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[Série d'été] Eolien et changement climatique : autant en emporte le vent ?

En préparant cet article, j'ai fait une petite expérience : j'ai tapé "transition énergétique" sur un moteur de recherche et j'ai compté parmi les images obtenues celles qui représentaient des éoliennes. Résultat : 20 parmi les 30 premiers résultats.
Ce résultat n'a rien d'étonnant, les éoliennes sont devenues un des symboles de la lutte contre le changement climatique, peut-être même le symbole le plus omniprésent dans l'imagerie collective. Et ce n'est pas sans raison : l'énergie du vent est aujourd'hui la troisième source d'électricité décarbonnée de la planète avec un peu plus de 1130 TWh produits. La production éolienne a quadruplé en 10 ans, un rythme qui pourrait lui permettre de dépasser celle du nucléaire et de venir menacer la première place de l'hydroélectricité au cours de la prochaine décennie.

Mais si les éoliennes sont les championnes de la réduction des émissions, sont-elles armées pour faire face elle-même aux effets du changement climatique ? C'est ce que nous allons voir.

Eolienne détruite lors d'une tempète
Incendie d'une éolienne dans le parc d'Ardrossan (Ecosse) pendant la tempête Friedhelm (source)

Cet article fait partie d'une série estivale consacrée aux risques climatiques et à l'adaptation dans le secteur électrique.
Retrouvez tous les articles de cette série ici :


Comment la production éolienne varie avec le vent


Comme l'hydroélectricité, dont nous avons déjà parlé, l'énergie éolienne exploite une ressource directement liée au fonctionnement du système climatique. Le dérèglement du climat, s'il fait varier la ressource en vent, va donc avoir un effet immédiat sur la production. Mais contrairement à celle entre les précipitations et l'hydroélectricité, la relation entre la vitesse du vent et la production éolienne est loin d'être linéaire.
Schématiquement, la production d'une éolienne évolue de la façon suivante :
  • Si le vent est inférieur à la vitesse de démarrage (environ 10 km/h), la production est nulle
  • Entre la vitesse de démarrage et la vitesse nominale (environ 50 km/h), la production augmente rapidement avec la vitesse du vent,
  • Au-delà de la vitesse nominale, la production reste approximativement constante...
  • ... jusqu'à la vitesse de coupure (autour de 90 km/h) où l'éolienne se met en sécurité et la production cesse.
Courbe de production d'une éolienne (en watt) en fonction de la vitesse du vent (en m/s)
Evolution de la production en fonction du vent pour différeentes éoliennes de la gamme Vestas (source)
La zone qui nous intéresse surtout est celle qui se situe entre la vitesse de démarrage et la vitesse nominale, c'est celle dans laquelle les éoliennes fonctionnent la plupart du temps. Dans cette zone, la production d'énergie est à peu près proportionnelle au cube de la vitesse moyenne du vent. Cela signifie qu'une modification même mineure du régime des vents va avoir un impact disproportionné sur la production : si la vitesse moyenne du vent baisse de 1%, la production d'électricité baissera de 3% environ, si le vent baisse de 5%, la production chutera de 14% et une baisse de la vitesse du vent de 20% diviserait par deux la production électrique.

En sens inverse, bien sur, si le vent augmente les gains de production seront aussi amplifiés, mais pas indéfiniment : il n'y a plus rien à gagner une fois la vitesse nominale atteinte et si le vent continue à augmenter la production d'électricité peut au contraire être arrêtée.


La question de la variabilité


Une autre particularité de l'éolien par rapport à l'hydroélectricité est de ne disposer d'aucun moyen de lissage ou de stockage de la ressource exploitée. Ce n'est donc pas seulement la vitesse moyenne du vent qui détermine la production mais aussi sa répartition.
Si, par exemple, la vitesse instantanée est plus souvent inférieure à la vitesse de démarrage ou supérieure à la vitesse de coupure, la production électrique baissera même si la vitesse moyenne est inchangée.

Enfin, il faut prêter attention à la variabilité inter- et intra-annuelle de la ressource qui même sans affecter la production électrique peuvent en diminuer la valeur.
Ce serait le cas par exemple si la saisonnalité du vent changeait et que les périodes ventées se déplaçaient vers des mois où les besoins en électricité sont moindre. Pour un mix électrique intégrant une large part d'éolien, ce type de déplacement pourrait augmenter le besoin de back-up avec des conséquences sur les coûts et éventuellement sur les émissions de gaz à effet de serre.

Résumons, la production d'une éolienne décroît très rapidement avec la vitesse du vent. Par contre une augmentation de cette vitesse n'entraîne pas forcément de gain de production, surtout si l'éolienne bénéficie déjà d'une bonne ressource qui la fait fonctionner en moyenne proche de sa puissance nominale. Et même sans variation de la vitesse moyenne, une modification du régime des vent peut dégrader la production et faire baisser sa valeur. La physique et l'économie de l'énergie éolienne concourent donc à en faire une des sources d'électricité les plus exposées à une modification du climat


Une évolution incertaine, probablement négative, en tous cas significative


L'éolien bénéficie cependant d'un avantage un peu paradoxal : son cycle de vie relativement court. Une centrale nucléaire ou un barrage hydroélectrique qui entrent en service aujourd'hui seront certainement encore là à la fin du siècle et doivent donc pouvoir fonctionner dans un climat qui aura déjà beaucoup dérivé, un parc éolien lui arrivera en fin de vie vers 2050 donc dans un climat moins perturbé par rapport à celui dans lequel il a été conçu. Mais est-ce suffisant ?
En d'autres termes : le changement climatique peut-il faire évoluer significativement le régime des vents pendant la durée de vie des projets éoliens existants ?

C'est une question compliquée : les modèles climatiques donnent des projections pour la vitesse du vent mais elles ne sont pas toujours convergentes d'un modèle à l'autre.
De plus ces projections portent généralement sur le vent à 10 mètres alors que les éoliennes se trouvent beaucoup plus haut. Il existe des modèles pour extrapoler la vitesse du vent à différentes hauteur mais leur exactitude dépend fortement de la nature du terrain, ce qui rajoute une incertitude.

Pourtant un nombre assez important de publications se sont essayées à prévoir l'évolution de la production éolienne en Europe avec le changement climatique, par exemple celle-ci, celle-ci et celle-ci. Elles pointent globalement vers une dégradation modérée de la ressource en vent.
L'évolution vers un régime de vent moins favorable à la production éolienne fait à peu près consensus pour le sud de l'Europe dont une bonne partie de la France. Comme on pouvait s'y attendre, elle serait plus forte avec un scénario d'émissions pessimiste et s'aggraverait au fil du XXIe siècle.
En dehors d'Europe, le potentiel éolien chinois a déjà souffert avec une baisse de l'ordre de 15% depuis 1979 dans le nord du pays corrélée avec des hiver plus doux, aux Etats-Unis l'évolution serait globalement négative avec des chute de production pouvant aller jusqu'à 40% en été, le potentiel éolien brésilien au contraire semble peu exposé...

Concernant la variabilité de la production, ces études s'entendent généralement sur une augmentation de la saisonnalité. En Europe, la tendance va, à grands traits, vers diminution de la production estivale dans le Nord tandis qu'elle augmenterait localement au sud. En hiver, ce serait l'inverse : augmentation au nord, diminution au sud.
Difficile cependant d'en tirer des conséquences : d'une part ces projections sont très incertaines et d'autre part il faudrait leur adjoindre une modélisation du système électrique pour vraiment évaluer leurs implications sur le prix et les émissions du secteur.

Une évaluation site par site serait aussi indispensable pour se faire une idée plus précise. En effet, la production est influencée par des facteurs très locaux (végétations, reliefs...) et des études portant sur des parc éoliens relativement proches donnent parfois des évolutions très divergentes : par exemple deux parcs écossais situés à 200 km l'un de l'autre devraient voir leurs productions, dans un cas, décroître de près de 30% d'ici à 2040, dans l'autre, augmenter d'autant. Compte-tenu des incertitudes sur les projections, une méthodologie de type stress test climatique semble aussi plus adaptée qu'une tentative d'évaluation de la production à long-terme.

Une chose est en tous cas claire : l'évolution de la production éolienne à l'échelle des prochaines décennies peut être significative, assez pour remettre en cause la viabilité de certains projets puisque leur marge est typiquement de 10 à 15%.


Les autres facteurs de risque pour l'éolien


En décembre 2011, pendant la tempête Friedhelm, une éolienne du parc d'Ardrossan en Ecosse a littéralement explosé en vol. L'image a fait le tour du monde et, inévitablement, la question s'est posée : les éoliennes peuvent-elles vraiment faire face aux ouragans et aux tempêtes actuels ? Et pourraient-elles survivre si ces phénomènes étaient rendus plus violents ou plus fréquent par le changement climatique ?

Les turbines sont conçues pour pouvoir résister à des évènements climatiques extrêmes. Le principal mécanisme de sauvegarde consiste à orienter l'éolienne dans l'axe du vent en ajustant l'angle des pâles de façon à réduire leur prise.

Système de mise en drapeau des pâles d'éoliennes destiné à assurer la sécurité en cas de vent violent
Principe de l'effacement des pâles en cas de vent violent
Dans le cas du parc d'Ardrossance ce système était defectueux et l'orientation n'a pas pu se faire correctement. Un freinage d'urgence déclenchée après la perte de la ligne électrique à laquelle était reliée l'éolienne a aussi pu contribuer à l'échauffement et au départ de feu.
L'accident semble relativement isolé : en 2017, par exemple, les parcs éoliens du Texas ont resisté sans difficulté à l'ouragan Harvey.

La question est plus compliquée pour les éoliennes installées en mer dans des zones à risque cyclonique : elles sont soumises à des vents beaucoup plus violent et à des changement de direction rapide.
En 2013, par exemple, le typhon Usagi avait ravagé un parc éolien off-shore situé près de Hong Kong : sur 25 éoliennes, 8 s'étaient effondrées et 11 avaient eu des pâles arrachées. Il s'agissait de turbines anciennes (des Vestas V47 mises sur le marché en 1997) mais des modélisations récentes indiquent que les normes actuelles sont insuffisantes pour résister à un ouragan de catégorie 5.

Enfin, si le vent est évidemment le premier facteur déterminant la production et l'état d'une éolienne, ce n'est pas le seul : c'est aussi le cas de la température et de l'humidité, qui modifient la densité de l'air et influence la formation de glace sur les pâles des éoliennes. L'impact de ces phénomènes sur la production éolienne dans le cadre du changement climatique a été peu étudié jusqu'à présent.





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PPE : Quelques avis et réactions

J'ai expliqué longuement ce que je pensais des propositions pour la progragrammation pluriannuelle de l'énergie dans un autre article et sur Twitter. Un peu de diversité ne nuit pas, je vous propose de laisser un peu la parole à d'autres.

Cet article pourra être complété avec d'autres réactions intéressantes dans le prochains jours (n'hésitez d'ailleurs pas à me les signaler !).

Pour Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l'environnement : "sur le nucléaire, la principale décision de l'Etat est de renvoyer le sujet à la prochaine PPE", sur les renouvelables les objectifs ne sont "pas ambitieux mais en ligne avec nos engagements européens" et beaucoup de travail reste à faire avant son adoption.



Matthieu Orphelin, ancien porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot et député En Marche, qui avait exposé "10 points qui permettront d'évaluer si la PPE est ambitieuse" se dit "forcément déçu" "sauf sur les renouvelables".


De son coté, Matthieu Auzanneau, directeur du think tank the Shift Project, partage le diagnostic mais attend en vain l'ordonnance. Dans le même ordre d'idée, Antoine Guillou, coordonnateur du pôle énergie et climat de Terra Nova, souligne les lacunes des annonces du jour :


La réaction d'Anne Bringault, qui coordonne l'activité transition énergétique du CLER, est représentative de celle de nombreux responsable d'ONG : elle craint deux quinquennats de procrastination alors "que la France va émettre plus de gaz à effet de serre que prévu jusqu'en2023" :


Nicolas Goldberg, consultant chez Colombus, note cependant que le rythme de fermeture des réacteurs pourrait convenir à EDF ce qui permettra peut-être d'éviter le versement de lourdes indemnités.


Publié le 27 novembre 2018 par Thibault Laconde


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PPE : des objectifs ambitieux sur les renouvelables et compatibles avec 50% de nucléaire en 2035

Après s'être faits attendre presque 6 mois de plus que prévu, les grands axes de la programmation pluriannuelle de l'énergie ont été dévoilés ce matin. Ces annonces permettent d'y voir plus clair sur l'avenir du mix électrique français.

Voici ce qu'on peut en retenir :
  • La trajectoire proposée pour les renouvelable est ambitieuse. Dans le scénario le plus haut, la production renouvelable française devrait augmenter entre 2018 et 2028 presque autant que celle de l'Allemagne au cours des 10 années écoulées.
  • L'objectif de 50% de nucléaire dans la production électrique française est remis à 2035 et les fermetures de réacteurs nucléaires sont renvoyées aux quinquennats suivants
  • La trajectoire proposée peut bien permettre d'atteindre 50% de nucléaire en 2035 mais elle implique aussi sur augmentation importante de la production d'électricité.
  • Des incertitudes demeurent notamment sur la méthode et le calendrier.

Une trajectoire ambitieuse pour les renouvelables


Dans le discours qu'il a prononcé mardi matin, Emmanuel Macron a clairement dit qu'il souhaite que la montée des énergies renouvelables devance la baisse de la production du nucléaire. C'est une position de bon sens du moment qu'on ne prend pas excuse de la lenteur de la première pour retarder la seconde...
Ça ne semble pas devoir être le cas : les propositions détaillées ce matin comprennent des objectifs assez ambitieux pour les énergies renouvelables :
  • Le parc éolien terrestre devrait passer de 13.5GW en 2017 à 24.6GW en 2023 et se situer entre 34.1 à 35.6GW en 2028. Soit la trajectoire suivante :

  • L'éolien off-shore (inexistant à l'heure actuelle) devrait atteindre 2.4GW en 2023 et 4.7 à 5.2GW en 2028. Emmanuel Macron en a d'ailleurs profité pour annoncer 4 nouveaux appels d'offre pour des projets éoliens en mer avant la Ce qui nous donnerait :
  • Le solaire photovoltaïque devrait presque être multiplié par 3 à 20.6GW en 2023 (contre 7.7GW en 2017) et continuer à augmenter pour atteindre 35.6 et 44.5GW en 2028. Nous serions donc sur une trajectoire de ce type :
  • Les annonces de ce matin comprennent aussi une petite part d'électricité venant de la méthanisation et une augmentation de l'ordre de 1GW de la puissance hydroélectrique.
Pour le solaire et l'éolien les chiffres annoncés ce matin sont cohérents avec ce qu'avait promis Emmanuel Macron pendant sa campagne présidentielle, à savoir doubler le parc éolien et solaire pendant le quinquennat. On est même assez largement au-dessus pour le solaire.

Au total cela donnerait l'évolution suivante pour la production électrique renouvelable :

En 2017, nous étions légèrement en dessous de 100TWh, on atteindrait 153TWh en 2023 puis 199 à 215TWh en 2028.
Ce sont des objectifs honorables : pour comparaison, dans le scénario le plus haut l'augmentation de la production renouvelable en France en une décennie serait équivalente à celle qu'à connu l'Allemagne au cours des 10 dernières années.

Une baisse de la production nucléaire confirmée... mais remise à plus tard


C'était le secret le moins bien gardé de France : malgré ses engagements de campagne, Emmanuel Macron a confirmé le report de l'objectif de 50% de nucléaire de 2025 à 2035.

De la même façon la fermeture de réacteurs est renvoyé à plus tard. Fessenheim devrait fermer à l'été 2020 après un interminable feuilleton ce qui modifiera peu la puissance installée puisque cette fermeture sera presque entièrement compensée par la mise en service de l'EPR de Flamanville. Ensuite 2 fermetures de réacteurs sont envisagées sous condition en 2025 et 2026 et le gros du travail est remis à après 2027 avec en théorie 10 réacteurs à fermer entre 2027 et 2035. Le gouvernement ne nomme pas non plus les réacteurs susceptibles d'être fermés (même si François de Rugy a mentionné les centrales de Gravelines, Dampierre, Cruas, Blayais, Bugey, Tricastin, Chinon et Saint-Laurent-des-Eaux).
Clairement sur ce sujet le gouvernement préfère faire des promesses au nom de ses successeurs plutôt que de s'engager lui-même...


Même état d'esprit sur le nouveau nucléaire : la porte n'est pas fermée mais aucune décision sur la construction d'EPR ne sera prise avant 2022.

Le parc nucléaire français devrait donc suivre cette évolution :

A facteur de charge constant, l'évolution du parc nucléaire nous conduirait vers une production entre 321 et 332TWh en 2035 (contre 400TWh/an en moyenne actuellement).

Il est cependant probable que le développement d'une production renouvelable variable obligera le parc nucléaire français à fonctionner de façon plus flexible. Ce qui aura pour effet de faire baisser le facteur de charge. Si par exemple il passait à 60% contre 72.5% en moyenne aujourd'hui, la production nucléaire ne serait plus que de 267 à 275TWh par an en 2035.

Evolution du mix électrique français


Où tout cela nous conduit-il ? A moyen terme, une trajectoire ambitieuse sur les renouvelables couplée à une baisse tardive du nucléaire entraîne une hausse considérable de la production électrique.

Une des trajectoires pour la production électrique française pourrait par exemple être :
Ici on est dans la version ambitieuse de la PPE : accélération du déploiement des renouvelables après 2022 puis prolongement des tendances et fermeture de réacteurs dès 2025. En supposant que le facteur de charge du parc nucléaire reste le même on se retrouve avec une production de 612TWh en 2028 soit 70 de plus qu'aujourd'hui.
Abondance de biens ne nuit pas, dit-on, mais j'ai quand même du mal à voir ce qu'on pourrait faire de 70TWh en plus. A titre d'illustration, c'est plus que ce qui serait nécessaire si on remplaçait toutes nos voitures par des voitures électriques... Cette tendance à la surproduction aussi plaide pour une réduction du facteur de charge du parc nucléaire.

Vous vous demandez peut-être si cela suffit à atteindre les 50% de nucléaire en 2035 comme cela a été promis ce matin.

Je vais commencer par redire que cet objectif de 50% est mauvais et vous renvoyer à cet article pour plus d'explications.
Mais si vous insistez, la réponse est probablement oui. La PPE ne porte que sur 10 ans et ne contient donc pas d'objectifs pour le parc renouvelable après 2028. Toutefois si on prolonge le rythme de croissance de la période 2023-2028 sur les années suivantes on se retrouve en 2035 avec un peu plus de 265TWh de production renouvelable dans le scénario bas et un peu plus de 300 dans le scénario haut. En ajoutant une production gaz et fioul stable à son niveau actuel (environ 30TWh/an), il faudrait donc que la production nucléaire soit comprise entre 295 et 330TWh en 2035 et comme on l'a vu même sans réduction du facteur de charge elle devrait se situer entre 321 et 332TWh en 2035.


Les incertitudes restantes


Le gouvernement propose donc une programmation pluriannuelle de l'énergie qui, sur la partie électricité, se tient : il n'y a apparemment pas d'objectifs contradictoires et, que l'on soit d'accord ou pas avec ces orientations, les trajectoires vont bien dans la direction où on leur demande d'aller. C'est bien le moins me direz vous. Certes mais même ce minimum la loi sur la transition énergétique n'y arrivait pas... Je me garderait donc bien l'accabler.

Mais cela ne veut pas dire que tout est parfait, plusieurs problèmes et incertitudes demeurent. Sur la trajectoire, j'ai deux inquiétudes :
  • d'une part, la persepective d'une surproduction électrique qui créer un risque important que le objectisf renouvelables ne soient pas atteints.
  • d'autres part, le report des fermetures de réacteurs à 2025 voire 2027 : ce gouvernement, comme l'avait si bien fait son predecesseur, semble vouloir laisser à ceux qui viendront après lui le soin de gérer le problème mais le temps passe : désormais cela signifie presque certainement que des réacteurs vont dépasser 60 années de fonctionnement.
Il y a aussi matière à interrogation sur la méthode et sur le calendrier :
  • Emmanuel Macron a parlé d'une nouvelle période de consultation de 3 mois, plusieurs comités (conseil national de la transition écologique, comité d'experts pour la transition énergétique, comité de gestion des charges de service public de l'électricité, comité du système de distribution publique d'électricité...) doivent également donner leurs avis éclairés sur la PPE avant qu'elle soit adoptée. La PPE 2018 arrivera donc au mieux avec 6 mois de retard et rien ne dit que les objectifs seront les mêmes à l'arrivée.
  • On ne sait toujours pas si le gouvernement compte faire amender la loi sur la transition énergétique pour déplacer l'objectif de 50% de nucléaire de 2025 à 2035. D'un point de vue juridique, ce n'est pas forcément nécessaire mais ne pas le faire serait incompréhensible politiquement et mettrait la PPE à la merci du Conseil d'Etat. Et s'il faut passer par la loi, il risque de s'écouler encore de longs mois avant que la PPE entre en vigueur.
  • On ne sait pas non plus comment vont se passer les fermetures de réacteurs, on a bien vu avec Fessenheim que ce sujet est compliqué : sa fermeture est un engagement pris en 2012, il y a déjà 8 ans, cela signifie que même si aucun réacteur n'est fermé avant 2025 ou 2027 il faut d'ores-et-déjà s'y préparer.
En conclusion, il reste beaucoup de travail mais ces propositions me semble une base intéressante pour enfin amorcer le remplacement du parc nucléaire français.

Publié le 27 novembre 2011 par Thibault Laconde



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Dernières tendances chinoises

J'ai passé une bonne partie de mon été en Chine, plus particulièrement dans la région de Shanghai et dans le Jiangsu, où j'ai pu discuter avec de nombreux professionnels de l'énergie et du développement durable ainsi qu'avec des fonctionnaires locaux. Je vous en ramène quelques unes des tendances actuelles dans les domaines de l'énergie et du développement durable chinois. Si vous pensez que les innovations de l'Empire du milieu peuvent donner le la au reste du monde, cet article est fait pour vous !


Le Vélib', en vraiment libre (peut-être trop ?)


L'affaire semblait entendue : en s'enrichissant, les chinois passeraient du vélo au deux roues motorisés puis à la voiture - avec tous ses inconvénients : embouteillages, pollution... Et pourtant ! Depuis quelques mois, les vélos font un retour spectaculaire dans les rues des villes chinoises.
Que s'est-il passé ? Après quelques essais moyennement fructueux de types vélib', un nouveau système de vélopartage envahit rapidement le pays. Plus de stations : les vélos peuvent être pris et déposés n'importe où, il suffit de trouver un vélo et de scanner son QR code avec un téléphone portable pour obtenir le code de l'antivol. Lorsqu'on n'en a plus besoin, on referme l'antivol et le tour est joué.

Mobike, Ofo ou Youon : les startups chinoises qui révolutionnent le vélopartage
Une dizaine de start-up se sont lancées sur ce marché avec des vélos classiques ou à assistance électrique, parfois localisés par GPS. Leurs noms : Mobike, Ofo, Xiaoming ou encore Youon qui est en train d'être introduit en bourse. Les méthodes de tarification sont variables mais le prix est toujours dérisoires : moins d'un renminbi par heure, soit quelques centimes d'euros.
Ce système repose sur la mise à disposition massive de vélos : plus d'une dizaine de millions au total. Ces nouvelles bicyclettes aux couleurs vives envahissent les trottoirs et, dans certains endroits, s'entassent littéralement. Point positif : cette demande semble avoir, au moins temporairement, relancé l'industrie cycliste chinoise qui semblait condamnée. Points négatifs : les autorités municipales s'agacent et le taux de perte, de dégradation et de vol est très haut, un des principaux obstacles à la pérennité de ce système.


L'éolien prend la mer


Depuis longtemps un acteur majeur de l'éolien terrestre, la Chine semble être en train de prendre le parti de l'off-shore.
Il y a bien sur une évidence géographique : la Chine possède une façade maritime orientale de 15.000km sur laquelle se concentre presque tous ses centres urbains et industriels. La volonté de préserver des surfaces libres dans une des régions les plus densément peuplées de la planète joue aussi un rôle important. Ainsi que - croyez-le ou non - les pressions sociales : dans le Jiangsu des éleveurs de crevettes et des fermes d'algues se sont plaints d'une baisse de leurs productions après l'implantation d'éoliennes à proximité et ont obtenu une indemnisation du gouvernement...

Ce virage vers l'off-shore ne se voit pas encore dans les statistiques : en 2016, la Chine produisait 181TWh d'électricité éolienne... dont seulement 1TWh en mer. Mais malgré quelques tâtonnements (au large de l'estuaire du Yangtse, on a vu apparaître une paire d'éoliennes bipales "pour économiser des matériaux"), il semble bien engagé. Certaines communes côtières jusque là très actives dans l'éolien terrestre ont, officiellement ou de fait, décrété un moratoire au profit de l'off-shore. Cette dynamique pourrait aussi profiter aux autres énergie marines, jusque là inexistantes en Chine : des études en vue de l'installation de systèmes houlomoteurs ou hydroliens sont en cours.


Le solaire entre dans les foyers


Je vous en ai déjà parlé : historiquement, la Chine a fait le choix de solaire thermique domestique, filière qu'elle domine aujourd'hui de la tête et des épaules. Plus récemment, elle s'est ouvert au solaire photovoltaique et s'est dotée en un temps record du premier parc mondial. Mais la fête est peut-être déjà finie : ce développement spectaculaire était encouragé par un tarif de rachat garanti (ou feed-in tariff) que le gouvernement chinois a rendu moins généreux mi-2017. Cette baisse programmée a entraîne un formidable pic des raccordements au second trimestre : 18GW, soit l'équivalent de trois fois l'ensemble du parc français ! Logiquement, le rythme devrait se ralentir dans les mois qui viennent, d'autant que le photovoltaique est, comme l'éolien, victime de la volonté de laisser les sols libres : des projets de fermes solaires ont été annulés parce qu'ils réclamaient des surfaces jugées trop importantes.

Peut-être par contrecoup, l'industrie solaire photovoltaique chinoise se tourne désormais vers les systèmes résidentiels. Dans les zones rurales, seules à disposer d'habitations individuelles permettant ce type d'installations, il n'est plus rare de voir l'incontournable chauffe-eau solaire voisiner avec une dizaine de panneaux photovoltaiques.
Cependant ces installations sont coûteuses : de l'ordre de 50.000RMB dans des zones où 200.000RMB par an est un excellent salaire. Leur développement est donc très dépendant de la publicité et surtout du crédit.

Ce nouvel élan semble donc fragile. Quoiqu'il en soit, passant du solaire thermique au grand photovoltaique puis au photolvatique individuel, le développement du solaire chinois s'est fait par ordre d'EROEI décroissant. Un démarche plus logique, donc, que celle adoptée par la plupart des pays occidentaux.


La ville durable : tout le monde en parle, peu l'ont vu


Depuis les années 80, la surface habitable par habitant a doublé en Chine. Ce chiffre, auquel il faut ajouter un exode rural partiellement contrôlé et une spéculation importante, explique l'explosion de l'immobilier et le développement tentaculaire des villes chinoises. Ce phénomène touche bien sur les grandes métropoles comme Shanghai et Pékin mais la poussée est aussi très forte dans des agglomérations beaucoup plus petites.

La "ville durable", "green city" ou "生态城市" est un enjeu pour la Chine
Projets de ville durable au musée d'urbanisme de Shanghai
Contrairement aux idées reçues, la Chine s'est dotée de plans d'urbanisme assez tôt : dès les années 50 pour les villes principales et dans les années 70-80 pour des villes plus modestes. Cette planification a souvent conduit à des agglomérations multipolaires assez exotiques pour nous qui somme habitués à des centres villes bien définis. Ils ont aussi parfois permis de conserver des quartiers historiques et des zones naturelles. Mais les plans ont souvent été dépassé par la croissance de la population.
Aujourd'hui la circulation semble un problème insoluble dans les grandes métropoles où, malgré d'immenses autoroutes urbaines et un réseau dense de transports publics (à Shanghai, il y a environ 16.000 bus et 50.000 minibus), les embouteillages atteignent des proportions bibliques. La pollution comme l'augmentation de la température rendent épisodiquement les rues invivables. A plus long-terme toute la bande côtière est menacée par la montée des eaux, un problème dont l'artificialisations des sols et un régime de précipitation violent donnent déjà régulièrement un avant-goût.

Les autorités locales sont bien conscientes de ces problèmes. Existe-t-il des solutions ? On voudrait le croire mais en Chine comme ailleurs la "ville durable", "green city" ou "生态城市", reste un slogan populaire auquel on peine à donner une substance.


Publié le 5 septembre 2017 par Thibault Laconde




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L'art et la manière de lire les statistiques sur la transition énergétique et les renouvelables

A part la grippe et la fin des bonnes résolutions, vous savez ce qui arrive à ce moment de l'année ? Les comptes, statistiques et autres bilans quantitatifs de l'an passé.
L'énergie n'y échappe pas mais se distingue souvent par une mauvaise compréhension des chiffres voire de grossières erreurs dans leur interprétation. Voici deux pièges dans lesquels les commentateurs tombent régulièrement.


Premier piège : puissance n'est pas énergie, capacité n'est pas production


Une première erreur trèèèèèèès classique lorsque l'on parle de renouvelables consiste à mélanger puissance et énergie.
La différence entre puissance et énergie est un peu la même que celle entre distance et vitesse :  la puissance est l'énergie fournie par unité de temps comme la vitesse est la distance parcourue par unité de temps. L'énergie produite est le service réellement rendu par une centrale électrique, la puissance maximale mesure sa capacité théorique à rendre ce service. Il existe un lien entre les deux mais il n'est pas simple : la puissance vous renseigne autant sur la production réelle d'énergie que les 190km/h en pointe de votre voiture vous renseignent sur le temps qu'il faut pour traverser Paris un vendredi soir.
De plus, la puissance d'une éolienne ou d'un panneau solaire, contrairement à celle d'une centrale thermique ou d'une turbine hydroélectrique, dépend largement de facteurs extérieurs. Par conséquent, les chiffres annoncés par les constructeurs (par exemple les watt-crêtes d'un panneau solaire) sont évalués dans des conditions standards rarement atteintes dans la vraie vie.

Et pourtant, lorsqu'on quantifie les renouvelables, on entend beaucoup plus souvent parler de puissance que d'énergie. Pourquoi ?
Tout simplement parce que ce chiffre est plus flatteur que la production réelle. Les "nouvelles énergies" ont en général un facteur de charge plus faible que les autres, c'est-à-dire que, à puissance équivalente, l'énergie produite est inférieure. En usage normal, une centrale thermique ou nucléaire de 1GW produit de l'ordre de 7000GWh par an, un parc éolien de même puissance fournira plutôt 2500GWh et ce sera encore moins pour le solaire.
Parler de puissance plutôt que d'énergie est donc un "truc" pour embellir ses efforts (les indiens, par exemple, l'avaient fait lors de la COP21) ou donner à bon compte l'impression flatteuse d'une transition énergétique en marche. Ainsi, en 2014 le solaire et l'éolien fournissaient en tout et pour tout 5% de l'électricité mondiale... mais représentaient 12% de la puissance installée. En sens inverse, le nucléaire, par exemple, représentait 7% de la capacité mais 11% de la production réelle d'électricité.

Jusqu'à là c'est de bonne guerre. Mais il arrive aussi fréquemment que des chiffres concernant la puissance se transforment soudainement en données sur la production réelle d'énergie.
Pour un exemple (parmi beaucoup d'autres) comparez le titre de cet article à sa première phrase :

Exemple d'erreur sur les chiffres des renouvelables : confondre énergie et puissance

Pour résumer :
  • Si on vous parle "énergie", "production" ou "électricité" et que l'unité est le Watt-heure (ou le kWh, MWh, GWh, TWh...) : il s'agit d'une production réelle sur une période de temps donnée. La comparaison entre différentes sources est possible, sur la même période de temps évidemment. 
  • Si on vous parle "puissance" ou "capacité" et que l'unité est le Watt (ou le kW, MW, GW), il s'agit d'une production instantanée théorique : Prudence ! Sans autres détails, ce chiffre ne vous apprend pas grand chose et les comparaisons entre différentes sources sont risquées. 
...Et si les deux sont mélangés, il est temps de changer de journal.



Deuxième piège : électricité, énergie finale, énergie primaire


L'électricité c'est bien, mais ce n'est pas tout : nous consommons de l'énergie sous beaucoup d'autres formes. Quelle est la part des renouvelables dans cette consommation totale d'énergie ? On ne fait pas plus simple comme question, non ? Et pourtant...
D'un point de vue physique, on peut parfaitement comparer l'énergie chimique extraite d'un puits de pétrole ou d'une mine de charbon à celle qui sort sous forme électrique d'une éolienne ou d'une centrale nucléaire. Mais, d'un point de vue pratique, on mélange des torchons et des serviettes.

Comment comparer une production éolienne ou solaire à des chiffres sur le pétrole ou le charbon ?A l'exception de la biomasse (bois-énergie, agrocarburant, méthanisation...), les énergies renouvelables produisent presque exclusivement une énergie finale, c'est-à-dire directement utilisable pour satisfaire nos besoins : l'éolien, le photovoltaïque et l'hydraulique fournissent de l'électricité, le solaire thermique de la chaleur...
Ce n'est pas le cas pour les énergies fossiles : il faut d'abord extraire le charbon, le pétrole ou le gaz puis le transformer en chaleur, en électricité ou en mouvement dans un moteur, ce qui demande du temps et entraîne des pertes.
Le nucléaire, lui, est intermédiaire : il faut d'abord extraire la matière fissible mais celle-ci n'est en général pas comptabilisée dans les bilans énergétiques. Comme pour les renouvelables, lorsqu'on parle d'énergie nucléaire, on parle en général d'électricité.

Il n'y a pas de façon incontestable pour comparer la production d'énergie (finale) renouvelable à celle d'énergie (primaire) fossile. Il existe deux philosophies :
  1. Soit on comptabilise l'énergie électrique réellement produite sans se poser de question : 1kWh d'électricité éolienne ou solaire vaut 1kWh de pétrole brut ou de charbon (ou 3.6 millions de Joules ou 0.000086 tonnes équivalent pétrole). Point.
  2. Soit on comptabilise l'énergie finale à hauteur de l'énergie primaire qui aurait été nécessaire pour la produire. Comme le rendement des centrales thermiques est de l'ordre d'un tiers, 1 Joule d'électricité éolienne, par exemple, vaudra donc 3 Joules de pétrole.
Si c'est la première option qui est choisie, évidemment, la part des renouvelables et du nucléaire semblera beaucoup plus faible toute chose égales par ailleurs.

Jusqu'à là vous suivez ?
Très bien, parce que c'est là que ça devient retors : certaines statistiques prennent la seconde option pour le nucléaire mais la première pour les renouvelables. C'est le cas notamment pour les données fournies par l'Agence Internationale de l'Energie et l'administration américaine de l'énergie (EIA). Cette méthode a pour effet de donner une image déformée du mix énergétique au détriment des renouvelables, celles-ci apparaissant bien moins importantes qu'elles sont en réalité.

En conclusion : évaluer la part des énergies renouvelables dans la consommation totale d'énergie nécessite des conventions de calcul qui peuvent influencer fortement le résultat. Il vaut mieux lire ce qui est écrit en petits caractères avant de tirer des conclusions...


Publié le 30 janvier 2017 par Thibault Laconde


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Avis d'expert : "L'Allemagne peut sortir du nucléaire en 2022 et du charbon en 2040"

En janvier 2016, le think tank allemand Agora Energiewende a proposé 11 principes pour sortir l'Allemagne de sa dépendance au charbon. Lors d'un récent passage à Berlin, j'ai pu en discuter longuement avec Dimitri Pescia qui est senior associate chez Agora.

Voici la retranscription de cet échange.

Quelle la situation énergétique de l'Allemagne à l'heure actuelle ?

Le système électrique allemand est en profonde transformation. L’année 2015 a été une année de tous les records : record de production renouvelable, record de production éolienne, record d'exportations...

Aujourd'hui, à peu près un tiers de la consommation électrique allemande est couvert par les énergies renouvelables, 40% par le charbon et le reste par le nucléaire et le gaz. Le changement est donc significatif par rapport aux années 90, où il n'y avait quasiment pas de renouvelables, à part un peu d'hydraulique et de biomasse. Le  nucléaire  couvrait alors plus de 30% du mix et la part du charbon était à peu près la même qu'aujourd'hui.

En une vingtaine d'années on a donc un vrai développement des énergies renouvelables mais peu d'évolution sur le charbon. La situation allemande est donc paradoxale : on bat des records de production renouvelable mais les émissions de CO2 diminuent peu, car le compétitivité du charbon conduit également à des records historiques d’exportation ! Dans ce contexte, l'Allemagne n’atteindra probablement pas son objectif national de réduction des émissions de CO2, fixé à -40% en 2020 par rapport à 1990. C'est pourquoi nous appelons à la mise en place de mesures supplémentaires. 



"Le marché seul ne conduira pas à la fin du charbon en Allemagne."





Vous proposez donc une sorte de mode d'emploi de la sortie du charbon, quels en sont les points clés ?

Notre proposition part du constat suivant : le marché européen des émissions de CO2 ne sera pas en mesure d’enclencher à temps la sortie du charbon en Allemagne. Le prix du CO2 va rester trop bas alors que les centrales sont amorties et leur coût marginal de production est très faible. Selon nos calculs, pour obtenir un basculement du charbon vers le gaz, ce qui permettrait de réduire les émissions du secteur électrique, il faudrait un prix du carbone qui passe de 5€ à 40 ou 50€, or il n'y a pas un volontarisme politique suffisant au niveau européen.
Sans mesures nationales, l'Allemagne n'atteindra donc pas ses objectifs de réduction d'émissions. Une solution consensuelle et de long-terme est nécessaire, en particulier pour accompagner le processus de restructuration socio-économique des régions minières et assurer la sécurité des investissements et la planification dans le domaine de l’énergie. Il nous faut donc construire ce consensus sur le charbon comparable à celui qui a permis la sortie du nucléaire. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre notre proposition, qui s’appuie sur une modélisation du secteur électrique européen réalisée par l'institut Enervis.

Concernant plus particulièrement le secteur de la production électrique, nous proposons la mise en place d'un plan de sortie du charbon entre 2018 et 2040, fixant une date d’arrêt pour chaque centrale, les centrales les plus âgées qui sont aussi les plus émettrices étant retirées en premier.
L'Allemagne sortirait donc du charbon en 22 ans, soit la durée qui avait été fixée pour la sortie du nucléaire. C'est un horizon suffisamment long pour permettre aux opérateurs de planifier leurs restructurations.

Par ailleurs, nous proposons d’interdire la construction de nouvelles centrales à charbon. Cette mesure peut paraître évidente, mais nous la mettons néanmoins en avant, car certaines parties prenantes proposent de remplacer les vieilles centrales polluantes par d'autres plus efficaces. Notre analyse montre clairement que si l’on veut atteindre les objectifs climatiques de long-terme, réinvestir dans le charbon même dans des centrales moins polluantes, n’a aucun sens.
Aujourd'hui il n'y a pas de nouveaux projets de centrales à charbon en Allemagne, le prix est trop bas et le pays est déjà en surcapacité. Quelques centrales ont été raccordées ces deux dernières années mais il s'agit de projets lancés dans les années 2007-2008. 

Nous proposons également la mise en place d’une taxe sur la production électrique à base de lignite pour s'assurer de la remise en état des sites miniers. C'est un peu le même problème que pour le démantèlement nucléaire : les opérateurs provisionnent dans leurs comptes mais rien ne nous assure que ces provisions soient suffisantes à terme. Nous proposons donc une taxe qui abonde une fondation chargée de supporter les coûts de renaturation des sites.


"Le mix électrique allemand en 2040 : 65% de renouvelables, 35% de gaz."




A quoi ressemblerait le mix électrique allemand en 2040 ?

Notre scénario est basé sur les objectifs du gouvernement fédéral : un développement des énergies renouvelables qui prend petit à petit le pas sur le nucléaire et le charbon. En 2030, l'objectif est d'avoir 50% d'électricité renouvelable et en 2040, 65%. Le reste étant couvert par des centrales à gaz, à peu près 40 GW, dont la moitié seraient de nouvelles constructions.


Est-ce que votre scénario est compatible avec les objectifs de l'Accord de Paris, notamment les 1.5°C et zéro émissions nettes après 2050 ?

La sortie du charbon en 2040 est compatible avec les 2°C mais pour 1.5°C il faudrait aller plus vite.

Après 2040, le mix électrique intègre encore du gaz, car ces centrales sont nécessaires à l'équilibrage du réseau en raison de leur flexibilité. Sans réelle rupture technologique, le secteur électrique allemand continuera donc à priori à émettre du CO2 au milieu du siècle mais presque quatre fois moins qu’aujourd’hui, environ 100 millions de tonnes. Par ailleurs, sur le long terme, il n'est pas impossible de tendre vers  un mix non-émetteur, même en maintenant du gaz. De nouvelles technologies vont arriver : biogaz, power to gas... Évidemment les derniers pourcents de baisse des émissions vont être très difficiles à gagner.


Il n'est pas question de capture du carbone ?

Non. La capture et la séquestration du carbone n'a pas d'avenir en Allemagne, ni dans la plupart des pays européens d'ailleurs. D'abord, la CSC est trop chère par rapport aux autres options bas carbone, en particulier l'éolien et le solaire photovoltaïque. Ensuite, elle est socialement inacceptable à cause de l'enfouissement du CO2 : en Allemagne, il est presque aussi difficile d'enfouir du carbone que des déchets radioactifs !


"L'Allemagne ne peut pas être à la fois le pays de la transition énergétique et du charbon."




Est-ce que votre diagnostic sur la nécessité de sortir du charbon est partagé en Allemagne ?

Pour l’essentiel oui. Notre proposition a été largement commentée en Allemagne, tout en faisant l'objet de relativement peu de critiques de fond. Évidemment, nous essuyons les critiques des syndicats miniers, qui luttent pour les emplois concernés par la restructuration des bassins miniers, et qui considèrent que les mesures que nous proposons pour faciliter cette restructuration ne sont pas suffisants. A l’opposé, certaines organisations environnementales considèrent que notre proposition manque d’ambition et militent pour une sortie du charbon plus rapide. Mais globalement nous nous situons déjà dans une proposition de compromis. La majorité des acteurs réalisent qu'on ne peut pas être le pays de la transition énergétique tout en restant le pays du charbon.

Le ministre de l'économie, Sigmar Gabriel, a d’ailleurs repris notre première proposition, appelant à la mise en place d'une table ronde sur le charbon, afin de développer une position consensuelle avec l’ensemble des parties prenantes. D'ici la fin de l'année, nous pourrions voir ainsi émerger les premières lignes d’un accord.


La perspective de remplacer du lignite local par du gaz importé, notamment de Russie, ne pose pas problème ?

L’Allemagne importe aujourd’hui près de 40% de son gaz de Russie, le reste provenant essentiellement de Norvège et des Pays-Bas. Le pays dispose également de sites gaziers nationaux, essentiellement en Basse-Saxe, qui couvrent environ 10-15% de la consommation. La dépendance à la Russie existe mais elle est donc limitée.
Par ailleurs, aujourd'hui, près de 90% du gaz consommé en Allemagne est utilisé pour le chauffage, pas pour la production d'électricité. Donc, même si la part du gaz augmente dans la production électrique, compte-tenu de son potentiel de flexibilité, la part du gaz dans le mix énergétique global reste relativement stable, voire baisse, en particulier grâce aux efforts d’efficacité énergétique dans les bâtiments.


"L'Allemagne peut sortir du charbon en gardant une électricité bon marché et en restant exportatrice."





Qu'est-ce que votre proposition implique pour le prix de l'électricité ?

Elle conduit à une hausse de 2 à 3€ par mégawattheure sur le marché de gros en base. Aujourd'hui, les prix sont extrêmement bas, en dessous de 30€/MWh. Ces prix vont probablement rester bas puisque les énergies renouvelables continuent de croître d'environ 2% par an, et qu’elles produisent à coût marginal nul. La hausse des prix liée à notre plan est donc relativement modérée.

Nous proposons néanmoins que des mesures de compensations soient considérées en faveur des consommateurs industriels, au cas où cette hausse leur serait dommageable. L'Allemagne reste en effet un pays industriel sensible aux hausses de prix qui impacteraient ses entreprises électro-intensives. Divers mécanismes de compensation ont été mis en place afin d'assurer la compétitivité de ces entreprises. Aujourd’hui, certains industriels allemands bénéficient de prix parmi les plus bas d’Europe car le prix de gros se reflète directement sur leurs factures.


Quelles seraient les conséquences de cette sortie du charbon sur les exportation d'électricité ?

A l'heure actuelle, l'Allemagne exporte environ un électron sur dix qu’elle produit, soit environ 60 TWh, ce qui conduit à des effets de bords importants sur certains marchés voisins, notamment autrichiens et néerlandais, où des centrales à gaz sont mises sous cocon car elles sont moins compétitives que le charbon et les renouvelables allemands.

Une sortie progressive du charbon modifierait les échanges d'électricité entre l'Allemagne et ses voisins, en retrait par rapport aux niveaux historiques observés depuis quelques années. En particulier pendant la période charnière qui va de 2024 à 2028, alors que l’Allemagne aura fermé l’ensemble de son parc nucléaire, le pays pourrait devenir importateur  net d'électricité : il serait en mesure de couvrir sa consommation par des capacités nationales mais d'autres capacités étrangères seront plus compétitives, expliquant le renversement des échanges. Ensuite, l'Allemagne recommence à être exportatrice dès 2028, les exports se stabilisent sur le long terme à des niveaux élevés, mais inférieurs à ceux d'aujourd'hui.


Que deviennent les bassins miniers ?

C'est sans doute le point le plus critique pour la construction d'un consensus national sur la question du charbon. En Rhénanie-du-Nord-Westphalie et dans la Lusace, l'extraction du charbon crée encore beaucoup d'emplois locaux. Dans les régions économiquement faibles, notamment à l'est du pays, c'est parfois l'employeur dominant.
Il faut donc donner des débouchés. Nous proposons que l’État fédéral finance à hauteur de 250 millions d'euros par an la restructuration de ces bassins.


"En France aussi il devient clair que les énergies renouvelables vont se développer, et que c'est une bonne chose."




Comment voyez-vous le débat énergétique français et comment se compare-t-il à la situation allemande ?

La transition énergétique allemande a joué un rôle de référence très important dans le débat français qui a précédé l’adoption de la loi de transition énergétique. Soit comme une référence modèle, plus souvent comme anti-modèle. Dans l'énergie, comme sur beaucoup d'autres sujets socio-économiques, la France semble toujours très encline à se comparer à l'Allemagne.
Le débat énergétique français a été relativement tendu après Fukushima, avec un gouvernement conservateur très figé sur la question du nucléaire et relativement sceptique sur les renouvelables. Il a évolué depuis et j'ai l'impression qu'il s'apaise. Même si beaucoup de choses restent incertaines, en particulier en ce qui concerne l’avenir du nucléaire, certains points commencent à faire consensus : le volontarisme français en matière de développement des énergies renouvelables a progressé, et c'est quelque chose de positif.



Publié le 4 mars 2016 par Thibault Laconde

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Ce qu'il faut comprendre avant de choisir un fournisseur d'électricité "verte"

Choisir un fournisseur d'électricité "verte", est-ce suffisant pour  participer au développement des énergies renouvelables ? Dans cette période où l'on parle beaucoup de transition énergétique, certains fournisseurs d'électricité proposent à leurs clients de prendre les devants en adoptant une offre "d'électricité verte". Ces offres se retrouvent aussi bien chez des acteurs historiques (comme GDF-Suez avec AlpEnergie) que chez des fournisseurs spécialisés (comme Enercoop ou Lampiris).
De quoi s'agit-il ? Et surtout : choisir une telle offre permet-il réellement de soutenir les filières renouvelables ? La réponse, nous allons le voir, varie d'un fournisseur à l'autre...


Acheter de l'électricité verte : une fiction


Si vous pouvez acheter des produits bio, c'est grâce à leur traçabilité : il est possible de connaitre l'origine du produit et donc les méthodes utilisées par son producteur.
A l'inverse, il n'existe pas de traçabilité de l'électricité, une fois qu'elle est injectée sur le réseau électrique personne ne peut dire d’où vient un électron et comment il a été produit. Par conséquent, sauf à être relié directement à la source (par exemple si vous avez des panneaux solaires sur votre toit), vous ne pouvez pas décider de vous fournir en électricité auprès d'un producteur plutôt que d'un autre.

Comment dans ce cas s'assurer que vous achetez de l'électricité issue d'une éolienne ou d'une centrale nucléaire ? En fait, il faut distinguer 2 flux sur le marché de l'électricité :
  • Un flux physique qui suit le réseau de transport et de distribution des centrales jusqu'à votre prise
  • Un flux contractuel avec des opérations d'achat et de vente qui vont de la vente par le producteur à l'achat par le particulier en passant par au moins un intermédiaire qui achète l'électricité auprès des producteurs (en gré à gré) ou sur le marché puis vous la revend.
S'il n'est pas possible de vous garantir que le flux physique de l'électricité qui vous est livré provient d'une source renouvelable, il est possible de retracer le flux contractuel. C'est le principe des garanties d'origine sur lequel se basent les offres d'électricité verte.


Le système des garanties d'origine


Ce système s'adresse aux producteurs d'électricité utilisant soit une énergie renouvelable (hydroélectricité, énergie éolienne, solaire thermique ou photovoltaïque, biomasse, géothermie...), soit la cogénération (production d'électricité à partir d'une énergie qui aurait été perdue sinon). Lorsque ces producteurs injectent de l'électricité sur le réseau, RTE leur délivre une garantie d'origine pour la quantité d'énergie injectée.

Ces producteurs peuvent ensuite revendre la garantie d'origine en compagnie du volume d'électricité correspondant. Au bout de la chaine, les fournisseurs d'électricité verte doivent présenter régulièrement à leurs clients des garanties d'origine pour un volume correspondant à leurs consommations.

Ce système trouve son origine dans une directive du parlement européen de 2009, mais à quelques variation près il est en vigueur en France depuis 2006 (on parlait auparavant de certificats verts qui ont disparu définitivement début 2012).


Ce que la garantie d'origine garantit et ce qu'elle ne garantit pas


En bref, si vous souscrivez à une offre d'électricité verte, le système de garantie d'origine vous assure que votre fournisseur a acheté un volume d'électricité équivalent à votre consommation auprès de producteurs d'électricité verte.

En revanche, ce système ne garantit pas :
  • Que les électrons que vous consommez proviennent d'une énergie renouvelable.
  • Que l'électricité que vous achetez n'aurait pas été produite sans votre achat : dans la plupart des cas vous n'aurez fait que "réserver" une énergie qui aurait été produite de toute façon. En d'autres termes en optant pour une offre d'électricité verte, vous aurez augmenté la part du renouvelable dans votre consommation d'énergie en la faisant baisser dans le mix des consommateurs ordinaires, pas en augmentant la production.
  • Que vous financez réellement une filière renouvelable : la plupart des garanties d'origine viennent de barrages hydroélectriques - sources renouvelables, certes, mais construites pour la plupart dans les années 50 et déjà largement rentabilisés. Si vous souhaitez soutenir les investissements dans des filières renouvelables en cours d'émergence comme l'éolien, la biomasse ou le solaire, il faudra vous assurer avec votre fournisseur qu'il achète de l'électricité auprès de ces producteurs et qu'il leur offre des conditions satisfaisantes (prix négociés, contrats à long terme...)
Crédit photo : Jamie R Mathlin [CC-BY-SA-2.0], via Wikimedia Commons
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Publié le 30 décembre 2012 par Thibault Laconde


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