L'art et la manière de lire les statistiques sur la transition énergétique et les renouvelables

A part la grippe et la fin des bonnes résolutions, vous savez ce qui arrive à ce moment de l'année ? Les comptes, statistiques et autres bilans quantitatifs de l'an passé.
L'énergie n'y échappe pas mais se distingue souvent par une mauvaise compréhension des chiffres voire de grossières erreurs dans leur interprétation. Voici deux pièges dans lesquels les commentateurs tombent régulièrement.


Premier piège : puissance n'est pas énergie, capacité n'est pas production


Une première erreur trèèèèèèès classique lorsque l'on parle de renouvelables consiste à mélanger puissance et énergie.
La différence entre puissance et énergie est un peu la même que celle entre distance et vitesse :  la puissance est l'énergie fournie par unité de temps comme la vitesse est la distance parcourue par unité de temps. L'énergie produite est le service réellement rendu par une centrale électrique, la puissance maximale mesure sa capacité théorique à rendre ce service. Il existe un lien entre les deux mais il n'est pas simple : la puissance vous renseigne autant sur la production réelle d'énergie que les 190km/h en pointe de votre voiture vous renseignent sur le temps qu'il faut pour traverser Paris un vendredi soir.
De plus, la puissance d'une éolienne ou d'un panneau solaire, contrairement à celle d'une centrale thermique ou d'une turbine hydroélectrique, dépend largement de facteurs extérieurs. Par conséquent, les chiffres annoncés par les constructeurs (par exemple les watt-crêtes d'un panneau solaire) sont évalués dans des conditions standards rarement atteintes dans la vraie vie.

Et pourtant, lorsqu'on quantifie les renouvelables, on entend beaucoup plus souvent parler de puissance que d'énergie. Pourquoi ?
Tout simplement parce que ce chiffre est plus flatteur que la production réelle. Les "nouvelles énergies" ont en général un facteur de charge plus faible que les autres, c'est-à-dire que, à puissance équivalente, l'énergie produite est inférieure. En usage normal, une centrale thermique ou nucléaire de 1GW produit de l'ordre de 7000GWh par an, un parc éolien de même puissance fournira plutôt 2500GWh et ce sera encore moins pour le solaire.
Parler de puissance plutôt que d'énergie est donc un "truc" pour embellir ses efforts (les indiens, par exemple, l'avaient fait lors de la COP21) ou donner à bon compte l'impression flatteuse d'une transition énergétique en marche. Ainsi, en 2014 le solaire et l'éolien fournissaient en tout et pour tout 5% de l'électricité mondiale... mais représentaient 12% de la puissance installée. En sens inverse, le nucléaire, par exemple, représentait 7% de la capacité mais 11% de la production réelle d'électricité.

Jusqu'à là c'est de bonne guerre. Mais il arrive aussi fréquemment que des chiffres concernant la puissance se transforment soudainement en données sur la production réelle d'énergie.
Pour un exemple (parmi beaucoup d'autres) comparez le titre de cet article à sa première phrase :

Exemple d'erreur sur les chiffres des renouvelables : confondre énergie et puissance

Pour résumer :
  • Si on vous parle "énergie", "production" ou "électricité" et que l'unité est le Watt-heure (ou le kWh, MWh, GWh, TWh...) : il s'agit d'une production réelle sur une période de temps donnée. La comparaison entre différentes sources est possible, sur la même période de temps évidemment. 
  • Si on vous parle "puissance" ou "capacité" et que l'unité est le Watt (ou le kW, MW, GW), il s'agit d'une production instantanée théorique : Prudence ! Sans autres détails, ce chiffre ne vous apprend pas grand chose et les comparaisons entre différentes sources sont risquées. 
...Et si les deux sont mélangés, il est temps de changer de journal.



Deuxième piège : électricité, énergie finale, énergie primaire


L'électricité c'est bien, mais ce n'est pas tout : nous consommons de l'énergie sous beaucoup d'autres formes. Quelle est la part des renouvelables dans cette consommation totale d'énergie ? On ne fait pas plus simple comme question, non ? Et pourtant...
D'un point de vue physique, on peut parfaitement comparer l'énergie chimique extraite d'un puits de pétrole ou d'une mine de charbon à celle qui sort sous forme électrique d'une éolienne ou d'une centrale nucléaire. Mais, d'un point de vue pratique, on mélange des torchons et des serviettes.

Comment comparer une production éolienne ou solaire à des chiffres sur le pétrole ou le charbon ?A l'exception de la biomasse (bois-énergie, agrocarburant, méthanisation...), les énergies renouvelables produisent presque exclusivement une énergie finale, c'est-à-dire directement utilisable pour satisfaire nos besoins : l'éolien, le photovoltaïque et l'hydraulique fournissent de l'électricité, le solaire thermique de la chaleur...
Ce n'est pas le cas pour les énergies fossiles : il faut d'abord extraire le charbon, le pétrole ou le gaz puis le transformer en chaleur, en électricité ou en mouvement dans un moteur, ce qui demande du temps et entraîne des pertes.
Le nucléaire, lui, est intermédiaire : il faut d'abord extraire la matière fissible mais celle-ci n'est en général pas comptabilisée dans les bilans énergétiques. Comme pour les renouvelables, lorsqu'on parle d'énergie nucléaire, on parle en général d'électricité.

Il n'y a pas de façon incontestable pour comparer la production d'énergie (finale) renouvelable à celle d'énergie (primaire) fossile. Il existe deux philosophies :
  1. Soit on comptabilise l'énergie électrique réellement produite sans se poser de question : 1kWh d'électricité éolienne ou solaire vaut 1kWh de pétrole brut ou de charbon (ou 3.6 millions de Joules ou 0.000086 tonnes équivalent pétrole). Point.
  2. Soit on comptabilise l'énergie finale à hauteur de l'énergie primaire qui aurait été nécessaire pour la produire. Comme le rendement des centrales thermiques est de l'ordre d'un tiers, 1 Joule d'électricité éolienne, par exemple, vaudra donc 3 Joules de pétrole.
Si c'est la première option qui est choisie, évidemment, la part des renouvelables et du nucléaire semblera beaucoup plus faible toute chose égales par ailleurs.

Jusqu'à là vous suivez ?
Très bien, parce que c'est là que ça devient retors : certaines statistiques prennent la seconde option pour le nucléaire mais la première pour les renouvelables. C'est le cas notamment pour les données fournies par l'Agence Internationale de l'Energie et l'administration américaine de l'énergie (EIA). Cette méthode a pour effet de donner une image déformée du mix énergétique au détriment des renouvelables, celles-ci apparaissant bien moins importantes qu'elles sont en réalité.

En conclusion : évaluer la part des énergies renouvelables dans la consommation totale d'énergie nécessite des conventions de calcul qui peuvent influencer fortement le résultat. Il vaut mieux lire ce qui est écrit en petits caractères avant de tirer des conclusions...


Publié le 30 janvier 2017 par Thibault Laconde


Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


2 commentaires :

  1. Si déjà les médias arrêtaient de confondre énergie et électricité, cela serait déjà un grand pas !

    RépondreSupprimer