Comme toutes les grandes éruptions, celle-ci va causer un bref refroidissement climatique et, par ce biais, avoir des répercussions mondiales : par un enchaînement inattendu, le Tambora va même contribuer à donner naissance à quelques uns des personnages les plus connus de la littératures fantastique moderne...
Cet article fait partie d'une série d'été consacrée au rôle du climat dans l'histoire. Retrouvez un nouvel article mercredi prochain et, en attendant, les articles déjà parus :
- Introduction de la série
- Vagues de chaleur : hier et aujourd'hui
- La chasse aux sorcières et le petit âge glaciaire
- Hiver volcanique et littérature fantastique
- Le printemps 1907 : y a-t-il de bons changements climatiques ?
- Le climat dans l'ombre des révolutions ?
L'éruption du mont Tambora
Cinq jour après le réveil du Tambora, le 10 avril 1816, trois colonnes de flammes s'élèvent au-dessus du volcan puis fusionnent dans une éruption cataclysmique. Tous les flancs du volcan sont recouverts par une nuée ardente qui annihile les villages environnant, 90.000 personnes sont tuées.
L'explosion est entendue jusqu'à Sumatra, à 2600 kilomètres de là. En un instant, le volcan perd 1500 mètres de hauteur : son sommet est remplacé par une caldera de 6 kilomètres de diamètre. L'éruption a atteint un indice d'explosivité volcanique de 7 "méga-colossal" sur une échelle qui en compte 8.
Le plus spectaculaire est passé mais les chutes de cendres se poursuivent encore 3 mois, jusqu'au 15 juillet, et les émissions de fumées continuent jusqu'au 23 août. Au total, 150 km³ de poussières ont été rejetés dans l'atmosphère - 60.000 fois le volume de la grande pyramide de Gizeh...
Comme c'est le cas après chaque grande éruption volcanique, cette immense masse de particules ne retombe pas tous de suite. Elle reste un temps dans l'atmosphère et, pendant quelques mois, empêche une partie du rayonnement solaire d'atteindre la surface de notre planète. Ce phénomène entraîne un hiver volcanique, un refroidissement sensible du climat qui peut durer quelques années après l'éruption.
"L'année sans été"
En 1816, le refroidissement est de l'ordre de 0.5°C. Comme la semaine dernière, cette baisse de température vous paraîtra peut-être négligeable, et pourtant ! Elle a des conséquences dramatiques : l'Europe connaît une de ses dernières grandes famines, aux États-Unis, les mauvaises récoltes poussent les fermiers vers le Middle-West engageant un siècle de conquêtes, en Chine, le dérèglement de la mousson entraîne des inondations catastrophiques dans la vallée du Yangtze...
"L'éruption du Tambora en 1815 entraîne l'année suivante un refroidissement climatique de 0,5°C et une des dernières grandes famines européennes."
Mais ce refroidissement va aussi avoir des conséquences plus imprévisibles : dans les mémoires, l'année 1816 est restée comme "l'année sans été". Or, l'été, c'est ce qu'une bande d'aristocrates britanniques était justement venu chercher cette année là sur les bords du lac de Genève...
Nous avons là Lord Byron, 6e du nom : poète romantique, amant scandaleux, dandy insolvable et révolutionnaire d'opérette... il finira par trouver une mort sans gloire en 1824 pendant la guerre d'indépendance grecque. A ses cotés, John Polidori, son médecin personnel et souffre-douleur, il ne tardera pas être renvoyé - à moins qu'il se soit enfuit, et mourra 5 ans plus tard, accablé de dettes et probablement suicidé.
Il y a encore Percy Bysshe Shelley, poète lui aussi, tout aussi scandaleux mais un peu moins mémorable que Byron, il va se noyer en 1822 peu avant son trentième anniversaire. Enfin voici Mary Wollstonecraft Godwin. Cette jeune fille, qui n'a pas 20 ans, est celle qui va faire passer cette réunion dans les mémoires. Son nom ne vous dis rien ? C'est sans doute que vous ne la connaissez que sous son éphémère nom de mariage : Mary Shelley.
Byron lui-même arrive peu après sur les bords du lac Leman où il loue pour 5 mois la villa Diodati. Percy et Mary ont tôt fait de s'inviter.
Quelques nuits d'ennui, des créations inoubliables
Mais voilà, selon les mots de Mary Shelley : "l'été se révéla humide et désagréable, la pluie incessante nous retenait parfois des jours à l'intérieur". Depuis l'autre coté de la terre, ce foutu volcan indonésien vient gâcher la fête !
Que peuvent faire ces jeunes gens cloîtrés par le mauvais temps ? Dans la villa traînent quelques romans fantastiques allemands traduits en français qu'ils lisent pour tuer le temps. Et voici finalement Byron qui propose un jeu : chaque membre de la compagnie devra inventer à son tour une histoire de fantôme.
Mary peine d'abord à relever ce défi. Mais inspirée par des discussions autour des travaux d'Erasmus Darwin (le grand père de Charles) et de Luigi Galvani, elle finit par donner naissance pendant une nuit d'insomnie à une créature monstrueuse composée de morceaux d'êtres humains ramenés à la vie par la science. Encouragée par ses compagnons, elle développe l'histoire et bientôt elle donne au monstre un créateur peut-être plus hideux encore : le professeur Victor Frankenstein.
Deux ans plus tard parait Frankenstein ou le Prométhée moderne. Peu apprécié des critiques de l'époque, le roman a pourtant un succès extraordinaires et des centaines d'adaptations et de pastiches en librairie, au théâtre, au cinéma...
"Frankenstein et le vampire moderne sont nés au même endroit : dans une villa suisse où une bande d'aristocrates britanniques étaient retenus par le mauvais temps."
Mais ce n'est pas tout. Vous vous souvenez du petit docteur Polidori ? Hé bien, lui aussi participe au jeu. Son histoire met en scène un lord britannique captivant et dépravé - peut-être inspiré de Byron... mais aussi immortel et se nourrissant du sang de ses conquêtes. Elle deviendra une nouvelle publiée en 1819 sous le titre The Vampyre.
Les vampires, c'est entendu, n'ont pas été inventés par Polidori. Loin de là... Mais sa nouvelle est généralement créditée pour avoir popularisé le thème et surtout elle a créé l'archétype du vampire contemporain : froid, séduisant et aristocratique.
The Vampyre, édition de 1884 (attribuée à tort à Byron) |
"L'évolution de l'environnement influence la façon dont les artistes voient le monde, et en retour la façon dont nous nous voyons nous même. Le changement climatique actuel aura des conséquences culturelles..."
Et est-ce surprenant ? Après tout, comme le disait Buffon (le monde est petit) : "toutes les idées des arts ont leurs modèles dans la production de la nature". Un changement climatique est probablement le phénomène le plus violent et généralisé qui puisse affecter notre environnement, il est normal qu'on en retrouve la trace dans la façon dont les artistes voient le monde, et par ricochet dont nous nous voyons nous-même.
De même, je suis convaincu que le changement climatique dans lequel nous nous engageons aujourd'hui aura, au-delà de ses impacts écologiques, économiques et sociaux, des conséquences culturelles massives.
Les principales sources pour cet article sont :
- L'introduction de l'édition de 1831 de Frankenstein (disponible ici)
- Mary Shelley : Romance and reality d'Emily Sunstein.
- L'émission Concordance des temps consacrée à Frankenstein sur France Culture
Publié le 8 août 2018 par Thibault Laconde
Merci pour ce récit "instructif et surprenant".
RépondreSupprimerWikipedia fournit un complément. En particulier, il montre que le même phénomène,quoique un peu moins important, s'était produit également vers 1809. Faut-il y voir une des causes de l'échec de Napoléon à la Campagne de Russie durant l'hiver 1812 / 1813 ?
Signé: papijo
NB: Pour la 2ème fois, T. Laconde traite dans ses articles de sujets dont j'ai parlé dans mes commentaires. Je tiens à préciser, qu'il s'agit d'un pur hasard, et que je n'ai aucun contact avec lui, autre que ce blog !