[Analyse] Fin 2016, pour la première fois depuis 5 ans, la France a acheté de l'éléctricité à l'étranger

Entendons nous bien : importer de l'électricité n'à rien d'exceptionnel, notre pays le fait quotidiennement mais d'habitude nous vendons plus à nos voisins que nous n'achetons. En novembre 2016, cependant, le montant des importations a été supérieur au montant des exportations : la France a acheté pour 206 millions d'euros d'électricité et n'en a vendu que pour 179 millions, soit un déficit de 27 millions d'euros. En décembre rebelote avec un déficit de 21 millions d'euros.
C'est la première fois depuis la vague de froid de février 2012 que la France est obligée de payer ainsi pour se fournir en électricité.


La France perd sa place de première exportatrice d'électricité au profit de l'Allemagne


L'événement est remarquable. En effet, notre pays était jusqu'à l'année dernière le premier exportateur d'électricité européen (et probablement mondial). En 2015, nous avons vendu 72TWh à nos voisins et nous n'avons acheté que 9TWh, soit un solde net de 63TWh - l'équivalent de la production annuelle d'une petite dizaine de réacteurs nucléaires. Cet excédent a rapporté 2.3 milliards d'euros à la France.

En 2016, l'Allemagne a doublé la France pour devenir première exportatrice d'électricité en Europe
L'année dernière, les exportations d'électricité françaises se sont effondrées de 36% avec un solde de 39TWh. En valeur, la chute est encore plus brutale : -54%.
Cet essoufflement coûte à la France sa première place : l'Allemagne, dont les exportations ont été presque multipliées par 10 en 5 ans, est désormais la première exportatrice d'électricité européenne.

La baisse des exportations françaises s'explique par les problèmes techniques rencontrées par EDF : au deuxième semestre de 2016 jusqu'à un tiers des réacteurs français ont du être mis à l’arrêt.
Cette situation n'est pas inédite : en 2009-2010, EDF avait déjà connu une forte dégradation de la disponibilité du parc nucléaire. A l'approche de l'hiver 2009, 18 des 58 réacteurs nucléaires français étaient à l’arrêt et, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les exportations d'électricité françaises s'étaient déjà effondrées.


Dégradation des termes de l'échange


Ces épisodes d'indisponibilités sont transitoires même s'ils sont probablement amenés à devenir de plus en plus fréquents avec le vieillissement du parc nucléaire français. Les chiffres révèlent cependant un autre phénomène peut-être plus préoccupant.
En novembre et décembre 2016 la France a été déficitaire en valeur (respectivement de 27 et 21M€) alors qu'elle était excédentaire en volume (de 528GWh en novembre et d'un tout petit 8GWh en décembre). Curieux, donc : nous vendons de l'électricité mais à la fin c’est nous qui payons...

Bilan des exportations d'électricité françaises en 2016, en volume (MWh) et en valeur (€)

Une seule explication possible : l'électricité que nous achetons est, en moyenne, plus chère que celle que nous vendons. Ce n'est pas nouveau mais l'écart a doublé en 2016.
En 2015, la France exportait à 37.6€/MWh en moyenne et importait à 44.2€/MWh. En 2016, la France ne vendait plus son électricité qu'à 32.5€/MWh en moyenne alors qu'elle achetait à 46.3€/MWh.
Pas de jaloux : nous sommes maintenant dans cette situation vis-à-vis de tous nos voisins sans exception. Tous nous vendent leur électricité plus chère qu'ils achètent la notre et pour tous l'écart se creuse. Mention spéciale à la perfide Albion qui parvient à nous vendre des mégawattheures deux fois plus chers que ceux qu'elle nous achète.

La France exporte de l'électricité à bas coût et importe de l'électricité chère

Il y a probablement plusieurs explication à ce phénomène. L'importance du parc nucléaire français est l'une d'elle : avec le développement des renouvelables, le prix de l'électricité devient plus volatil, or un réacteur nucléaire est peu manœuvrable, il ne peut pas être mis en route pour profiter d'un prix de l'électricité momentanément élevé, pas plus qu'il ne peut être arrêté si les cours descendent pour quelques heures en dessous de son coût de fonctionnement.
En d'autres termes, qu'elle demande ou offre de l'électricité la France est obligée de prendre le prix qui lui est proposé là où les pays qui disposent d'un parc plus flexible ont l'alternative d'augmenter ou réduire leur production. Il n'est donc pas étonnant que nous soyons les dindons de la farce.

Comme d'habitude, les données utilisées peuvent être consultées ici. Tous les chiffres utilisés dans cet article sont tirés de la base de données des douanes (utilisez le code NC8 27160000 pour les retrouver).


Publié le 16 février 2017 par Thibault Laconde


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4 commentaires :

  1. Ce problème de prix n'est pas ce qui me préoccupe le plus. La France est en train de fermer progressivement toutes ses grandes (et vieilles) centrales fuel et charbon, et se retrouve donc incapable de passer les pointes de consommation d'hiver, ce qui l'oblige à importer de l'électricité "de pointe" forcément plus chère.

    Mais le problème pour moi est que la plupart de nos voisins sont en train de suivre la même voie: ils ferment eux aussi leurs centrales fuel / charbon, et même les allemands qui ont pourtant des centrales relativement récentes envisagent de les fermer. A ce moment là, les seules centrales européennes qui resteront pour passer les pointes seront les centrales à gaz ... alimentées par les russes ! Pourquoi les européens abandonnent-ils leur souveraineté énergétique (par exemple nucléaire + gaz de schistes européen) ?

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    1. Le nucléaire et les renouvelables rendent le mix électrique moins manœuvrable, c'est vrai. Mais ça ne signifie pas nécessairement une perte d'indépendance : la moindre flexibilité sur l'offre peut être compensée par une plus grande flexibilité sur la demande.
      Ce n'est pas facile mais c'est probablement le sens de l'histoire : les moyens techniques de le faire commencent à se mettre en place (avec des choses comme les smart grids ou le stockage...). La volatilité des prix, et en particulier l'apparition de prix négatifs, est un symptôme de cette transformation : elle montre que l'équilibrage offre-demande se fait de plus en plus via l'élasticité-prix.

      Voir à ce sujet ma série d'articles sur la disparition de la baseload : http://energie-developpement.blogspot.fr/2017/01/baseload-electrique-mythe-realite.html

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    2. Je ne partage votre optimisme sur la fourniture de base. L'exemple de l'Australie méridionale avec ses 40% de renouvelables (hors import) et ses black-out et délestages à répétition suffit à la prouver, voir par exemple, cet article.

      D'autre part, si on parle d'indépendance, il faut tout de même savoir par qui sera assurée la fourniture de gaz permettant de faire face à l'intermittence des ENRs. Ce n'est pas le smart-grid qui fournira de l'électricité à mon boulanger pour préparer ma baguette quand il fait nuit et que le vent ne souffle pas !

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  2. Bravo d'utiliser des chiffres en valeur et de vous appuyer sur les données des douanes : ça nous change des présentations mille fois répétées où il n'y a que des GWh ...et bien peu d'euros ou de livres!
    Il est frappant de voir que tous les chiffres en €/MWh montrent que tout le monde vend à perte: aucune des valeurs ne couvre les "coûts complets" d'aucune forme de production: gaz, fuel, charbon, nucléaire, éolien, solaire ni hydroélectrique ne peuvent à ces niveaux couvrir fonctionnement et amortissement...
    Cela traduit simplement le fait que tout le monde est en surcapacité et que la "libre concurrence" n'est qu'un artifice de taxes et de subventions.
    L'urgence ne serait-elle pas d'accélérer les interconnexions, par exemple vers l'Angleterre, pour exporter plus quand les prix anglais sont supérieurs à ceux du continent?

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