Incription du climat à l'article 34 de la Constitution : vrai progrès ou fausse bonne idée ?

Mercredi 9 mai, le gouvernement a rendu public son projet de réforme constitutionnelle. Ce projet assez copieux notamment dans la révision de la procédure législative mais je laisse à d'autres le soin d'en discuter. Ce qui nous intéresse ici c'est que cette proposition, si elle est adoptée, introduirait une mention du climat dans la Constitution. Alors consécration d'un engagement national dans la lutte contre le changement climatique ou gadget ?


La modification proposée


Le projet de loi constitutionnelle propose d'ajouter "l’action contre les changements climatiques" parmi les domaines de la loi énumérés à l'article 34 :
Projet de réforme constitutionnelle : mention de "l'action contre les changements climatiques" l'article 34
L'article 34 de la Constitution délimite le domaine dans lequel le pouvoir législatif peut intervenir, tout ce qui ne s'y trouve pas relève du pouvoir réglementaire et donc de l'exécutif.
La réforme constitutionnelle de 2005 a ajouté "la préservation de l'environnement" au domaine de la loi. La réforme proposée rajouterait à la suite "l'action contre les changements climatiques".

Deux remarques sur la formulation choisie :
  1. Pourquoi "action contre" ? Le projet du gouvernement parlait initialement de "lutte contre", c'est le Conseil d'Etat qui a proposé "action contre" à la place sans prendre la peine d'expliquer pourquoi.
  2. Pourquoi "changements climatiques" au pluriel ? Là, l'explication est facile à trouver : depuis 1992 et la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992, tous les textes internationaux sur le climat ont parlé dans leur version française de changements climatiques au pluriel alors que la version anglaise elle retenait le singulier "climate change".
Dans les deux cas, on n'y gagne pas en clarté... Mais après tout pourquoi employer une expression que tout le monde connaît et comprend comme "lutte contre le changement climatique" quand on peut en forger une autre de toute pièce et attendre quelques années que la jurisprudence nous dise si elle est équivalente ou pas ?


Portée juridique : zéro


Au-delà de la formule, la question qui compte c'est évidemment : est-ce que ça change quelque chose ?

Sur le plan juridique, la réponse est claire : c'est non. Mentionner explicitement la lutte contre le changement climatique - pardon - l'action contre les changements climatiques ne rajoute rien par rapport à la réforme de 2005. Le législateur pouvait déjà intervenir dans ce domaine avant, il le pourra encore après... Ça ne sert à rien.
C'est d'ailleurs ce que dit le Conseil d'Etat :
Avis du Conseil d'Etat sur l'inscription du climat dans la Constitution

En fait, il aurait été difficile de trouver une façon plus anecdotique de mentionner le climat dans la Constitution. Au point qu'on peut se demander si ce n'est pas précisément ce que le gouvernement cherchait : un endroit où placer le mot-clé en dérangeant le moins possible l'ordre juridique...


Un symbole, oui, mais un symbole de quoi ?


L'objectif de cet ajout serait donc d'ordre plus symbolique que juridique ? Oui sans doute et c'est la raison pour laquelle il sera peut-être bien accueilli : mentionner le climat dans la Constitution serait une reconnaissance de l'importance du sujet.

Mais est-ce bien inspiré ? Notre Constitution contient déjà une reconnaissance très forte des questions écologiques avec la Charte de l'environnement qui y a été annexée en 2005 et qui, comme la Déclaration de droits de l'homme, a pleinement valeur constitutionnelle. La Charte est un beau texte, bien équilibré qui aborde l'environnement dans son ensemble.

Mentionner le climat à part, c'est revenir sur cette vision unifiée de la protection de l'environnement et consacrer un système à deux vitesses : le climat, d'une part, des détails comme la biodiversité, la pollution, la gestion des ressources, etc. d'autre part. Une vision morcelée et hiérarchisée qui n'a pas de réalité pratique : le climat fait partie d'un système plus vaste qu'il influence et par lequel il est également influencé. Pour ne citer qu'un seul exemple : le réchauffement climatique menace les forêts humides (75% disparaîtraient dans un scénario de laisser-faire) mais la déforestation contribue aussi à réduire l'absorption du dioxyde de carbone et donc à changer le climat.

Après 25 ans de négociations internationales sur le climat, le sujet domine déjà largement l'agenda politique, il n'a pas besoin de nouveaux symboles. La modification de l'article 34 ne ferait que graver dans le marbre une approche climato-centrée de la protection de l'environnement, au risque de reléguer un peu plus dans l'ombre les autres enjeux.
Ce risque pourrait être acceptable si la modification avaient une réelle portée pratique mais s'il ne s'agit que de faire un symbole, il est injustifiable. Montesquieu disait qu'il ne fait toucher aux lois que d'une main tremblante, ici on a l'impression que les rédacteurs ont effectivement beaucoup tremblé, et qu'ils avaient de gros doigts.


Publié le 11 mai 2018 par Thibault Laconde



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13 commentaires :

  1. Une question: "L'action contre les changements climatiques", ça veut dire quoi exactement ? De quels changements parle-t-on ?

    Le plus grave changement climatique que nous pourrions craindre est à mon avis le retour aux glaciations qui ont frappé la terre pendant l'essentiel des derniers millions d'années, veut-on lutter contre et comment ?

    Veut-on simplement revenir au climat des années préindustrielles avec par exemple les 41°C à Poitiers en juin 1870, ou la Seine totalement gelée à Paris en décembre 1879 ? (Lien vers meteo-paris.com - On peut choisir une autre période en cliquant dans les cases appropriées)?

    Ou bien préfère-t-on le climat du moyen-âge, quand la vigne poussait en Normandie (Lien Gallica - Abbé Cochet) ou les canicules de 1718 / 1719 avec ses 700 000 morts en France (Lien Libé - Le Roy Ladurie ?

    Et enfin comment agir sur le climat, alors que les éléments les plus importants agissant sur celui-ci sont, par ordre d'importance, le soleil, la couverture nuageuse, la teneur de l'atmosphère en vapeur d'eau, en aérosols (volcaniques notamment), et des éléments anthropiques tels que le CO2 ou le couvert végétal ? Les lobbies des éoliennes, du photovoltaïque, de la voiture électrique, de l'ampoule fluo, de la chaudière gaz à condensation, ... (on va pas les citer tous !)ont évidemment une réponse ... mais où sont les preuves de l'efficacité de ces actions ?
    Signé: papijo

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  2. Une correction, à la place du lien Gallica (Bibliothèque Nationale de France), je suggère le même texte publié ici de lecture beaucoup plus conviviale !
    Signé: papijo

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  3. @ papijo
    Ce n'est pas en se basant sur des événements exceptionnels qu'on monte un argumentaire ou pire encore qu'on conduit une politique.
    vous n'avez pas l'air de connaitre ce dont vous parlez.
    Allez donc sur le site de la PPE https://ppe.debatpublic.fr, il y a des tonnes de très bons documents (textes et vidéos).
    Et si après cela vous n'êtes toujours pas convaincu alors participez pour exprimer votre point de vue !

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    1. De la vigne en Normandie pendant plusieurs siècles, c'est un évènement exceptionnel ? Je pense connaître parfaitement ce dont je parle ! L'avantage d'avoir un certain âge ... c'est que lorsqu'on vous dit que le climat de réchauffe, qu'on bat des records ... on a des points de repère qui permettent de ne pas se laisser abuser par le discours ambiant !

      Un exemple au hasard ! Moi ! Quand j'étais plus jeune (et crédule comme vous), il y a une trentaine d'années, j'habitais la région parisienne, et les climatologues ont commencé à nous prédire pour la région parisienne, le climat de Toulouse (ma région d'origine) dans 10 ou 20 ans (peut-être même moins). Je me suis dit "Chouette, profitons-en !" et j'ai ramené de chez mes parents des pieds de figuier que j'ai installé (pour maximiser mes chances) devant un mur exposé au sud. Résultat: 20 ans après, ces arbres qui ont très bien survécu n'ont jamais produit une seule récolte normale (tout au plus quelques fruits séchés par le gel ou à moitié pourris vers fin octobre / novembre. Depuis ma retraite, je suis retourné dans ma région, j'ai des figuiers qui produisent comme dans ma jeunesse à partir de la mi-août, et j'y réfléchis à 2 fois avant de gober n'importe quels discours (au fait, vous souvenez vous des discours et rapports officiels concernant le "Bug de l'an 2000", et tant d'autres !)
      Signé: papijo

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    2. Adepte de la théorie du complot ?

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    3. Bonjour,

      Puisque vous semblez lire Le Roy Ladurie, il explique très bien dans son histoire du climat depuis l'an mil comment des facteurs socio-économiques influencent les cultures et même les dates de récoltes.
      La culture de la vigne (comme de l'olivier d'ailleurs) dans le nord de la France a effectivement existé, elle refletait surtout l'obstination des cultivateurs à une époque où le transport était cher, les terres agricoles abondantes et la qualité du vin secondaire. Pour prendre un exemple un peu caricatural : si on ne cultive plus la vigne sur la colinne de Montmartre, ce n'est pas parce qu'il y fait trop froid...

      Concernant vos figuiers, je suis déolé de leur sort mais votre observation ne peut pas primer sur des enquètes rigoureuses étendues à de vastes zones géographiques (par exemple sur la remontée des chenilles processionnaires vers le nord) et encore moins sur les mesures instrumentales.

      Sur le retour d'une glaciation : les périodes glaciaires ne sortent pas de nulle part, elles sont corrélées aux paramètres orbitaux de la Terre qui varient typiquement avec une période de l'ordre de quelques dizaines de milliers d'années. Vous pouvez vous occuper tranquillement de votre jardin pendant encore quelques temps.

      Pour terminer merci d'illustrer par votre commentaire la bêtise de l'énoncé choisi. Clairement, il s'agit de lutter contre le réchauffement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre anthropiques, pourquoi ne pas le dire tel-quel ?

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    4. @ papijo 2
      "Un exemple au hasard ! Moi ! Quand j'étais plus jeune (et crédule comme vous)"

      A savoir que moi aussi je suis retraité mais je ne suis pas encore papi ;-)
      Votre discours me rappelle celui des mes parents quand j'avais 18 ans "tu verras quand tu seras plus vieux", l'air de dire parce qu'on à 18 ans on ne peut pas avoir d'opinion, bref qu'on est un plouc !
      Et bien non, on peut être jeune et avoir des idées, je suis un vieux qui a des idées, et je ne me laisse pas enfermer dans une espèce d'imaginaire du style "moi j'ai vécu donc moi je sais, les autres savent pas". Faut savoir évoluer avec les époques...
      Je réitère, allez sur le site de la PPE.

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    5. Effectivement, les conditions de l'agriculture ont pu varier dans le passé et les gens étaient peut-être moins regardants sur la qualité des vins (mais il y a des limites: si un vin descend au-dessous de 7 à 8° d'alcool, il va très vite se transformer en vinaigre (se "piquer")et sera impossible à conserver ! Mais on peut aussi objecter que les progrès de la sélection des plantes permet aujourd'hui de faire pousser de la vigne dans des climats moins optimaux que par le passé, ce qui contrecarre l'effet "faible taux de sucre".

      En fait, la vigne n'est qu'un exemple parmi d'autres. On peut s'intéresser aux glaciers par exemple. Aujourd'hui, les glaciers "fondent" un peu partout. Et que trouve-t-on sous la glace ... des troncs d'arbre ! Ils sont arrivés là comment ? Avez-vous une explication autre que "Autrefois, les températures ont été naturellement plus élevées qu'aujourd'hui".

      Quelques exemples: en Suisse (les germanophones qui n'aiment pas les sites sceptiques trouveront dedans le lien vers l'original en allemand), au Chili, au Canada, et il y en a certainement beaucoup d'autres !

      Pour en revenir à l'effet que peut avoir sur le climat mondial le remplacement de notre électricité nucléaire par de l'électricité d'origine éolienne ou photovoltaïque ... je ne m'étendrai pas sur le sujet. Cette politique est tout aussi intelligente que celle qui consiste, pour lutter contre les émissions de CO2, à remplacer le chauffage électrique par un chauffage au gaz (en chaudière à condensation) comme préconisé par la RT2012 ... et à s'interdire l'exploitation de nos ressources éventuelles en gaz. Si ces politiques ne sont pas l'oeuvre de lobbies qui se moquent de nous, qui est responsable ?
      A moins que tout simplement, on n'utilise ces questions stériles (inclure ou ne pas inclure la lutte contre le CO2 dans la constitution) pour nous détourner de problèmes plus graves, mais je ne suis pas assez complotiste pour aller jusque là !
      Enfin, une dernière question: où et quand est débattu le bien-fondé de toutes ces politiques "climatiques" ? Faut-il attendre d'avoir en France un autre "Trump" pour qu'on commence à en débattre ? Ne serait-il pas plus intelligent de le faire avant ?
      Signé: papijo

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  4. Bonjour,
    je ne suis pas juriste mais est-ce-que le fait de rajouter "et de l'action contre les changements climatiques" n'ouvre pas la voie à de nouvelles lois dans ce domaine ?

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  5. @ papijo 3
    "Enfin, une dernière question: où et quand est débattu le bien-fondé de toutes ces politiques "climatiques" ? Faut-il attendre d'avoir en France un autre "Trump" pour qu'on commence à en débattre ? Ne serait-il pas plus intelligent de le faire avant ?"

    Vous êtes sourd ou vous le faites exprès ?
    https://ppe.debatpublic.fr

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    1. Quand je parle d'un débat, il ne peut s'agir que d'une discussion entre gens convenablement informés. Quand on organise une propagande totalement orientée, et ensuite on pose une question "au peuple", cela ne s'appelle pas un débat mais un plébiscite, tel que ceux organisés dans les dictatures.

      Il existe de nombreux scientifiques qui ne partagent pas les thèses de nos écolos. Pourquoi n'ont-ils pas la parole dans les médias. Pourquoi, quel que soit le sujet (agriculture, énergie, transports, santé ...) donne-t-on pratiquement toujours la parole à des écologistes plutôt qu'à des "spécialistes" ? Dans quels programmes scolaires, apprend-on aux élèves à relativiser les informations qu'ils reçoivent en leur montrant des exemples tels que ceux que je donne ci-dessus. Est-ce normal qu'on interdise à un journaliste d'exercer sous prétexte qu'il serait climato-sceptique (ce n'était même pas le cas, il dénonçait juste des excès) !
      Signé: papijo

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    2. @ papijo 4
      Oui en effet, sourd, fait exprès et théorie du complot.
      J'espère que vos descendants ne sont pas du même tonneau !

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  6. CHENEBEAU Michel31 mai 2018 à 22:11

    Je crois halluciner en vous lisant. Je vais finir par croire que le principal combat qu'il faut mener, ce n'est pas sur le climat, mais sur l'ignorance. Ce qui est sur, c'est que la terre a des limites, et qu'elles sont aujourd'hui dépassées par notre mode de consommation dans pratiquement tous les domaines. Il est donc urgent pour les générations à venir de mettre le pied sur le frein. Ce n'est pas moi qui le dit, mais 15 000 chercheurs de toutes disciplines. Les avez-vous lus ?
    Michel

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