Des sécheresses préoccupantes
Qui dit hydro dit eau. La production électrique est étroitement liée aux précipitations et au débit des rivières ; toute variation climatique a des répercussions immédiates. Ainsi le Hoover Dam, un des emblèmes de l’hydroélectricité aux Etats Unis, construit sous l’égide de Roosevelt dans les années 1930, a vu sa capacité de production réduite de 2100MW à 1200MW en raison de la sécheresse qui frappe l’Ouest de ce pays. Non loin de là, l’état de Californie a vu la part de l’hydro baisser de 20% à 10% dans son mix électrique sous l’effet combiné d’une baisse des précipitations, d’un enneigement moindre et d’une fonte des glaces précoce. Ce sont alors d’autres sources d’énergie, notamment des centrales au gaz, qui viennent combler le déficit – augmentant au passage les coûts et les émissions de CO2.
Les berges à nu d’un lac de barrage EDF, août 2015 (La Girotte, Savoie). Photo CKB |
Si une sécheresse peut mettre en difficulté le système électrique des Etats-Unis, dans des pays plus vulnérables c’est le blackout. En Tanzanie l’hydro a pendant longtemps constitué la principale source d’électricité. La sécheresse qui s’installe depuis le début des années 2000 a des répercussions importantes sur la production électrique et par ricochet, sur la population et l’économie du pays. En 2011, au plus fort d’une crise énergétique qui a laissé les habitants dans le noir 12 à 16 heures par jour, le FMI a dû revoir à la baisse ses prévisions de croissances pour le PIB tanzanien. En effet, le pays ne disposait pas de capacités suffisantes pour prendre la relève des centrales hydroélectriques : la seule solution est alors de procéder au délestage, c’est-à-dire de couper purement et simplement le courant pour une partie des habitants. Face à l’incertitude de l’hydroélectricité, la Tanzanie fait à présent le choix de développer sa production thermique notamment à partir de gaz naturel. Une option plus chère, plus polluante, mais considérée comme plus fiable.
Stabilité globale, fluctuations locales
A en juger par ces exemples l’avenir de l’hydroélectricité pourrait sembler compromis. Qu’en est-il au niveau global ? D’abord, il faut comprendre que les variations observées en Californie ou en Tanzanie ne peuvent pas être attribuées avec certitude au changement climatique. On a toujours connu une alternance d’années plutôt sèches et d’autres, plutôt humides. Les climatologues mettent régulièrement en garde contre les interprétations hâtives : si au niveau global le réchauffement est indéniable, au niveau local il est difficile de discerner ce qui relève de la variabilité naturelle de ce que l’on peut imputer au changement climatique. Sur le long terme, d’après le GIEC, l’impact du changement climatique sur la production mondiale d’hydroélectricité pourrait s’avérer… légèrement positif ! Mais il s’agit là d’une moyenne globale recouvrant de fortes variations au niveau régional. Les projections faites par deux scientifiques norvégiens montrent par exemple que le Canada et la Russie verraient leur potentiel augmenter d’ici au milieu du 21e siècle tandis qu’il diminuerait en Europe de l’Ouest et en Afrique australe.
En fait, pour se faire une idée des évolutions, il faut travailler à petite échelle, au niveau du bassin versant d’un fleuve. En France, la Compagnie Nationale du Rhône exploite 18 aménagements hydroélectriques entre Genève et Arles. Directement exposée aux modifications du régime hydrologique du Rhône, elle a conduit une étude très locale sur les répercussions du changement climatique sur sa production d’énergie qui conclut à une baisse de 2% à 23% du productible à l’horizon 2050. Des études similaires ont été conduites à de plusieurs endroits du globe (citons celle-ci pour les Etats Unis, celle-là pour l’Afrique du Sud) mais les experts s’accordent à dire que le phénomène n’est pas suffisamment étudié. Or les barrages sont des investissements de long terme, qui se rentabilisent sur plusieurs dizaines d’années : mieux vaut donc avoir des projections fiables du climat futur. Et si les pays les plus avancés peuvent réaliser de telles études, requérant une modélisation fine des évolutions climatiques et des phénomènes hydrologiques pour chaque grand bassin versant, les pays les plus pauvres sont loin de disposer des moyens techniques et humains nécessaires.
De plus en plus d’incertitudes sur la disponibilité de l’eau
A cela s’ajoute une autre difficulté : la production hydroélectrique est très sensible aux phénomènes extrêmes. Une crue sévère qui endommage les installations, une sécheresse pendant laquelle la centrale produit peu, peuvent remettre en cause du tout au tout la rentabilité économique d’un projet. La fréquence de ces phénomènes pourrait s’accroître avec le changement climatique, mais il est très difficile de les prédire : cette incertitude représente un risque supplémentaire.
Ne pourrait-on pas stocker l’eau des crues et l’utiliser en période de sécheresse ? Certaines installations sont accolées de grands lacs de retenue qui peuvent stocker l’eau d’une saison à l’autre, parfois d’une année à l’autre. Cependant la majorité des centrales ne disposent que d’une capacité de stockage modeste, voire, d’aucune. On parle alors d’aménagement « au fil de l’eau », c’est le cas des barrages sur le Rhône cités plus haut. En effet tous les sites ne sont pas propices à la création de réservoirs importants. Il faut des conditions géologiques et topographiques favorables – sans parler du coût, et bien sûr des impacts sur l’environnement et la population. Et avec le réchauffement, les pertes par évaporation pourraient augmenter significativement. Heureusement s’il n’est pas envisageable de construire des réservoirs à tout va, d’autres solutions techniques existent : par exemple, le Hoover Dam a bénéficié d’un programme de rénovation de ses turbines pour fonctionner plus efficacement en période de basses eaux. D’une manière générale il est possible de concevoir des centrales hydroélectriques offrant un bon rendement sur une plage de débits plus large, limitant ainsi les conséquences des variations hydrologiques.
Mais cela ne résoudra pas un autre problème, et pas des moindres : celui de la gestion de l’eau. Aujourd’hui, une même rivière est utilisée pour produire de l’électricité, irriguer des champs, alimenter une ville en eau potable, refroidir une installation industrielle… Le tout encadré – théoriquement – par des lois et des règlements stricts qui fixent à l’avance les droits à l’eau de chacun. Demain, dans un contexte de raréfaction de la ressource, comment ce cadre évoluera-t-il ? L’hydroélectricité est remplaçable, l’eau potable ne l’est pas.
A court terme, les prémisses du changement climatique ne semblent pas constituer une menace pour la filière hydroélectrique. A en juger par le nombre de barrages en construction à travers le monde, la production d’hydroélectricité devrait continuer de croître dans les années qui viennent. Mais la situation de certains pays très dépendants de l’hydro risque d’empirer – je pense par exemple au Népal dont l’électricité est produite en quasi-totalité par des centrales au fil de l’eau et où chaque année les délestages augmentent en saison sèche. D’une manière générale le risque hydrologique, à savoir l’incertitude sur les débits futurs de la rivière, va peser de plus en plus lourd. Voire, à terme, détourner les investissements vers d’autres technologies jugées plus sûres ?
Publié le 15 octobre 2015 par Clara Kayser-Bril
Clara Kayser-Bril est ingénieur, spécialiste de l’accès à l’électricité dans les pays en développement. L’impact environnemental du système énergétique mondial est une problématique à laquelle elle s’intéresse particulièrement : peut-on concilier énergie pour tous et développement durable ?
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RépondreSupprimerbonjour,
RépondreSupprimerDans ma commune de Savoie, proche de Chambéry et en piémont du massif des Bauges, le Maire envisage l'aménagement d'un torrent (très à sec cet été) en vue de la construction d'une micro-centrale de proximité pour laquelle la commune assurerait un financement. D'autres communes voisines s'orientent plutôt vers la mise en place de panneaux photo-voltaïques et la création d'"ateliers villageois" faisant participer les habitants au financement. De ces deux sources d'énergie, laquelle vous semble la plus adaptée, tant du point de vue écologique que du point de vue économique, en cette période de grande sécheresse(très présente en Savoie)? Merci pour votre avis d'expert.