Même s'ils ont exercé aux antipodes l'un de l'autre, Tony Abbott et Stephen Harper ont en commun d'avoir dirigé un des plus gros pollueurs de la planète et d'avoir pris des positions très conservatrices en matière de lutte contre le changement climatique. A 40 jours de l'ouverture de la conférence de Paris, leurs chutes quasi-simultanées lèvent deux obstacles vers un nouvel accord sur le climat.
"House of Carbon"
L'histoire du premier ministre australien, pour commencer, semble tirée directement d'un thriller politique dans lequel le changement climatique serait à la fois l'enjeu et l'arme du crime...
"Le destin politique de Tony Abbott ferait une bonne saison de House of Cards, et le climat y joue un rôle central."
Tony Abbott s'est imposé comme leader de l'opposition libérale australienne en décembre 2009 en détrônant Malcom Turnbull. Pour y parvenir, il a coalisé les climatosceptiques de son camp dans un vote de défiance à l'encontre de son prédécesseur qui était ouvertement favorable à une régulation des émissions. Turnbull ne s'est pas déclaré vaicu pour autant et s'est présenté à sa propre succession, Abbott l'a emporté... avec une majorité d'une seule voix ! Le tout à quelques jours de la conférence de Copenhague.
Après une campagne dont il avait fait un référundum contre la taxe carbone, Tony Abbott est devenu premier ministre en septembre 2013. Deux an plus tard, le 14 septembre 2015, il a été renversé par une manoeuvre interne au parti libéral menée... par Malcom Turnbull. Celui-ci lui a succédé au poste de premier ministre dès le lendemain.
L'avis d'un spécialiste sur l'éviction de Tony Abbott (via PlacetoB) |
Même si la question climatique occupe une place centrale dans cette histoire, la position de Tony Abbott sur le sujet est restée assez inconsistante. Remettant parfois en cause le consensus scientifique avant 2009, il a reconnu ensuite la réalité du réchauffement tout en s'opposant au projet de marché du carbone porté par la travaillistes. Il a entrepris dès son arrivée au pouvoir de faire annuler ce système entré en vigueur en 2012 mais cela ne l'a pas empêché de soutenir d'autres projets, par exemple la loi de 2010 fixant des objectifs en termes d'énergie renouvelables.
Tony Abbott reflète plutôt la position des milieux d'affaires australiens : l'Australie a un des mix énergétiques les plus sales de la planète avec 45% de charbon et seulement un petit pourcent d'énergies renouvelables. Résultat : ses émissions par habitants sont parmi les plus élevées du G20. Par ailleurs elle dispose des 4e réserves mondiales de charbon et les combustibles fossiles représentent près du tiers de ses exportations... Autant dire que les industriels australiens peuvent voir avec une certaine inquiétude la mise en place de politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre en Australie et à l'international.
Fin d'un long règne au Canada
La situation au Canada est bien différente : Stephen Harper, qui a perdu sa place après les élections d'hier, était premier ministre depuis février 2006.
Avant même son arrivée au pouvoir, Stephen Harper s'était illustré par des position tout en nuance sur les questions climatiques, qualifiant par exemple le protocole de Kyoto de "conspiration socialiste" et contestant les effets négatifs du dioxyde de carbone. C'est donc sans grande surprise que le Canada s'est retiré du protocole de Kyoto en décembre 2011. Son gouvernement s'est également illustré en verrouillant l'information sur le changement climatique - par exemple en obligeant les journalistes à obtenir une autorisation avant toute interview d'un scientifique. Harper avait d'ailleurs déjà annoncé qu'il n'avait pas l'intention de se déplacer pour la COP21.
"Entre le climat et Stephen Harper, c'était une affaire personnelle... Il voyait le protocole de Kyoto comme un "complot socialiste" !"
Longtemps le Canada s'est abrité derrière les États-Unis pour camoufler son inaction sur le climat, affirmant que cette question devait être traitée à l'échelle continentale. Avec l'arrivée de Barack Obama, Stephen Harper a du assumer seul ses décisions. Pour beaucoup d'observateurs, sous sa direction, le Canada a remplacé les États-Unis comme principal ennemi d'une action internationale contre le changement climatique.
Il faut dire que le pays s'est lancé depuis les années 1990 dans l'extraction à grande échelle des sables bitumineux. L'exploitation de ces hydrocarbures particulièrement polluants a doté le Canada de réserves de pétrole supérieures à celles de l'Iran et du Qatar réunies ! Mais les canadiens se classent aujourd'hui parmi les plus gros pollueurs de la planète par habitant.
Et maintenant ?
Sans surprises, l'Australie et le Canada avait remis des contributions décevantes en amont de la conférence de Paris. Selon leurs INDC, ils devraient faire partie du top10 des pays les plus émetteurs en 2030 et se trouver en tête de ce classement en termes d'émissions par habitant. Dans 15 ans, un canadien pourrait émettre 2.4 fois plus de gaz à effet de serre qu'un européen, et un australien 2.7 fois plus !
Le renouvellement des premiers ministres australiens et canadiens va-t-il conduire à un infléchissement de ces positions pendant la COP21 ? On peut l'espérer mais il ne faut pas s'attendre à une révolution...
En Australie, Malcom Turnbull est un opposant historique de la politique climatique de Tony Abbott mais il a sans doute aussi appris de ses erreurs et il est peu probable qu'il prenne le risque de diviser son camps par des mesures trop ambitieuses. Au Canada, Justin Trudeau, le successeur probable de Stephen Harper, a promis de travailler avec les provinces dans les premiers jours de son mandat pour mettre en place un plan de réduction des émissions mais il n'a pas pris d'engagements sur le contenu de ce plan.
Il ne faut pas oublier que, au-delà de leurs parcours et de leurs convictions personnelles, les positions de Stephen Harper et de Tony Abbott reflétaient la situation énergétique de leurs pays, avec d'un coté la manne des sables bitumineux et de l'autre le règne du charbon. Ces situations ne vont pas changer du jour au lendemain...
Reste que l'éviction de deux des pires "climate villains" de la planète est un bon signe à quelques semaines de la COP21. C'est un message adressé aux dirigeants tentés par le populisme climatique : la recette ne marche pas à tous les coups !
Et surtout le remplacement de ces deux premiers ministres ouvre une fenêtre d'opportunité qui risque de se refermer avec l'élection probable d'un républicain à la Maison Blanche en 2016... Il faudra sans doute attendre de longues années avant de retrouver une situation politique aussi favorable à un accord sur le climat. C'est maintenant qu'il faut agir !
Publié le 20 octobre 2015 par Thibault Laconde
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