L'évaluation de l'environnement et ses limites : l'exemple du carbone

La lutte contre le changement climatique et les émissions de gaz à effet de serre est l'un des domaine dans lequel la valorisation d'un impact sur l'environnement a été la plus poussée.
Cet exemple permet d'illustrer deux problèmes posés par ce type de démarche : le risque d'une financiarisation excessive et le risque que l'attention se concentre sur un seul impact au détriment de la vision d'ensemble.
Limites des évaluations environnementales : en bilan carbone, importer par bateau est souvent préférable à un achat local acheminé par la route
Le transports maritime émet jusqu'à 1000 fois moins
de gaz à effet de serre au kilomètre que la route

De l'internalisation à l'évaluation...


En 1997 lors du sommet de Kyoto, le changement climatique est déjà une réalité scientifique. Et il ne fait plus guère de doute que sa cause principale se trouve dans les émissions de gaz à effet serre, au premier rang desquels le dioxyde de carbone. Or on est dans un cas typique d'externalité négative : émettre des gaz à effet de serre ne coûte rien à l'émetteur mais coûtera à terme énormément à la société.

Un des objectifs du protocole de Kyoto était donc de mettre en place un mécanisme international permettant d'internaliser les externalités causées par les émissions de gaz à effet de serre.
L'Union Européenne défendait une taxe, les États-Unis exigeaient un système de permis négociables comme celui qu'ils avaient mis en place avec le Clean Air Act de 1970. Les États-Unis l'ont emporté mais, ironiquement, n'ont finalement pas ratifié le traité...

Le principe du système de permis négociable est le suivant : l’État distribue ou vend des permis d'émission aux entreprises. A la fin de l'année, chaque entreprise doit avoir un nombre de permis égal à ses émissions. Les entreprises qui ont trop rejeté de gaz à effet de serre peuvent acheter des permis à celles qui se sont montrées vertueuses. Cette méthode a, au moins sur le papier, l'avantage de la simplicité : chaque année, il suffit de déterminer le niveau d'émission que l'on souhaite et de distribuer le nombre de permis correspondant. Leur prix va s'ajuster automatiquement en fonction en fonction de l'offre et de la demande.

...De l'évaluation à la financiarisation


Au cœur de ce système se trouve donc la création du permis d'émission qui est en fait un produit financier : l'EUA ou European Union Allowance.

Il faut rajouter que les mécanisme de Kyoto prévoient que les entreprises des pays développés qui mènent des projets permettant une réduction des émissions dans un pays en développement peuvent obtenir des permis d'émission dans leur pays d'origine. Et il faut encore distinguer deux mécanismes : le mécanisme de développement propre et la mise en œuvre conjointe. Ce sont donc deux nouveaux produits financiers qui apparaissent : les CER (Certified Emissions Reductions) et les ERU (Emission Reduction Unit). Et un quatrième à partir de 2011 parce que des abus ont rendu nécessaire de distinguer les CER de qualité (green CER) des autres.

Vous suivez encore ? Rajoutons les produits dérivés que l'on peut imaginer à partir des permis d'émission comme de tout produit financier : options d'achat et de vente, spread (portant sur l'écart de valeur entre deux type de permis)... Et n'oublions pas le marché de la compensation volontaire qui propose aussi des certificat de réduction d'émission mais en dehors de tout cadre réglementaire.

Résultat : le système est tellement incompréhensible que des escrocs sont parvenus à réaliser une des plus grande fraude fiscale de tous les temps simplement en achetant des permis hors taxe et en les revendant avec la TVA.

Une vision monomaniaque de l'environnement


Ce n'est pas le seul défaut de cette politique environnementale en forme d'oursin : très pointue sur quelques sujets, très en retard sur tout le reste.
Sans même parler de leur évaluation monétaire, le volontarisme de l'Union Européenne a fait des émissions de gaz à effet de serre un indicateur physique des impacts sur l'environnement incontournable. En France par exemple, un bilan des émissions de gaz à effet de serre est obligatoire tous les 3 ans pour les entreprises de plus de 500 salariés, les émissions par m² figurent sur les annonces immobilières, de grandes enseignes de distribution affichent le bilan de leurs produits dans les rayons, les fabricants de voiture indiquent les émissions au kilomètre, etc.

Or pour prendre une décision éclairée, il faut considérer l'ensemble des impacts sur l'environnement. La focalisation sur un seul indicateur risque d'orienter les choix collectifs dans une mauvaise direction. Le nucléaire, énergie sans carbone, est un exemple de choix contestable justifié par cette approche. Ce n'est pas le seul cas, par exemple :
  • le poulet industriel a un bien meilleur bilan carbone que le poulet bio puisqu'il est abattu plus tôt et dispose de moins d'espace.
  • le transport routier émet par kilomètre entre 20 et 1000 fois plus de gaz à effet de serre que le transport maritime, il est donc très écologique d'importer par bateau de Chine ce qu'on pourrait faire venir par la route de la ville voisine.

On voit au travers de cet exemple que l'évaluation de l'environnement, même au service d'un objectif indiscutable, peut se révéler contre-productive si sa mise en œuvre n'est pas maîtrisée.

Vous n'êtes pas d'accord ? Quelque chose n'est pas clair ? Dites le dans les commentaires.
Vous avez aimé cet articles ? Partagez-le et faites le connaître.

 * * *

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire