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Blowups : comment le réchauffement climatique casse les routes

Mi-juin 2016, une vague de chaleur précoce touche le centre des Etats-Unis. Dans le Minnesota, la température dépasse le seuil symbolique de 90 degrés fahrenheit (32°C), un niveau peu fréquent pour cet état du nord, frontalier du Canada. Sur l'autoroute qui relie Minneapolis à l'état voisin du Wisconsin, une caméra de surveillance enregistre une scène surprenante... 

Un dos d'âne semble avoir été installé subrepticement sur la voie du milieu et les gros pick-ups qui l'empruntent à vive allure sont catapultés sur plusieurs mètres :

 

 Ce que vous voyez à l'oeuvre, c'est un soulèvement, ou blowup en anglais. Une dégradation soudaine d'une route à chaussée rigide typique des vagues de chaleur de début d'été.

Qu'est-ce qu'un blowup ?

Pendant la vague de chaleur de juin 2016, plusieurs dizaines d'incidents du même genre ont été signalés dans au moins une demi-douzaine d'états américains : Iowa, Nebraska, Colorado, Missouri, etc.

Ce phénomène touche les routes à chaussées rigides, en particulier celles construites avec des dalles de béton. Sous l'effet de la chaleur, le volume de ces dalles augmente. Cette dilatation thermique est faible : de l'ordre de 1mm par tranche de 10°C pour une dalle de 10 mètres. C'est peu mais cela peut suffire à faire exploser les joints de chaussée, comme ici sur l'A10 allemande en 2018 :

"blow-up" sur une autoroute allemande pendant une canicule

Dans d'autres cas, les dalles peuvent se chevaucher ou se soulever. C'est ce qui se passe dans la vidéo du début et que l'on voit mieux sur cette photo d'un autre incident dans la Dakota du Sud :

Soulèvement de dalles en béton sous l'effet de la chaleur

Pas de béton en vue ? Le risque peut exister quand même...

Complexes à réparer, plus glissantes et plus bruyantes que leurs homologues en asphalte, les routes en béton sont devenues moins populaires à partir des années 80. En France, l'autoroute en béton la plus récente est l'A71 dont le dernier segment a été ouvert en 1989.

Les routes déjà construites, quant à elles, ont souvent été recouvertes d'une couche d'asphalte pour réduire le bruit et améliorer le confort de conduite. Mais elles continuent à exister et l'ajout d'un revêtement sombre peut même augmenter le risque de blowup en favorisant l'absorption du rayonnement solaire. Des soulèvements continuent donc à se produire sur des routes en béton même lorsqu'elles ont été rénovées.

Exemple avec l'E314 en Belgique, une autoroute construite en béton armé continu (une technique moins exposée au blowup que les dalles de béton), réparée et asphaltée en 2010, endommagée en juin 2017 :

Soulèvement d'une route en béton armé continu recouvert d'asphalte


Un phénomène accéléré par le réchauffement mais difficile à anticiper

Le risque de blowup n'est pas nouveau, il existe des exemples dès les années 70. Mais il est accentué par le changement climatique qui place les routes dans des conditions de température différentes de celles dans lesquelles elles ont été conçues.

Les blowups apparaissent lors de périodes de chaleur longues, qui laissent le temps au béton de se réchauffer. Une chaleur soutenue n'est cependant pas le seul facteur de risque : l'ensoleillement contribue à réchauffer le béton et l'humidité a faire augmenter son volume. Celà explique que les blowups se produisent plutôt en début d'été lorsque les journées sont les plus longues et que le sol n'a pas encore eu le temps de sécher complètement.

Des paramètres non-climatiques jouent aussi un rôle dans l'apparition de blowups : défauts de construction, problème d'entretien et même la température lorsque le béton a été coulé... un béton coulé un jour chaud est moins exposé.

Les soulèvements ne sont pas les seuls dommages que le changement climatique peut causer aux routes. On peut citer par exemple les glissements de terrain (liés à des précipitations plus intenses) ou les retraits-gonflements d'argile (causés par la succession de sécheresses). Mais ils sont particulièrement difficiles à anticiper et surtout ce sont des phénomènes soudains, sans signe avant coureur - ce qui en fait un casse-tête pour les exploitants et un danger pour les usagers.

Ce genre de risque complexes est typiquement un domaine d'application pour une approche des risques climatiques par le big data : en combinant un grand nombre de données (par exemple incidents passés, projection et historiques de température, constructeur, date voire heure de mise en oeuvre, entretien, etc.), on pourrait identifier les sections vulnérables parmi les 20 000km d'autoroutes et de routes nationales françaises. Il serait alors possible de choisir où affecter des moyens de prévention pour une efficacité maximale.

 

Publié le 30 septembre 2020 par Thibault Laconde

Pourquoi le conflit commercial sino-américain pourrait affecter durablement le secteur de l'énergie

Après des mois de tensions, la Chine et les États-Unis semblent décidés à en venir aux mains : le 23 mars, les États-Unis ont imposé un droit de douane de 25% sur les importations d'acier et d'aluminium - en exemptant leurs principaux partenaires commerciaux à l'exception de la Chine, le 2 avril celle-ci a répliqué avec des taxes sur 128 produits importés des États-Unis, le 4 l'administration Trump a annoncé des droits de douanes supplémentaires sur 1033 produits, la Chine a immédiatement riposté en ciblant cette fois l'agriculture américaine...

On pourrait regarder d'un oeil amusé cette escalade entre la Chine et les États-Unis, l'un et l'autre se menaçant d'ériger des droits de douanes sur  ̶5̶0̶ ̶m̶i̶l̶l̶i̶a̶r̶d̶s̶   ̶1̶0̶0̶  150 milliards de dollars de produits importés. Tout cela ne nous concerne pas, non ? Non ?


Un cas d'école : la guerre du poulet entre la CEE et les Etats-Unis


Au milieu du XXe siècle, l'élevage s'industrialise rapidement aux États-Unis et la volaille devient un aliment quotidien bon marché. La viande américaine commence à traverser l'Atlantique par conteneurs frigorifiés et les européens qui sortent à peine des privations de la l'après-guerre se jettent sur ces poulets à bas prix et de piètre qualité : bientôt Jean Ferrat chantera cette génération qui doit "rentrer dans son HLM et manger son poulet aux hormones".Les gouvernements européens veulent aider leur production domestique qui commence tout juste à sortir de l'artisanat et s'inquiètent de la concurrence américaine. En 1962, l'entrée en vigueur de la Politique Agricole Commune s'accompagne de tarifs minimum pour le poulet importé en Europe. C'est le début de la "chicken war"...

Les États-Unis répliquent l'année suivante en imposant un droit de douane de 25% sur des produits européens. Comme c'est presque toujours le cas, les produits visés sont choisis pour leur portée symbolique. Il y aura par exemple les alcools, un grand classique lorsque la France est ciblée... Et puisqu'il faut aussi sanctionner l'Allemagne, quel produit plus symbolique aurait-on pu trouver dans les années 60 que le fameux combi Volkswagen ? Les États-Unis vont donc instaurer un droit de douane de 25% sur ce qu'ils appellent les "light trucks" en ciblant ostensiblement les vans de hippies importés de RDA.
Les Etats-Unis répliquent aux droits de douane européens sur le poulet en ciblant les Combi VW

Beaucoup d'eau est passé sous les ponts depuis mais cette taxe reste en vigueur. Depuis plus d'un demi-siècle elle empèche les constructeurs automobiles basés hors des Etats-Unis (ou de l'ALENA) d'accéder au marché américain des "light trucks", une catégorie qui comprend les mini-bus mais aussi les pick-ups ou les SUV. Résultat : les fabricants américains se sont spécialisés sur ce segment où ils sont protégés de la concurrence étrangère.


Petite distorsions de marché et grosses bagnoles 


Dans les années 70, plus des trois quarts des véhicules vendus aux Etats-Unis étaient des voitures. Aujourd'hui, c'est l'inverse : les "light trucks" occupent près de 60% du marché, soit environ 10.000.000 d'unités par an.
En 2017, les deux véhicules les plus vendus aux États-Unis étaient :

Si les deux-tiers des véhicules vendus aux Etats-Unis sont des "light trucks" consommant plus de 10L/100km c'est en partie à cause de la chicken tax de 1964

A gauche, le n°1 : la Ford F, 5.9 mètres de long dans sa version la plus modeste, près de 2 tonnes à vide, 14.7 litres aux 100km... à peu près aussi utile pour se déplacer qu'un fusil mitrailleur AR15 pour la chasse au dindon sauvage. A droite, le n°2 : Chevrolet Silverado, 13.1 litres aux 100.
Pour comparaison, la voiture la plus vendue en France est la Clio IV qui, selon son fabricant, consomme 4.1L aux 100km.

Les américains vous diront qu'ils achetent ce type de véhicules parce qu'ils transportent souvent du matériel, vivent en plein air, héritent ce goût de leurs ancètres pionniers ou fermiers... Bullshit : ils les achètent parce que l'industrie automobile US s'est progressivement spécialisée sur ce segment et a façonné la demande à sa convenance. 
Si les habitudes de route américaines sont un tel désastre énergétique et écologique, c'est en partie à cause d'une obscure dispute commerciale des années 60 dont plus personne ne se souvient...


Dans leur escalade commerciale avec la Chine, les Etats-Unis visent l'énergie


Imposer des droits de douanes sur des produits spécifiques crée une distorsion du marché et peut avoir des effets secondaires durables et imprévus.

Le conflit commercial en cours entre les Etats-Unis et la Chine, pourrait lui aussi affecter  durablement la consommation d'énergie ou les émissions polluantes. En effet, consciemment ou non, les droits de douanes américains ciblent des produits en lien avec la production ou la consommation d'énergie.
Au total, 50 à 60 milliards de dollars d'importations chinoises sont visés par le projet annoncé le 4 avril, parmi celles-ci 20 milliards d'équipement destinés au secteur de l'énergie et près de 15 milliards d'appareils et de matériel électrique. Une part complétement disproportionnée...



Difficile de prévoir lesquelles mais si ces droits de douane devaient rester en place, ils auraient certainement des conséquences importantes sur la façon dont les américains produisent et consomment de l'énergie...


Publié le 23 avril 2018 par Thibault Laconde

Illustration : By Dackelpaul [CC0], from Wikimedia Commons



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Dernières tendances chinoises

J'ai passé une bonne partie de mon été en Chine, plus particulièrement dans la région de Shanghai et dans le Jiangsu, où j'ai pu discuter avec de nombreux professionnels de l'énergie et du développement durable ainsi qu'avec des fonctionnaires locaux. Je vous en ramène quelques unes des tendances actuelles dans les domaines de l'énergie et du développement durable chinois. Si vous pensez que les innovations de l'Empire du milieu peuvent donner le la au reste du monde, cet article est fait pour vous !


Le Vélib', en vraiment libre (peut-être trop ?)


L'affaire semblait entendue : en s'enrichissant, les chinois passeraient du vélo au deux roues motorisés puis à la voiture - avec tous ses inconvénients : embouteillages, pollution... Et pourtant ! Depuis quelques mois, les vélos font un retour spectaculaire dans les rues des villes chinoises.
Que s'est-il passé ? Après quelques essais moyennement fructueux de types vélib', un nouveau système de vélopartage envahit rapidement le pays. Plus de stations : les vélos peuvent être pris et déposés n'importe où, il suffit de trouver un vélo et de scanner son QR code avec un téléphone portable pour obtenir le code de l'antivol. Lorsqu'on n'en a plus besoin, on referme l'antivol et le tour est joué.

Mobike, Ofo ou Youon : les startups chinoises qui révolutionnent le vélopartage
Une dizaine de start-up se sont lancées sur ce marché avec des vélos classiques ou à assistance électrique, parfois localisés par GPS. Leurs noms : Mobike, Ofo, Xiaoming ou encore Youon qui est en train d'être introduit en bourse. Les méthodes de tarification sont variables mais le prix est toujours dérisoires : moins d'un renminbi par heure, soit quelques centimes d'euros.
Ce système repose sur la mise à disposition massive de vélos : plus d'une dizaine de millions au total. Ces nouvelles bicyclettes aux couleurs vives envahissent les trottoirs et, dans certains endroits, s'entassent littéralement. Point positif : cette demande semble avoir, au moins temporairement, relancé l'industrie cycliste chinoise qui semblait condamnée. Points négatifs : les autorités municipales s'agacent et le taux de perte, de dégradation et de vol est très haut, un des principaux obstacles à la pérennité de ce système.


L'éolien prend la mer


Depuis longtemps un acteur majeur de l'éolien terrestre, la Chine semble être en train de prendre le parti de l'off-shore.
Il y a bien sur une évidence géographique : la Chine possède une façade maritime orientale de 15.000km sur laquelle se concentre presque tous ses centres urbains et industriels. La volonté de préserver des surfaces libres dans une des régions les plus densément peuplées de la planète joue aussi un rôle important. Ainsi que - croyez-le ou non - les pressions sociales : dans le Jiangsu des éleveurs de crevettes et des fermes d'algues se sont plaints d'une baisse de leurs productions après l'implantation d'éoliennes à proximité et ont obtenu une indemnisation du gouvernement...

Ce virage vers l'off-shore ne se voit pas encore dans les statistiques : en 2016, la Chine produisait 181TWh d'électricité éolienne... dont seulement 1TWh en mer. Mais malgré quelques tâtonnements (au large de l'estuaire du Yangtse, on a vu apparaître une paire d'éoliennes bipales "pour économiser des matériaux"), il semble bien engagé. Certaines communes côtières jusque là très actives dans l'éolien terrestre ont, officiellement ou de fait, décrété un moratoire au profit de l'off-shore. Cette dynamique pourrait aussi profiter aux autres énergie marines, jusque là inexistantes en Chine : des études en vue de l'installation de systèmes houlomoteurs ou hydroliens sont en cours.


Le solaire entre dans les foyers


Je vous en ai déjà parlé : historiquement, la Chine a fait le choix de solaire thermique domestique, filière qu'elle domine aujourd'hui de la tête et des épaules. Plus récemment, elle s'est ouvert au solaire photovoltaique et s'est dotée en un temps record du premier parc mondial. Mais la fête est peut-être déjà finie : ce développement spectaculaire était encouragé par un tarif de rachat garanti (ou feed-in tariff) que le gouvernement chinois a rendu moins généreux mi-2017. Cette baisse programmée a entraîne un formidable pic des raccordements au second trimestre : 18GW, soit l'équivalent de trois fois l'ensemble du parc français ! Logiquement, le rythme devrait se ralentir dans les mois qui viennent, d'autant que le photovoltaique est, comme l'éolien, victime de la volonté de laisser les sols libres : des projets de fermes solaires ont été annulés parce qu'ils réclamaient des surfaces jugées trop importantes.

Peut-être par contrecoup, l'industrie solaire photovoltaique chinoise se tourne désormais vers les systèmes résidentiels. Dans les zones rurales, seules à disposer d'habitations individuelles permettant ce type d'installations, il n'est plus rare de voir l'incontournable chauffe-eau solaire voisiner avec une dizaine de panneaux photovoltaiques.
Cependant ces installations sont coûteuses : de l'ordre de 50.000RMB dans des zones où 200.000RMB par an est un excellent salaire. Leur développement est donc très dépendant de la publicité et surtout du crédit.

Ce nouvel élan semble donc fragile. Quoiqu'il en soit, passant du solaire thermique au grand photovoltaique puis au photolvatique individuel, le développement du solaire chinois s'est fait par ordre d'EROEI décroissant. Un démarche plus logique, donc, que celle adoptée par la plupart des pays occidentaux.


La ville durable : tout le monde en parle, peu l'ont vu


Depuis les années 80, la surface habitable par habitant a doublé en Chine. Ce chiffre, auquel il faut ajouter un exode rural partiellement contrôlé et une spéculation importante, explique l'explosion de l'immobilier et le développement tentaculaire des villes chinoises. Ce phénomène touche bien sur les grandes métropoles comme Shanghai et Pékin mais la poussée est aussi très forte dans des agglomérations beaucoup plus petites.

La "ville durable", "green city" ou "生态城市" est un enjeu pour la Chine
Projets de ville durable au musée d'urbanisme de Shanghai
Contrairement aux idées reçues, la Chine s'est dotée de plans d'urbanisme assez tôt : dès les années 50 pour les villes principales et dans les années 70-80 pour des villes plus modestes. Cette planification a souvent conduit à des agglomérations multipolaires assez exotiques pour nous qui somme habitués à des centres villes bien définis. Ils ont aussi parfois permis de conserver des quartiers historiques et des zones naturelles. Mais les plans ont souvent été dépassé par la croissance de la population.
Aujourd'hui la circulation semble un problème insoluble dans les grandes métropoles où, malgré d'immenses autoroutes urbaines et un réseau dense de transports publics (à Shanghai, il y a environ 16.000 bus et 50.000 minibus), les embouteillages atteignent des proportions bibliques. La pollution comme l'augmentation de la température rendent épisodiquement les rues invivables. A plus long-terme toute la bande côtière est menacée par la montée des eaux, un problème dont l'artificialisations des sols et un régime de précipitation violent donnent déjà régulièrement un avant-goût.

Les autorités locales sont bien conscientes de ces problèmes. Existe-t-il des solutions ? On voudrait le croire mais en Chine comme ailleurs la "ville durable", "green city" ou "生态城市", reste un slogan populaire auquel on peine à donner une substance.


Publié le 5 septembre 2017 par Thibault Laconde




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