Callendar : les premiers signes du réchauffement

Fourrier et Pouillet ont mis en place les bases théoriques pour comprendre l'effet de serre, Tyndall leur a donné raison grâce à ses mesures, Arrhenius a mis ces connaissances en équation et prévu le réchauffement climatique... A la fin du XIXe siècle, les scientifiques se doutaient que la terre allait devenir le théâtre d'une expérience de physique-chime aux dimensions planétaire mais personne ne pouvait encore en observer les effets, ou même dire si elle avait commencé ou non.

Personne, jusqu'à Guy Callendar en 1938...


Un ingénieur entre deux guerres mondiales


Guy Stewart Callendar nait en 1898 à Montréal. Ses parents sont anglais mais son père, physicien de renom, occupe alors un poste à l'université McGill. Dès 1898, la famille qui compte 3 enfants rentre en Grande Bretagne.
En 1914, Callendar a 17 ans et la chance d'avoir été éborgné par son frère pendant son enfance. Il échappe ainsi aux massacres de la Première Guerre Mondiale. Au lieu de rejoindre le front, il aide au laboratoire de son père qui voit défiler les problèmes techniques nouveaux posés par la guerre industrielle, depuis la construction d'avions jusqu'à la détection des sous-marins.

En 1938, la compilation des température par Callendar montre que le réchauffement climatique a commencéAprès la guerre, Callendar termine des études de mécanique et de mathématique à l'Imperial College avant de retrouver le laboratoire de son père où il se spécialise, comme lui, dans les systèmes de vapeur. A sa mort en 1930, son père lui lègue d'ailleurs les droits sur ses brevets et ses publications dans ce domaine.
La même année, Callendar se marie. Deux jumelles et une vie familiale heureuse naîtront de cette alliance.

Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, Callendar est affecté à un centre de recherche du Petroleum Warfare Department dans le Sussex. Il y travaille notamment sur un système répondant au petit nom de FIDO destiné à disperser le brouillard pour permettre aux avions d'atterrir en sécurité.

Après la guerre, il reste au service du ministère de l'approvisionnement, dont il prend sa retraite en 1958. Il meurt peu après, en 1964.


L'homme qui a vu le réchauffement climatique


Tout cela est très intéressant, me direz-vous, et ce M. Callendar semble avoir été un homme tout-à-fait plaisant et un ingénieur de première force, mais quel est le rapport avec le climat ?

Hé bien, Callendar se passionne très tôt pour la météorologie. Ce sera toute sa vie un de ses principaux hobbys, au point qu'il finira par devenir membre de la Royal Meteorological Society.
C'est dans ce cadre qu'il découvre les travaux d'Arrhenius. La perspective d'un réchauffement de la planète sous l'effet des émissions de dioxyde de carbone humaines pique sa curiosité et il entreprend de déterminer si cette prévision est ou non en train de se réaliser.

La difficulté à l'époque est évidemment d'accéder à des données fiables, le réseau d'observation météo est encore limité et ce n'est qu'avec la Seconde Guerre Mondiale que les relévés se généraliseront.
Pour les températures, Callendar s'adresse au Smithsonian qui collecte des données sur près de 150 stations depuis 1880. Pour la concentration en dioxyde de carbone, il fait ses propres mesures en s'éloignant des villes et des centres industriels pour éviter qu'elles soient faussées.
Il calcule ainsi que la température moyenne a augmenté régulièrement depuis 1880, il évalue cette hausse à 0.3°C au milieu des années 30. Il attribut 60% de cette augmentation aux émissions de gaz à effet serre : d'après ses mesures la concentration en CO2 dans l'atmosphère a crû d'environ 6% depuis 1900. Lorsqu'il se tourne vers l'avenir, Callendar estime que la planète pourrait se réchauffer de 2°C.

Callendar met en évidence la hausse de la température et de la concentration en CO2
Graphique de température avec la contribution du CO2 publié en 1938 par Guy Callendar

Il publie ces premiers résultats en 1938. Ils ont un certain écho, mais la communauté scientifique les accueille avec beaucoup d'incrédulité.
C'est surtout l'augmentation de la quantité de CO2 dans l'atmosphère qui est mise en doute : à l'époque le cycle du carbone est encore mal connu et les mesures sont peu fiables. Par ailleurs, la vieille idée d'une "saturation de l'effet de serre", objection formulée par d'Angström dès 1901, reste puissante. En 1941, le bureau météorologique américain rend un avis définitif : aucune augmentation du CO2 atmosphérique ne peut affecter significativement le bilan radiatif de la terre.

Pourtant Callendar ne renonce pas. Il publie 35 articles sur le sujet, plus d'un par an y compris pendant les années de guerre et à sa mort il est en train de travailler sur un livre qui aurait du s'intituler Climat et dioxyde de carbone. A l'image de ce livre, le travail de persuasion de l'ingénieur britannique est inachevé. En 1961, il note avec perspicacité que "l'idée que les actions humaines puissent influencer un système aussi vaste et complexe [que le climat] répugne à certain." 
Mais à défaut de convaincre, Callendar informe, et probablement inspire, la génération suivante qui parviendra, elle, à se faire entendre : il entretient une correspondance régulière avec Charles Keeling, Gilbert Plass, J. Murray Mitchell, etc. Autant de grands noms de la climatologie qui, à partir des années 50 alertent sur les émissions de gaz à effet de serre et leurs conséquences...

C'est avec eux que les politiques et le grand public vont entendre parler du changement climatique, ainsi naîtra l'idée fausse que l'on a découvert le réchauffement de la planète que récemment.
Reste qu'une nouvelle ère commence : avec l'apparition de l'informatique, les mois de calculs qui ont été nécessaires à Arrhenius ou Milankovitch ne sont plus qu'un souvenir, la multiplication des stations météos pendant la guerre apportent des données infiniment plus précises, le radar puis les satellites ouvrent des possibilités inédites... Lorsque débute la seconde moitié du XXe siècle, la climatologie n'est déjà plus une marotte que l'on peut exercer, comme Callendar, depuis son pavillon du Sussex ou, comme Arrhenius, pour se distraire de recherches plus sérieuses, elle s'affirme comme un domaine scientifique à part entière, et elle va gagner rapidement en importance. Mais, en dépit de ces habits neufs, il serait injuste et mal avisé d'oublier qu'elle hérite aussi de 200 ans d'histoire.

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Aventuriers, rêveurs, révolutionnaires... du XVIIIe siècle au début du XXe, l'histoire scientifique du climat a été écrite par des personnalités hautes en couleur. Retrouvez ici l'histoire des autres pionniers de la discipline :
  1. Montesquieu : l'Esprit des lois et la théorie des climats
  2. Buffon : refroidissement climatique et géoingénierie avant l'heure
  3. Saussure : l'aube de la paléoclimatologie
  4. Fourier : l'invention de l'effet de serre
  5. Foote : la démonstration de l'effet de serre à la portée de tous
  6. Tyndall : la première spectroscopie des gaz à effet de serre
  7. Arrhenius, Hogböm et Ekholm : le clan des suédois
  8. Milankovitch : la solution à l'égnime de l'âge de glace
  9. Callendar : l'homme qui a vu le réchauffement


Publié le 29 aout 2017 par Thibault Laconde


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4 commentaires :

  1. Merci pour cette série historique intéressante.
    Je pense tout de même qu'il manque un lien vers l'interprétation actuelle de l'action des "gaz à effet de serre", notamment au travers de l'altitude de réémission des IR vers l'espace, qui diffère fortement des points de vue "historiques". On peut se référer par exemple à cet article de P de Larminat (on peut sauter les premières pages).
    Signé: papijo

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  2. Références s'il vous plaît! Voir le livre de James Rodger Fleming, L'effet Callendar (American Meteorological Society, 2017) pour tous les détails.

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  3. Il serait juste de citer Callendar pour ses premières extrapolations quantitatives simples (prévisions) de l'évolution de l'augmentation de mesure globale de la biosphère qui donnent pour l'année 2000 une augmentation de cette température globale voisine de 0.4°C il me semble.

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