Rapide histoire de l'industrie de la viande
D'après les calculs de Fabrice Nicolino, 1.046.562.000 animaux ont été abattus en France en 2007. Oui plus d'un milliard ! Et presque tous issus de l'élevage industriel (99.5%). Comment en est-on arrivé à ces chiffres ahurissants ?
Cette révolution, comme beaucoup, prend naissance aux États-Unis. Elle commence avec l'industrialisation à la fin du XIXe siècle des abattoirs, ceux de Chicago notamment où débouchent par centaines de milliers les bovins élevés dans les grandes plaines. Pour les décrire, on aimerait parler de fordisme ou de taylorisme mais ce serait anachronique - puisque c'est la révolution productiviste des abattoirs qui a inspiré Ford, et pas l'inverse. Mais l'idée est là : un animal entre, et au bout d'une "chaine de désassemblage", de la viande sort.
Un tel système ne pouvait que fasciner l'Europe alors qu'elle sort de la Seconde Guerre Mondiale appauvrie et au bord de la famine. Grâce à des conditions environnementales favorables, la France peut envisager de remplacer en Europe les importations de viande américaine, elle s'y attelle rapidement : l'INRA est crée dès 1946. Grâce à toute une palette d'innovations, de la sélection génétique à la construction de hangars climatisés permettant de s'affranchir des saisonnalités en passant par l'injection d'hormones et l'optimisation de l'alimentation, les résultats sont formidables : en 1950, il faut 110 jours pour obtenir un poulet de 1.3 kilo, en 1978 on atteint 1.8kg en 50 jours... avec deux fois moins d'aliments !
La suite est finalement banale, c'est l'histoire d'une industrie qui gagne en puissance au point de pouvoir défier la santé publique, qui se mondialise et se financiarise, perd contact avec le sens de son activité et ses territoires... On pourrait sans doute écrire à peu près la même chose de tous les secteurs industriels, sauf qu'ici on transforme de la matière vivante, pour alimenter des êtres vivants.
Des limites depuis longtemps dépassées
Loin d'être triomphante, l'industrie de la viande connait des crises à répétition dont la plupart sont structurelles. La perte de biodiversité (20% des races d'élevage sont en voie de disparition selon l'ONU) et la concentration des animaux la met à la merci d'une épidémie qui, on l'a vu avec la vache folle ou avec la fièvre aphteuse, peut entrainer la destruction de tout le cheptel à l'échelle d'un pays. La recherche du profit au prix de systèmes toujours plus optimisés et complexes crée des vulnérabilités telle qu'une petite variation de cours est susceptible d'avoir des conséquences économiques et sociales disproportionnée, tout l'inverse de ce qu'il faudrait alors que nous nous apprêtons à entrer dans une ère de changement climatique.
Et s'il faut reconnaitre un mérite à Fabrice Nicolino, c'est que les événements lui ont largement donné raison : le scandale de la viande de cheval ou encore la faillite des abattoirs (dont Gad, le plus médiatisé) ont tristement confirmé son diagnostic.
Mais la production de viande fait face à une limite encore plus préoccupante : la capacité physique de notre planète à supporter cette industrie. Elle a atteint des dimensions telles que l'élevage représente 20% de l'ensemble de la biomasse animale de la planète ! Il faut nourrir cet immense troupeau, notamment avec du soja dont les champs grignotent rapidement la forêt amazonienne : la production des 92kg de viande que le français moyen absorbe chaque année, nécessite 500m² de culture de soja. A l'autre bout de la chaine, les rejets de l'élevage perturbent les grands cycles naturels, notamment ceux de l'azote (composant des nitrates) et du carbone (impliqué dans le changement climatique). L'élevage émet aujourd'hui 9% du CO2 d'origine humaine, 37% du méthane et 64% de l'ammoniac.
Le pire c'est que la demande de viande est appelée à croitre à mesure que le niveau de vie des pays du sud s'élève. Difficile dans ces conditions d'envisager autre chose qu'un crash écologique si la consommation de viande des pays riches ne baisse pas de façon radicale.
Des animaux et des hommes
Cependant, contrairement à ce que laisse penser son sous-titre ("l'industrie de la viande menace le monde"), ce n'est pas réellement l'impact environnemental de la consommation de viande qui est le cœur du livre mais bien sa dimension humaine.
En premier lieu il s'agit des ravages parmi les petites mains de l'industrie : citant une étude de l'InVS, l'auteur rappelle que près de la moitié des salariés des abattoirs bretons ont eu un accident du travail et que 92.8% connaissent des troubles musculo-squelettiques, sans parler des conséquences psychologiques de la mise à mort mécanique d'êtres vivants 8 heures par jour. Ensuite viennent les effets sur la santé et la longue liste des maladies liées de façon certaine ou probable à la surconsommation de produits animaux même de bonne qualité. A ces maladies, il faut encore ajouter les problèmes sanitaires posé par l'élevage industriel : résistance aux antibiotiques, pollution de l'eau de boisson, conséquences encore largement inconnues de l'utilisation d'hormones ou d'autres produits destinés à accélérer la croissance.
Enfin et surtout un pressentiment apparait comme un fil rouge tout au long du livre, celui que la cruauté envers les animaux est le révélateur d'un manque de considération pour l'homme, comme si le massacre de ceux-ci rendait possible le massacre de ceux-là ainsi que l'illustre la citation (sans doute apocryphe) de Tolstoï : "Tant qu'il y aura des abattoirs, il y aura des champs de batailles". Il faut dire que les promoteurs de l'industrialisation n'ont rien fait pour démentir ce sentiment, à l'instar de Bertrand Vissac qui décrivait un "processus de sélection" des paysans rappelant dangereusement celui des animaux ou de Raymond Février discutant (à 23'40) avec un journaliste de la possibilité de transposer à la société humaine les méthodes de l'élevage industriel ("rien n'est impossible, mais il y a des obstacles").
En conclusion
Très bien documenté, ce livre a les défaut de ses qualités : on a souvent l'impression que l'auteur privilégie la quantité à la qualité. Dès le premier chapitre, c'est une avalanche de détails sordides sur la vie des animaux d'élevage où l'on passe, littéralement, du coq à l'âne. S'agit-il d'un procédé rhétorique pour amener le lecteur à la nausée avant de lui délivrer la suite du message ? Non, le reste du livre obéit à la même absence de construction : on saute d'un sujet à l'autre, puis on y revient un peu plus tard... l'auteur papillonne, nous laissant le soin de tirer un fil conducteur cohérent de son accumulation d'information. Finalement on a l'impression de lire une introduction de 350 pages avant que le vrai sujet ne soit abordé... en conclusion. Ce n'est en effet que dans les toutes dernières pages que l'auteur nous parle des alternatives, citant par exemple le Réseau Agriculture Durable.
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