Alors que les diplomates du monde entier préparent la conférence sur le climat de Katowice et que le gouvernement français pondère ce qu'il va faire du nucléaire, on peut avoir l'impression que les États règnent en maîtres sur les politiques énergétiques et climatiques. Pourtant ils ne sont pas les seuls à agir, loin de là : les entreprises, les collectivités, les ONG, le monde académique, etc. jouent un rôle aussi voire plus important.
Pour documenter leurs contributions, qui reste assez peu connue, l'association Climate Chance a créé un "observatoire de l'action climatique non-étatique". Cet observatoire publie ces jours-ci son premier rapport annuel (disponible ici).
J'ai largement contribué aux chapitres de ce rapport consacrés à l'énergie et à l'industrie. Voici ce que je retiens de ce travail inédit dans le domaine que j'ai le plus approfondi, c'est-à-dire la production d'électricité et de chaleur.
On ne dispose pas encore de données complètes sur les émissions liées à la production d'électricité et de chaleur en 2017 mais les premiers éléments sont loin d'être encourageants : l'année dernière, les émissions du G20 (qui représentait 80% des émissions dans ce secteur en 2016) ont augmenté de 2%. Il ne fait donc guère de doutes que la légère baisse des émissions enregistrée en 2015 a fait long feu.
La raison ? Principalement l'augmentation de la demande d'électricité sous l'effet de la croissance économique et des progrès de l'électrification. La diffusion des énergies renouvelables rend la production d'électricité moins émettrice mais ces progrès sont largement contrebalancés par la hausse de la production.
Est-ce que cela signifie que rien ne se passe. Certainement pas ! Quand on va au-delà de ces chiffres et qu'on s'intéresse, notamment, aux entreprises du secteur il est évident que le secteur est en train de changer à grande vitesse.
C'est le cas évidemment avec les grands énergéticiens occidentaux - Eon, RWE, EDF... - et leurs fournisseurs - Siemens, GE, ABB, Westinghouse... - qui se réorganisent péniblement. Certaines entreprises y parviennent et en profitent pour se réinventer totalement comme le danois Orsted passé en une dizaine d'années du pétrole à l'éolien.
Les grandes entreprises héritières des monopoles nationaux peuvent aider à développer des filières complexes, c'est le cas de KenGen qui a fait du Kenya un champion de la géothermie. Mais d'une manière générale, l'innovation technique et économique facilite l'entrée de nouveaux acteurs alors que les entreprises historiques sont handicapées par l'inertie de leurs infrastructures. On voit ainsi les opérateurs de téléphonie et les banques investir la fourniture d'électricité au travers des systèmes "pay as you go" qui alimentent 750.000 foyers principalement en Afrique de l'Est ou encore les géants de l'internet entrer sur le marché de l'énergie aux États-Unis.
Si on regarde les indicateurs, il semble que la transition climatique du secteur électrique n'a pas encore commencé mais si on s'intéresse aux dynamiques des organisations il est clair qu'il est en train d'évoluer rapidement. Le visage du secteur de l'électricité n'est déjà plus ce qu'il était il y a 10 ans et il sera probablement méconnaissable dans quelques années.
Ce ne sont pas que les États et les entreprises qui décident des grandes options énergétiques. La population, plus ou moins organisée, a la volonté et la capacité d'exercer une réelle influence.
La Chine, qui pourtant n'est pas le pays le plus ouvert dans ce domaine, en donne un bon exemple : la mobilisation de la population contre la pollution atmosphérique, notamment au printemps 2015, a joué un rôle important pour orienter le gouvernement central et les entreprises vers une production d'énergie moins carbonée. Dans le même temps, les interrogations des milieux académique sur la sécurité des centrales nucléaires construites à l'intérieur des terre a conduit à un moratoire de fait sur les nouveaux projets.
La mobilisation de la société civile est souvent dirigée contre les centrales à charbon : on retrouve des mouvements de ce type de l'Allemagne (mine de Hambach) jusqu'au Kenya (centrale de Lamu). Mais elle peut aussi cibler des filières destinées à réduire les émissions comme la séquestration du carbone (Barendrecht aux Pays Bas, Beeskow en Allemagne, Greensville et Long Beach aux Etats-Unis) et bien sur le nucléaire.
C'est évident en France où la loi sur la transition énergétique de 2015 à fait des intercommunalités les cheffes de file de la transition énergétique et rendu les plan climat-air-énergie territoire obligatoire pour la plupart d'entre-elles. Mais c'est le cas aussi ailleurs.
Là encore la Chine fournit un exemple inattendu : de nombreuses villes chinoises se dotent de plans climat. Cette démarche permet d'accélérer le déploiement de solutions comme la mobilité électrique ou le chauffage solaire mais elle offre aussi un espace d'expression dans lequel le modèle de croissance basé sur l'industrie et la construction est souvent débattu.
Au-delà de leurs territoires, les collectivités peuvent aussi faire évoluer les instances nationales avec lesquelles elles dialoguent. Le Cap en Afrique du Sud fournit un bel exemple de ce type de démarche : depuis 2008, la ville est engagé dans des échanges avec NERSA, le régulateur de l'électricité sud-africain, et l'électricien Eskom pour donner un cadre réglementaire et technique à la production solaire décentralisée. Ses efforts, qui se poursuivent, ont profité à d'autres collectivités du pays.
Le prix du carbone est un des outils qui fait consensus dans la lutte contre le changement climatique. Et il a démontré spectaculairement son efficacité en Grande Bretagne qui a vu sa production électrique au charbon s'effondrer après avoir fixé un prix plancher pour le carbone.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser cet outil n'est pas réservé aux États : une trentaine de villes, régions ou états fédérés ont déjà mis en place une taxe carbone ou un marché des émissions. Aux États-Unis, 9 états fédérés se sont engagés à créer un marché du carbone dans le cadre du Regional Greenhouse Gas Initiative afin de réduire leurs émissions de 65%. En Chine, l'expérience des gouvernements locaux, comme les villes de Shanghai et Pékin ou la province de Canton, qui ont mis en place un marché du carbone local, sert d'inspiration pour la création du marché national. Au Canada,la Colombie Britannique, et l'Alberta ont créé des taxes carbone et le Québec et l'Ontario se sont dotés de marché des émissions...
Les entreprises aussi peuvent se doter volontairement de prix du carbone. C'est par exemple le cas de Microsoft qui prélève une "taxe" sur ses émissions directes et certaines émissions indirectes (comme les voyages en avion des salariés) et utilise l'argent collecté pour financer ses investissements dans les énergies renouvelables.
Finalement ce rapport met en évidence un foisonnement d'initiatives et d'actions. Elles ne suffisent pas encore à infléchir les émissions mais il y a matière à espérer. Si ces réussites peuvent être connues, reproduites, améliorées... nous sommes peut-être plus proche d'un basculement que les indicateurs le donne à penser.
Publié le 20 novembre 2018 par Thibault Laconde
Pour documenter leurs contributions, qui reste assez peu connue, l'association Climate Chance a créé un "observatoire de l'action climatique non-étatique". Cet observatoire publie ces jours-ci son premier rapport annuel (disponible ici).
J'ai largement contribué aux chapitres de ce rapport consacrés à l'énergie et à l'industrie. Voici ce que je retiens de ce travail inédit dans le domaine que j'ai le plus approfondi, c'est-à-dire la production d'électricité et de chaleur.
Les émissions restent mal orientées mais le visage du secteur change rapidement
On ne dispose pas encore de données complètes sur les émissions liées à la production d'électricité et de chaleur en 2017 mais les premiers éléments sont loin d'être encourageants : l'année dernière, les émissions du G20 (qui représentait 80% des émissions dans ce secteur en 2016) ont augmenté de 2%. Il ne fait donc guère de doutes que la légère baisse des émissions enregistrée en 2015 a fait long feu.
La raison ? Principalement l'augmentation de la demande d'électricité sous l'effet de la croissance économique et des progrès de l'électrification. La diffusion des énergies renouvelables rend la production d'électricité moins émettrice mais ces progrès sont largement contrebalancés par la hausse de la production.
Est-ce que cela signifie que rien ne se passe. Certainement pas ! Quand on va au-delà de ces chiffres et qu'on s'intéresse, notamment, aux entreprises du secteur il est évident que le secteur est en train de changer à grande vitesse.
C'est le cas évidemment avec les grands énergéticiens occidentaux - Eon, RWE, EDF... - et leurs fournisseurs - Siemens, GE, ABB, Westinghouse... - qui se réorganisent péniblement. Certaines entreprises y parviennent et en profitent pour se réinventer totalement comme le danois Orsted passé en une dizaine d'années du pétrole à l'éolien.
Les grandes entreprises héritières des monopoles nationaux peuvent aider à développer des filières complexes, c'est le cas de KenGen qui a fait du Kenya un champion de la géothermie. Mais d'une manière générale, l'innovation technique et économique facilite l'entrée de nouveaux acteurs alors que les entreprises historiques sont handicapées par l'inertie de leurs infrastructures. On voit ainsi les opérateurs de téléphonie et les banques investir la fourniture d'électricité au travers des systèmes "pay as you go" qui alimentent 750.000 foyers principalement en Afrique de l'Est ou encore les géants de l'internet entrer sur le marché de l'énergie aux États-Unis.
Si on regarde les indicateurs, il semble que la transition climatique du secteur électrique n'a pas encore commencé mais si on s'intéresse aux dynamiques des organisations il est clair qu'il est en train d'évoluer rapidement. Le visage du secteur de l'électricité n'est déjà plus ce qu'il était il y a 10 ans et il sera probablement méconnaissable dans quelques années.
La société civile et les communautés locales pèsent dans les choix énergétiques
Ce ne sont pas que les États et les entreprises qui décident des grandes options énergétiques. La population, plus ou moins organisée, a la volonté et la capacité d'exercer une réelle influence.
La Chine, qui pourtant n'est pas le pays le plus ouvert dans ce domaine, en donne un bon exemple : la mobilisation de la population contre la pollution atmosphérique, notamment au printemps 2015, a joué un rôle important pour orienter le gouvernement central et les entreprises vers une production d'énergie moins carbonée. Dans le même temps, les interrogations des milieux académique sur la sécurité des centrales nucléaires construites à l'intérieur des terre a conduit à un moratoire de fait sur les nouveaux projets.
La mobilisation de la société civile est souvent dirigée contre les centrales à charbon : on retrouve des mouvements de ce type de l'Allemagne (mine de Hambach) jusqu'au Kenya (centrale de Lamu). Mais elle peut aussi cibler des filières destinées à réduire les émissions comme la séquestration du carbone (Barendrecht aux Pays Bas, Beeskow en Allemagne, Greensville et Long Beach aux Etats-Unis) et bien sur le nucléaire.
Les collectivités jouent un rôle d'animation de la transition climatique
C'est évident en France où la loi sur la transition énergétique de 2015 à fait des intercommunalités les cheffes de file de la transition énergétique et rendu les plan climat-air-énergie territoire obligatoire pour la plupart d'entre-elles. Mais c'est le cas aussi ailleurs.
Là encore la Chine fournit un exemple inattendu : de nombreuses villes chinoises se dotent de plans climat. Cette démarche permet d'accélérer le déploiement de solutions comme la mobilité électrique ou le chauffage solaire mais elle offre aussi un espace d'expression dans lequel le modèle de croissance basé sur l'industrie et la construction est souvent débattu.
Au-delà de leurs territoires, les collectivités peuvent aussi faire évoluer les instances nationales avec lesquelles elles dialoguent. Le Cap en Afrique du Sud fournit un bel exemple de ce type de démarche : depuis 2008, la ville est engagé dans des échanges avec NERSA, le régulateur de l'électricité sud-africain, et l'électricien Eskom pour donner un cadre réglementaire et technique à la production solaire décentralisée. Ses efforts, qui se poursuivent, ont profité à d'autres collectivités du pays.
Le prix du carbone n'est pas un outil réservé aux États
Le prix du carbone est un des outils qui fait consensus dans la lutte contre le changement climatique. Et il a démontré spectaculairement son efficacité en Grande Bretagne qui a vu sa production électrique au charbon s'effondrer après avoir fixé un prix plancher pour le carbone.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser cet outil n'est pas réservé aux États : une trentaine de villes, régions ou états fédérés ont déjà mis en place une taxe carbone ou un marché des émissions. Aux États-Unis, 9 états fédérés se sont engagés à créer un marché du carbone dans le cadre du Regional Greenhouse Gas Initiative afin de réduire leurs émissions de 65%. En Chine, l'expérience des gouvernements locaux, comme les villes de Shanghai et Pékin ou la province de Canton, qui ont mis en place un marché du carbone local, sert d'inspiration pour la création du marché national. Au Canada,la Colombie Britannique, et l'Alberta ont créé des taxes carbone et le Québec et l'Ontario se sont dotés de marché des émissions...
Les entreprises aussi peuvent se doter volontairement de prix du carbone. C'est par exemple le cas de Microsoft qui prélève une "taxe" sur ses émissions directes et certaines émissions indirectes (comme les voyages en avion des salariés) et utilise l'argent collecté pour financer ses investissements dans les énergies renouvelables.
Finalement ce rapport met en évidence un foisonnement d'initiatives et d'actions. Elles ne suffisent pas encore à infléchir les émissions mais il y a matière à espérer. Si ces réussites peuvent être connues, reproduites, améliorées... nous sommes peut-être plus proche d'un basculement que les indicateurs le donne à penser.
> Vous pouvez consulter ici le chapitre énergie du rapport Climate Chance
Publié le 20 novembre 2018 par Thibault Laconde