Affichage des articles dont le libellé est Allemagne. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Allemagne. Afficher tous les articles

La chasse aux sorcières et le petit âge glaciaire : un climat de suspicion

Si vous cherchez un événement historique qui symbolise à la fois l'obscurantisme le plus profond, la cruauté la plus féroce et les sentiments humains les plus vils, il y a des chances que la chasse aux sorcières vous vienne à l'esprit.

Se pourrait-il que les cette face obscure de la Renaissance européenne ait été, pour tout ou partie, causée l'évolution du climat ? Nous allons voir que l'hypothèse n'est pas aussi loufoque qu'elle peut sembler au premier abord.
Et si c'est le cas, cela ne devrait-il pas nous faire redouter encore plus le changement climatique dans lequel, à notre tour, nous nous engageons ?
Sorcières invoquant le mauvais temps (illustration de 1489)
Cet article fait partie d'une série d'été consacrée au rôle du climat dans l'histoire. Retrouvez un nouvel article mercredi prochain et, en attendant, les articles déjà parus :

La chasse aux sorcières est contemporaine d'un refroidissement du climat


Commençons par le commencement : la chronologie.

La chasse aux sorcières prend naissance dans les Alpes au milieu du XVe siècle. Elle est lancé "officiellement" par une bulle papale de 1484. Un temps contenue par les critiques des humanistes, elle embrase l'Europe dans la seconde moitié du XVIe siècle et culmine au tournant du XVIe et du XVIIe siècle. Pendant cette période, au moins 110.000 procès en sorcellerie ont lieu dont 60.000 se terminent par une exécution.

Cette époque correspond à un changement climatique en Europe : après l'optimum climatique médiéval, une période relativement douce qui s'étend grosso-modo de l'an 1000 aux alentours de 1300, le continent se refroidit progressivement. Ce "petit âge de glace" s'amorce au XIVe siècle et culmine au XVIIe.
Entre le point le plus haut de l'optimum climatique médiéval et le point de plus bas du petit âge glaciaire, la température moyenne baisse de l'ordre de 1°C en Europe. C'est peu, beaucoup moins que la variation de 2 à 4°C qui nous attend certainement au cours du XXIe siècle, mais c'est largement suffisant pour bousculer les sociétés qui subissent ce refroidissement.

"La chasse aux sorcières, qui a fait au moins 60.000 victimes en Europe, se déroule au moment où le continent entre dans le petit âge glaciaire. Changement climatique et persécutions sont-ils liés ?"




Evidemment les contemporains ne savent rien de ce petit âge de glace. Ce qu'ils voient ? Des hivers plus longs et plus froids que ceux auxquels ils sont habitués. Des cultures qui déperissent entraînant parfois avec elles des pans importants de l'économie : c'est l'époque où la vigne et le vin, par exemple, disparaissent du centre et du nord de l'Europe. Et des phénomènes climatiques - tempêtes, grêle, gelées et neiges tardives... - qui leur apparaissent sans précédent...


Pour la théologie médiévale, le diable peut intervenir dans le climat


Face à ces phénomènes qui les dépassent, ils vont naturellement chercher des explications. Or à depuis la fin du Moyen Âge, la doctrine chrétienne admet les interférences humaines dans le climat.
Selon les termes de Saint Thomas d'Aquin : "le monde des corps obéit naturellement à celui des  esprits pour ce qui est mouvement local. Par conséquent le diable a le pouvoir de causer dans ce monde inférieur tout ce qui peut provenir du mouvement local". Or la météo est bien un de ces mouvements locaux puisque "le vent, la pluie et d'autres dérangements similaires peuvent être causés par le seul mouvement de la vapeur libérées par la terre ou par l'eau", rien n'empêche dès lors que le démon et ses alliés s'en mêlent.
S'appuyant sur ce passage de St Thomas, le fameux Malleus Maleficarum, manuel de référence en matière de sorcellerie publié à Strasbourg à la fin du XVe siècle, est parfaitement explicite : "le diable et ses disciples peuvent par sorcellerie créer des éclairs, des orages de grêle, des tempêtes".

La manipulation de la météo se retrouve donc dans d'innombrables procès en sorcellerie. La sorcière faiseuse de grêle en particulier est un classique de la démonologie : en Lorraine, dans les années 1590, sur près d'un milliers de procès, 22% mentionnent (entre autres) l'invocation de la grêle. Au XVIe siècle, elle figure dans un acte d'accusation sur 5 à Zurich...


Un orage allemand en 1562 a-t-il relancé la chasse aux sorcières en Europe ?


La cas de l'été 1562 en Allemagne illustre le lien entre caprices de la météo et vagues de persécutions. En aout 1562, l'Europe centrale est traversée par une violente tempête. Après quelques années froides et humides, qui ont amené leurs lots de récoltes endommagées, d'innondations et d'épidémies, la sensibilité de la population à ce type d'événements est déjà exacerbée : la foule gronde et réclame des responsables.
Dans la petite ville de Wiesensteig, entre Stuttgart et Ulm, le seigneur local accepte d'emprisonner quelques femmes. Mais loin de faire cesser les persécutions, ces concessions les attisent : les arrestations sont suivies de torture et, inévitablement, d'aveux et de dénonciations... qui mènent à de nouvelles arrestations, etc. Une mécanique implacable se met en route et bientôt les bûchers fonctionnent à plein régime. Avant la fin de l'année 1562, 63 femmes sont brûlées à Wiesensteig.

Ce massacre, qui a inspiré rapidement plusieurs livres qui seront traduits et réédités, est parfois cité comme le vrai début de la chasse aux sorcières en Europe.
Représentation contemporaine de l'orage de grêle de 1562
La cas n'est pas isolé : on retrouve le même scénario en Allemagne encore en 1570 (famine causée par deux années froides), en Europe centrale à la fin des années 1570 (famine aussi), en Franconie en 1626 (gelée tardive : à Bamberg 600 personnes sont brûlées vives, 900 à Wurzburg...), etc.

"A la Renaissance, un orage de grêle, une gelée tardive ou tout autre événement météorologique qui semble anormal peut conduire des dizaines voire des centaines de personnes au bûcher."



Ces chasses aux sorcières semblent souvent avoir été initiées par un mouvement populaire. Dans certains cas, la foule va jusqu'à élire des délégués qui mènent l'enquête, arrêtent et torturent pour ne remettre les "coupables" aux autorités qu'une fois les aveux obtenus. Au milieu de cette hystérie collective, que font les élites ?.


Les élites : souvent dépassées par un mouvement populaire


Il est intéressant d'observer le rôle de la noblesse et du clergé face à ces désordres. Beaucoup vont laisser-faire et attendre parfois très longtemps l'occasion de reprendre en main la situation : dans la principauté archiépiscopale de Trèves, il faut une décennie (de 1581 à 1591) et 350 bûchers pour que la populace se calme... Quelques uns vont prendre eux-même la tête de la chasse.
Mais d'autres, plus courageux ou plus éclairés, vont tout de même se soulever contre ces pratiques barbares : c'est le cas par exemple de l'archevèque de Reims en 1644, lorsque la foule réclame des responsables pour les gelées tardives qui ont détruit le raisin.

"Face aux calamités, la foule se charge souvent elle-même de trouver les responsables et d'obtenir des aveux. Là où elles ne se sentent pas assurées de leur pouvoir, les élites laissent faire, parfois pendant des années..."



Ce sont finalement ces élites politiques qui auront raison de la chasse aux sorcières. A la fin du XVIe siècle des États forts se construisent en Europe occidentale : la France, l'Espagne, l'Angleterre ne tolèrent plus les élans populaires et décriminalisent la sorcellerie. Les législateurs, sur ce sujet, ont devancé les philosophes...
Mais dans l'Europe centrale et orientale qui reste morcelée et aux mains de dirigeants instables, les persécutions se poursuivent tard dans le XVIIIe siècle.


En conclusion


Il est donc clair que des épisodes météorologiques défavorables ont joué un rôle dans le déclenchement de certaines vagues de persécutions, mais peut-on aller jusqu'à dire que la grande chasse aux sorcières dans son ensemble est causée par la variation du climat que l'Europe connaît à la même période ?
Pour l'historien allemand Wolfgang Behringer, la réponse est oui : selon lui, en provoquant des événements climatiques d'apparence anormale voire surnaturelle, l'entrée dans le petit âge glaciaire a provoqué le retour de la chasse aux sorcières dans la seconde moitié du XVIe siècle et l'a amené à des dimensions inconnues jusqu'à là. D'autres, dont le spécialiste français Emmanuel Le Roy Ladurie, se montrent moins catégoriques.

Retenons simplement ce qui est certain. Les événements météorologiques extrêmes frappent les esprits et détruisent en un instant de longs efforts. Encore plus insidieuses, les évolutions lentes du climat ruinent et tuent sans qu'il soit toujours possible de vraiment discerner les causes de ces calamités. Tout cela appelle des boucs-émissaires. Il en sera probablement de même demain.

Serons-nous capables de mieux nous comporter que nos ancêtres face aux dérèglements du climat ? Evidemment, nous sommes bien mieux informés qu'eux, et déjà à la Renaissance la science était un des antidotes à la barbarie : c'est en partie pour réfuter toute intervention diabolique que la météorologie commence à se développer, sous l'impulsion par exemple de Leonhard Reynmann.
Mais malgré toutes nos connaissances, face aux éléments, n'y-t-il pas un fond d'humanité, ou d'inhumanité, qui reste inchangé - la peur, l'instinct de groupe, le besoin d'explications simples - et qui pourrait l'emporter ?


Les principales sources de cette articles sont :

Publié le 1er aout 2018 par Thibault Laconde


Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


Ni oui, ni non, ni Berlin, ni Fukushima

Avec la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie, qui doit être adoptée d'ici la fin de l'année prochaine, et la remise en discussion de l'objectif de 50% en 2025, on n'y échappera pas : en 2018, on va encore s'écharper sur le nucléaire.

Il faut bien admettre que dans ce domaine, la France n'avance pas. Ni dans un sens, ni dans l'autre. Et la façon dont le débat est mené n'y est pas pour rien : alors que la construction d'un consensus politique est la première étape d'une transition énergétique, les échanges entre partisans et opposants de l'atome consistent surtout à ressasser les même arguments. Rechercher un terrain d'entente est une utopie, voire une trahison : dans cette version 2.0 des jeux du cirque, on débat pour débattre.

Nous n'avons plus le temps de jouer à ce jeu là. C'est pourquoi je vous en propose un autre. Il s'appelle : "ni oui, ni non, ni Berlin, ni Fukushima"


Le principe est simple, on y a tous joué à peu de chose près quand on était plus jeune.

Le jeu commence quand quelqu'un  ouvre une discussion en lien avec le nucléaire en France, les participants répondent mais ils ne peuvent employer :

  • Ni oui

    Vous pouvez être favorable au nucléaire mais pas écarter d'un revers de main les questions posées par cette énergie : comment va-t-on gérer le renouvellement du parc ? y a-t-il encore un modèle économique pour le nucléaire ? que faire des déchets ? Les réponses du type "le nucléaire est parfait", "je ne vois pas le problème", etc. sont donc interdites.

  • Ni non

    A l'inverse, sont exclues les affirmations comme "si j'étais à la place de Hulot, on serait déjà sorti du nucléaire". Que vous détestiez cette énergie et que vous souhaitiez l'abandonner, c'est votre droit mais ça ne peut pas se faire sur un claquement de doigt : par quoi voulez-vous la remplacer ? comment se déroulerait la transition ? comment gérer le démantèlement des centrales et les déchets nucléaires existants ?

  • Ni Berlin

    L'Energiewende, c'est le point Godwin de l'énergie. Plus les discutions se prolongent, plus il y a de chance qu'on y arrive. Et une fois qu'on y est tout le monde en tire des conclusions différentes et on en arrive à débattre plus de la transition énergétique allemande que du cas français. Toute évocation de l'Allemagne est donc bannie, si vous voulez des comparaisons internationales faite l'effort d'aller chercher d'autres pays.

  • Ni Fukushima

    Une autre façon de rendre stérile une discussion sur le nucléaire, c'est de parler des accidents. Bénins pour les uns, catastrophiques pour les autres... la seule chose qu'ils prouvent c'est que la perception des risques est subjective. Par contre, ils sont très efficaces pour conduire le débat vers les attaques personnelles : partisans de l'atome irresponsables contre opposants irrationnels. Exit donc Fukushima, Tchernobyl et compagnie...
Et si quelqu'un répond sans respecter ces règles... Hé bien, il est éliminé et doit attendre le début de la discussion suivante avant de pouvoir rejouer.

Qui veut jouer avec moi ?


Je vais désormais appliquer ces règles sur ce blog et dans mes interventions publiques, notamment sur les réseaux sociaux. Sachez-le si vous m'y interpellez, en cas de non-respect vous recevrez pour seule réponse un lien vers cet article et l'image suivante :

 
Mais rien ne vous empèche de les utiliser aussi. Ces règles me semblent équilibrées : elles ne prive aucun des camps d'arguments décisifs, elles obligent juste à faire preuve d'un peu d'imagination. C'est pourquoi que vous soyez pro- ou anti-nucléaire, ou aucun des deux, je vous invite à essayer ce jeu.



Publié le 27 novembre 2017 par Thibault Laconde



Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


Note aux haters de la transition énergétique allemande

En 2000, l'Allemagne a décidé de se passer d'énergie nucléaire et s'est donné deux décennies pour y parvenir. Depuis la part de l'atome dans le mix électrique allemand est tombée de 29.5% à 13.1% tandis que les renouvelables bondissaient pour atteindre à 29.5%. Les énergies fossiles quant à elles ont reculé de 7 points (contre 1 en moyenne dans l'OCDE et 3, par exemple, aux États-Unis). Dans le même temps, le prix de gros de l'électricité a baissé et l'Allemagne qui devait acheter du courant en 2000 est devenue la première exportatrice européenne.
Revers de la médaille : la part du charbon reste élevée - avec de graves conséquences environnementales, les politiques de soutien aux renouvelables tâtonnent et les coûts sont supportés, via une taxe, par les ménages qui payent leurs kWh presque deux fois plus chers que les français. Reste que l'Energiewende est probablement la politique énergétique la plus ambitieuse depuis un quart de siècle et qu'il a jusqu'à présent atteint ses objectifs.


Pourquoi tant de haine ?


Pourquoi tant de français critiquent-ils la sortie du nucléaire allemande ?
Et pourtant, la transition énergétique allemande n'en finit pas de susciter des débats enflammés. Aucun des sujets que je traite n'attire autant de réponses et de commentaires, parfois très virulents.
C'est d'autant plus embêtant que la loi de Godwin semble avoir un corollaire pour l'Energiewende : "plus une discussion sur l'énergie dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant l'Allemagne s’approche de 1". Beaucoup trop d'échanges dérivent ainsi vers la transition énergétique allemande et se terminent sur des empoignades qui n'ont pas grand chose à voir avec le sujet initial.
 
Au sein de la communauté française qui s'intéresse au climat et à l'énergie, il y a manifestement quelques personnes irréconciliables avec la politique énergétique allemande. Et ils se montrent très actifs pour interpeller ceux qui ne partagent pas leur abhoration pour tout ce qui se fait outre-Rhin. Pas plus tard que ce matin, un tweet sur une étude allemande sans lien direct avec la sortie du nucléaire m'a ainsi valu une bonne cinquantaine de réponses...
En soi, ça ne me pose pas vraiment de problème du moment que le ton reste courtois (ce qui est généralement le cas). C'est la répétition incessante des mêmes arguments qui est vite fatigante. Cet article vaut donc réponse collective.


L'Allemagne n'a pas fait le choix du charbon contre le nucléaire


Ces critiques reposent presque toujours sur la même supposition : elles semblent croire qu'en 2000 l'Allemagne avait le choix entre sortir du nucléaire ou sortir charbon. Les allemands auraient alors cédé à une peur irrationnelle et décidé d'abandonner le nucléaire plutôt que le charbon, dont l'utilisation aggrave pourtant le risque d'une catastrophe climatique.

Cette représentation n'est pas seulement une réécriture de l'histoire, elle dénote une grave incompréhension de ce qu'est une politique énergétique : une politique énergétique, c'est d'abord un choix de société qui nécessite un certain consensus. On peut combler des lacunes industrielles, inventer des solutions techniques ou faire des arbitrages économiques, mais sans un minimum d'accord au sein de la population, des collectivités, des entreprises et des administrations une politique énergétique n'est qu'une déclaration d'intention. L'épisode de Fessenheim en France en est un bel exemple.

En 2000, l'Allemagne ne pouvait pas décider de sortir du charbon. Même si techniquement, industriellement et économiquement ce choix aurait été aussi viable que la sortie du nucléaire, politiquement le consensus n'existait pas. Le poids économique du charbon en particulier dans les länder défavorisés de l'est rendait cette politique impossible. C'est toujours le cas aujourd'hui :  beaucoup de travail a été fait et une fin du charbon n'est plus taboue mais il faut d'abord trouver des solutions économiques pour l'ex-RDA.
En 2000, l'Allemagne n'a pas choisi la sortie du nucléaire contre la sortie du charbon, cette alternative n'existe que dans la tête de ceux qui veulent la critiquer. Les allemands n'avaient le choix qu'entre la sortie du nucléaire et le statu-quo.


Même mal inspiré, l'Energiewende a ouvert la voie


On peut éventuellement contester leur choix. Ce serait à mon avis une perte de temps : l'aversion des allemands pour le nucléaire est issue de leur histoire très particulière, nous n'avons pas forcément à la partager mais ce n'est pas non plus à nous de leur dicter la conduite à suivre. Encore une fois, une politique énergétique est avant tout un choix de société, elle découle de préférences subjectives, propres à chaque époque ou chaque population. Rien ne prouve que notre vision des choses soit supérieure à celle de nos voisins.

Il me semble cependant que nous pourrions nous entendre sur au moins un mérite de la transition énergétique allemande : elle a ouvert la voie. Lorsque j'étais étudiant à Supélec on nous apprenait qu'aucun réseau électrique ne pourrait supporter plus de 2% d'énergies intermittentes. Une dizaine d'années plus tard, le solaire et l'éolien représentent presque un tiers du mix électrique allemand avec parfois des incursions jusqu'à 80%...
Les allemands ont démontré par la pratique qu'un grand pays industriel peut dépendre massivement d'énergies renouvelables sans que ni son réseau électrique ni son économie ne s'effondrent. Je ne suis pas certain que la Chine, par exemple, investirait dans les renouvelables comme elle le fait aujourd'hui si l'Allemagne n'était pas passée en premier.

Le développement des énergies renouvelables n'a pas permis aux allemands de baisser significativement leur consommation de charbon - politiquement ils ne le pouvaient pas. Mais elle a montré au reste de la planète comment s'y prendre. Au lieu de perdre notre temps à questionner un choix qui ne nous appartient pas, nous ferions mieux d'essayer d'en apprendre quelque chose pour résoudre nos propres problèmes.


Publié le 21 février 2017 par Thibault Laconde

Illustration : By Crux (Own work) [CC BY-SA 2.5], via Wikimedia Commons


Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


[Analyse] Fin 2016, pour la première fois depuis 5 ans, la France a acheté de l'éléctricité à l'étranger

Entendons nous bien : importer de l'électricité n'à rien d'exceptionnel, notre pays le fait quotidiennement mais d'habitude nous vendons plus à nos voisins que nous n'achetons. En novembre 2016, cependant, le montant des importations a été supérieur au montant des exportations : la France a acheté pour 206 millions d'euros d'électricité et n'en a vendu que pour 179 millions, soit un déficit de 27 millions d'euros. En décembre rebelote avec un déficit de 21 millions d'euros.
C'est la première fois depuis la vague de froid de février 2012 que la France est obligée de payer ainsi pour se fournir en électricité.


La France perd sa place de première exportatrice d'électricité au profit de l'Allemagne


L'événement est remarquable. En effet, notre pays était jusqu'à l'année dernière le premier exportateur d'électricité européen (et probablement mondial). En 2015, nous avons vendu 72TWh à nos voisins et nous n'avons acheté que 9TWh, soit un solde net de 63TWh - l'équivalent de la production annuelle d'une petite dizaine de réacteurs nucléaires. Cet excédent a rapporté 2.3 milliards d'euros à la France.

En 2016, l'Allemagne a doublé la France pour devenir première exportatrice d'électricité en Europe
L'année dernière, les exportations d'électricité françaises se sont effondrées de 36% avec un solde de 39TWh. En valeur, la chute est encore plus brutale : -54%.
Cet essoufflement coûte à la France sa première place : l'Allemagne, dont les exportations ont été presque multipliées par 10 en 5 ans, est désormais la première exportatrice d'électricité européenne.

La baisse des exportations françaises s'explique par les problèmes techniques rencontrées par EDF : au deuxième semestre de 2016 jusqu'à un tiers des réacteurs français ont du être mis à l’arrêt.
Cette situation n'est pas inédite : en 2009-2010, EDF avait déjà connu une forte dégradation de la disponibilité du parc nucléaire. A l'approche de l'hiver 2009, 18 des 58 réacteurs nucléaires français étaient à l’arrêt et, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les exportations d'électricité françaises s'étaient déjà effondrées.


Dégradation des termes de l'échange


Ces épisodes d'indisponibilités sont transitoires même s'ils sont probablement amenés à devenir de plus en plus fréquents avec le vieillissement du parc nucléaire français. Les chiffres révèlent cependant un autre phénomène peut-être plus préoccupant.
En novembre et décembre 2016 la France a été déficitaire en valeur (respectivement de 27 et 21M€) alors qu'elle était excédentaire en volume (de 528GWh en novembre et d'un tout petit 8GWh en décembre). Curieux, donc : nous vendons de l'électricité mais à la fin c’est nous qui payons...

Bilan des exportations d'électricité françaises en 2016, en volume (MWh) et en valeur (€)

Une seule explication possible : l'électricité que nous achetons est, en moyenne, plus chère que celle que nous vendons. Ce n'est pas nouveau mais l'écart a doublé en 2016.
En 2015, la France exportait à 37.6€/MWh en moyenne et importait à 44.2€/MWh. En 2016, la France ne vendait plus son électricité qu'à 32.5€/MWh en moyenne alors qu'elle achetait à 46.3€/MWh.
Pas de jaloux : nous sommes maintenant dans cette situation vis-à-vis de tous nos voisins sans exception. Tous nous vendent leur électricité plus chère qu'ils achètent la notre et pour tous l'écart se creuse. Mention spéciale à la perfide Albion qui parvient à nous vendre des mégawattheures deux fois plus chers que ceux qu'elle nous achète.

La France exporte de l'électricité à bas coût et importe de l'électricité chère

Il y a probablement plusieurs explication à ce phénomène. L'importance du parc nucléaire français est l'une d'elle : avec le développement des renouvelables, le prix de l'électricité devient plus volatil, or un réacteur nucléaire est peu manœuvrable, il ne peut pas être mis en route pour profiter d'un prix de l'électricité momentanément élevé, pas plus qu'il ne peut être arrêté si les cours descendent pour quelques heures en dessous de son coût de fonctionnement.
En d'autres termes, qu'elle demande ou offre de l'électricité la France est obligée de prendre le prix qui lui est proposé là où les pays qui disposent d'un parc plus flexible ont l'alternative d'augmenter ou réduire leur production. Il n'est donc pas étonnant que nous soyons les dindons de la farce.

Comme d'habitude, les données utilisées peuvent être consultées ici. Tous les chiffres utilisés dans cet article sont tirés de la base de données des douanes (utilisez le code NC8 27160000 pour les retrouver).


Publié le 16 février 2017 par Thibault Laconde


Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


Baseload, mythe ou réalité (4) : En bref et en conclusion...

Cet article résume et conclut une série consacrée au concept de baseload (ou charge de base) et à son rôle dans la gestion du réseau électrique. Vous pouvez retrouver l'ensemble des articles ici :
  1. De quoi parle-t-on ?
  2. Nucléaire et baseload : de "en couple" à "c'est compliqué" 
  3. Un monde sans centrales de base
  4. En bref et en conclusion (Vous y êtes)
Cette série s'inspire d'une étude que j'ai réalisé récemment. Ce travail a également abouti à la publication d'un article en anglais dans Petroleum Economist.

les renouvelables intermittentes comme le solaire et l'éolien peuvent-elles remplacer le charbon et le nucléaire pour couvrir la base électrique ?
Dans les posts posts précédent, nous avions vu que la baseload est la puissance qui est toujours nécessaire à l'équilibre d'un réseau électrique : la consommation ne descend jamais en dessous de la baseload donc la production ne doit jamais descendre non plus en dessous de cette valeur.
Traditionnellement cette charge de base était produite par de très grandes centrales électriques, souvent des centrales nucléaires ou des centrales à charbon qui fonctionnaient en permanence pendant que d'autres centrales plus flexibles (notamment à gaz ou hydrauliques) complétaient la production pour suivre les variations de la demande. Ce mode de gestion est souvent invoqué pour limiter le rôle que les énergies renouvelables peuvent tenir dans la production d'électricité.

Cependant ce fonctionnement ne répond pas à un impératif technique : l'expérience de pays où le taux de pénétration des énergie renouvelables est élevé, comme l'Allemagne, et de nombreuses simulations montrent que la baseload peut être au moins partiellement couverte par des énergies intermittentes.
En effet, la baseload charbon/nucléaire répond à un raisonnement économique, pas technique : ces énergies étaient supposées avoir le coût marginal de production le plus faible, il était donc logique de les utiliser aussi souvent que possible. Ce raisonnement s'effondre avec l'arrivée d'énergies renouvelables comme le solaire et l'éolien dont le coût marginal est nul. Ce sont ces nouvelles sources d'électricité qui doivent désormais bénéficier d'un accès prioritaire au réseau.

Bien sur, le basculement de sources d'énergie centralisées et disponibles à la demande vers de nouvelles sources décentralisées et intermittentes a des implications techniques et économiques importantes. Il faut notamment renforcer et étendre le réseau de transport et de distribution d'électricité et augmenter la flexibilité tant de l'offre que de la demande. On voit aussi apparaitre une troisième fonction : le stockage.
Économiquement, le prix de l'électricité tend à baisser mais aussi à devenir plus volatil. Cela peut menacer la survie de centrales qui restent nécessaires pour équilibrer le réseau électrique, la rémunération des producteurs ne peut plus être basée seulement sur leur production, un mécanisme de capacité devient nécessaire. Plus largement, cela incite à repenser les échanges qui ont lieu sur le réseau : la distinction entre producteurs et consommateurs se brouille, à terme chacun pourrait être payé ou payer en fonction de sa contribution positive ou négative à l'équilibre global.

En conclusion, l'idée qu'une base de grandes centrales nucléaires ou charbon est indispensable à l'équilibrage d'un réseau électrique est bel et bien un mythe - ou au moins un modèle très simpliste. Cette opinion est d'ailleurs partagé par les gestionnaires de réseaux électriques. Steve Holliday, le PDG de National Grid, la société qui exploite le réseau de transport au Royaume-Uni, disait en 2015  que "l’idée de baseload est obsolète". Pour Liu Zhenya, Président de State Grid of China, le plus grand électricien de la planète, c’est simplement "un état d’esprit".
L'utilisation de grandes centrales pour couvrir la baseload est une solution éprouvée pour gérer un réseau électrique, mais ce n'est pas la seule. Se débarrasser de ces centrales est possible même si cette option comporte ses propres inconvénients et ses propres risques surtout pour des réseaux de petite taille. Au final, il s'agit d'un choix de société : la politique énergétique et le mix électrique visés doivent déterminer comment le réseau est géré. Non l’inverse.



Publié le 18 janvier 2017 par Thibault Laconde

Illustration : By Kuebi = Armin Kübelbeck (Own work) [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons



Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


Baseload, mythe ou réalité (3) : Un monde sans centrales de base ?

Cet article fait partie d'une série consacrée au concept de baseload (ou charge de base) et à son rôle dans la gestion du réseau électrique. Vous pouvez retrouver les autres articles ici :
  1. De quoi parle-t-on ?
  2. Nucléaire et baseload : de "en couple" à "c'est compliqué" 
  3. Un monde sans centrales de base (Vous y êtes) 
  4. En bref et en conclusion
Cette série s'inspire d'une étude que j'ai réalisé récemment. Ce travail a également abouti à la publication d'un article en anglais dans Petroleum Economist.

Dans le post précédent, nous avions vu que l'utilisation de centrales thermiques ou nucléaires de base ne répond pas à un impératif technique mais à une logique économique : ces centrales étaient réputées pour avoir le coût marginal de production le plus faible, il était donc rationnel de les faire fonctionner le plus souvent et le plus longtemps possible. Ce raisonnement devient obsolète avec l'arrivée d'énergies renouvelables, comme le solaire ou l'éolien, dont le coût marginal est pratiquement nul.

Il n'y a donc plus de raison ni technique ni économique de réserver la production de l'électricité de base à l'atome et au charbon comme c'était généralement le cas au XXe siècle. Mais bien sûr, un basculement d'installations centralisées et "dispatchables" vers une production d'électricité diffuse et intermittente a des implications importantes.


Un prérequis : repenser le réseau


Les réseaux électriques, en particulier, doivent être réorganisés pour connecter les nouveaux sites de production avec les zones de consommation. Une meilleure coordination, le renforcement des transmissions longue distance et des interconnexions entre réseaux sont également cruciales pour permettre le transport de l'électricité dans une vaste zone, réduisant ainsi la probabilité de sur- ou sous-approvisionnement. L'Allemagne, par exemple, prévoit de renforcer plus de 3000km de lignes et d'en créer environ 2700km notamment entre son Nord venteux et son Sud industriel.
En sens inverse, la généralisation de la production d'électricité en zone résidentielle principalement grâce au solaire sur toiture peut soulager les réseaux urbains : une étude évalue par exemple le gain à 1.4Mds$ pour le réseau électrique californien.

En général cependant des investissements sont indispensables pour renforcer les réseaux et créer des capacités de stockage alors que les centrales électriques nécessaires à la bonne vieille gestion en baseload existent déjà dans tous les pays développés et émergents. Changer de modèle a donc un coût.


Un prix de l'électricité plus bas mais plus volatil


Les investissements ne sont pas le seul problème économique qui se pose dans la gestion d'un réseau sans centrales de base. Parce qu’ils produisent à un coût marginal nul, le solaire et l'éolien tendent à tirer le prix moyen de l'électricité vers le bas.
Déjà aujourd'hui, ce phénomène met un très forte pression sur les producteurs d'électricité traditionnels et peut conduire à la fermeture prématurée de centrales thermiques et nucléaires qui sont encore nécessaires à l'équilibrage du réseau. Celles-ci doivent donc être protégées, par exemple par le biais d'un "mécanisme de capacité" c'est-à-dire en payant les exploitants, en plus du revenu qu'ils tirent de la vente de l'électricité, pour le maintien de la capacité existante.

De plus si le prix de gros a tendance à baisser en moyenne, il devient aussi plus volatil. En Allemagne, il n’est pas inhabituel depuis l'Energiewende de voir les prix descendre en dessous de zéro ou grimper au-dessus de 50€/MWh. Ces épisodes sont devenus plus rares mais en décembre de 2016 (certes dans des conditions particulières : baisse de la consommation pendant les fêtes et très forte production éolienne) le prix de l'électricité allemande s'est encore effondré pendant quelques heures jusqu'à -70€/MWh alors qu'il frôlait les 100€/MWh quelques jours plus tôt. L'Australie-méridionale a connu une situation similaire cet été.
Ce phénomène s'explique par une flexibilité insuffisante : lorsque la production est plus élevée ou plus basse que prévu, en l’absence de mécanisme plus efficace, c'est la variation des prix qui est chargée d'assurer l'égalité entre l'offre et la demande. Comme l’élasticité-prix de l'électricité est faible cette variation doit être très marquée pour produire un effet. Ce phénomène peut d'ailleurs se produire sur n’importe quel système électrique trop peu flexible : avec une capacité limitée d’interconnexion et de faibles réserves, la Grande-Bretagne connaît souvent des prix négatifs et de fortes variations des cours même si plus de 90 % de son électricité provient de sources non-intermittentes.


De nouveaux besoins de flexibilité

 
Afin d'assurer la stabilité du réseau en limitant cet inconvénient, l'offre et la demande doivent réagir beaucoup plus vite à un signal-prix ou à une injonction du gestionnaire. D'importants efforts sont donc nécessaires pour augmenter leur flexibilité.

Côté production, cela signifie des centrales qui peuvent être démarrées ou arrêtées rapidement pour équilibrer le réseau. Cette réserve peut être composée de turbines à gaz ou de renouvelables "dispatchables", c'est-à-dire capable de démarrer à la demande (contrairement aux énergies intermittentes dont la production dépend de conditions extérieures). Ces énergies renouvelables dispatachables comprennent notamment l'hydroélectricité avec barrage, la géothermie, la biomasse ou le solaire thermique avec stockage.
Il faut tout de même noter que l'obligation de maintenir des centrales prêtes à démarrer n'est pas nouvelle. Même avec un parc traditionnel, constitué uniquement de centrales dispatachables, une réserve de l'ordre de 15% est nécessaire pour faire face aux arrêts inopinés et aux indisponibilités.

Du côté de la consommation, cela implique d'encourager les consommateurs résidentiels, industriels et commerciaux à consommer moins d’électricité pendant les heures de pointe ou quand la production est faible. En sens inverse, il peut être nécessaire de les inciter à consommer voire à gaspiller pendant les périodes de surproduction. Cela peut passer par divers moyens, de l'incitation financière à la sensibilisation du consommateur.
La maîtrise de la demande d'énergie est sans aucun doute une clé de la transition énergétique mais elle n'est pas nouvelle non plus : le terme "demand side management" est apparu pendant la crise énergétique de 1973. Et elle devient chaque jour plus facile grâce au développement des technologies de l’information et des communications.

Au croisement de la production et de la consommation se trouve un domaine presque entièrement nouveau : le stockage de l'électricité. Il peut permettre d'absorber les excès d’électricité pour les restituer pendant les heures de pointe ou quand la production est faible. Des solutions pour stocker l’électricité sont déjà bien maîtrisées, par exemple pompage-turbinage, et beaucoup d’autres entrent actuellement en phase commerciale comme les batteries domestiques, le vehicle-to-grid, le power-to-gas, etc.


Changer de regard sur le service rendu par le réseau électrique 


Payer des centrales électriques qui ne fonctionnent pas alors que les producteurs sont étranglés par la baisse du prix moyen... Inciter les clients tantôt à consommer plus, tantôt à consommer moins... Stocker à grand prix une électricité qui ne coûte presque plus rien à produire... Cette situation n'est-elle pas absurde ?
En fait, elle doit plutôt nous inciter à changer de regard sur le réseau électrique : ce qui s'y échange ce ne sont pas des mégawattheures mais des capacités à le maintenir en équilibre. Dans cette perspective, la distinction entre producteur et consommateur s'estompe : l'échange se fait entre ceux qui veulent libérer une quantité d'électricité (en la produisant, en baissant leur consommation ou en puisant dans leur stockage) et ceux qui souhaitent utiliser cette capacité (en arrêtant leur production, en consommant de l'électricité ou en la stockant).

Si on pousse jusqu'au bout cette logique, il est envisageable qu'à terme, ma facture d'électricité ne dépende plus de la quantité consommée mais de la modulation de ma demande, et éventuellement de ma production, en fonction de l'équilibre du réseau. Du coté de l'offre on se rapproche déjà de ce système : les prix de gros négatifs agissent comme un taxe sur les producteurs qui ne sont pas capables de moduler leur production à la baisse, alors que les pics récompensent ceux qui peuvent la faire augmenter rapidement.

Si fonctionnement est possible, est-il pour autant souhaitable ? Au final que retenir de cette série d'articles ? Rendez-vous mardi prochain pour la conclusion.


Publié le 3 janvier 2017 par Thibault Laconde



Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


Baseload, mythe ou réalité (2) : Nucléaire et baseload, de "en couple" à "c'est compliqué"

Un réseau électrique doit-il toujours avoir une base d'électricité atomique ou thermique ?
Cet article fait partie d'une série consacrée au concept de baseload (ou charge de base) et à son rôle dans la gestion du réseau électrique. Vous pouvez retrouver les autres articles ici :
  1. De quoi parle-t-on ?
  2. Nucléaire et baseload : de "en couple" à "c'est compliqué" (Vous y êtes) 
  3. Un monde sans centrales de base
  4. En bref et en conclusion
Cette série s'inspire d'une étude que j'ai réalisé récemment. Ce travail a également abouti à la publication d'un article en anglais dans Petroleum Economist.

Dans le post précédent, nous avions vu que la "baseload" d'un système électrique est sa consommation minimum, ou pour le dire autrement la puissance qui est toujours nécessaire. Historiquement la baseload a été la chasse gardée des très grosses centrales électriques, souvent nucléaire ou charbon. Mais est-ce que cette association va de soi ?


Pour le nucléaire et le charbon, il y a une vie hors de la baseload


Il y a en fait deux versants à cette question :
  • Les grandes centrales thermiques ou nucléaires peuvent-elles produire autre chose que de l'électricité de base ? Dans le schéma traditionnel, la puissance qu'elles produisent est pratiquement constante dans le temps, elle ne varie que pour tomber à zéro lors des maintenances ou des arrêts inopinés, pourrait-il en être autrement ? Pourrait-on faire varier leurs productions ?
  • Une base de centrales thermiques ou nucléaires est-elle nécessaire pour faire fonctionner un réseau électrique ? En particulier, pourrait-on s'en passer partiellement ou totalement au profit d'énergies renouvelables intermittentes ?
La réponse à la première question est : oui. D'un point de vue technique, il n'est pas nécessaire que la production des réacteurs nucléaires ou des centrales à charbon soit constante. La puissance fournie par ces centrales peut varier de 1 à 5% par minute. C'est beaucoup moins que les turbines à gaz qui excellent dans ce domaine (de 10 à 30% par minute) mais assez pour s'adapter aux variations de la consommation et de la production et fonctionner en suivi de charge.
En France, la part très importante du nucléaire impose depuis longtemps que certaines centrales fonctionnent dans ce mode, EDF affirme ainsi pouvoir faire varier la puissance produite par un réacteur de 80% à la hausse ou à la baisse en 30 minutes (même si on peut questionner les chiffres avancés par l'électricien français sur la manoeuvrabilité de son parc nucléaire).


Peut-on se passer d'une baseload thermique ou nucléaire ?


La réponse à la seconde question est plus controversée parce qu'il n'existe pas encore d'exemple de pays ayant complètement éliminé les centrales de base pour se reposer uniquement sur des sources variables dans le temps. Cependant les quelques expériences existantes ainsi que de nombreuses simulations amènent aussi à répondre oui.

La baseload n'a pas a être la chasse gardée du nucléaire et du charbon. En Allemagne, où la part des renouvelables dans le mix électrique atteignaient 29% en 2015 (dont 12.3% d'éolien et 6% solaire photovoltaïque), les énergies intermittentes contribuent régulièrement à la baseload. Il n'est pas rare de voir la production renouvelable dépasser 30GW soit plus que le charbon. On trouve une situation similaire en Australie-Méridionale où la production renouvelable atteignait 37.8% en 2014 dont 31.5% d'éolien et 5.7% de solaire photovoltaïque.

Exemple de réseau sans baseload fossile ou nucléaire : l'Allemagne
Production d'électricité en Allemagne fin septembre : le charbon s'adapte aux variations de la production renouvelable (par exemple dans la nuit du 27 au 28 ou la soirée du 30). 

Ces cas restent pour l'instant isolés mais de nombreuses études ont montré que les grandes économies peuvent fonctionner avec 80 à 100% d'énergies renouvelables. C'est le cas notamment des États-Unis, de la Grande Bretagne, de l'Australie, de l'Europe du Nord ou encore de la France. Ces études s'appuient sur des simulations de l'état du réseau, généralement sur plusieurs années avec un pas inférieur à une heure, pour montrer que l'équilibre entre la production et la consommation d'électricité peut être maintenu même avec un très fort taux de pénétration des énergies intermittentes.


La baseload nucléaire ou thermique : un choix économique... obsolète


Contrairement à une idée reçue, l'utilisation du charbon et de l'atome pour couvrir la baseload ne découle donc pas d'un impératif technique mais de considérations économiques. L'électricité issue des centrales nucléaires, et dans une moindre mesure des grandes centrales à charbon, était réputée avoir le coût marginal le plus faible : le combustible étant peu onéreux, une fois les centrales construites il était logique de les utiliser le plus souvent et le plus longtemps possible.

Cela appelle deux remarques :
  • D'abord concernant spécifiquement les EPR d'Hinkley Point, projet lancé pour "sécuriser la baseload" : le coût marginal de l'électricité est peut-être faible pour le producteur mais pour le consommateur britannique il est fixé via le "contract for difference" à 92.5£/MWh, soit beaucoup plus cher que la plupart des autres sources. Dans ces conditions, Hinkley Point C a-t-elle vraiment vocation à fonctionner en base ? Du point de vue du consommateur, il serait au contraire rationnel de ne l'appeler qu'en dernier recours et comme le contrat ne prévoit pas d'accès prioritaire au réseau ou d'obligation d'achat cela pourrait bien arriver. Je ne sais pas si l'idée a effleuré EDF...
  • Ensuite la même logique qui voulait que l'on réserve au nucléaire et au charbon un accès prioritaire au réseau impose désormais que l'on fasse passer d'abord les renouvelables dont le coût marginal est encore plus faible. Et cela indépendamment de toute politique de soutien aux renouvelables ou de tout agenda anti-charbon ou anti-nucléaire. De facto la notion de baseload nucléaire ou charbon devient donc obsolète dès que les énergies renouvelables commencent à jouer un rôle significatif dans la production d'électricité.
Évidemment la montée en puissance de ces énergies intermittentes a d'autres coûts. Elle peut, par exemple, nécessiter un mécanisme de capacité pour compenser les variations soudaines de production. Ces énergies rentrent donc mal dans un ordre de mérite basé sur le coût marginal de chaque source prise indépendamment. Peut-être que c'est précisément ce raisonnement qui doit être abandonné au profit d'une vision plus globale du système électrique et de son équilibre ? C'est ce dont traite l'article suivant.

Publié le 15 décembre 2016 par Thibault Laconde

Illustration : By Justcool54 (Own work) [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons



Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


Qui accueillera les COP23 et 24 ? Et où ont eu lieu les 22 précédentes ?

Logo de la COP23 organisée par les Iles Fidji à Bonn
Ça peut paraitre un peu anecdotique mais la question a agité la COP22 : qui organisera les prochaines conférences sur le climat ? Les pays réunis à Marrakech ne se sont pas bousculés pour accueillir le prochain sommet qui s'annonce, comme celui de cette année très technique, les vraies avancées arrivant plutôt en 2018.
Une solution a cependant finie par être trouvée et les organisateurs de la COP23 et de la COP24 ont été arrêtés par une décision adoptée le dernier jour de la conférence de Marrakech.


Près de la moitié des COP ont eu lieu en Europe


Mais avant de révéler les vainqueurs, il n'est pas inintéressant de regarder un peu en arrière : où se sont déroulées les COP précédentes ?

Quels pays ont organisé des conférences sur le climat (COP)
Pays ayant accueilli des conférences sur le climat (cliquez pour agrandir)


Vous voyez le problème ?

En comptant la COP6bis de 2001, 23 conférences sur le climat ont eu lieu depuis 1994 dont 10 se sont déroulées sur le continent européen. Et parmi celles-ci, la moitié ont été organisées dans deux pays : l'Allemagne et la Pologne.

L'Allemagne, qui héberge le siège de l'UNFCCC, détient le record du monde avec 3 conférences (la COP1 de Berlin et les COP5 et 6bis à Bonn). La Pologne fait presque jeu égal : elle a présidé 3 COP dont 2 se sont déroulées sur son territoire (COP14 à Poznan et 19 à Varsovie, la COP5 s'est déroulé à Bonn sous présidence polonaise).

En dehors de l'Europe, seuls deux pays industrialisés ont accueilli une COP, et encore c'était il y a plus d'une décennie : le Japon avec la fameuse COP3 de Kyoto et le Canada avec la COP11 de Montréal.
On voit aussi que la Chine et les États-Unis, pourtant les deux plus gros émetteurs de gaz à effet de serre et les deux premières économies mondiales, n'ont jamais organisé de conférence sur le climat. Parmi les autres grands absents, on peut citer l'Australie et la Russie, également de gros émetteurs, le Moyen Orient et l'Afrique.


COP23 à Bonn, COP24 à Katowice. Youhou !


Dans ces conditions, difficile de sauter d'enthousiasme en apprenant que la COP23 se déroulera à Bonn (certes sous présidence Fidjienne) et que la COP24 sera organisée par la Pologne à Katowice. Comment mieux faire passer le climat pour une marotte d'européens ?

La COP23 se déroulera au siège de l'UNFCCC sous la présidence des îles Fidji. Pour un rendez-vous qui s'annonçait déjà comme une conférence de transition avant la mise en application de l'Accord de Paris en 2018, cette solution respire l'ennui et le manque d'ambition.
On sait que le pays qui préside joue un rôle majeur : c'est à lui de donner l'impulsion et de s'assurer que les négociations se déroulent dans de bonnes conditions. Directement menacées par la hausse du niveau des mers et premier État insulaire à assurer la présidence d'une COP, les Fidji ont un poids moral certain. Mais, sans vouloir insulter la diplomatie fidjienne, est-elle la la mieux placée pour mobiliser la communauté internationale dans le contexte mouvementé qui s'annonce ?

Quant à la COP24, elle aura lieu en 2018 dans dans le sud de la Pologne, à Katowice.
On se souviendra simplement que la Pologne est un État charbonnier, elle produit encore plus de 80% de son électricité à partir du charbon, et impénitent : lorsqu'il a offert l'accueillir la COP24, le ministre de l'environnement polonais n'a pas pu s’empêcher de lancer un plaidoyer assez gênant en faveur de la capture du carbone.


Publié le 12 novembre 2016 par Thibault Laconde, dernière mise à jour le 1er juin 2017.

Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.