PPE : une proposition alternative pour l'avenir du parc nucléaire français

Savez-vous qu'en ce moment même des décisions cruciales pour l'avenir de notre pays se préparent ? Le débat sur la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie, la feuille de route énergétique de notre pays pour les 10 prochaines années, s'achève et une première version devrait être présentée à la rentrée, voire dès juillet.
Je ne voudrais pas vous gâcher votre apéro au soleil ni minimiser les enjeux d'un huitième de finale contre l'Argentine mais cette feuille de route devra traiter un problème particulièrement périlleux : l'avenir de notre parc nucléaire et la gestion de sa fin de vie. Quelles que soient les décisions qui seront prises - y compris la pire : le laisser-faire, elles auront des conséquences qui seront encore ressenties par vos arrière-petits-enfants...

> Cet article est la synthèse d'un cahier d'acteur soumis dans la cadre du débat public sur la PPE. Vous pouvez le consulter ici.



34 de nos 58 réacteurs nucléaires auront dépassé leurs DLC en 2025...


Les données du problème sont simples : aujourd'hui notre électricité vient aux trois quarts de réacteurs nucléaires qui ont été construits il y a deux générations, approximativement quand vos grands parents avaient votre âge. Un jour ou l'autre, ces machines vont cesser de fonctionner et nous n'avons pas le début d'une idée de la façon dont nous allons les remplacer. Nous n'avons pas de proposition politique sérieuse à ce sujet, encore moins de consensus, nous n'avons pas d'outil industriel capable de gérer un tel projet et nous n'avons pas les moyens économique de le mener. C'est la raison pour laquelle, la durée de vie de nos réacteurs va être prolongée au-delà de 40 ans.

Cette décision sera coûteuse, peut-être dangereuse, mais quand même moins que couper l'électricité à la cinquième puissance de la planète.

Le hic, c'est qu'elle ne résout rien : le problème se reposera dans les mêmes termes au bout de quelques années. La seule solution pour éviter de se retrouver à nouveau face au fait accompli en 2025 ou en 2035, c'est de réduire dès maintenant notre dépendance vis-à-vis du parc nucléaire de deuxième génération.
Pour mal conçu qu'il soit, l'objectif de 50% de nucléaire en 2025 fixé par la loi de transition énergétique a au moins le mérite de nous obliger à affronter la question de la diversification de notre mix électrique. Sa mise en oeuvre est donc un des enjeux majeur de la  prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie.


La fermeture de réacteurs ou le statu-quo ?


Schématiquement deux positions se sont dégagées dans le débat :
  • A ma droite : ceux qui veulent respecter l'objectif de 50%, qu'ils y voient une cible en soi ou un point d'étape vers une baisse plus importante voire une sortie du nucléaire, et réclament pour cela un planning de fermeture de réacteurs.
  • A ma gauche : leurs adversaires qui craignent que le recul du nucléaire, commandable, au profit d'énergie renouvelables, variables, rende nécessaire un complément fossile et donc une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Leur proposition, schématiquement : laisser l'objectif de 50% mourir doucement.
Entre les deux, le gouvernement qui s'est senti obligé d'ajouter à la confusion en reniant l'objectif de 50% en 2025 - pourtant un engagement de campagne du candidat Macron - sans se donner la peine de formuler des propositions alternatives.

Pour ma part, aucune de ces deux positions ne me parait entièrement satisfaisante. Continuer comme si de rien n'était est impensable, ce serait préparer une catastrophe dans 10 ou 20 ans quand nous aurons à renouveler un parc nucléaire usé jusqu'à la corde sans y être mieux préparé qu'aujourd'hui.
Mais les opposants aux fermetures de réacteurs ont raison d'avoir peur pour l'équilibre du réseau français : les scénarios qui ont été proposés à ce sujet reposent beaucoup trop sur la bonne volonté de nos voisins. RTE, par exemple, imagine des exportations d'électricité de 100 à 150TWh par an en 2030 - des niveaux inédits : aujourd'hui le premier exportateur mondial d'électricité est le Canada avec un peu plus de 60TWh. La stratégie serait donc de surproduire de façon chronique et d'assurer l'équilibre offre-demande en déversant les excédents sur les autres pays européens... A mon avis, espérer que les nos voisins accepteront que nous externalisions ainsi le coût de notre transition énergétique c'est se bercer d'illusion.

Alors on est dans l'impasse ? Pas forcément : il existe un scénario qui n'a pas été exploré : réduire notre dépendance au nucléaire sans fermer de réacteurs.


Une proposition alternative : réduire la part du nucléaire via le facteur de charge

 
Le péché originel des partisans de la fermeture de réacteurs, c'est que lier la diminution de la part du nucléaire à réduction du parc revient à supposer qu'il existe une relation linéaire entre la puissance nucléaire installée et la production, c'est-à-dire à faire l'hypothèse que le nucléaire français fonctionnera demain comme il le fait aujourd'hui : principalement en base. Si c'est le cas, il nous faudra bien chercher ailleurs le moyen d'assurer l'équilibre du réseau puisque par définition ce ne sont pas les renouvelables variables qui vont s'en charger...

Cette idée que le nucléaire a vocation à produire à puissance quasi-constante n'a rien d'évident. Techniquement, le parc français dispose déjà d'une certaine flexibilité et EDF nous assure que ce fonctionnement pourrait être étendu. Les réacteurs français pourraient donc fonctionner en suivi de charge : en baissant leurs productions lorsque les renouvelables produisent et en l'augmentant lorsque les conditions sont moins favorables. Des études toutes fraîches ont montré que, dans certaines condition, ce fonctionnement peut même s'avérer plus rentable pour l'exploitant et conduire à une baisse du prix de l'électricité.
Selon une thèse récente, une utilisation raisonnable de la flexibilité du parc français permettrait d'intégrer 10% de solaire et 20% d'éolien sans surplus majeurs. A hydroélectricité, gaz et biomasse constants (respectivement 10, 8 et 2% du mix électrique), cela suffirait à atteindre l'objectif de 50% de nucléaire tout en fermant les dernières centrales à charbon.

En d'autres termes, l'objectif de 50% pourrait être atteint non pas par un réduction du parc nucléaire à facteur de charge constant mais par une baisse du facteur de charge à puissance installée constante. Un des intérêts de ce scénario est qu'il ne nécessite pas un pari technologique sur le stockage de l'électricité ou la bonne volonté de nos voisins : l'équilibrage du réseau est assuré par l'utilisation flexible du nucléaire.


Outils politiques


Quels outils politiques seraient nécessaires pour réduire la part du nucléaire de cette manière ? D'abord évidemment une accélération des nouvelles installations renouvelables : pour parvenir à 20% d'éolien et 10% de solaire nous aurions besoin d'environ 45GW de nouvelles capacités éoliennes et autant de nouvelles installations solaires. Au rythme actuel, il nous faudrait entre un quart et un demi-siècle pour y arriver...

Ensuite, il faut contourner l'aléa moral d'EDF : l'exploitant cherche, a priori, un facteur de charge le plus élevé possible pour ses installations. C'est humain : il est payé au mégawattheure produit et ses coûts fixes sont importants... Malgré les risques pour lui et la société dans son ensemble, il peut donc être tenté d'entraver le développement d'autres énergies qui vont l'obliger à réduire sa production et, si elles se développent malgré tout, il n'a pas intérêt à faciliter leur intégration.
Ce problème pourrait être au moins en partie résolu en obligeant EDF à provisionner une somme fixe sur chaque mégawattheure d'électricité issu de son parc nucléaire de seconde génération. Ce prélèvement pourrait alimenter un fonds destiné à gérer la fin de vie du parc, y compris le démantèlement (qui est probablement sous-évalué aujourd'hui) mais aussi la reconversion des salariés et des territoires. Il aurait aussi pour effet de relever le coût variable de la production nucléaire rendant son fonctionnement en base moins attractif. On pourrait même imaginer en faire une contrepartie à un prix plancher du carbone dans le cadre d'une négociation européenne.

Bien sur cette proposition ne résout pas à elle seule la question de la fin de vie du parc nucléaire : les réacteurs devront un jour ou l'autre fermer... Mais, sur la durée de la prochaine PPE, il me semble qu'elle permettrait de diversifier notre mix en exploitant au mieux l'existant et en fournissant une solution acceptable par toutes les parties au débat. Qu'en pensez-vous ?


Publié le 27 juin 2018 par Thibault Laconde

Illustration : By Ludovic Péron (Own work) [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons



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13 commentaires :

  1. Cette approche est intéressante mais...
    Les principaux arguments avancés par ceux qui sont pour une baisse à 50% du nucléaire sont les déchets et le risque nucléaire.
    Je ne suis pas sûr qu'en gardant le parc actuel tout en diminuant le facteur de charge cela réponde au 2eme argument.
    Concernant une éventuelle entrave d'EDF à l'introduction des ENR, il me semblait avoir compris que via sa filiale "EDF Énergies Nouvelles" un certain virage s'était amorcé...

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  2. Comme le commentateur précédent, si je suis certain que les ENRs (éolien et photovoltaïque) ne remplaceront jamais 50% de nucléaire, je ne pense pas que laisser à notre nucléaire vieillissant le rôle de back-up des ENRs soit une bonne idée.

    A l'origine, les centrales nucléaires ont été conçues pour "une durée de vie de 40 ans". En clair, cela signifie qu'on a estimé que dans les conditions de fonctionnement prévues (base avec de légères modifications de puissance autour le la marche nominale) la tenue à la fatigue des matériaux utilisés leur permettrait de supporter un certain nombre de transitoires correspondant à cette durée de vie (par exemple: 200 démarrages depuis l'état froid, 10000 transitoires de 70 à 100% de puissance, 4 épreuves hydrauliques à 120% de PN, etc.).

    Je veux bien croire que ces estimations comportaient "de la marge", mais comment peut-on penser que les nouvelles conditions de fonctionnement envisagées ne vont pas détériorer considérablement la sécurité des centrales:
    - Nombre de transitoires de puissance beaucoup plus important
    - Fragilisation accrue par une exposition au rayonnement 50 % plus importante (60 ans au lieu de 40)
    - Taux de carbone dans les aciers au-delà des spécifications, ce qui augmente encore la fragilité (et qui est la cause des arrêts demandés par l'ASN l'hiver dernier).
    - Contrôles des aciers dans des conditions non optimales (du fait des émissions radioactives après 40 à 60 ans de service)

    Je ne suis pas spécialement hostile au nucléaire, je pense que nos centrales sont certainement en état de continuer à produire dans de bonnes conditions pendant de nombreuses années au voisinage de leur puissance nominale, mais pourquoi leur demander de baisser leur puissance en cas de présence de production ENR, ce qui ne réduit même pas leur coût d'exploitation ? Le fait de vouloir assurer des revenus conséquents aux "producteurs ENRs" amis de nos hommes politiques justifie-t-il qu'on prenne de tels risques ?
    Signé: papijo

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  3. 'La centrale nucléaire de Brokdorf, dans le nord de l’Allemagne, a été mise à l’arrêt en février, quand son entretien a indiqué que les barres de combustible de ses réacteurs avaient commencé à s’oxyder à l’improviste.

    Un organe de supervision nucléaire régionale a à présent décidé que la centrale pouvait être remise en marche, mais uniquement en « mode sécurité », selon le ministre à la Transition énergétique de l’État du Schleswig-Holstein.

    Robert Habeck, le ministre de l’Énergie de l’État (Verts), a ajouté que la production de la centrale ne devrait plus être augmentée ou diminuée à la dernière minute en fonction de la production d’électricité renouvelable. « L’énergie atomique n’est pas une technologie de transition », a-t-il averti.

    L’autorité de supervision nucléaire de la ville de Kiel a indiqué que la corrosion des barres de combustible de Brokdrof résultait de l’augmentation de la capacité des réacteurs, qui est passée de 1 440 MW à 1 480 MW en 2006. L’enquête a également déterminé que l’utilisation de la centrale en suivi de charge, c’est-à-dire en adaptant sa production aux fluctuations du réseau, avait contribué aux dégâts.

    La pratique consistant à augmenter et diminuer rapidement la génération d’électricité pour compenser la production élevée ou faible des renouvelables est surtout utilisée depuis 2015. Cette année-là, le coût lié à l’arrêt des turbines éoliennes quand assez d’électricité avait été produite était particulièrement élevé dans la région.'
    La plupart des centrales nucleaires aux Etats-Unis sont autorises jusqu'a soixante ans, et certains visent a quatre-vingt. Apres vingt ans, les éoliennes et les panneaux solaires construits aujourd'hui devront être remplacés.

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  4. Pour information.
    Les vidéos de la réunion de clôture du débat sur la PPE https://www.dailymotion.com/playlist/x5vtg1
    Fort intéressant.

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    1. Pour ceux qui comme moi sont allergiques aux longs sermons, vous pouvez nous faire un petit résumé ? (ou au moins nous dire ce que vous avez trouvé intéressant, et à quel moment de la vidéo)
      Signé: papijo

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    2. @ papijo
      il y a un support de présentation du débat ici (pdf) https://ppe.debatpublic.fr/file/2209/download?token=kpMUJxhE
      Quant aux vidéos, il me semble que les 2 discours à ne pas manquer sont celui de Jacques Archimbaud (3eme vidéo partie 2/2) et Nicolas Hulot.
      Il est clair, mais on le savait déjà, qu'on s'oriente vers les -50% de nucléaire, reste à définir le comment et surtout le timing...

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    3. C'est curieux ... j'ai regardé le document ".pdf" que vous mentionnez. Nulle part on ne parle d'argent !

      Si on souhaite obtenir d'un public un choix "éclairé", cela suppose qu'il est entièrement informé des avantages mais aussi des inconvénients de chaque solution: Si on me demande: "Etes-vous favorable à une production d'électricité qui ne produit pas de fumées et pas de déchets radioactifs ?", à peu près tout le monde répondra "Oui !". Par contre, si on demande "Etes-vous favorable à une multiplication par 4 de votre facture d'électricité pour qu'elle se fasse sans fumées et rejets radioactifs ?", la réponse sera totalement différente ! (En réalité, le facteur "4" devrait être au moins multiplié par 2 ou 3 si on tient compte de l'intermittence des ENRs).

      Vanter les avantages sans parler des inconvénients, n'est-ce pas ce qu'on appelle vulgairement "une arnaque" ?
      Signé: papijo

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    4. @ papijo

      bien entendu que l'aspect coûts a été évoqué pendant le débat et que beaucoup d'intervenants ont posé la question "quelle incidence sur ma facture d’électricité ?".
      Un ensemble de réponses se trouvent ici https://ppe.debatpublic.fr/questions-reponses?combine=&tid%5B%5D=120#edit-combine-wrapper
      Par ailleurs si vous avez le courage lisez le dossier du maître d'ouvrage qui reprend l'aspect coût https://ppe.debatpublic.fr/file/1424/download?token=_z9dJpso
      Toujours est-il que ce débat est terminé depuis le 30/06 et qu'on ne va pas (tous les deux) remettre le couvert sur le site de Thibault ;-)

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    5. Effectivement, le problème des coûts est abordé. Par exemple question: "On parle du coût de l'éolien et du photovoltaïque soit disant pas cher. Mais avec la transition énergétique, au final, sur ma facture, ça va me coûter bien plus cher qu'aujourd'hui, non ?"

      Réponse:"Le financement des charges de soutien au développement des énergies renouvelables électriques est assuré par le compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » qui est désormais alimenté par des taxes pesant sur les produits énergétiques les plus émetteurs de gaz à effet de serre : taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, qui pèse notamment sur les carburants fossiles essence et diesel, et taxe intérieure de consommation sur le charbon."

      Autrement dit: "Promis, on ne vous prendra pas plus d'argent dans la poche de gauche, mais pour le reste, on ira se servir directement dans la poche de droite et c'est un immense progrès"! Au fait, qu'appelle-t-on exactement "langue de bois" ?

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    6. J'ai oublié: Signé: papijo

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    7. @ papijo, "clap de fin"

      Vous aviez l'occasion de participer au débat, vous avez raté le coche,un peu trop tard pour venir se plaindre et ronchonner...
      Mais qu'à cela ne tienne, il est déjà prévu un nouveau débat sur la PPE.

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    8. J'ai répondu ... mais pas pris les références de ma question pour la retrouver ...

      Je vois avec satisfaction que la plupart des commentateurs sont plus avertis que ce que les médias voudraient nous faire croire ! Dommage que les réponses aux commentaires ne soient pas du même niveau . J'ai l'impression que les questions sont posées par "les ingénieurs" et les réponses assurées par des stagiaires "communication" du ministère de l'environnement ou des ONG écolos. Manifestement, ces conseillers ne comprennent pas les questions et répondent en récitant une page un peu au hasard de leur catéchisme... Le but recherché n'est pas de répondre aux questions, mais de pouvoir dire "On a répondu !"

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    9. "Manifestement, ces conseillers ne comprennent pas les questions et répondent en récitant une page un peu au hasard de leur catéchisme..."

      Tout à fait d'accord, pendant ce débat on n'a pas arrêté de nous rabâcher la même litanie et la maitrise d'ouvrage s'est cachée systématiquement derrière la fameuse loi de transition énergétique de 2015 avec ces 50% de baisse de nucléaire dont on se demande ce que ça vient faire ici. Comme si la loi ne pouvait pas être changée.
      Politique, quand tu nous tiens, quel dommage...

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