On pourrait regarder d'un oeil amusé cette escalade entre la Chine et les États-Unis, l'un et l'autre se menaçant d'ériger des droits de douanes sur ̶5̶0̶ ̶m̶i̶l̶l̶i̶a̶r̶d̶s̶ ̶1̶0̶0̶ 150 milliards de dollars de produits importés. Tout cela ne nous concerne pas, non ? Non ?
Un cas d'école : la guerre du poulet entre la CEE et les Etats-Unis
Au milieu du XXe siècle, l'élevage s'industrialise rapidement aux États-Unis et la volaille devient un aliment quotidien bon marché. La viande américaine commence à traverser l'Atlantique par conteneurs frigorifiés et les européens qui sortent à peine des privations de la l'après-guerre se jettent sur ces poulets à bas prix et de piètre qualité : bientôt Jean Ferrat chantera cette génération qui doit "rentrer dans son HLM et manger son poulet aux hormones".Les gouvernements européens veulent aider leur production domestique qui commence tout juste à sortir de l'artisanat et s'inquiètent de la concurrence américaine. En 1962, l'entrée en vigueur de la Politique Agricole Commune s'accompagne de tarifs minimum pour le poulet importé en Europe. C'est le début de la "chicken war"...
Les États-Unis répliquent l'année suivante en imposant un droit de douane de 25% sur des produits européens. Comme c'est presque toujours le cas, les produits visés sont choisis pour leur portée symbolique. Il y aura par exemple les alcools, un grand classique lorsque la France est ciblée... Et puisqu'il faut aussi sanctionner l'Allemagne, quel produit plus symbolique aurait-on pu trouver dans les années 60 que le fameux combi Volkswagen ? Les États-Unis vont donc instaurer un droit de douane de 25% sur ce qu'ils appellent les "light trucks" en ciblant ostensiblement les vans de hippies importés de RDA.
Beaucoup d'eau est passé sous les ponts depuis mais cette taxe reste en vigueur. Depuis plus d'un demi-siècle elle empèche les constructeurs automobiles basés hors des Etats-Unis (ou de l'ALENA) d'accéder au marché américain des "light trucks", une catégorie qui comprend les mini-bus mais aussi les pick-ups ou les SUV. Résultat : les fabricants américains se sont spécialisés sur ce segment où ils sont protégés de la concurrence étrangère.
Petite distorsions de marché et grosses bagnoles
Dans les années 70, plus des trois quarts des véhicules vendus aux Etats-Unis étaient des voitures. Aujourd'hui, c'est l'inverse : les "light trucks" occupent près de 60% du marché, soit environ 10.000.000 d'unités par an.
En 2017, les deux véhicules les plus vendus aux États-Unis étaient :
A gauche, le n°1 : la Ford F, 5.9 mètres de long dans sa version la plus modeste, près de 2 tonnes à vide, 14.7 litres aux 100km... à peu près aussi utile pour se déplacer qu'un fusil mitrailleur AR15 pour la chasse au dindon sauvage. A droite, le n°2 : Chevrolet Silverado, 13.1 litres aux 100.
Pour comparaison, la voiture la plus vendue en France est la Clio IV qui, selon son fabricant, consomme 4.1L aux 100km.
Les américains vous diront qu'ils achetent ce type de véhicules parce qu'ils transportent souvent du matériel, vivent en plein air, héritent ce goût de leurs ancètres pionniers ou fermiers... Bullshit : ils les achètent parce que l'industrie automobile US s'est progressivement spécialisée sur ce segment et a façonné la demande à sa convenance.
Si les habitudes de route américaines sont un tel désastre énergétique et écologique, c'est en partie à cause d'une obscure dispute commerciale des années 60 dont plus personne ne se souvient...
Dans leur escalade commerciale avec la Chine, les Etats-Unis visent l'énergie
Imposer des droits de douanes sur des produits spécifiques crée une distorsion du marché et peut avoir des effets secondaires durables et imprévus.
Le conflit commercial en cours entre les Etats-Unis et la Chine, pourrait lui aussi affecter durablement la consommation d'énergie ou les émissions polluantes. En effet, consciemment ou non, les droits de douanes américains ciblent des produits en lien avec la production ou la consommation d'énergie.
Au total, 50 à 60 milliards de dollars d'importations chinoises sont visés par le projet annoncé le 4 avril, parmi celles-ci 20 milliards d'équipement destinés au secteur de l'énergie et près de 15 milliards d'appareils et de matériel électrique. Une part complétement disproportionnée...
Quelles sont les importations chinoises ciblées par Donald Trump ? Très majoritairement des équipements destinés au secteur de l'énergie... pic.twitter.com/S0uMifdJFO— Thibault Laconde (@EnergieDevlpmt) 5 avril 2018
Difficile de prévoir lesquelles mais si ces droits de douane devaient rester en place, ils auraient certainement des conséquences importantes sur la façon dont les américains produisent et consomment de l'énergie...
Publié le 23 avril 2018 par Thibault Laconde
Illustration : By Dackelpaul [CC0], from Wikimedia Commons
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