J'aime penser que je suis pragmatique sur les questions énergétiques, je n'exclus aucune solution a priori et j'ai bien conscience qu'il nous faut choisir entre des filières dont aucune n'est parfaite, pour autant la saga du gaz de schiste commence à me lasser. Nos stock d'énergies carbonées sont déjà largement supérieurs à ce que nous pouvons utiliser sans dérégler complètement le climat, pourquoi dépenser de l'argent pour en rechercher de nouveaux alors qu'il y a bien mieux à faire ? Et puis on a tellement entendu ces doctes discussions sur des chiffres de quantité exploitable fantaisistes sans que personne apparemment ne juge utile de se pencher sérieusement sur les statistiques du prix de l'énergie au États-Unis que ça n'est même plus drôle.
Fluopropane ou heptafluopropane ? Le mystère des atomes de fluor perdus
Voilà donc mon état d'esprit au moment où je me plonge dans la lecture de l'article. Il en ressort que la technique miracle consiste à fracturer la roche non pas avec de l'eau mais avec un gaz, le fluoropropane nous dit le Canard. Je ne suis pas expert en chimie organique, mais quand j'essaie de me représenter ce gaz je me dit immédiatement qu'il ressemble beaucoup à un hydrofluorocarbure (HFC), un de ces "climate killers" dont le pouvoir de réchauffement est souvent plus de mille fois supérieur à celui du dioxyde de carbone.
A ce stade, j'ai une petite période d'incrédulité : l'article ne fait pas mention d'effet néfaste sur le climat et précise que des experts publics et privés ont été consultés depuis un an sur le sujet. Si la fracturation au fluoropropane avait un impact climatique important, il se serait bien trouvé quelqu'un pour alerter le ministre sur ce sujet. Je me trompe sans doute.
La légendaire efficacité du RER B me laisse largement le temps de remâcher ces réflexions. Arrivé à mon bureau, je décide d'en avoir le cœur net : direction chemspider. J'y apprend que la demi-vie du fluoropropane est de 13 jours, c'est-à-dire que si vous relâchez ce gaz dans l’atmosphère la moitié aura disparu en 2 semaines. Cette propriété garantit qu'il n'aura pas d'impact à long terme sur l'environnement, et en particulier sur le climat. OK. Je me trompais effectivement.
Ceci-dit, une autre ligne attire mon attention : le fluoropropane est signalé comme hautement inflammable, or l'article précise clairement que le gaz miracle de Montebourg est non inflammable. J'ai le sentiment qu'il y a bien anguille sous (gaz de) roche mais la vie est ainsi faite qu'on ne peut pas passer ses journées à refaire le travail des cabinets ministériels et des journalistes, je lâche donc l'affaire...
Pour mieux la reprendre au moment de la pause déjeuner. Entretemps une dépêche de l'AFP a précisé que le gaz en question est en fait l'heptafluoropropane (C3HF7 et non C3H7F). Retour sur chemspider, ce nouveau gaz n'est plus inflammable et sa demi-vie est passée à 30 ans, ce qui est beaucoup plus vraisemblable. J'enchaîne sur la liste des gaz à effet de serre de l'UNFCCC, et bingo : l'heptafluoropropane s'y trouve avec un potentiel de réchauffement global à 100 ans 2900 fois plus élevé que le dioxyde de carbone.
Dites bonjour à l'heptafluoropropane |
Un climate killer pour fracturer du schiste, quelle bonne idée !
J'ai un peu envie de débouler chez l'éditeur du Canard, quelques étages sous mon bureau, pour leur faire corriger l'info. En effet c'est tout sauf anecdotique : les problèmes environnementaux liés à l'exploitation du gaz de schiste viennent justement de ce qu'on est incapable d'éviter les fuites - fuite de liquide de fracturation vers les nappes phréatiques, fuite de méthane dans l’atmosphère, etc.- utiliser de l'heptafluoropropane à la place de l'eau n'y changerait évidemment rien. Fracturer le schiste par ce moyen reviendrait surtout à relâcher un gaz à effet de serre surpuissant dans l’atmosphère, à l'échelle industrielle.
Finalement je me contente d'un tweet et je rejoins le Moulin à café (oui, c'est du placement de produit).
Vers 13h, mon tweet est repris par Delphine Batho et c'est parti. Dans l'après-midi l'AFP complète sa dépêche. Jeudi matin, l'info continuait à faire son chemin.
J'espère bien qu'elle tuera dans l’œuf cette énième tentative pour relancer un débat clos dans un relatif consensus politique (interdiction votée à l'unanimité à l'initiative de l'UMP et confirmée par le PS), ce qui est bien assez rare pour être souligné. En attendant, je m'étonne qu'il ait fallu que l'info sorte pour que quelqu'un s'inquiète de l'impact climatique de la technique proposée. Le climat compte-t-il vraiment si peu dans l'entourage d'Arnaud Montebourg ?
Pour @montebourg le #schiste est propre si la fracturation se fait avec un gaz à effet de serre 2900x plus puissant que le CO2. #Soupir
— Thibault (@EnergieDevlpmt) 29 Janvier 2014
Vers 13h, mon tweet est repris par Delphine Batho et c'est parti. Dans l'après-midi l'AFP complète sa dépêche. Jeudi matin, l'info continuait à faire son chemin.
J'espère bien qu'elle tuera dans l’œuf cette énième tentative pour relancer un débat clos dans un relatif consensus politique (interdiction votée à l'unanimité à l'initiative de l'UMP et confirmée par le PS), ce qui est bien assez rare pour être souligné. En attendant, je m'étonne qu'il ait fallu que l'info sorte pour que quelqu'un s'inquiète de l'impact climatique de la technique proposée. Le climat compte-t-il vraiment si peu dans l'entourage d'Arnaud Montebourg ?
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Merci Monsieur. Je cherchais des sources de renseignements sur cette nouvelle technique, et n'en avais trouvé que quelques unes, toutes favorables. Je me demandais où était le loup. Grâce à vous, je le sais.
RépondreSupprimerMerci pour le partage.
RépondreSupprimerIl y a affectivement peu d'info sur cette nouvelle technique.
Savez vous comment est fabriqué ce gaz ?
Est-ce que le terme fluoro contenu dans heptafluoropropane signifie fluor (le matériau )?
Oui, c'est bien ça. La formule de l'heptafluropropane est C3HF7 (3 atomes de carbone, 1 d'hydrogène et 7 de fluor).
SupprimerJe ne sais pas précisément comment se déroule la fabrication de l'heptafluropropane, c'est vraisemblablement un dérivé d'hydrocarbure. Il est fabriqué notamment par SynQuest (un spécialiste des produits fluorés) et Zylexia Pharma.
Il y a actuellement du lobbying sur l'extraction de minerai de fluorine, donc de fluor, dans le Morvan.
Supprimerj'ai donc fait le rapprochement, mais comme je ne suis pas chimiste !
c
Merci pour l'info.
SupprimerJ'ai fait exactement le cheminement de pensee que vous decrivez... et c'est en cherchant plus d'info sur le fluoropropane que je suis arrive sur votre billet. Merci beaucoup de vos investigations!
RépondreSupprimerPuisque vous êtes semble-t-il un bon pisteur, regardez donc si cet heptafluoropropane ne serait pas déjà par hasard utilisé comme fluide dans les pompes à chaleur !
RépondreSupprimerA noter qu'il y a une très grand nombre d'isomères de l'heptafluoropropane.
Et le dioxyde de carbone est utilisé en extincteur de 6kg, ce qui n’empêche pas les centrales à charbon de détruire le climat...
SupprimerC'est la dose qui fait le poison, mon cher.
L'heptafluoropropane est aussi utilisé comme propulseur dans les bombes à aérosol. Quelle est la dose ainsi mise annuellement à l'atmosphère? Les petits ruisseaux font les grandes rivières, mon cher.
SupprimerVous voulez dire que l'utilisation de l'heptafluoropropane pour la fracturation n'entrainerait pas des rejets significatifs par rapport aux autres usages ? Dans ce cas, il ne vous reste plus qu'à trouver des éléments factuels pour appuyer votre intuition.
Supprimerlu sur Wikipédia :
RépondreSupprimerLe Le 1,1,1,2,3,3,3-heptafluoropropane ou FM-200 (aussi connu sous les noms HFC-227ea, FE-227, RT-227) .../... est interdit dans certains pays européens, comme la France ou la Suisse, mais pas au Canada (à noter qu'en France, les salles déjà équipées lors de l'interdiction peuvent continuer à l'utiliser).
Alors, ce ne serait pas non plus ce gaz ? ou bien on contournerait une interdiction ?
Il s'agit bien du même gaz, il est interdit en France dans les systèmes de lutte contre l'incendie (en vertu d'un avis l'IRNS qui est citée dans l'article), mais il peut être utilisé pour d'autres applications.
Supprimerl’heptafluoropropane est un gaz à effet de serre 4300 fois pire que le CO2 à 20 ans
RépondreSupprimerJ'applaudis des deux mains votre article.
RépondreSupprimerJe suis tombé dessus car aujourd'hui, visiblement, le rapport refait surface avec fracas car il nous aurait été caché...
Bref cela importe peu. Je voulais compléter votre information. En effet, le C3HF7 est un gaz à effet de serre très puissant. Par ailleurs, ayant une formation basique en chimie, j'ai tendance à me méfier des composés qui contiennent du fluor avec lequel on peut faire des produits d'une extrême toxicité, comme par exemple l'acide fluorhydrique. Comme mentionné dans l'article, le C3HF7 à une durée de vie de plusieurs années. A ce stade, il convient de se demander ce que devient la molécule C3HF7. Lavoisier nous a dis que rien ne perd, rien ne se créé, mais tout se transforme. Il en va de même lorsque le C3HF7 "meurt". Il se dégrade en d'autres molécules. Et qui dis d'autres molécules, dit autres conséquences...
J'ai donc recherché sur des bases de données scientifiques en quoi ce fameux heptafluoropropane se dégrade t'il. Résultat dans cet article: http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/bbpc.19940980202/pdf (en anglais). Pas besoin de tout lire, il suffit d'aller à la conclusion: la dégradation de ce produit dans l'atmosphère entraine la production de sous produits comme l'acide trifluoroacetique, le dioxyde de carbone ou le florure d'hydrogène (qui mélangé à l'eau donne l'acide fluorhydrique, extrêmement dangereux car en faible dose il ne brûle pas, mais s'insinue dans votre corps et s'attaque au calcium contenu dans les os).
En bref, rejeter dans l'atmosphère de l'heptafluoropropane n'est pas une bonne idée. Non seulement, pour cause d'effet de serre, mais en plus parce qu'au bout de quelques années ce produit engendrera des pluies acides toxiques.