Affichage des articles dont le libellé est Pollution. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Pollution. Afficher tous les articles

Quand les feux de forêt deviennent un risque industriel

Depuis quelques années, nous avons assisté à des feux de forêt dévastateurs, souvent stimulés par des sécheresses exceptionnelles. L'aggravation du risque d'incendie est une des conséquences attendues du réchauffement climatique.

Il est évident que ces incendies peuvent avoir des conséquences humaines dramatiques, ils ont par exemple tué 103 personnes à Mati (Grèce) ou 85 à Paradise (Californie)... Mais une catastrophe récente vient de rappeler que les feux de forêt sont aussi un risque indutriel.

Sur le chemin de l'incendie : une des plus grandes centrales nucléaires de la planète

Le vendredi 4 mars 2022 vers 11h, un incendie se déclare dans les montagnes entourant la ville de Uljin, sur la côte orientale de Corée du Sud.

Les conditions sont favorables : pendant l'hiver 2021-2022, les précipitations dans la région ont été 7 fois moins importantes que l'année précédente et le vent souffle à 90 km par heure. L'incendie s'étend rapidement.

Dès l'après-midi le feu s'approche dangereusement de la centrale nucléaire de Hanul. Il s'agit d'une des plus grandes centrales nucléaire de la planète, avec 6 réacteurs en service, 2 en construction et 2 autres en projet. Dans la soirée, le président et le premier ministre sud-coréens appellent à faire tous les efforts pour protéger l'installation, les moyens du ministère de la défense sont mobilisés en renfort des pompiers.

Pendant la nuit, l'incendie gagne vers le nord et menace le terminal méthanier de Samcheok. A proximité se trouve aussi une centrale thermique de 2GW avec son parc à charbon.

Incendie corée du sud centrale électrique et terminal GNL
Extension de l'incendie et principales installations menacées (données EFFIS)

Grâce à des moyens très importants - une centaine d'hélicoptères, près de 800 véhicules et 15 000 pompiers - et à un vent favorable, le feu est repoussé dans la journée de samedi avant d'atteindre les installations. Les données satellite de l'EFFIS suggèrent que l'incendie s'est approché à moins de 500 mètres de la centrale nucléaire et du terminal méthanier.

Pourquoi les risques augmentent avec le réchauffement climatique ?

Ce n'est pas la première fois qu'un feu de forêt menace des sites industriels ou des installations dangereuses. On peut se rappeler par exemple de la centrale à charbon de Milas en Turquie, passée très proche de la catastrophe pendant l'été 2021 ou encore des incendies dans la zone d'exclusion de Tchernobyl en avril 2020.

Selon le dernier rapport du GIEC, le réchauffement du climat est déjà responsable d'une augmentation des dommages causés par les feux de forêt. Pour l'avenir, les scientifiques affirment avec un haut de niveau de certitude que le risque d'incendie va augmenter avec la température.

En effet, l'élévation de la température fait augmenter l'évaporation et rend le climat plus aride même sans modification des précipitations. La végétation est fragilisée et les départs de feux trouvent un combustible plus sec et facilement inflammable. Toute schoses égales par ailleurs, les risques d'incendies sont donc aggravés là où ils existaient déjà et peuvent apparaitre dans des régions où, dans le passé, ils étaient négligeables.

C'est cas notamment en France : dès les prochaines décennies, un risque de feu de forêt devrait s'étendre dans la moitié nord du pays, autour de la Loire et même par endroit jusqu'en Bretagne et en Ile de France. Dans le même temps le risque devrait s'aggraver nettement dans le sud-ouest, en particulier les Landes.

Evolution du risque de feu de forêt avec le réchauffement climatique en France
Evolution du danger météorologique d'incendie en période estivale (source)


En France, presque la moitié des sites Seveso sont à proximité de forêt

D'accord, vous dites-vous peut-être, mais pour que le risque existe réellement il faudrait encore que des sites industriels dangereux soient situés en forêt, ce n'est certainement pas très courant...

En fait, si.

En croisant des données d'occupation des sols et la géolocalisation des ICPE, on peut évaluer le nombre de sites situés à proximité de forêts. Résultat : sur quelques 600 installations classées Seveso seuil haut, c'est-à-dire les sites industriels présentant des risques majeurs, 45% sont situées à moins d'un kilomètre d'une forêt. Parmi ceux-ci, 90 sites ont un environnement comprenant au moins 20% de forêt.

Exemple de sites seveso seuil haut exposés à un risque de feu de forêt
Des sites industriels Seveso en forêt

Quelques exemples de sites industriels à risque situés en forêt, de haut en bas et de gauche à droite :

  • Un site de stockage souterrain de gaz près de Tours, l'environnement dans un rayon d'un kilomètre est composé à 82% de forêt,
  • Une usine chimique dans les Landes (63% de forêt),
  • Une usine de produits phosphorés en Savoie (67%),
  • Un site de stockage d'hydrocarbures dans le parc naturel du Luberon (69%).

En France, historiquement, le risque de feu de forêt est limité en dehors du pourtour méditerranéen, il est donc probablement jugé négligeable pour la plupart de ces sites. Avec le réchauffement du climat, la protection des installations industrielles dangereuses contre l'extension vers le nord du risque d'incendie peut donc devenir un sujet d'adaptation assez important.

Publié le 9 mars 2022 par Thibault Laconde

Réglementation des rejets thermiques dans l'industrie : le nucléaire et au-delà

risque d'indisponibilité industrielles en cas de canicule ou de sécheresse
Depuis presque un mois, la centrale nucléaire de Saint Alban connait une série d'indisponibilités partielles. Pourquoi ? Parce qu'avec un débit réduit et une température élevée de fin d'été, le Rhône ne peut plus refroidir les réacteurs sans se réchauffer au-delà de la limite autorisée en aval de la centrale.
C'est souvent ce phénomène qui est à l'origine des arrêts de réacteurs pendant les canicules ou les sécheresses. Leurs turbines électriques ont besoin d'eau et, en fonctionnant, réchauffent la mer ou le fleuve dont elles dépendent, mais elles ne peuvent pas le faire indéfiniment : la température de l'eau après mélange doit rester dans les limites définies par un texte réglementaire. Ces arrêtés de rejets, propres à chaque installation nucléaire, peuvent se révèler contraignants pour les centrales fluviales et donner l'impression qu'elles subissent des contraintes disproportionnées, ou en tous cas uniques. 
 
En réalité, les autres industries qui utilisent les fleuves comme source de refroidissement - centrales fossiles, papeteries, raffineries, etc. - sont aussi soumises à des limites de température. Quelles sont ces limites ? D'où viennent-elles ? Sont-elles plus souples que celles des installations nucléaires ? C'est ce que je vous propose de discuter dans cet article.

 

Les limites de température imposées aux centrales nucléaires

Chaque centrale nucléaire française fait l'objet d'un arrêté de rejets qui lui est propre. Callendar les a compilé ici :

Les seuils et les règles de calcul varient donc d'une installation à l'autre mais si voulez retenir un chiffre, retenez 28°C. En règle générale, c'est la la température maximale autorisée en aval d'une centrale nucléaire pendant la période estivale. 

Encore une fois, c'est loin d'être une règle absolue. Pour Bugey, le seuil est de 26°C - nous verrons pourquoi plus bas. Pour Blayais, qui est située sur l'estuaire de la Gironde à un endroit où il n'y a presque plus d'aval, la limite est de 36.5°C... Quant aux centrales situées autour de la Loire (Civaux, Chinon, St Laurent, Dampierre et Belleville) elle n'ont que des limites d'échauffement : ce n'est pas la température en aval qui est limitée mais la différence de température entre l'aval et l'amont. Il y a des exception, donc... mais retenons ce chiffre de 28°C et voyons d'où il vient.

Historiquement, le besoin d'une réglementation des rejets thermiques apparait très vite après la Seconde Guerre Mondiale. Avec le développement de grande installations industrielles et de centrales électriques beaucoup plus puissantes, les systèmes de refroidissement commencent à modifier significativemet la température des fleuves. Un encadrement devient nécessaire, ne serait-ce que pour éviter que le réchauffement de l'eau par les centrales amonts perturbe le fonctionnement de celles situées en aval.

La limite est initialement fixée à 30°C pour la température de l'eau rejetée. Pendant la décennie de 1970, EDF conduit de nombreuses études sur les cours d'eau accueillant des centrales nucléaires ou fossiles (Montereau, Porcherville, etc.) et ces évaluations montrent que l'échauffement de l'eau a des impacts écologiques significatifs avant 30°C. A la fin des années 70, une série d'arrêtés de rejets est prise et introduit une nouvelle limite : 28°C pour l'eau du fleuve après mélange (ce qui dans de nombreux cas en fait moins contraignant que 30°C au rejet).

 

Le droit commun des rejets thermiques

Cette limite de 28°C ne sort pas de nulle part. Elle vient en fait d'une directive européenne de 1978 "relative à la qualité des eaux douces aptes à la vie des poissons". Ce texte distingue deux cas en fonction de la population du cours d'eau : 

  • les eaux salmonicoles dans lesquelles on peut trouver des saumons, truites, ombres, etc. : ce sont des cours d'eau rapides et froids, en général assez bien préservés, la directive leur attribue une température maximale de 21.5°C.
  • les eaux cyprinicoles dans lesquelles on trouve des carpes, silures ou brochets : il s'agit en général de grandes rivières ou de fleuves en plaine, leur température doit être au maximum de 28°C.

Ces règles, comme toutes les directives européennes, ne s'appliquent qu'aux Etats-membres. Elles vont cependant être largement reprises dans la réglementation française, applicable elle aux utilisateurs des fleuves.

Peu de temps auparavant, la loi du 19 juillet 1976 a créé le système des installations classées pour la protection de l'environnement et de nombreuses catégories d'ICPE vont se voir fixer des limites de rejets thermiques reprenant les définitions et les seuils de la directive de 1978.
C'est le cas notamment des catégories 2910 et 3110, c'est-à-dire des installations de combustion dont la puissance thermique est supérieure à 20MW y compris toutes les centrales électriques fossiles un peu importantes, mais aussi des catégories 2930 (ateliers automobiles), 2564 (nettoyage, dégraissage, décapage), 2565 (revêtements métalliques), 2730 (traitement de produits animaux), etc.

Là aussi le détail varie mais, schématiquement, les prescriptions générales applicables à ces installations prévoient, d'une part, que la température des effluents rejetés ne peut pas excéder 30°C et, d'autre part, que ces effluent de doivent pas conduire :

  • pour les eaux salmonicoles : à une élévation de la température supérieure à 1.5°C ou à une température avale supérieure à 21.5°C,
  • pour les eaux cyprinicoles : à une élévation de la température supérieure à 3°C ou à une température avale supérieure à 28°C,
  • pour les eaux destinées à la production d'eau potable : à une température avale supérieure à 25°C.

 

Une préoccupation aussi sanitaire et technique

Peut-être vous demandez-vous d'où sort ce dernier seuil qui ne figure pas dans la directive de 1978. C'est qu'en France métropolitaine, une ressource en eau dont la température dépasse 25°C ne peut pas être utilisée pour produire de l'eau destinée à la consommation humaine. L'origine de cette limite est à la fois biologique et chimique :

  1. Une température élevée favorise la prolifération de pathogènes, notamment legionelles et amibes, un effet qui avait déjà été identifié dans les études des années 70 conduites par EDF.
  2. Le chlore libre, qui est la principale méthode de potabilisation en France, n'est plus stable après 25°C, si l'eau dépasse cette température il n'est donc pas possible de garantir sa qualité dans le temps. Et il n'existe pas d'alternative simple au chlore.

Il me parait donc important de comprendre que, si la réglementation des rejets thermiques emprunte encore une bonne partie de son vocabulaire à la protection de la biodiversité, ces règles servent aussi des objectifs techniques et sanitaires. 

Un exemple ? La centrale nucléaire de Nogent utilise la Seine pour son refroidissement. Une centaine de kilomètres en aval, le captage d'Orly assure un quart de l'approvisionnement en eau potable de la capitale. Ce n'est évidemment pas seulement pour le bien-être des poissons que les rejets de cette installation sont strictement encadrés et controlés. Comme ceux, bien sur, des autres industries qui utilisent le fleuve.

 

Puisque la réglementation est comparable, pourquoi parle-t-on autant du nucléaire et si peu des autres industries ?

Si on compare maintenant les règles applicables au nucléaire et celles en vigueur pour les autres secteurs industriels, il est clair qu'il n'y a pas de traitement de faveur pour ces derniers. Les arrêtés de rejets des centrales nucléaires fixent des limites qui sont en général conformes aux règles de droit commun et parfois sensiblement plus favorables : Bugey, par exemple, se trouve sur une section du Rhône qui est salmonicole mais bénéficie d'une autorisation de rejet à 24°C en hiver et 26°C en été.

Mais alors, vous demandez-vous peut-être, comment se fait-il que l'on voie régulièrement des réacteurs à l'arrêt mais qu'on n'entende jamais parler de raffineries ou d'usines métallurgiques stopées à cause de la chaleur ?

Si on cherche bien, on peut s'apercevoir que des problèmes existent. Cela se devine par exemple à l'activité des entreprises qui louent des capacités de refroidissement industrielles : elles sont, au moins de temps en temps, sollicitées pour éviter des arrêts de productions pendant des période de fortes chaleur. Ca a été le cas par exemple dans la pétrochimie en Italie ou dans la métallurgie en Belgique.

Je crois que la raison pour laquelle ces problèmes sont très peu connus est tout simplement que ces industries ne sont pas soumises aux mêmes obligations de transparence que le secteur électrique. Quand la centrale nucléaire de St Alban se déclare indisponible en raison de la température du Rhône, il est difficile d'imaginer, par exemple, que l'usine chimique de Salaise sur Sanne, 6 kilomètres en aval, ou la papeterie de Laveyron, 15 kilomètres plus loin, puissent fonctionner normalement. Mais nous n'en saurons rien...

Je comprend que ça puisse être frustrant mais, à mon avis, c'est une raison supplémentaire pour s'intéresser aux indisponibilités climatiques des centrales françaises. Avec le réchauffement du climat, on peut s'attendre à ce que la chaleur perturbe de plus en plus régulièrement le fonctionnement des activités industrielles et le nucléaire est le canari dans la mine : un indice bien visible d'un risque beaucoup plus général.


Publié le 21 septembre 2020 par Thibault Laconde

De Hippocrate à Montesquieu : climat et changements climatiques avant le XIXe siècle

Dans un article précédent, j'ai expliqué que la compréhension du changement climatique actuel remonte au XIXe siècle. Mais les hommes se sont intéressés au climat, à ses évolutions et à leurs impacts sur la société bien avant cette date. Ces réflexions sont un peu tombées dans l'oubli mais elles ont souvent des résonances modernes frappantes.


La théorie des climats


Les voyageurs se sont toujours étonnés des différences de mœurs et de caractères qu'ils rencontraient chez les peuples étrangers. Dans les époques qui ont été marquées par la prise de contact avec des civilisations inconnues, notamment pendant l'expansion grecque en Méditerranée et à les grandes découvertes européennes, l'explication de ces différences a été un enjeu important pour les philosophes, les scientifiques et les religieux. Une solution proposée dès l'antiquité grecque et régulièrement reprise jusqu'à l'époque moderne consiste à expliquer les différences entre groupes humains par les climats auxquels ils sont soumis, c'est ce que l'on appelle la "théorie des climats".
Hippocrate est le père de la théorie des climats, influente jusqu'au XIXe siècle
Cette théorie est généralement attribuée au maitre de la médecine grecque Hippocrate (ci contre). Dans son ouvrage Des airs, des eaux et des lieux (environ -400), il essaie de discerner l'influence de l'environnement sur la santé - cette approche qui voit l'origine des maladies dans une forme de pollution dominera la médecine occidentale jusqu'à la fin du XIXe siècle. Hippocrate attribue un rôle particulièrement important aux conditions climatiques, pour lui celles-ci déterminent les caractéristiques physiques mais aussi, par extension, morales et intellectuelles des populations.

Cette idée d'un déterminisme climatique est largement répandue chez les auteurs grecs puis romains, elle se retrouve notamment chez Platon, Aristote, Gallien et Ptolémée. Aristote affirme par exemple :
"Les peuples qui habitent les climats froids, même dans l'Europe, sont en général pleins de courage. Mais ils sont certainement inférieurs en intelligence et en industrie ; aussi conservent-ils leur liberté ; mais ils sont politiquement indisciplinables, et n'ont jamais pu conquérir leurs voisins. En Asie, au contraire, les peuples ont plus d'intelligence, d'aptitude pour les arts ; mais ils manquent de cœur, et ils restent sous le joug d'un esclavage perpétuel. La race grecque, qui topographiquement est intermédiaire, réunit toutes les qualités des deux autres. Elle possède à la fois l'intelligence et le courage. Elle sait en même temps garder son indépendance et former de très bons gouvernements, capable, si elle était réunie en un seul État, de conquérir l'univers."
Politique, livre IV, chapitre VI
(traduction de Barthélemy Saint-Hilaire)



Montesquieu : "L'empire du climat est le premier de tous les empires"


Hippocrate, Aristote, Ptolémée... Ces auteurs exercent une énorme influence sur la pensée occidentale à la fin du Moyen Age et pendant la Renaissance. Il n'est donc pas surprenant de voir resurgir de temps à autres la théorie des climats, par exemple chez Thomas d'Aquin (XIIIe siècle), Jean Pic de la Mirandole (XVe) ou Francis Bacon (XVIe-XVIIe).
Avec les grandes découvertes et la révolution scientifique du XVIIe et XVIIIe siècle, elle connait un véritable renouveau. On doit surtout à Montesquieu de l'avoir développé et systématisé : plusieurs livres de l'Esprit des lois (publié 1748) sont intégralement consacrés à l'influence du climat sur les caractères et sur les modes de gouvernement. Pour Montesquieu, et pour beaucoup de savants et de philosophes des Lumières, "l'empire du climat est le premier de tous les empires"...

A la même époque se produit un basculement important : des observateurs notent l'influence sur le climat local de la déforestation, du développement de monoculture dans les colonies ou de la concentration d'activités industrielles. Alors que depuis Ptolémée, le climat était considéré comme déterminé par la longitude (le mot climat vient d'ailleurs de la même racine grecque qu'inclinaison), les savants prennent conscience de variations locales. Le climat n'est donc plus pensé comme une caractéristique géographique immuable mais comme un ensemble de données variables dans le temps et susceptibles d'être modifiées par les activités humaines.


Modifier le climat, pour le meilleurs et pour le pire


Si le climat façonne les sociétés et que les activités humaines sont susceptibles de l'altérer, il faut veiller à ne pas le dégrader. Cette préoccupation que nous aurions cru réservé au XXIe siècle est très présente au début de l'industrialisation européenne. (Pour plus de détails à ce sujet, je vous recommande cet article)
On s'inquiète alors régulièrement de dérèglements néfastes causés par les activités humaines. En 1821, au terme d'un hiver particulièrement rude, le ministre de l'intérieur Siméon réclame, par exemple, une enquête aux préfets sur le sujet : "Depuis quelques années, nous sommes témoins de refroidissements sensibles dans l’atmosphère, de variations subites dans les saisons et d’ouragans […] auxquels la France semble devenir de plus en plus sujette. On l’attribue en partie aux déboisements des montagnes, aux défrichements des forêts". En 1822, le philosophe socialiste Charles Fourier (qui n'a aucune relation avec le Joseph Fourier qui à la même date découvre l'effet de serre) s'inquiète : "les désordres climatériques sont un vice inhérent à la culture civilisée ; elle bouleverse tout par la lutte de l’intérêt individuel avec l’intérêt collectif."
A cette époque, il arrive que la décadence de la civilisation égyptienne soit attribuée à une mauvaise

Inversement, en 1780, Buffon affirme que l'humanité pourrait "modifier les influences du climat qu’elle habite et en fixer pour ainsi dire la température au point qui lui convient". Si, aux mêmes latitudes, le climat américain est beaucoup plus froid que le climat européen, c'est explique-t-il parce que les forets n'y ont pas encore été abattues, la colonisation et la mise en valeur du nouveau continent devrait donc s'accompagner de l'apparition d'une climat plus favorable.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, ces réflexions s'effacent progressivement. D'abord les progrès de la médecine et la révolution pasteurienne discréditent les vieilles thèses hippocratiques : les maladies s'expliquent enfin et il n'est plus nécessaire de faire appel aux causes environnementales. De même, l'apparition de la sociologie tend à substituer des facteurs sociaux aux facteurs environnementaux comme déterminant des caractéristiques morales, intellectuelles et politiques d'un groupe.
Enfin les progrès en science de la Terre permettent de comprendre que la planète est beaucoup plus ancienne qu'on le pensait auparavant et que le climat a connu d'importantes variations dans le passé : on revient à une conception ptoléméenne du climat comme un cadre déterminé par des paramètres astronomiques et pratiquement fixe à l'échelle historique. Mais pas pour longtemps...


Publié le 5 octobre 2016 par Thibault Laconde

Illustration : By Sailko (Own work) [CC BY 3.0], via Wikimedia Commons

Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


Avis d'expert : Pourra-t-on un jour retirer des gaz à effet de serre de l'atmosphère ?

Dans quelques jours, l'Accord de Paris sur le climat sera ouvert à la signature au siège new-yorkais de l'ONU. C'est une première étape vers son entrée en vigueur, et l'occasion se s’interroger sur les effets de cet accord dans les années et les décennies qui viennent.

> Cet entretien est extrait d'une étude sur les implications économiques et technologiques à long-terme de l'Accord de Paris. Vous pouvez télécharger l'étude complète ici.


En se donnant pour objectifs d'atteindre zéro émission nette pendant la seconde moitié du XXIe siècle (article 4 : "parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la  deuxième  moitié  du  siècle"), l'Accord de Paris sous-entend que nous serions capable de retirer des gaz à effet de serre de l'atmosphère et ainsi de compenser les émissions que nous ne parviendrons pas à éliminer.
En réalité, si nous commençons à savoir capter le dioxyde de carbone dans les fumées des installations émettrices, nous sommes encore loin de pouvoir l'isoler en grandes quantités dans l'air ambiant où il est 500 fois moins concentré. Alors, la capture atmosphérique du carbone est-elle un mirage ?
J'en ai discuté avec Noah Deich, directeur du Center for Carbon Removal à l'université de Berkeley.


En quoi la capture atmosphérique du carbone est-elle importante après l'Accord de Paris ?

représentation d'une molécule de dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre d'origine humaineLa capture du carbone est très précieuse pour atteindre l'objectif de long-terme de l'Accord de Paris. Au rythme actuel, le budget carbone permettant de limiter le réchauffement à 2°C sera épuisé dans 20 ans et le budget associé à 1.5°C sera épuisé dans seulement 6 ans. Même si les INDC proposées avant la COP21 sont toutes respectées, les émissions vont continuer à croitre pendant les prochaines décennies. Comme seule la capture atmosphérique peut compenser un dépassement de notre budget carbone, c'est une assurance vitale au cas où nous ne pourrions pas réduire les émissions assez vite .
Une autre raison importante pour développer les solutions de capture atmosphérique du carbone est qu'elles peuvent aider à élargir le soutien aux politiques climatiques, ce qui utile aussi bien pour réduire les émissions que pour capturer le CO2. Une explication complète de l’intérêt de la capture atmosphérique est disponible dans notre rapport Philanthropy Beyond Carbon Neutrality.

La capture atmosphérique est souvent vue comme de la science-fiction, qu'en est-il vraiment ?

La capture du carbone est souvent représentée à tort comme une seule solution ou une seule approche. En réalité, il existe une large variété de solutions écologiques et technologiques capables de retirer du CO2 de l'air, par exemple la restauration des écosystèmes, le biocharbon, la biomasse avec capture et séquestration du CO2 et des procédés chimiques qui isole le CO2 directement dans l'air ambiant.
Toutes ces approches nécessitent encore de la recherche et développement avant que nous puissions retirer le dioxyde de carbone de l'atmosphère de façon sure et efficace. D'une manière générale, les techniques écologiques sont plus proches de leur maturité commerciale mais des pilotes et des démonstrateurs existent pour des technologies comme la biomasse + CSC ou la capture directe. Il ne s'agit donc certainement pas de science-fiction.

Aperçu des méthodes de capture atmosphérique du carbone envisagées à l'heure actuelle
(cliquer sur l'image pour agrandir)

Quel est le retour d'expérience des projets existants ?

Les premiers projets montrent que les méthodes biologiques nécessitent une comptabilité carbone et des standards d'analyse de cycle de vie rigoureux avant de pouvoir être valorisées. Les solutions technologiques, elles, sont encore chères mais les essais montrent que les coûts pourraient baisser considérablement avec leur déploiement. Nos analyses présentent plus d'informations sur les projets et les différentes solutions.
La question clé est l'échelle : Quelles solutions ont le meilleurs potentiel ? Et sous quelles conditions pourront-elles être mises sur le marché ?

Qu'est-ce qui est nécessaire aujourd'hui pour accélérer le développement de la capture atmosphérique ?

De la recherche et développement et des démonstrateurs pour faire baisser les coûts et améliorer la comptabilisation du carbone, ainsi que des politiques, des réglementations et des marchés qui créent une demande pour la capture atmosphérique. Il faut encore de la R&D pour un grand nombre de solution et il est trop tôt pour dire qui seront les gagnants et les perdants.

A votre avis, quand la capture atmosphérique pourrait-elle commencer à jouer un rôle significatif dans la lutte contre le changement climatique ? Et à quel prix ?

D'ici une décennie, la capture atmosphérique pourrait jouer un rôle majeur dans les efforts d'atténuation. Je m'attend à ce que les premiers développement portent sur les solutions agricoles et écosystémiques qui s'appuient sur la photosynthèse pour séquestrer le carbone dans les plantes et les sols. Les systèmes technologiques, comme la biomasse + CSC ou la capture directe, pourraient être disponibles à l'échelle commerciale peu après. La vitesse à laquelle ces solutions seront commercialisées dépend des investissement qui seront réalisés par les gouvernements et le secteur privé.
A long-terme, les coûts seront vraisemblablement entre 10 et 100$ par tonne équivalent CO2. Mais il est difficile de dire combien cela va couter de développer ces techniques jusqu'au moment où elle deviendront rentables.


Publié le 20 avril 2016 par Thibault Laconde



Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


Où en est la transition énergétique chinoise ? Le point sur le treizième plan quinquennal.

Mi-mars, la Chine a publié son 13e plan quinquennal. Ce document à l'appellation un peu démodée fixe les orientations économiques et sociales du pays pour la période 2016-2020.

L'énergie et l'environnement y tiennent naturellement une place importante. Et sur ces questions, les orientations du gouvernement chinois étaient très attendues : au lendemain de la COP21, alors que le secteur de l'énergie est en plein bouleversement et que la croissance chinoise ralentit, que compte faire la deuxième économie de la planète ?


Poursuite des efforts sur l'intensité énergétique


Le plan 2016-2020 fixe une limite à la consommation d'énergie chinoise : elle devra être inférieure à 5 milliards de tonnes équivalent charbon en 2020.
Pollution à Shanghai : le treisième plan quinquennal prévoit un réduction des émissions de CO2 et d'autres polluantsA première vue, ce chiffre est décevant : un objectif de 4.8 avait été annoncé en 2014. Par ailleurs, si on s'en tient aux statistiques officielles qui affichent une consommation de 3.6 en 2015, cela correspond à une simple stabilisation de l'intensité énergétique (puisque dans le même temps une croissance annuelle entre 6.5 et 7% est prévue).

En réalité cet objectif tient compte de la découverte en 2015 d'une sous-évaluation massive de la consommation de charbon chinoise.
Un fois les statistiques corrigées, l'intensité énergétique de l'économie chinoise devrait décroître de 15% entre 2016 et 2020. C'est un objectif légèrement inférieur celui des deux plans précédents (-16%) d'autant qu'ils avaient été dépassés (-18.2% pendant le 12e plan).


Des efforts accrus sur les émissions de gaz à effet de serre



Le recul de l'intensité carbone, c'est-à-dire la quantité de gaz à effet de serre nécessaire pour produire un renminbi de richesse, devrait lui s'accélérer par rapport à la période précédente. L'intensité carbone de l'économie chinoise devrait baisser de 18% entre 2016 et 2020. Pendant le plan précédent, l'objectif était fixé à -17% sur 5 ans et il a été largement dépassé (-20%).
Compte-tenu des prévisions de croissances, cette baisse de l'intensité carbone conduit encore à une augmentation sensible des émissions. Celles-ci devraient croitre entre 12 et 15% entre 2020 et 2015.
Malgré cette augmentation, la Chine se met sur la voie annoncée dans son INDC : celle-ci prévoyait une baisse de 60 à 65% de l'intensité carbone entre 2005 et 2030, en 2020 le pays devrait en être à -48%.

Conséquence logique, le développement des énergies bas-carbone va s'accélérer : les énergies "non-fossiles" (renouvelables + nucléaire) devrait représenter 15% du mix énergétique chinois en 2020 contre 12% en 2015 (l'objectif fixé par le 12e plan était de 11.4%). Là encore, l'essentiel du chemin sera fait vers l'engagement de 20% pris avant la COP21.

Le plan quinquennal ne donne pas de détail sur la part des différentes énergies. Celles-ci devraient être précisées dans des sous-plans publiés dans les prochains mois. Le gouvernement chinois a déjà promis des nouvelles capacités de 150GW en solaire et 250GW en éolien d'ici à 2020.
Simultanément, la consommation de charbon devrait baisser. Les centrales chinoises affichent un taux de charge particulièrement mauvais (4329 heures de fonctionnement en moyenne en 2015) et les autorités s'efforcent de réduire les surcapacités.


Pollution et infrastructures


En dehors des émissions de gaz à effet de serre, le 13e plan quinquennal s'attaque à la pollution, en particulier aux polluants atmosphériques : les émissions de dioxyde de souffre (SO2) et d'oxyde d'azote (NOx) devront baisser de 15%, les taux de particules fines (PM2.5) de 18%. Ces objectifs font suite à la révision de la loi sur la protection de l'environnement qui avait considérablement renforcé les sanctions pour les pollueurs fin 2015.
La pollution atmosphérique est devenu un enjeu sanitaire majeur dans les grandes villes et les chinois poussent leur gouvernement à l'action. De façon significative, le premier ministre Li Keqiang a mis particulièrement l'accent sur cette question dans son discours d'ouverture.

Enfin la Chine va continuer à s'équiper à grande vitesse - parfois en contradiction avec les objectifs précédents : une cinquantaine d'aéroports sont prévus dans des villes moyennes, 30.000km d'autoroute seront construits, le réseau ferroviaires sera étendu notamment le réseau à grande vitesse qui couvrira 80% des grandes villes en 2020 et le réseau urbain qui va croître de 3000km...


D'une manière générale, le 13e plan quinquennal chinois fait le job : il confirme les engagements déjà pris par la Chine et marque son intention de continuer sa transition énergétique et climatique. Mais ces prévisions sont peut-être encore pessimistes : au cours des deux périodes précédentes, les objectifs énergétiques et climatiques ont toujours été atteints et dépassés.
En 2015, la consommation d'énergie chinoise n'a augmenté que de 0.9%, les émissions de carbone liées à l'énergie ont, elles, baissé de 1.5% en raison du recul du charbon. Or depuis le début de l'année, la production de charbon thermique s'est écroulée de 6% ! Le basculement de la Chine vers un modèle plus respectueux de l'environnement est peut-être plus avancé qu'on le croit...


Publié le 31 mars 2016 par Thibault Laconde

Illustration : Par Alex Gindin [CC0], via Wikimedia Commons



Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


Scandale Volkswagen : et si on réfléchissait à la responsabilité du consommateur ?

scandale volkswagen : manipulation des émissions polluantes pour respecter les normes
Bon... A ce stade, vous en avez tous entendu parler : le premier constructeur mondial d'automobiles a installé sur certains de ses modèles un logiciel capable d'activer le système anti-pollution seulement au moment des contrôles. En dehors de ces périodes, les émissions de NOx (une famille de gaz responsables notamment de pluies acides) pouvaient être jusqu'à 40 fois plus élevées que la norme.
La supercherie a été découverte, l'entreprise risque une amende équivalente au PIB du Gabon, elle a perdu un tiers de sa capitalisation boursière en 3 jours et son PDG a été poussé fermement vers la porte. Les méchants sont punis. Les prochains qui seraient tentés par la triche avertis : le crime ne paye pas...


Happy ending ? Vraiment ?


D'abord, j'aimerais prendre la tricherie de Volkswagen dans l'autre sens : les voitures n'activaient pas un système antipollution miraculeux pendant les tests d'émissions. C'est l'inverse : elles étaient équipées d'un système antipollution compatible avec la réglementation américaine... qu'elles désactivaient lorsqu'elles roulaient sur route. C'est d'ailleurs dans ce sens que l'Agence Américaine pour l'Environnement formule son accusation précisant même que les composants désactivés étaient le piège à NOx et la réduction catalytique sélective.

Pourquoi équiper vos véhicules d'un système antipollution efficace, si c'est pour le désactiver lorsqu'il roule en conditions normales ? Vraisemblablement parce qu'il dégradait trop les performances de la voiture au gout des commerciaux.
Je peux presque entendre la discussion dans la salle du board à Wolfburg il y a quelques années :

Le directeur technique : J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle.
Le directeur général : La bonne d'abord, bitte.
- On a la technologie qu'il faut pour respecter les normes d'émissions même sur nos modèles diesel.
- Wunderbar. Et la mauvaise ?
- On perd un peu en vitesse de pointe et en reprise... Voici ce qu'on peut faire de mieux.
(Il passe un slide)
- Ach. Tant que ça ? Mais on a une image à tenir auprès de nos acheteurs... Das Auto, tout ça... Comment on va leur vendre nos voitures s'il leur faut 12 secondes pour passer à 100km/h ?

(Réflexion intense. Les participants baissent la tête, se grattent le front...)
...
...
Le directeur commercial (qui profité de l'absence du directeur juridique, parti chasser la perdrix dans les Alpes bavaroises, pour s'étaler) : Et si on mettait le système antipollution, mais seulement pendant les tests ?

Oui. Oui... Je vous entend : ils ont triché, ils ont trompé le consommateur en lui vendant des voitures comme un peu moins sales alors qu'elles étaient en fait juste aussi sales que les autres. Et, évidement, si vous aviez su, vous auriez pris une Twizy à la place de votre Audi A3.


Zéro progrès en un demi-siècle... La faute à qui ?


Je vous crois mais permettez moi de vous dire que ce n'est pas le cas général...

Un exemple que je trouve particulièrement révélateur : Une Volkswagen Golf (modèle pris au hasard...) de 2015 consomme autour de 4.5 litres au 100 km. Mais savez-vous combien consommait la deux-chevaux de vos grands-parents en 1950 ?
Exactement pareil (le cahier des charges initial visait même 3L/100km). En 65 ans, la consommation d'une voiture de milieu de gamme n'a pas bougé d'un iota ! N'est-ce pas la preuve que les fabricants d'automobiles font preuve de mauvaise volonté ?

En 65 ans, la consommation kilométrique des voitures n'a pas baissé. La faute au constructeur ou à l'acheteur ?

Pas tout à fait... Car la Golf et la deuche répondent bien au même besoin (déplacer 4 membres de la classe moyenne dans des conditions de confort acceptables) mais elles sont loins d'avoir les mêmes caractéristiques :
  • La deux-chevaux pesait 500kg environ, la Golf pèse selon les modèles de 1 à 1.5 tonnes,
  • La deux-chevaux avait un moteur de 375cm3, les Golf elles se trouvent plutôt entre 1000 et 2000cm3
  • La deux-chevaux plafonnait à 60km/h, la Golf, elle atteint 190km/h voire beaucoup plus pour certains modèles.
Les fabricants ont fait leur boulot : avec la même quantité de carburant, ils sont aujourd'hui capables de faire rouler un véhicule 2 à 3 fois plus lourd 4 fois plus vite.
Pas de bol, les consommateurs ont préféré, dans leur grande majorité, utiliser ces progrès pour conduire des voitures plus grosses plutôt que pour faire baisser leurs consommations, donc leurs émissions polluantes.

Sans rien enlever à la responsabilité de Volkswagen (et éventuellement d'autres constructeurs qui auraient partagé ces pratiques), il faut quand même reconnaître qu'ils ne font que répondre à une demande : celle de véhicules toujours plus confortables, plus lourds, avec plus de reprise et plein d'options énergivores...

Arrêtons de croire que c'est la voiture qui pollue : c'est le conducteur !



Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


[Infographie] Carbone, ozone, particules, soufre... Petit aide-mémoire de la pollution atmosphérique

Pics printaniers obligent, la pollution s'invite ces jours-ci dans toutes les discussions, de la machine à café jusqu'aux journaux télévisés. Mais il peut être difficile de s'y retrouver : si tous les polluants représentent une menace pour l'homme et l'environnement, il n'y a pas grand chose de commun, par exemple, entre les nitroxydes qui restent plusieurs mois dans l'atmosphère et le dioxyde de soufre qui disparaît en quelques heures, ou entre le dioxyde de carbone  inoffensif pour la santé (et largement responsable du changement climatique) et les particules en suspension qui sont associées à une augmentation de la mortalité...

Pour vous aider à vous y retrouver, je vous propose un aide-mémoire des principaux polluants atmosphériques et de leurs caractéristiques, une liste plus détaillée est disponible dans la suite de l'article.

CO2, NO2, SO2, PM, O3, COV... origines, effets et durée de vie des principaux polluants atmosphériques


Dioxyde de carbone

De quoi s'agit-il ? Le dioxyde de carbone (parfois appelé gaz carbonique) est une molécule composée d'un atome de carbone et de deux atomes d'oxygène. Il est noté CO₂.
Quels effets ? Sauf à très forte concentration, le dioxyde de carbone n'est pas un danger pour la santé mais c'est le principal gaz à effet de serre d'origine humaine. Il représente à lui seul les 2/3 de nos émissions.
Quelle durée de vie ? Le dioxyde de carbone est un gaz stable, sa durée de vie dans l'atmosphère est supérieure à un siècle.
D'où vient-il ? Essentiellement de la combustion d'énergie fossiles ou d'autres matières organiques (centrales à charbon ou à gaz, voitures, chauffages thermiques, incendies...) et des cimenteries.



Dioxyde d'azote

De quoi s'agit-il ? Le dioxyde d'azote est une molécule composée d'un atome d'azote et de deux atomes d'oxygène, il est noté NO₂. On lui associe parfois d'autres oxydes d'azote (notamment le monoxyde d'azote, NO), l'ensemble est alors désigné par l'abréviation NOx.
Quels effets ? Au contact de l'eau, le dioxyde d'azote se transforme en acide nitrique. C'est donc un gaz irritant susceptible de s'attaquer aux poumons et aux yeux, il est aussi responsable de pluies acides. Enfin, il participe à la formation d'autres polluants comme l'ozone et les particules fines.
Quelle durée de vie ? La demi-vie du dioxyde d'azote est d'environ 80 jours (c'est-à-dire qu'il faut 80 jours pour que la moitié du volume émis disparaisse). Cette durée de vie est suffisante pour que les oxydes d'azote voyagent sur de longues distances : il a par exemple été démontré que les émissions britanniques étaient responsables de pluies acides en Scandinavie.
D'où vient-il ? L'air ambiant est composé majoritairement d'azote et d'oxygène qui réagissent à haute température pour former du monoxyde d'azote, lequel peut ensuite réagir à nouveau avec de l'oxygène pour donner du dioxyde d'azote. Les véhicules à moteur et, dans une moindre mesure, les centrales thermiques sont responsables de l'essentiel de la production de NOx.



Ozone

De quoi s'agit-il ? L'ozone est une molécule composée de trois atomes d'oxygène, noté O₃.
Quels effets ? Dans la stratosphère, l'ozone permet de filtrer les rayons ultraviolets du soleil mais c'est aussi un oxydant capable, lorsqu'il se trouve à basse altitude (dans la troposphère), d'irriter les yeux et les voies respiratoires même à faible concentration : une augmentation de la mortalité a été démontrée lors des pics de pollution à l'ozone. Il s'attaque également aux végétaux, l'INRA estime par exemple qu'il est responsable d'une baisse de 5 à 10% des rendements du blé en Île de France, et aux matériaux oxydables. Enfin, il joue un rôle dans le changement climatique puisqu'il est responsable de 10% environ de l'effet de serre d'origine humaine.
Quelle durée de vie ? L'ozone possède une durée de vie assez courte, de l'ordre de 3 jours à 20°C.
D'où vient-il ? L'ozone est un polluant secondaire : il n'est pas crée directement par les activités humaines mais provient d'une réaction impliquant des polluants primaires (NOx, composés organiques volatils...) et le rayonnement solaire. Un bon ensoleillement est donc indispensable à sa formation.



Dioxyde de soufre

De quoi s'agit-il ? Le dioxyde de soufre est formé d'un atome de soufre et de deux atomes d'oxygène. Il se note SO₂.
Quels effets ? Le dioxyde de soufre est irritant, notamment pour les voies respiratoires. Il forme de l'acide sulfurique au contact de l'eau , il est donc responsable de pluies acides. Il peut également corroder la pierre et dégrader des bâtiments.
Quelle durée de vie ? Le dioxyde de soufre disparaît rapidement de l'atmosphère : sa demi-vie est de quelques heures.
D'où vient-il ? Le dioxyde de soufre se forme lors de la combustion d'un matériau contenant de soufre, les véhicules à moteurs et les centrales thermiques sont les principaux émetteurs. Les volcans peuvent également rejeter des composés soufrés.



Particules en suspension (PM10 et PM2.5)

De quoi s'agit-il ? Les particules en suspension (ou PM pour particulate matter) sont des poussières de très petite taille - la taille d'une bactérie voire moins. Elles sont classées en fonction de leur diamètre : PM10 pour les particules dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres (ou 0.01 millimètre), PM2.5 pour celles dont le diamètre est inférieur à 2.5 micromètres (0.0025 mm), etc. Ces particules peuvent être formées de matières organiques, de sulfates, de suie, etc. et contenir des métaux lourds ou d'autres produits dangereux.
Quels effets ? Alors que les PM10 sont retenues au niveau du nez ou des voies aériennes supérieures, les PM2.5 sont suffisamment fines pour pénétrer jusqu'aux alvéoles des poumons. Elles peuvent déranger la respiration et sont associées à une augmentation de la mortalité. Elles contribuent également au noircissement des façades. 
Quelle durée de vie ? Les particules en suspension sont éliminées par la pluie ou en retombant naturellement au sol. En l'absence de précipitation, la durée de vie des particules peut aller de quelques heures à quelques jours (plus une particule est fine plus elle peut rester en suspension longtemps).
D'où viennent-elles ? Les particules en suspension sont produites notamment par les combustions industrielles, le chauffage, la construction et les travaux public, l'agriculture et l'automobile (en particulier les moteurs diesel). Le vent, ainsi que certaines activités humaines (circulation, nettoyage...) peuvent aussi remettre en suspension des particules tombées au sol.



Composés organiques volatils (COV)

De quoi s'agit-il ? Les composés organiques volatils sont des molécules contenant du carbone, de l'oxygène, de l'hydrogène et, éventuellement, d'autres atomes. On distingue trois familles principales :
  • Les hydrocarbures aromatiques monocycliques (HAM), par exemple le benzène.
  • Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), par exemple le benzopyrène.
  • Les aldéhydes, dont le formaldéhyde. 
Quels effets ? Les composés organiques volatils provoquent des irritations et une diminution de la capacité respiratoire, certains sont de plus cancérigènes (c'est le cas des trois cités en exemple plus haut). Les COV peuvent également être des précurseurs de la création d'ozone.
Quelle durée de vie ? La durée de vie dans l'atmosphère est variable d'une molécule à l'autre. Elle est en général de quelques jours (environ 9 jours pour le benzène, par exemple).
D'où viennent-ils ? Les composés organiques volatils sont libérés lors de l'évaporation d'hydrocarbures liquides. Ils proviennent notamment des véhicules à moteur (remplissage du réservoir, gaz d'échappement...) et de certains procédés industriels (raffinage de pétrole, solvants industriels...). Ils représentent une part importante de la pollution intérieure (produits d'entretien, vernis, colle...).


Ce n'est pas tout...


J'ai laissé de coté dans cette liste quelques autres polluants atmosphériques moins souvent impliqués dans des épisodes de pollution, pour mémoire en voici quelques uns :
  • Le méthane (CH4), le protoxyde d'azote (NO2) et les autres gaz à effet de serre émis par les activités humaines. Une liste plus complète peut être trouvée ici.
  • Le monoxyde de carbone (CO) crée lors d'une combustion incomplète, il est à la fois toxique pour l'homme et précurseur de l'ozone et du dioxyde de carbone.
  • Les métaux lourds qui peuvent se retrouver en suspension (plomb, mercure, arsenic...), ce sont des polluants persistants qui s'accumulent dans l'organisme avec des effets à long terme sur le système nerveux, les reins, le foie, les poumons...
  • Les pollens, d'origine naturelle mais susceptibles de déclencher des allergies.
  • Les dioxines, famille de molécules contenant du chlore dont certaines sont très toxiques.
  • Les pesticides utilisés par l'agriculture et susceptibles d'avoir des effets sur la santé.

Publié le 13 avril 2015 par Thibault Laconde, dernière mise à jour le 11 avril 2016

Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


Dossier : Quelle analyse économique de l'environnement ?

Combien coûte la destruction d'un hectare de forêt ? L'émission d'une tonne de CO2 ? La disparition d'une espèce ?
Donner une valeur monétaire à l'environnement  soulève de nombreux problèmes aussi bien éthiques que pratiques. Pourtant cette démarche, qui permet d'intégrer l'environnement dans des raisonnements économiques est au cœur de l'économie verte. Et elle est de plus en plus fréquemment utilisée : du récif corallien (estimé entre 5 et 10 000$ par hectare par un rapport officiel) jusqu'à la tonne de carbone, cotée en bourse, aujourd'hui, tout semble avoir un prix.


Comment et pourquoi évaluer l'environnement ? Quelles en sont les limites ? Vous trouverez quelques réponses dans cette série d'articles :

Un autre exemple de politiques en faveur d'une économie verte :
Crédit photo : By Tatmouss (Own work) [CC-BY-SA-3.0], via Wikimedia Commons