Posez la question de la gestion des risques climatiques dans l'industrie nucléaire et immanquablement ce nom vous reviendra en écho : Palo Verde ! C'est peu dire qu'on a là une centrale nucléaire extraordinaire : située au coeur du plus
grand désert d'Amérique du Nord, le Sonora, dans une région sans cours d'eau permanent, où la
température dépasse régulièrement les 40°C pendant la moitié de
l'année, elle trouve pourtant le moyen de fonctionner... Et pas qu'un peu : Palo Verde est le plus
gros producteur d'électricité des Etats-Unis !
Par quel miracle est-ce possible ? Et pouvons nous en
apprendre quelque chose pour l'adaptation de nos propres centrales
nucléaires face à des sécheresses et des canicules de plus en plus
sévères ? C'est ce que je vous propose de voir en détails dans cet
article.
Vue aérienne de la centrale de palo Verde en fonctionnement (source) |
La centrale nucléaire de Palo Verde à la loupe
Palo Verde (Palo Verde Nuclear Generating Station ou
PVNGS) a beau posséder les seuls réacteurs nucléaires commerciaux au monde sans accès à une masse d'eau naturelle, il est inutile d'y chercher une technologie révolutionnaire, un procédé unique ou un secret quelconque : la centrale en elle-même n'a rien de très original.
Comme les 2/3 des centrales nucléaires de la planète, elle est équipée de réacteurs à eau pressurisée, au nombre de 3 d'une puissance 1300MW chacun. Deux autres étaient prévus mais la
demande d'autorisation a été retirée en 1979, apparemment pour des raisons économiques.
Détail de la centrale de Palo Verde (source) |
En l'absence de cours d'eau, le refroidissement est évidemment effectué en cycle fermé, c'est-à-dire que l'eau utilisée pour refroidir la turbine et le réacteur est elle-même refroidie au contact de l'air puis réutilisée.
Ici la centrale possède une petite originalité : elle utilise des cheminées ventilées mécaniquement plutôt que les classiques tours hyperboliques où l'air circule naturellement. Chaque réacteur en possède trois groupes comme on le voit sur la photo ci-dessus.
Cette particularité n'est pas unique : en France, la centrale de Chinon utilise le même système pour éviter que des tours trop hautes perturbent la vue des chateaux de la Loire. A Palo Verde, la préoccupation n'est pas esthétique : les aéroréfrigérants à tirage mécanique permettent simplement un meilleurs contrôle du refroidissement.
On peut aussi noter sur le côté de chacun des réacteurs deux bassins d'aspersion. Ce système est destiné à fournir un refroidissement de secour en cas de défaillance des aéroréfrigérants.
Les aéroréfrigérants à tirage mécanique d'un réacteur de la centrale de Palo Verde (source) |
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'environnement aride de la
centrale rend ce système particulièrement efficace : en effet le
refroidissement de l'eau est assuré principalement par évaporation. L'air très
sec, qui peut absorber beaucoup de vapeur, permet d'obtenir facilement une
température bien plus basse que celle de l'air ambiant.
D'où vient et où va l'eau ?
La centrale de Palo Verde ne se distingue pas réellement de ce que l'on peut voir en France, par exemple à Chooz et ou Cattenom : réacteurs de conception et de puissance comparables, principe de refroidissement identique. Par conséquent, l'eau reste indispensable à son fonctionnement. Comme ses homologues françaises, Palo Verde a besoin d'évaporer de l'ordre d'une tonne d'eau par seconde et par réacteur pour se refroidir.
En plein désert, d'où vient cette eau ? Elle est tout simplement achetée, auprès de l'agglomération de Phoenix quelques 70 kilomètres à l'est de la centrale.
Bassin d'aspersion d'un des réacteurs de Palo Verde en fonctionnement (source) |
Les quelques 5 millions d'habitants de l'agglomération de Phoenix sont alimentés en eau par canaux et pipelines depuis les rivières Salt et Verde, et dans une moindre mesure depuis le Colorado. Après utilisation, cette eau est envoyée vers les stations d'épuration de l'agglomération : dans le contexte très aride de la région, les eaux usées sont à 100% traitées et réutilisées. C'est l'une d'entres-elles, la station de 91st street, qui se charge d'alimenter la centrale en eau recyclée.
Une vue d'ensemble de la centrale permet de suivre le cheminement de cette eau :
Vue d'ensemble et fonctionnement du site de Palo Verde |
L'eau, amenée par un pipeline souterrain de 3 mètres de diamètre, commence par passer dans une nouvelle usine de traitement destinée à assurer une qualité constante.
Une fois traitée, elle est envoyée vers les deux bassins situés à proximité. La centrale vient puiser dans cette réserve de 4 millions de mètres cubes comme elle le ferait dans un lac ou un océan.
Dans la centrale elle-même rien de particulier, on l'a déjà vu. Mais ensuite un nouveau problème se pose : comme toutes les centrales refroidies en circuit fermé, Palo Verde doit régulièrement changer l'eau de son circuit de refroidissement. Sinon chaque cycle d'évaporation aboutirait à concentrer de plus en plus les minéraux et les impuretés, jusqu'à boucher les canalisations. Dans une autre centrale, l'eau issues de ces purges de déconcentration serait diluée dans un fleuve ou dans l'océan. Cette possibilité n'existe pas à Palo Verde.
L'eau des purges est donc envoyée vers les grands bassins d'évaporation installés au sud. D'une superficie de 2.6km², un peu plus que la principauté de Monaco, ces bassins stockent l'eau jusqu'à ce qu'elle soit entièrement évaporée.
Lorsque c'est terminé, il reste une boue qui n'est pas radioactive mais concentre des résidus de produits chimiques utilisés à différentes étapes du processus.
Cette boue est ensevelie dans des décharges situées à proximité.
Comme toute l'eau qui arrive à la centrale est évaporée, la consommation par kilowattheure produit est à peu près le double de celle d'une centrale ordinaire.
Une vraie-fausse solution pour face au manque d'eau
A ce stade, vous l'aurez compris, la centrale de Palo Verde a resolu le problème de sa dépendance à l'eau de la même façon que le scaphandrier a résolu sa dependance à l'air : en l'amenant pas un tuyaux dans un milieu où il n'y en a pas.
Il n'empêche que ce système ingénieux a fait des émules. Aux Etats-Unis, une cinquantaine de centrales électriques fonctionnent sur le même principe. C'est le cas notamment de plusieurs centrales à gaz voisines, par exemple Redhawk (1060MW, inaugurée en 2002), qui puise d'ailleurs dans les mêmes bassins que Palo Verde, ou Mesquite (1250MW, inaugurée en 2003).
Vue aérienne de la centrale à cycle combiné gaz de Mesquite voisine de la centrale nucléaire de Palo Verde (source) |
Et là vous voyez certainement venir le gros problème de Palo Verde : la concurrence pour l'accès à l'eau.
En effet la ressource en eau recyclée de la région de Phoenix n'est pas extensible à l'infini, d'autant que l'approvisionnement en eau brute pour la production d'eau potable est lui-même problématique. Les eaux usées recyclées sont donc très demandées pour la production d'électricité, pour l'irrigation voire pour la consommation humaine - directement via la réinjection dans le réseau d'eau potable (autorisée depuis 2019), indirectement pour recharger des acquifères et des zones humides ou même via la production de bière...
Concrètement, cette concurrence se traduit par une forte augmentation des coûts pour la centrale. Celle-ci bénéficiait historiquement de tarifs très raisonnables : de l'ordre de 40$ pour mille mètres cubes, ce qui est comparable par exemple à la redevance pour prélèvement de la ressource en eau payée par les centrales équivalentes en France.
Mais face a l'explosion des besoins, le tarif a été renégocié au tournant des années 2010 et augmente progressivement pour atteindre environ 250$ pour 1000m³ en 2025. Ensuite, il sera indexé sur le prix de l'énergie et de l'eau avec une tarification progressive : plus la centrale consommera, plus son eau sera chère.
Dans ce contexte, Palo Verde cherche paradoxalement à s'affranchir du système pour lequel elle est si régulièrement citée en exemple.
Mais un exemple intéressant tout de même
Le site exploite déjà un aquifère souterrain pour l'eau destinée au circuit primaire, à la lutte contre les incendies et à la consommation humaine. Pour le plus gros morceau, l'alimentation des circuits de refroidissement, plusieurs voies sont explorées : l'utilisation d'eaux souterraines impropres à la consommation (projet abandonné après que le permis ait été refusé en 2019), un étage de refroidissement sec avant les aéroréfrigérants, une nouvelle usine de traitement qui permettrait de réutiliser l'eau des purges...
Face au risque de pénurie d'eau, cette recherche de solutions est louable. Et c'est une conséquence du modèle d'approvisionnement propre à cette centrale.
Car c'est là, à mon avis, que se trouve le vrai mérite de Palo Verde : elle a internalisé le coût du refroidissement.
Alors que la plupart des centrales nucléaire (et des industries) comptent sur la bonne volontée de mère nature et des autres utilisateurs des fleuves pour se refroidir, Palo Verde achète ce service. Elle est donc exposée financièrement à la raréfaction de la ressource et incitée à l'économiser.
Palo Verde est généralement citée comme la preuve qu'une centrale nucléaire peut être adaptée à toutes les conditions climatiques. Même si dans ce cas l'adaptation a plus porté sur l'intégration dans l'environnement que sur la centrale elle-même, c'est une réputation méritée.
Les données de l'AIEA permettent de le vérifier : depuis leurs mise en service, les réacteurs 1, 2 et 3 ont connu en moyenne 8, 2 et 25 heures par an d'arrêt total pour "cause extérieure liée à l'environnement", c'est-à-dire le plus souvent en raison de la météo. Pour comparer, en France, Bugey 3 aligne 97 heures d'arrêt par an en moyenne et Chooz 2 monte jusqu'à 315 !
Et parfois, malheureusement, c'est aussi dans ce contexte que Palo Verde est citée : pour relativiser les contraintes écologiques qui perturbent le fonctionnement des centrales françaises, par exemple lors de fortes chaleurs ou de sécheresses. Dans ce cas, il ne s'agit pas seulement d'un mauvais exemple, c'est un contre-sens : l'originalité de Palo Verde est précisément d'être construite autour de contraintes environnementales très fortes et d'en accepter les coûts.
Évidemment une telle démarche est plus difficile à mettre en place lorsque les conditions climatiques sont moins hostiles ou sur des installations existantes. Mais il y a peut-être là matière à réflexion.
Pour aller plus loin sur ces sujets, voici quelques suggestions de lectures :
- Une série de 7 articles sur la vulnérabilité climatique du système électrique (nucléaire, hydroélectricité, éolien, réseau...)
- Des explications sur la modélisation des indisponibilités causées par le changement climatique dans les Futurs Energétiques 2050 de RTE
- Un article sur la gestion de l'aridité et de la chaleur dans le programme nucléaire espagnol
Publié le 15 mars 2023 par Thibault Laconde
bravo
RépondreSupprimertrès clair
RépondreSupprimerBonjour, ne pas omettre que les tours aéroréfrigérants à tirage mécanique consomment 1/3 de l'électricité produite (comme c'est la cas à la Centrale de Chinon)...
RépondreSupprimerNon, c'est beaucoup moins que ça. De mémoire, à Chinon, la consommation est de l'ordre de 1% de la production.
SupprimerBonjour, effectivement j'ai redemandé à l'ingénieur qui travaille sur Chinon : environ 0.5%.
SupprimerSi nous rajoutons les auxiliaires et autres moteurs 8% (10% grand max).
J'avais donc compris de travers...
nul
RépondreSupprimermerci
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