un avantage accordé par une société anonyme, acteur parmi d'autres du marché français de l'énergie, à ses salariés. Pas d'un sujet de politique énergétique.
On peut trouver insupportable que les 0.1% de français travaillant pour EDF paient leur électricité moins cher que les autres. Mais de là à en faire un argument contre une mesure de justice sociale qui touchera  l'ensemble de la population...

Cette critique des tarifs préférentiels accordés aux salariés d'EDF revient très fréquemment, en général associée à la crainte de voir sa propre facture augmenter. Est-ce surprenant ? Comme disait De Gaulle le désir du privilège et le goût de l'égalité sont les deux passions françaises. 



Soit cette mesure alourdit la facture d'énergie des ménages et elle est inacceptable en temps de crise, soit elle ne les touche pas et elle est inutile"

Cet argument un peu tautologique ignore à la fois l’évolution des prix de l'énergie et le principe de la tarification progressive :
  • D'abord, la facture énergétique des ménages augmente et, presque tout le monde s'accorde là-dessus, va continuer à augmenter. La Commission de régulation de l'énergie estime par exemple cette hausse à 30% pour l'électricité à l'horizon 2017, le Sénat table sur +50% en 2020, etc.
    La question n'est donc pas comment éviter d'alourdir les factures mais comment protéger les ménages d'une augmentation inévitable. En garantissant l'accès à un volume minimal d'énergie bon marché, le système de bonus répond bien à cet objectif.
  • D'autre part la tarification progressive est un système pédagogique basé sur une amélioration continue, son intérêt ne peut donc être évalué que dans le temps.
    Pour la plupart des ménages concernés les malus seront symboliques, c'est vrai. Mais chaque diminution de leur consommation même minime fera aussi baisser un peu le volume de base. Pour simplifier, lorsqu'un ménages décidera d'investir ou de modifier ses comportements pour passer sous le seuil du malus, cela fera baisser la consommation de référence et donc passer d'autres personnes au-dessus de ce seuil qui à leur tour seront incitées à diminuer leurs consommations, et ainsi de suite...


Que sera-t-il fait pour les locataires de logement passoire ?"
De nombreuses aides à la rénovation énergétique des bâtiments existent déjà mais elles sont mal connues et peu utilisées. Par conséquent, la loi Brottes ne crée pas de nouvelles aides mais propose un accompagnement pour favoriser l'utilisation des mesures existantes. Elle prévoit notamment la mise en relation automatique des ménages modestes assujettis  au malus et de l'Agence nationale de l'habitat chargé, entre autres, de la rénovation thermique.
A plus long terme, la loi prévoit la création d'un "service public de la performance énergétique de l'habitat".

Le texte initial prévoyait que les locataires puissent déduire du loyer la part du malus due à la mauvaise isolation du logement. Cette disposition a été écartée, elle aurait de toute façon été très difficilement applicable.


Projet d'acheter une voiture électrique. Projet abandonné."
La question du véhicule électrique est intéressante parce qu'elle fait entrer en collision deux logiques : d'un coté la lutte contre la pollution locale dans les villes et la dépendance au pétrole de l'autre la maîtrise de la consommation d'électricité et la sanction des gros consommateurs qui surchargent les réseaux.

Ce conflit n'est pas résolu par la loi Brottes et, effectivement, l’État envoie des messages contradictoires... Cependant l'utilisation d'une voiture électrique restera en tout état de cause bien moins chère que celle d'une voiture essence ou diesel.
En effet la consommation moyenne d'une voiture électrique est de l'ordre de 12kWh pour 100km et celle d'une voiture classique est au minimum de 5L/100km (pour un véhicule de type Smart sur route). Si on compte que le carburant coûte 1.2€/L, la voiture électrique reste rentable aussi longtemps que l'électricité reste en dessous de 0.5€/kWh, soit près de 5 fois son prix actuel. On en est très loin : le malus maximal envisagé par la loi Brottes est de 60%. 


Et vous ? Que pensez vous de cette loi et du bonus-malus énergie ?
Je suis pour
Je suis contre
Je ne sais pas


Si vous êtes contre le bonus-malus énergie, cet article vous a-t-il convaincu ? Avez-vous des reproches ou des questions auxquels il ne répond pas ? Dites-le en commentaire !

 * * *
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5 commentaires :

  1. Beaucoup de bons points dans votre commentaire, mais à certains endroits vous devriez le mettre à jour : dans la version adoptée finalement (et qui sera probablement invalidée par le Conseil constitutionnel), les équipements médicaux ne sont plus pris en compte et il n'y a plus de disposition pour permettre aux locataires de déduire une partie du malus de leur loyer (mesure qui aurait fait les joies des amateurs de procédures juridiques, car je vois mal le vrai pauvre risquer ainsi de se mettre à dos son propriétaire).

    "les sommes reversées aux bénéficiaires du bonus sont celles qui sont prélevées sur les consommateurs soumis à un malus" : il faut aussi compter les frais de gestion, évalués à 50 millions par an environ (payés par ceux qui sont soumis au malus).

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  2. @??? A l'auteur de l'article et dont je n'ai pas trouvé le nom sur cette page.

    Vous rédigez et écrivez bien mais plutôt que de reproduire assez platement ce qui a déjà été dit ou prétendu (F. Brottes et D. Batho) à ce sujet, pourquoi ne pas faire oeuvre de journaliste : sources vérifiées, discours neuf et critique ?!

    1- Les bredouillages répétés de Mr Brottes vous ont longtemps laissé croire qu'il s'agissait de pourcentages de bonus/malus. Aujourd'hui, le texte dit bien qu'il s'agit d'Euros par Mégawattheure.
    Savez-vous qu'en 2017, la tranche de "super-malus" pourra atteindre 60€/MwH et ainsi DOUBLER le tarif de l'énergie !
    A ce niveau là, ce n'est plus une incitation à l'économie c'est une mesure confiscatoire !

    2- Il a été dit et répété que l'impact du "super-malus" ne serait que de quelques dizaines d'Euros par an.
    Auriez-vous accès aux bases de calcul soutenant cette déclaration ?
    J'ai cherché et ... pas trouvé.
    J'ai fait ma propre simulation sur les données que j'ai pu collecter. Le malus qui me serait appliqué, en cas d'utilisation des valeurs maximales du tableau publié dans le VII du texte de loi, ne sera pas inférieur à 600€ et atteindra 1800€ en 2017 !
    On est très loin des quelques dizaines d'Euros et cela représente une augmentaion de 20% à 50% de ma facture actuelle de chauffage.

    Le plus gros reproche que l'on puisse faire à cette loi est d'être mal foutue : Financer le Social en taxant les revenus moyens. Que se passerait-il si les "revenus moyens" arrivaient, à force de sacrifices financiers importants, à passer sous le seuil de taxation ==> plus de fonds pour le Social ?
    Ne vaudrait-il pas mieux inciter l'investissement dans les économies d'énergie; par exemple en obligeant un niveau annuel de dépenses d'amélioration basé sur les mêmes principes de calcul. Le contraire du malus qui ne va que soustraire cette capacité d'investissement du revenu disponible.

    PS : Je suis désolé d'avoir utilisé un profil Anonyme mais je ne suis pas un habitué de votre site.

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    1. Bonjour,

      Sur les deux premier points : effectivement, la loi Brottes prévoyait un malus sur la 3e tranche compris entre 6 et 60€ par MWh, ce qui correspond à une augmentation de 5 à 50% environ (et non à un doublement) et, bien sur, seulement sur la dernière tranche. De telle sorte que pour que le prix moyen du kWh augmente (hors abonnement et en mettant les bonus et malus à leurs valeurs maximales) il faut consommer plus de 320% du volume de base.

      Pour arriver à un doublement du prix moyen du kWh, il faudrait une consommation vraiment extravagante. Sur la base d'une simulation rapide que j'ai fait pour vous, je pense qu'il faudrait au moins consommer 20 fois le volume de base...
      Toujours sur la base de cette simulation, si vous dépassiez de deux fois le seuil de la 3e tranche (c'est-à-dire que vous consommez quand même 6 fois le volume de base !), l'augmentation de votre facture ne serait "que" de 20%.

      Pas de quoi paniquer, non ?

      Pour finir, le principe de la loi n'est pas si mal foutu que vous semblez le penser : le volume de base est calculé en référence à la consommation réelle. Ainsi le financement du bonus peut être assuré même si la consommation moyenne baisse fortement.

      En espérant avoir répondu à vos questions.

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  3. Bonjour je suis également intéressé pour mieux comprendre cette loi qui va nous arriver et je suis très sceptique sur le caractère anecdotique de l'augmentation.

    J'envisageais de passer d'un chauffage au fuel domestique à un chauffage par pompe à chaleur, et également de remplacer l'un de nos deux véhicules diesel par un véhicule électrique, mais un vrai, pas une voiturette consommant peu mais quasiment inutilisable.

    Il me semble qu'au contraire, l'état devrait encourager la conversion des énergies fossiles vers les énergies propres, mais il semble que l'heure soit à la taxation tout azimuts et à l'arrivée on ne sait pas bien comment éviter de se retrouver systématiquement avec des hausses de factures, quand on ne fait pas partie des gens qui n'ont pas à faire attention à leurs dépenses, bien sûr.

    Est-ce qu'il ne faudrait pas plutôt taxer les énergies sales? au moins le message serait clair pour tous, et la planète y gagnerait certainement, même si la priorité est aux rentrées fiscales.

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