J'étais auditionné hier par la mission d'information "Paris à 50°C" sur l'adaptation des réseaux critiques face aux températures extrêmes. A l'occasion, j'ai essayé de faire une synthèse sur le risque chaleur pour les infrastructures d'eau, de transport, de télécoms ou encore d'eléctricité, et les méthodes pour les maitriser, évidemment sans être exhaustif (je disposais de 30 minutes dont la moitié pour les questions).
Voici à peu près ce que j'ai dit :
Les conséquences de la chaleur sur les réseaux : exemples récents
Le système électrique est probablement le réseau dont les déboires sont les plus médiatisés en période de canicule. L'attention porte plutôt sur la production mais les réseaux de transport et de distribution sont aussi concernés.Il est facile de trouver des exemples récents : 5 défauts simultanés sur le réseau de distribution marseillais le 21 juin 2022, défaut d'un poste RTE près du Creusot... En remontant plus loin, la canicule de 2003 avait causé de nombreux problèmes sur les lignes électriques enterrées en Ile de France, entrainant des coupures pour 240.000 foyers. RTE avait aussi relevé un doublement du nombre de court-circuits sur son réseau.
L'impact de la chaleur sur les réseaux de transports en commun, notamment ferré, est aussi connu. Beaucoup de ralentissements et d’incidents sont causés par la dilatation des caténaires ou la déformation des rails. Sans parler des malaises...
Mais la route n'est pas épargnée : soulèvement de chaussées, bitume qui se décolle... Les pannes automobiles augmentent aussi avec la température : selon les assureurs, les déclarations de sinistres ont augmenté de 20% environ pendant la canicule de juin 2022.
On peut également penser à la production et à la distribution d'eau : la chaleur entraine une dégradation de la ressource à la fois en quantité et en qualité. En théorie, par exemple, on ne peut pas produire d'eau destinée à la consommation humaine avec une eau dont la température dépasse 25°C.
Moins fréquent, la chaleur peut aussi endommager directement les infrastructures. On en a eu au moins un exemple l'été dernier.
Enfin, les réseaux de télécommunication et de données sont aussi vulnérables aux épisodes caniculaires. On en a eu exemple spectaculaire et potentiellement dramatique en 2022 à Londres : les datacenters de deux hopitaux ont été mis hors-service, perturbant fortement les soins en pleine vague de chaleur.
Plein de problèmes différents mais des causes communes
Certains de ces phénomènes ont une certaine inévitabilité physique. Les matériaux se dilatent quand il fait chaud, le rendement des machines thermiques baisse, le chlore libre est moins stable… Il n’y a pas grand-chose que l’on puisse y faire.Cependant, souvent, les incidents sont causés par le dépassement d'hypothèses de température utilisées à la conception. Ces hypothèses peuvent être explicites (figurer dans les cahiers des charges ou les modèles de dimensionnement…) ou implicites ("on a toujours fait comme ça et ça a toujours marché").
Les systèmes de refroidissement sont un bon exemple : ils sont dimensionnés historiquement pour une température maximale de 32°C, et encore en 2019 de 35. Lorsque ces seuils sont dépassés, les systèmes font défaut, avec un possible effet domino sur les équipements qu'ils protégeaient.
Adapter un système technique aux vagues de chaleurs, c'est donc avant tout se demander :
- Jusqu'à quelle température il a à l'origine été conçu pour fonctionner ?
- A quelle température maximale il peut maintenant être exposé ?
Quels sont les outils (et les obstacles) pour anticiper ?
La réponse à la première question dépend du système et de son histoire. Pour la deuxième, il existe des outils statistiques permettant d'extrapoler les températures maximales, notamment avec la théorie des valeurs extrêmes.
Ces méthodes posent une question importante à l'exploitant ou son régulateur : quelle probabilité de dépassement, est-on prêt à assumer ?
Si par exemple, on se dimensionne sur une vague de chaleur centennale, on accepte encore un risque de défaut d’environ 26% sur 30 ans, ce qui est loin d’être négligeable pour un système critique.
De plus, avec le changement climatique, l'étude d'observations passées ne suffit plus : elle nécessite un échantillon de températures trop important qui est déjà obsolète lors de l'étude. Si par exemple on s'aligne sur les standards de l'OMM pour le calcul de normales et on utilise un échantillon de 30 ans commençant une année en 1, on peut au mieux étudier le climat moyen de 2005 (1991-2020).
Il est possible d'utiliser des projections climatiques pour anticiper les futures extrêmes de températures. Au-delà des problématiques scientifiques et techniques, ces méthodes posent plusieurs questions à l'utilisateur :
- Quelle est la durée de vie de l’équipement ? Et donc l'horizon à prendre en compte. Pas toujours évident au départ comme le montre en ce moment le cas des centrales nucléaires de 2e génération.
- Comment gérer les incertitudes de modélisation ? Il s'agit de simulation, différents modèles (et même différents run avec le même modèle) peuvent donner des résultats significativement différents sans qu'il soit possible de dire lesquels sont plus probables.
- Quel est le scénario d’émissions, ou l’ampleur du changement climatique, auquel on s’attend ? Sur des horizons lointains, ce facteur tend à devenir la principale source d’incertitude, or il dépend de trajectoires politique et économiques futures fondamentalement incertaines.
Ici on est en plein dans l'actualité avec l'annonce par Christophe Béchu que le prochain PNACC prendra en compte un scénario à +4°C. Sans juger sur le fond, les infrastructures évoluent lentement et ont besoin d'une stratégie d'adaptation stable.
Ces questions ne concernent pas seulement les chercheurs et les ingénieurs. Les réponses dépendent largement d'un compromis entre la réduction des risques et l'augmentation des coûts, en fin de compte : un arbitrage politique.
Publié le 2 février 2023 par Thibault Laconde
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