"Energy Bill" : comment la politique énergétique a provoqué une crise politique en Grande Bretagne

Energie et développement - manifestation contre la précarité énergétique en Angleterre après la publication de l'Energie Bill
Manifestation contre la précarité énergétique et la priorité donnée
au gaz après la publication de l'Energy Bill en novembre
Fin 2012, alors que la France lançait son débat sur la transition énergétique, la Grande Bretagne traversait une grave crise politique. En cause : des divergences sur la politique énergétique au sein du gouvernement.

Cet épisode est passé relativement inaperçu sur le continent, mais à l'heure où nous nous interrogeons sur notre propre stratégie énergétique il est intéressant de comprendre celle de nos voisins... Et de constater une fois de plus qu'en matière d'énergie, l'indécision est la pire des politiques.

Un mix énergétique difficilement viable


Le mix énergétique britannique est basé à part égale sur le pétrole et le gaz (40% chacun environ), vient ensuite le charbon (environ 10%), le reliquat est constitué essentiellement du nucléaire et des agrocarburants.

Ce mix énergétique est l'héritage du passé et n'a guère d'avenir. La part importante du gaz vient de l'exploitation des puits de Mer du Nord, mais la production gazière britannique a connu son pic autour de l'an 2000 et décroît rapidement depuis. Aujourd'hui l'essentiel du gaz consommé en Grande Bretagne est importé. De même, le charbon est majoritairement importé et il est en plus menacé par les exigences européennes en matière d'émission de gaz à effet de serre.
Energie et développement - mix énergétique et électrique de la Grande Bretagne en 2009
Par ailleurs, les infrastructures britanniques arrivent en limite de capacité. Depuis 2010, le régulateur, Ofgem, alerte régulièrement sur le risque de black-out à l'horizon 2015.
A cela s'ajoute une précarité énergétique massive, responsable de 24000 morts par an selon Fuel Poverty Action Group. La facture moyenne d'énergie est de 1300£ (1560€) par an en Grande Bretagne.

La révision de la politique énergétique vire à la crise ministérielle


Le gouvernement a décidé de s'attaquer à ces problèmes avec une loi sur l'énergie, il s'est fixé trois objectifs principaux :
  1. "Garder la lumière allumée"
  2. Réduire les émissions de gaz à effet de serre
  3. Maintenir le prix de l'énergie à un niveau abordable.

Comme souvent, les objectifs sont en partie contradictoires. Si tout le monde s'est entendu sur le premier, le gouvernement britannique s'est déchiré entre ceux qui réclamaient des engagements clairs sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et ceux qui voulaient donner la priorité à la compétitivité du royaume.
Les premiers, menés par le ministre de l'énergie et du changement climatique, Edward Davey,  réclamaient un soutien plus fort aux énergies renouvelables. Les second, regroupés autour du chancelier de l'échiquier (ministre des finances), George Osborne, plaçaient leurs espoirs dans les gaz non-conventionnels pour inverser la courbe des prix de l'énergie.

De son coté le Premier Ministre est resté hésitant, soutenant par moment les énergies renouvelables, vues comme un secteur prometteur pour l'économie britannique, puis insistant sur la facture d'électricité des ménages : en octobre, il a par exemple annoncé une loi obligeant les fournisseurs d'énergie a appliquer leur tarif le plus bas à tous les consommateurs.

Il faut rappeler que, depuis 2010, la grande Bretagne est gouvernée  par une coalition réunissant les conservateurs de David Cameron (premier ministre) et les libéraux-démocrates de Nick Clegg (vice-premier ministre). Cette alliance ne va pas de soi : conservateurs et libéraux-démocrates divergent sur de nombreux points dont l'énergie et l'environnement. Les positions des lib-dem sur ces deux sujets se rapprochent de celles que défendent sur le continent les partis verts.
Le gouvernement de David Cameron ne compte parmi sa trentaine de ministres que cinq libéraux-démocrates... dont le ministre de l'énergie.

Ces divergences manifestes au sein du gouvernement ont semé la confusion parmi les entreprises du secteur. Au moment où la Grande Bretagne a besoin de remettre à niveau ses infrastructures énergétiques, l'effet a été dévastateur. En octobre 7 acteurs majeurs de l'énergie outre-Manche (notamment Siemens, Areva, Vestas, Alstom et Mitsubishi) ont adressé une lettre au David Cameron menaçant de se retirer du pays si le gouvernement ne clarifiait pas sa position sur le nucléaire et les énergies renouvelables.

Épilogue : l'Energy Bill de 2012


Une première version de la loi sur l'énergie a été présentée à la Chambre des Communes en mai 2012. L'accueil a été plus que froid et l'examen a été repoussé à l'été. La crise politique a encore retardé cette échéance et, après des semaines de tension, ce n'est qu'en novembre qu'un accord a été trouvé entre les membres de la coalition.
La loi a été examinée par le parlement le 29 novembre 2012. Les principales mesures retenues sont :
  • L'absence d'objectifs d'émission à 2030 pour le secteur électrique. La décision est reportée à 2016. A ce sujet, le président de Shell, Lord Oxburgh, a résumé l'avis général en affirmant que les investissements énergétiques britanniques sont "dans les limbes pour une décennie". 
  • Le triplement de la somme que les compagnies d'électricité sont autorisées à prélever sur leurs clients pour financer les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique et les centrales nucléaires. Ce montant devrait atteindre 7.6 Mds£ en 2020. les industries très consommatrices en énergie sont exemptées.
  • L'accent mis sur le gaz et les gaz non-conventionnels (permis d'exploitation, incitations fiscales...), qui n'a contenté ni les organisations de protection de l'environnement ni les entreprises - très septiques quant à la possibilité de reproduire en Grande Bretagne le "miracle du gaz de schiste" américain.
  • De nouvelles centrales à charbon peuvent être construites à condition d'être équipées de dispositifs de capture et de stockage du carbone.
  • Des mesures favorable à l'énergie solaire et au déploiement de compteurs intelligents.
Ce texte tente de faire cohabiter des points de vue divergents mais ne fixe pas de cap clair. Malgré une orientation plutôt favorable aux entreprises et aux investisseurs, l'absence d'objectif pour 2030 fait peser une incertitude quant à la volonté ou la capacité réelle du gouvernement de faire baisser les émissions des producteurs d'électricité.
Cette indécision a déplu à l'opposition travailliste mais aussi à certains libéraux-démocrates, ce qui pourrait mener à un retournement de majorité lors du vote. Un amendement a été déposé pour réintroduire des objectifs de réduction des émissions de CO2 dans la loi.

L'examen de la loi est toujours en cours au parlement britannique.

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1 commentaire :

  1. Le nucléaire n'a pas l'air d'être en bonne position économique face aux énergies renouvelables. Précisions trouvées ici :

    http://energeia.voila.net/electri2/nucleaire_grande_bretagne.htm

    Les choses traînent en longueur, les choses ne sont pas aussi faciles que la société EDF l'espérait. Le nucléaire est bien trop cher en fin de compte.

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