Il est extrait des Mémoires de guerre de Winston Churchill. Les ressemblances entre l'histoire qu'il raconte et celle que nous vivons m'ont frappées : nous sommes en 1931, le gouvernement de Ramsay MacDonald, un travailliste élu à la veille de la grande dépression, tombe faute d'avoir pu arrêter la crise économique et la hausse massive du chômage.
Le troisième quart de l'année 1929 s'acheva sur la promesse et les apparences d'une prospérité croissante, particulièrement aux États-Unis. Il régnait un optimisme extraordinaire qui favorisait une spéculation effrénée. On écrivit des livres pour prouver que la crise économique était un phénomène dont on s'était rendu maître grâce au développement de l'organisation commerciale et du progrès scientifique. "Les cycles économiques tels que nous les avons connus sont révolus et bien révolus", déclarait en septembre le président de la Bourse de New York. Mais, en octobre 1929, une violente tempête s'abattit brusquement sur Wall Street. L'intervention des groupes financiers les plus puissants ne réussit pas à arrêter une avalanche de ventes dues à l'affolement général. un groupe formé des banques les plus importantes constitua une réserve d'un milliard de dollars pour essayer de maintenir et de stabiliser le marché, mais ce fut en vain.
[...] La prospérité de millions de foyers américains s'était édifiée sur la gigantesque structure d'un crédit surgonflé qui se révélait soudain illusoire. La spéculation sur les titres s’était étendue à la nation tout entière, encouragée par les prêts que même les banques les plus célèbres consentaient aisément ; il s'était développé en outre un vaste système d'achat à tempérament de maisons, de mobiliers, de voitures et d'innombrable autres articles d'usage courant et de confort domestique. Tout cela s'écroula d'un coup ; la formidable machine de production des États-Unis se trouva désorganisée et paralysée. la veille encore, on se posait la question pressante de savoir où stationneraient les automobiles avec lesquelles des milliers d'ouvriers et d'artisans commençaient à se rendre au travail ; à présent, le monde entier, après avoir traversé une période d'intense activité, après avoir fabriqué tout ce qui était imaginable en vue d'améliorer le confort de millions d'individus, passait par les affres de la baisse des salaires et du chômage croissant. [...]
La passion du lucre et l'abus de méthodes artificielles, qui outrepassaient même les plus grands résultats acquis, finirent par causer la faillite et la chute de cette splendide réalisation humaine. De 1929 à 1932, l'effondrement du marché entraîna une implacable chute des prix, qui détermina une baisse de la production suivie d'un chômage généralisé.
Les conséquences de cette désorganisation économique s'étendirent au monde entier. Le chômage et la baisse de la production amenèrent une réduction générale du commerce. des restrictions douanière furent partout imposées afin de protéger les marchés intérieurs. La crise universelle entraîna des difficultés monétaires extrêmes et paralysa le crédit à l’intérieur de chaque pays. La ruine et le chômage se généralisèrent d'une extrémité à l'autre du globe. Le gouvernement de M. MacDonald, malgré toutes ses promesses, vit croître sans cesse en 1930 et 1931 le nombre des chômeurs qui passa d'un million à près de trois millions. [...]
Il est toujours difficile, pour un gouvernement ou un parti qui pose en principe la nécessité de détruire le capital, de maintenir la confiance et le crédit qui jouent un rôle si important dans l'économie. [...] Le gouvernement de M. MacDonald était absolument incapable de faire face aux problèmes qui l'assaillaient. Il ne pouvait imposer au parti la discipline indispensable, ni faire preuve de la fermeté nécessaire pour au moins équilibrer le budget. Un gouvernement minoritaire et privé de la confiance des milieux financiers ne pouvait survivre dans de telles conditions.
L'échec du parti travailliste face à la crise, la chute soudaine du crédit britannique sur le plan financier et la débâcle du parti libéral causée par son funeste jeu de bascule à l'intérieur de la Chambre amenèrent la constitution d'un gouvernement de coalition nationale. Il semblait que seul un gouvernement ralliant tous les partis pût venir à bout de la crise."
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne pense pas que ce propos puisse se transposer directement à la situation que nous connaissons, et même si c’était le cas, je ne serais pas d’accord avec tout ce qu’affirme Churchill. Non, ce qui me parait intéressant c’est de voir comment, à un siècle d’intervalle, les mêmes causes produisent des effets similaires.
En 2009 et 2010, au plus fort de la récession qui a suivi la faillite de Lehmann Brother, j’étudiais en cours du soir à la Sorbonne. La question qui se posait alors était de savoir si l’activité suivrait une trajectoire en U, en L ou, pire, en W (le « double dip »). Le directeur de mon master, qui enseignait l’économie, se voulait rassurant : il assurait que la crise serait brève, que les économistes avaient appris les leçons de de la crise de 29 et de ces politiques procycliques qui renforcent le phénomène qu’elles veulent combattre (comme faire des économies lorsque l’activité baisse).
Cinq ans après, il faut bien constater que la leçon n’avait pas été aussi bien apprise qu’il le pensait. Peut-être qu’un peu d’histoire ne fait pas de mal par les temps qui courent.
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