Psychologie et sensibilisation environnementale : comment un spot contre la pollution peut inciter à polluer.

Le spot télévisé ci-dessous est issu d'une des campagnes de sensibilisation les plus célèbres aux États-Unis. Il a été diffusé à la télévision américaine pendant plus d'une décennie à partir des années 70 et a reçu de nombreuses récompenses.


Qu'en pensez-vous ? Est-il efficace selon vous ?

Dénoncer un comportement, c'est déjà le promouvoir


Le psychologue américain Robert Cialdini, qui a particulièrement étudié les mécanismes d'influence et de persuasion, pense que non. En 2003, il consacré un article à ce spot dans lequel il explique que nous modelons nos comportement en fonction de deux types de normes :
  • des normes injonctives : ce que les gens devraient faire ou ne pas faire, ce qui est perçu comme bien ou mal,
  • des normes descriptives : ce que les gens font ou ne font pas, ce qui est perçu comme fréquent ou rare.
Si l'on reprend le film, on s'aperçoit qu'il contient deux messages contradictoires :
  • d'un coté, il ne faut pas polluer (norme injonctives) 
  • mais de l'autre coté, le comportement général est de polluer (norme descriptive).
Cialdini y voit un problème commun à de nombreuses campagnes de sensibilisation. Les auteurs veulent faire passer le message que "beaucoup de personnes ont un comportement indésirable" et ne s'aperçoivent pas qu'il en contient un autre, en complète contradiction : "beaucoup de personnes ont ce comportement". Dans ces conditions, il est tout à fait possible que la campagne soit finalement contreproductive en déculpabilisant le comportement qu'elle entend combattre.

Et en pratique ?


Cialdini a eu l'occasion de tester son idée dans une situation réelle lorsqu'il a été sollicité par le parc national de Petrified Forest dans l'Arizona.
Energie et développement - Cialdini, le parc de Petrified Forest et la psychologie des message de sensibilisation à l'environnement
Un des troncs fossiles du parc de Petrified Forest
Le parc est connu pour ses troncs d'arbres fossilisés, vestiges de forêts disparues il y a 200 millions d'années. Mais les visiteurs ont une fâcheuse tendance à repartir en emportant avec eux quelques morceaux de bois pétrifié dégradant petit à petit un site exceptionnel. Afin d'endiguer ce phénomène, les responsables du parc ont fait placer aux principaux accès une pancarte avec le message suivant :
"Chaque jour, votre patrimoine est vandalisé  par le vol 14 tonnes de fossiles par an, le plus souvent un petit morceau à la fois"

On retrouve clairement le problème décrit par Cialdini, ce message contient en fait deux informations :
  1. Vous ne devez pas prélever des fossiles dans le parc
  2. Vous êtes très nombreux à le faire (imaginez combien de personnes il faut pour déplacer 14 tonnes de rochers "un petit morceau à la fois" !)
Ce message peut-il être contre-productif ? Pour vérifier son hypothèse, le psychologue a monté l'expérience suivante : il a fait disposer aux abords des chemins des fossiles numérotés puis deux pancartes différentes ont été placées aux accès du parc, la première reprenait à peu près le message utilisé précédemment tandis que la seconde faisait disparaitre toute référence au comportement des autres visiteurs avec le message suivant :
"Merci de ne pas prélever de bois fossilisé afin de préserver ce site naturel"

Ce dispositif a été laissé en place pendant 5 semaines. Après quoi les fossiles numérotés ont été collectés et le nombre de pièces manquantes a été calculé.
Résultat : avec le premier message 7.92% des fossiles numérotés avaient disparus contre 1.67% avec le second. Une différence de presque 1 à 5 !

Communication environnementale et équilibres non-coopératifs


Cette observation est valable dans tous les domaines où l'on peut être amener à faire des messages de sensibilisation - conduites à risque, addictions, suicides... - mais elle est particulièrement importante dans le secteur du développement durable.

En effet c'est un domaine dans lequel des équilibres non-coopératifs peuvent se mettre en place facilement. Pour reprendre l'exemple précédent, chaque visiteur souhaite sans doute préserver le parc national puisqu'il s'y rend en week-end mais il aimerait aussi emporter un fossile. Il est possible de concilier ces deux objectifs si les visiteurs qui volent des fossiles ne sont pas trop nombreux, individuellement il y a donc un intérêt à ne pas coopérer : profiter des efforts des autres pour préserver le site tout en n'en faisant pas soi-même. Mais s'il devient évident qu'un nombre significatif de personnes ne coopèrent pas, pourquoi les autres devraient-ils le faire ?
En informant dès l'entrée du parc qu'un nombre important d'autres visiteurs ne coopèrent pas, la première pancarte réduit à néant la probabilité de parvenir à un équilibre coopératif.

Caricatural ? Pas tant que ça... La sensibilisation au développement durable est encore trop souvent basée sur la dénonciation des conséquences des mauvais comportements plutôt que sur la valorisation des comportements vertueux.
Pourtant, d'après d'autres études représenter un comportement même sans lui donner de sens moral conduit à son adoption (Dittmann, 2004).

Publié le 17 septembre 2013 par Thibault Laconde

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