François Fillon veut l'arrêt total de la production électrique fossile. Est-ce crédible ?

Depuis quelques jours, François Fillon semble muscler son discours sur l'énergie. Dans une interview au Monde puis encore ce matin sur France Inter, il a promis "l'arrêt de toute forme de production d’électricité à partir d’énergies fossiles".
Cet engagement est presque exotique : il est rare de voir la production électrique fossile évoquée dans le débat politique français, tant il est dominé par le nucléaire. Mais il a aussi surpris parce qu'un petit parc thermique est souvent jugé indispensable pour faire fonctionner un réseau électrique. Alors que faut-il penser de la promesse de François Fillon ?


Production électrique fossile en France : de quoi parle-t-on ?


La production électrique fossile comprend la production d'électricité à partir de charbon, de gaz naturel et de produits pétroliers. Ces trois combustibles sont à l'origine de plus des deux tiers l'électricité mondiale : environ 40% pour le charbon, un peu plus de 20% pour le gaz et de l'ordre de 5% pour le fioul.

En France, la proportion d'électricité produite à partir des énergies fossiles est beaucoup plus faible. Elle varie d'une année à l'autre mais bon an mal an, elle se situe entre 5 et 9%. En 2016, le gaz représentait de l'ordre des trois-quart de cette production suivi, loin derrière, par le charbon puis le fioul.
Cette faible part des fossiles est une originalité française qui s'explique par le rôle très important du nucléaire. Celui-ci assure environ les trois quart de notre production électrique. Ajoutez que la France dispose d'un parc hydroélectrique relativement important et il reste peu de place aux énergies fossiles.


Peut-on s'en passer ? En métropole, peut-être.


Mais même dans ces conditions, quelques centrales utilisant les énergies fossiles restent utiles. En effet, pour qu'un réseau électrique fonctionne, la production doit être en permanence égale à la consommation. Or un réacteur nucléaire est peu manœuvrable : il peut difficilement augmenter et réduire sa production pour s'adapter aux variations de la demande. C'est d'autant plus gênant que, avec le développement du solaire et de l'éolien, la production peut varier en fonction de la météo, il faut donc pouvoir ajuster les autres moyens de production à la hausse comme à la baisse.
C'est ici que les centrales thermiques entrent en scène. Contrairement aux centrales nucléaires, elles sont souvent souples d'utilisation. C’est particulièrement le cas pour les turbines à gaz : elles peuvent démarrer en quelques minutes et leur production peut varier très rapidement.
Bien sur les fossiles ne sont pas la seule solution : les barrages hydroélectriques sont également très performants de ce point de vue et il est aussi envisageable d'agir sur la demande.

Un problème supplémentaire se pose en Corse et en Outre-mer où le réseau électrique est isolé et trop petit pour accueillir une production nucléaire. Là, les fossiles sont pratiquement incontournables.
En Guyane, grâce à l'hydroélectricité, la dépendance aux fossiles n'est que de 40%. Mais en Corse elle dépasse 50%, à la Réunion c'est de l'ordre de 60% et en Martinique ou à Saint Pierre et Miquelon plus de 90% de l'électricité est d'origine fossile...

Centrale thermique de Bouchain, près de Valencienne

Une promesse pas impossible à tenir mais peu crédible à moyen-terme


En bref, il n'est pas techniquement impossible de se passer d'électricité d'origine fossile, mais seulement en métropole. Et c'est un objectif qui nécessiterait une dose de volontarisme et d'innovation.

Les trouve-t-on dans le programme de François Fillon ? Il ne fournit pas de détail ni de date mais propose "d'éliminer les énergies fossiles de la production d’électricité avec un prix plancher de la tonne de carbone de 30 euros minimum".
Relever le prix du carbone est certainement une bonne mesure. Là où c'est techniquement faisable, un plancher à 30€ par tonne suffirait sans doute à éliminer la production à partir du charbon, puisque la Grande Bretagne y parvient en ce moment avec un prix du même ordre. Mais il ne renchérirait le coût du kilowattheure produit à partir du gaz que de l'ordre de 1 centime d'euro, difficile d'imaginer que cela suffise...

D'autant que, du fait de leur souplesse et de leurs émissions trois fois moins élevées que celles des centrales à charbon, les turbines à gaz sont souvent vues comme le complément idéal pour le nucléaire et les renouvelables dans le cadre d'un mix électrique bas carbone.
Ce n'est pas un hasard si 11 turbines à gaz, totalisant une puissance de 5GW, ont été construites en France depuis 2010. Parmi celles-ci la toute récente centrale à cycle combiné au gaz de Bouchain, inaugurée en juin 2016, détient le record du monde d'efficacité avec un rendement de 62.2%. La preuve qu'EDF voit un avenir à cette filière et souhaite y investir...

François Fillon, qui refuse l’arrêt de la centrale nucléaire de Fessenheim alors qu'elle est vieille de quarante ans, est-il vraiment crédible lorsqu'il s'engage à faire fermer par EDF mais aussi Engie, EON, Alpiq et Poweo des centrales thermiques presque neuves ?
Interrogée à ce sujet, son équipe se montre nettement plus mesurée :

https://twitter.com/EnergieDevlpmt/status/849886481837678592



Publié le 6 avril 2017 par Thibault Laconde

Illustration : By Serge Ottaviani (Own work) [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons



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4 commentaires :

  1. Comment dire ... M. Fillon raisonne comme au siècle dernier.
    Nul doute que solaire et éolien vont assurer l'essentiel de la production d'ici à moins de 25 ans. Si vous n'êtes pas encore convaincus, regardez ce qui se prépare avec la technologie des blockchains (solaire moins cher que le kWh acheté + blockchain = disruption). Reste qu'il faudra produire du courant les nuits sans vent.

    Et la, thermique fossile, ou bien énergies importées issues des renouvelables?
    Je partage les propos de Cédric Philibert de l'IEA (cf son blog) selon lesquels des carburants de synthèse fabriqués dans des pays favorisés par vent ou soleil (Maroc, région Patagonie) vont produire des carburants renouvelables sans CO2 et moins cher que les carburants fossiles avec une électricité sous les 3 ct d'€ du kWh.
    Adapter nos centrales thermiques à ces nouvelles énergies nécessitera des investissements, mais ils seront moindres si on les garde.
    Gardons nos centrales à gaz: elles pourront être converties à l'ammoniac ou à l'hydrogène dans 10 à 20 ans quand le moment sera venu (et avec la baisse des prix du solaire dans les déserts, ça pourrait bien arriver avant...).

    A moins que le prix des piles à combustible chute d'ici la, et le couple Hydrure d'un métal (par exemple sodium/hydrogène, magnésium/hydrogène)/pile à combustible/cogénération devienne la solution la moins chère.

    Le futur de l'énergie est bien loin d'être écris....

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    1. Cédric Philibert ? Qui affirmait froidement en 2012 que c'était le solaire et l'éolien allemand qui avaient sauvé la France du pic de froid, alors même qu'en février le solaire allemand ne produit presque rien, même absolument rien pendant la période la plus critique de la pointe du soir, et que le bilan de cette période de tension publié par RTE signalait que cela avait correspondu aussi à une mauvaise période pour l'éolien allemand, qui n'avait pas produit plus que celui français malgré une capacité 4x supérieure ? Bref à l'époque et au contraire de ce qu'il disait, ce sont les centrales thermiques allemande à la capacité surdimensionnée (et qui pourtant est resté quasiment constante depuis 2000 grâce aux remplacements des centrales charbons fermées par des centrales flambants neuves optimisées pour le suivi de charge) qui nous ont donné un coup de pouce bien utile certes.

      Qu'il fasse les vrais calculs, une électricité sous les 3 cts d'€/kWh ne permet pas de générer des carburants renouvelables moins cher que les carburants fossiles, car l'infrastructure de génération et stockage d'hydrogène est juste très cher, comme l'ont montré les démonstrateurs allemands.
      Aussi, transporter l'hydrogène est très compliqué, risque de consommer beaucoup d'énergie, et l'utiliser demande de modifier entièrement la conception des centrales. Il faut mieux le stocker sur place et transporter l'électricité, c'est beaucoup plus facile.
      Pour l'ammoniac, je ne me prononcerait pas plus que pour dire qu'aujourd'hui c'est juste une pure idée de laboratoire, il faut plusieurs dizaines d'années pour passer de cette étape à celle industrielle sur étagère. Et si on est jamais allé plus loin jusqu'à présent, c'est certainement qu'il y a quelques obstacles sérieux.

      Quand aux blockchain qui révolutionnent l'énergie, restons sérieux s'il vous plait. Les prix spot de l'énergie solaire et éolienne s'écroulent parce qu'ils ne produisent pas au moment nécessaire. Le stockage serait une réponse, s'il atteint l'échelle nécessaire, mais les blockchains c'est juste de la poudre aux yeux.

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  2. L'idée de complètement fermer les capacités fossiles est surement irréaliste, mais dans la campagne, les idées irréalistes sur l'énergie sont pour le moins nombreuses. Et c'est une idée irréaliste qui réduiraient nos émissions de CO2 là où les autres candidats ont des idées irréalistes de 50% de production nucléaire qui les augmentent !

    De plus dans les grandes lignes et mis à part l'idée de fermer *toutes* les centrales thermiques, ça correspond au plan d'EDF qui a pour objectif d faire exactement ce dont vous doutez, gérer le suivi de charge uniquement avec les centrales nucléaires : https://www.lesechos.fr/19/02/2016/LesEchos/22133-073-ECH_l-electricien-fait-de-plus-en-plus-varier-sa-production-nucleaire.htm

    Parce que, il faudra probablement le répéter des dizaines de fois, l'affirmation que le nucléaire ne suit pas la charge est une caricature stupide, mais probablement bien utile à ceux qui veulent absolument garder des centrales fossile. Les centrales fossiles non plus ne suivent pas la charge ! C'est à dire que suivre un peu la charge, ok, mais un suivi intensif de charge leur pose à elles aussi pleins de problèmes, usure accélérée, niveau impératif minimum de production pour ne pas dépasser les normes de pollution, temps de redémarrage après l'arrêt, risque d'incident et d'échec du redémarrage à chacun d'entre eux. Au final, il n'y a pas une différence énorme entre les 2.

    Suis-je en train de dire qu'on pourrait avoir uniquement les centrales, l'hydraulique et les renouvelables ? Non, mais pas vraiment pour le suivi de charge à proprement parler, plutôt pour la gestion des pointes de consommation exceptionnelles par grand froid. On a besoin du fossile à ce moment, sachant que l'impact en terme de CO2 est limité, c'est des situations exceptionnelles, et peu durables, quand on fait le bilan sur l'année, ça représenterait un volume très faible. On peut quasiment éliminer le fossile sur l'ensemble de l'année.

    Mais en prenant du recul, notre secteur électrique a déjà des émissions de CO2 quasi négligeable par rapport au volume total de CO2 émis en France, et la priorité des investissement pour la réduction du CO2 devrait être ailleurs, par exemple dans la rénovation des logements ainsi que dans les transports, des chantiers bien plus urgent de ce coté que l'électrique. La rénovation des logements ayant de plus l'avantage de réduire la demande électrique pendant ces période de pointe où elle est difficile et polluante à assurer.

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    1. Au-delà de M. Fillon et de sa proposition, ce que je trouve préoccupant, c'est justement qu'aucun candidat ne semble capable d'avoir un discours cohérent sur l'énergie. Sait-on encore parler d'énergie en France ? Je commence à me poser la question...

      Le malheur, c'est que nous avons des échéances face à nous. Notamment la décarbonation de notre économie et le vieillissement de notre parc nucléaire qui vont nous contraindre à faire des choix difficiles et de lourds investissements. Sans projet précis consacré par le vote des français, je ne vois pas comment nous pourrions relever ces défis.

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